Curiositez inoüyes/Édition 1629/8

Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅷ.
Qu’il est faux que l’Astrologie des Anciens ait donné commencement à l’Idolatrie.


SOMMAIRE.
  1. Arguments contre l’Astrologie mal fondez; & comment on peut juger par les voyes de la nature, de la bonne ou mauvaise adventure de l’Enfant.
    1. Conclusion de Sainct Thomas pour l’Astrologie.
    2. Opinion de Guillelmus & Paracelse refutee : Inventeurs de l’Astrologie, & mesconte de Pline sur ce subject.
    3. Astrologie comment bonne & mauvaise? Moyse sçavant Astrologue.
    4. Idolatrie d’où venüe, selon Marsile Ficin & Bechay Hebreu? Hanni-Bal & Hasdru-Bal, noms composez, pourquoy?
    5. Croyance de R. Moses & de l’Autheur de la Sapience sur le commencement de la mesme Idolatrie. Conclusion de ce que devant.
    6. Feux allumez anciennement au Soleil & à la Lune, quels?
    7. Raisons qui prouvent l’innocence de ceste curieuse antiquité.


    Je ne doute point que si j’entreprends icy de monstrer que les Patriarches & premiers Peres ont esté Genethliaques & Astrologues, on ne m’estime ridicule, & qu’on ne crie encore apres moy, que mes pensees sont extravagantes & hors du commun : mais soit, j’ay desja souffert tant de calomnies pour faire la guerre à l’ignorance, que je puis dire à bon droict avec le Poëte,

    Hoc quoque Naso feres quoniam maiora tulisti :
    Iam tibi sentiri sarcina nulla potest.

    Toutes choses me sont douces, pourveu que la verité soit cogneüe, & faudra que mes ennemis se lassent de me persecuter s’ils n’ont moins de sentiment que les bestes. J’advance donc librement & sans crainte ceste curieuse doctrine que l’ignorance de la langue Hebraïque avoit long-temps tenüe cachee aux Chrestiens. Mais puis que ma coustume est de mettre premierement hors de soupçon ce que je traite, il faut que je monstre auparavant que de descouvrir les secrets de ceste ancienne Astrologie, qu’à tort on a blasmé la pureté de ceste science, qui monstrant à dresser des nativitez sous le divers aspect des Astres, sçait predire par une façon que la nature enseigne le bon-heur ou le malheur des hommes.

    1. Ceux doncques qui blasment l’innocence de l’Astrologie se servent ordinairement de ces deux raisons. Qu’elle est vaine & nullement veritable, & qu’elle est condamnee par les maximes de la Religion, qui ne demandent de nous autre devoir que ce refrein de cloistre, obeyssance & humilité. Que si nous consultons les Canons qui portent cét arrest en lettre rouge, nous trouverons, disent-ils, que ce n’est pas sans raison qu’on a descrié ceste science, puis qu’elle impose nécessité à nos actions, & que mesme son principe a esté si funeste, qu’il a planté l’idonomanie dans l’esprit des hommes. Or si tant d’Autheurs n’avoient desja respondu à ces arguments, il me faudroit maintenant les examiner, mais le Cardinal de Aliaco, Lucius Bellancius, Melancton, Pirovanus, Goclenius, & Ransovius ont si judicieusement satisfait aux plus critiques, qu’il ne faut pas estre homme pour ne recognoistre leur raisonnement tres juste : car si l’Eglise, disent-ils, ne peut souffrir le nom d’Astrologie, ce n’est pas de celle qui peut par le lever & coucher des estoilles, par leurs diverses conjonctions, predire les pluyes, foudres, orages, & tempestes, & par consequent l’abondance ou disette des fruits: comme aussi par la nature de ces figures celestes, juger du naturel de l’enfant nouveau-né; comme, qu’il sera d’une humeur temperee s’il naist sous un signe tempere, & par mesme raison doux, affable & courtois ; ou bien au contraire, s’il naist sous une constellation maligne, pour estre ou trop froide, ou escauffee & bruslante, il abondera en pareil humeur; & en suite on peut dire probablement & sans captiver la volonté, qu’il sera querelleux & malin, & les querelles estant tousiours suivies de quelque malheur, on peut conclurre qu’il sera malheureux & infortuné, & mille autres choses que je laisse pour estre desja si communes que les enfans le sçavent. Ce n’est donc pas contre ceste Astrologie que l’Eglise a prononcé des arrets: mais de ceste autre à bon droict condamnée, qui donnant plus de puissance aux cieux qu’il ne faut, va imposant necessité à la partie plus libre de nostre Ame. Ces autheurs respondent pareillement au premier argument, qui est de peu de certitude de ceste science, ce que nous avons respondu pour la verité des figures. Par ainsi on peut juger opiniastres ceux qui pour blasmer l’Astrologie mettent en avant les plus signalez Astrologues qui ont esté trouvez menteurs : puis qu’ils devroient advancer aussi ceux qui ont dit vray, & dont les predictions ont servi d’estonnement à ceux qui les ont veu arriver: Ainsi le grand Pic Comte de la Mirande, qui pour avoir mesdit des Astrologues plus que jamais homme ne fit, fut appellé flagellum Atstrologorum, trouva en fin que Lucius Bellancius Syenois ne se trompa point au jugement qu’il fit sur son horoscope ; car il luy predit qu’il finiroit ses jours en l’aage de trente-quatre ans, comme il fit. Jonctin Italien aussi que la belle Florence veit naistre, avoit-il pas predit encore qu’il mourroit de mort violente au mesme jour qu’il fut accablé des livres de sa Bibliotheque ? ne perdons point la veuë & le cerveau à fueilleter les livres, pour chercher d’avantage d’exemples, nostre France ne nous en a que trop monstre, & ne faut point avoir des yeux pour ne les pas avoir remarquez.

    2. Certainement la consideration de ces veritez a eu tant de force sur l’esprit des plus sçavans qui vivoient du temps de nos Peres, que sans en douter d’avantage, ont mis la main à la plume, employans les plus cheres heures de leurs Meditations à confirmer ce que leurs predecesseurs en avoient dit, s’y addonnans d’autant plus librement qu’ils voyoient que les plus saincts des Docteurs de l’Eglise avoient asseuré. Alios atque alios planetas diversas complexiones habitus & dispositiones in nobis constituere. L’Ange de l’Eschole avoit embrassé ceste mesme croyance citant celuy qui vient de parler, & confirmant ceste doctrine par la similitude du Medecin, qui peut juger par la complexion & temperament du corps, comme causes prochaines de la subtilité de l’entendement : tout de mesme en peut faire l’Astrologue par le divers mouvement des Astres, comme causes quoy qu’eloignees. Il adjouste en suite que Ptolomee disoit vray, que Mercure se trouvant à la nativité de l’enfant en un des domiciles de Saturne, il auroit l’esprit subtil & clair. Apres tout, ce bien heureux Docteur conclud que les Astrologues ne se trompent pas le plus souvent, en ce qui touche les mœurs des hommes, parce qu’il en faut croire, dit-il, au sentiment & à l’experience.

    3. Je laisse tout ce que le reste des Peres en advancent diligemment recueilly par Rodolphe Goclen Medecin de Masbourg: aussi bien n’est-il pas icy mon dessein de dresser une Apologie pour ceste science ; j’en demeure à ce que l’Eglise en a definy : seulement veux-je mettre en avant ce qu’en ont rapporté les Rabbins, & pour en mettre hors du soupçon les secrets, il faut que je monstre en peu de mots, qu’il n’y a rien de plus faux que ce qu’on dit au mespris de ceste Astrologie ; Que son commencement a esté celuy de l’Idolatrie. Guillelmus Parisiensis en sa première partie de l’Univers niant la puissance des Astres aux figures que nous venons de voir, confirme ceste opinion controuvee par quelques Chrestiens de l’Eglise naissante, Theophraste Paracelse l’a jugee par apres veritable dans le livre qu’il nous a laissé des maladies invisibles, au Chapitre qui est du mal qu’on appelle de sainct Valentin, où il dit : Cuidam ex populo observarunt, quod & Planetarun conjunctiones & oppositiones, & alij cursus cœlestes tales morbos irritarent & augerent, unde etiam sectæ nataæ sunt ut quidam crederint stellas esse deos. Mais ceste opinion n’a rien de solide par trois raisons: La premiere : Que les Patriarches selon le tesmoignage des plus veritables Autheurs ont esté les iuventeurs de ceste science. La deuxiéme : que leurs descendants l’ont pratiquée sans reproche : & la troisiesme, qu’il est incertain d’assigner au vray le commencement de l’idolatrie. Pour la premiere : Josephe asseure que Seth & Adam furent les premiers qui s’occupèrent à ceste science, soit infuse ou acquise, & qu’Abrabam s’en estant fuy en Egypte l’apprit aux Egyptiens. Ceste verité est d’autant plus forte quelle part d’un homme à qui on n’a jamais sceu trouver que redire, & par consequent on peut juger que Pline s’est mespris de dire qu’elle n’a point eu d’autre Autheur qu’Athlas : car outre que nous sçavons que devant Athlas, l’Astrologie estoit desja en usage, il se dement luy-mesme au livre precedent, disant que Belus estoit le premier qui l’avoit trouvee; & plus haut il asseure que c’estoient les Phœniciens. Mais donnons-luy que ce fussent les Phœniciens, on bien selon quelques autres les Assyriens, tousjours sera-t’il vray que les premiers Peres l’ont trouvee, puis qu’Abraham estoit Assyrien, & ses Predecesseurs Phœniciens, une colonie d’Assyrie estant passee en Phœnicie, comme nous avons prouvé ailleurs. Je laisse les deux colomnes dressées, à ce qu’on dít, devant le deluge, sur l’une desquelles les règles de l’Astrologie estoient gravees par Seth, & conservee encore du temps de Josephe qui asseure l’avoir veuë. Or il n’y a jamais eu aucun qui ait seulement pensé que ces premiers peres observans les mouvemens des Cieux, eussent adoré les estoilles : ceste pensee seroit criminelle; doncques l’idolatrie n’a pas pris son commencement avec l’Astrologie.

    4. La deuxiesme raison est fondee sur l’histoire tant sacrée que prophane, où chacun peut voir que peu de siecles se sont passez sans qu’on ait veu quelque grand personnage sçavant en Astrologie, sans toutefois qu’il ait jamais esté condamné. Il est bien veritable que les premiers Chrestiens condamnerent Aquila, qui n’est autre qu’Onkelos sçavant interprete des livres sacrez; mais c’est apres qu’ils eurent reconeu que cest esprit trop curieux ne s’adonnoit point tant à la simplicité de l’Astrologie, qu’à la superstitieuse observation des estoilles, leur attribuant la puissance de regir aussi bien nos ames que nos corps, & le tout sans que nous puissions eviter leurs influences, qu’on dit qu’il appelloit fatales : En un mot, on n’a sceu remarquer, quoy que disent Pic Comte de la Mirande, suivy par Delrio & un bon nombre d’autres, que de tant d’Astrologues citez dans les histoires, aucun ait esté repris, pourveu qu’il ait observé les regles d’une Astrologie telle que nous la descrivons, suivy le train que la nature enseigne, & laissé nostre arbitre dans la volonté que la foy nous apprend ; & en ce sens l’Astrologie est bonne, mais tres-mauvaise si elle procede autrement. D’avantage ceste raison nous doit contenter, que Moyse aussi sainct que Polytique, estoit tres-sçavant en la pureté de ceste science, comme en toutes les autres que l’Egypte & la Chaldee avoient veu naistre, ainsi que le monstre Philon, dont nous auons rapporté le texte ailleurs. Theophilacte dit que pour convaincre les superstitieux d’Egypte, il ne devoit pas seulement entendre la vraye Religion, mais aussi les fondemens de la fausse. Dedi cor meum, dit le Sage ut scirem prudentiam atque doctrinam, erroresque ac stultitiam : surquoy R. Selomo dit que par les deux premiers mots Prudentia & Doctrina, on doit entendre les sciences divines, où il comprend l’Astrologie ; & par les deux derniers Errores ac Stultitia, les illicites, où il renge la magie des Egyptiens, à laquelle on avoit aussi dressé Moyse; & pour cognoistre comme il estoit particulierement habile homme en l’Astrologie, on n’a qu’à voir Abarbanel ou bien Moses l’Egyptien nouvellement traduit & corrigé par Buxtorfe : Voyez aussi i’homme d’Estat Chrestien, composé par Jean Marques ; & traduit d’Espagnol en nostre langue, par le sieur de Virion, Conseiller du Duc de Savoye. Or la plus belle science des Egyptiens & Chaldeens estoit sans controverse l’Astrologie ; qui ne conclurra donc que Moyse y estoit sçavant? Mais on respondra par advanture que l’Idolatrie n’estoit pas encore de ce temps là, & qu’elle fust introduite apres par les Egyptiens, pour s’estre trop addonnez à la contemplation des Astres, & qu’ainsi tousjours elle aura pris naissance de l’Astrologie : je responds premierement qu’il est donc faux que le commencement de l’une ait esté celuy de l’autre. Davantage, que du temps de Moyse l’Idolatrie estoit desia en vogue par tout l’Orient, & s’occupoit-on à faire des sacrifices au Soleil & à la Lune & au reste des estoiles, que ce divin Legislateur, s’accommodant à la façon de parler, appelle Milice du Ciel, deffendant à son peuple de l’adorer. Mais encore que cest acte abominable fust né de l’observation des signes du Ciel devant ou apres Abraham & Moyse, ce qui n’est pas ; ou bien que l’inspection de ces Astres fut cause non de l’idolatrie en general, mais d’une seule espece, comme entend paradventure Paracelse ; que voudroit-on conclurre par là ? L’heresie a pris naissance de la Bible mal entenduë, faut-il donc condamner tout ce que les Apostres & Prophetes ont escrit.

    5. Monstrons pour la troisiesme raison, qu’il est incertain que l’idolatrie ait pris son commencement de l’Astrologie. Marsile Ficin rapporte de Mercure Trismegiste, que les Prestres Egyptiens ne pouvans persuader par raisons au peuple qu’il y eu des Dieux ou des Esprits par dessus les hommes, furent contraints de convoquer des demons dans des statuës, & les produire pour object d’adoration ; voicy ces mots: Addit sapientes quondam Ægyptios, qui & sacerdotes erant, cum non possent rationibus persuadere populo esse deos, id est, spiritus aliquos super homines excogitasse magicum hoc illicitum, quo dæmones allicientes in statuas esse numina declararent, & de là vint l’Idolatrie. Bechai docte Rabbin qui vivoit envirõ l’an de Iesus-Christ, 1291. n’approuve point ceste opinion : car en son traicté des Dieux estrangers, mis à la fin d’un sien Commentaire sur le premier chapitre du Genese, asseure que la seule presomption des descendans de Cham, introduisit l’Idolomanie : ce qui n’est point tant esloigné de ce qu’on peut voir dans les histoires: Car Ninus feit dresser des Autels à son pere, & Belus se fait appeller Dieu. Videantur Iacob. de Valentia in 1. Psal- & Fabr. in Seudo l.2. cap.21.Le reste des Princes superbes poursuivirent à leur exẽple à persuader aux plus simples qu’ils estoient des Dieux, quoy qu’on les vit en forme d’hommes. Ainsi Neron despoüilla les Autels, ne voulant point qu’on recogneust d’autre divinité que la sienne. Auguste se dit fils d’Apollon, & Domitian de Pallas, rejettant sa propre mere qui l’avoit enfanté. Alexandre soustenoit qu’il estoit descendu de Jupiter Amon; & bref l’histoire n’est pleine que de ces sottises, qui passant pour des veritez dans l’esprit des moins sensez, tindrent pour maxime que quiconque avoit bien vescu en ce monde, & qui par quelque action genereuse, avoit merité le nom de Heros, il devenoit Dieu apres son trespas, leur dressant en recognoissance de leurs hauts faits, des statuës qu’ils honoroient apres d’un culte pareil, à celuy qui n’est deu qu’à Dieu seul ; & je ne sçay si les Princes Orientaux, & principalement ceux de Babylone, pour entrenir mieux leurs subjects dans cét erreur, auroient joint avec leur nom celuy de quelque divinité, comme celuy de Baal à Hanni, lequel conjoint, faisoit Hanni-bal, Hadrubal, & ainsi des autres, laissant une voyelle pour plus grande facilité : ceste pensee explique ce que dit Heurnius sur la Philosophie de ces peuples. Illud apud Principes Babylonicos mos vigebat, ut aut Dei alicvius nomen sibi assurement, aut plurium divorum heroúmque & fortitudine excellentium virorum nomina aliquot combinata.

    6. Et bien que ceste opinion ait beaucoup de probabilité, R. Moses ne la trouve pas veritable : car il veut que l’idolatrie soit provenuë d’avoir trop honoré les statuës permises dans l’ancienne loy, comme nous avons dit de celles de Laban, & des veaux d’or de Jeroboan.L’autheur du livre de la sapience dit autrement, asseurant que le culte des idoles a pris naissance de ce que le pere portant avec trop de regret la mort de son fils, il fit dresser son statuë, afin que voyant sa ressemblance, la douleur qu’il avoit fut aucunement appaisee ; mais aymant avec trop de passion ceste image, commença à luy rendre des honneurs comme à un Dieu, tant a de puissance l’amour ! Acerbo enim luctu, dit cest excellent autheur, dolens pater, citò sibi rapti filij fecit imaginem : & illum qui tunc quasi homo mortuus fuerat, nunc tanquam Deum colere cœpit & constituit inter servos suos sacra & sacrificia. Voyez la suite dans ce livre que le libertinage met hors des Canoniques. La remarque que fait Selden sur mot Hebreu, semble confirmer ceste derniere opinion : Car, dit-il, le mesme mot עצבים aghtsabim qui signifie Idola, signifie aussi dolores ; Quòd quot annis, statuis & monumentis mortuorum dolore afficerentur. Il s’escarte pourtant en suite de la verité, d’asseurer que Tharé pere d’Abraham fut le premier qui adora les idoles: mais c’est deviner de dire ce que l’histoire de Moyse ne dit point, & se monstrer peu charitable, voire insolent & temeraire, que d’accuser les anciens sans tesmoignages : car pour ce que dit Cedrenus, qu’Abraham jetta dans le feu des simulachres de son pere & que Aram son frere, taschant de les en garentir, fut bruslé ; je ne le trouve point dans pas un historien Hebreu: de façon qu’on peut dire ceste opinion, ce que le bien-heureux Gregoire disoit d’une autre aussi crotesque : Eadem facilitate contemnitur qua probatur. Apres tout, on peut tenir pour certain ce que Justin Martyr, S. Cyprian , S. Hilaire, Rabbi Moses, Lactance, & l’Abbé Serenus chez Cassian, concluent: que la magie noire est bien certaine, mais non pas son commencement, non plus que celuy de l’idolatrie : & de fait, sans autre tesmoignage, les mesmes veulent que ce malheur soit arrivé devant le deluge , & un bon nombre d’autres, apres, à cause de la fraische mémoire qu’on avoit des merveilles de Dieu; & c’est la raison d’Alexandre de Hales. Propter recentem memoriam eius qui fecit cœlum & terram, quam ex disciplina patrum habuerunt. On pourroit pareillement conclurre que la chose de laquelle l’idolatrie a pris commencement est incertaine par l’incertitude des opinions cy-devant deduites, si celle de la Sapience n’estoit veritable pour la saincteté du livre ; tousjours peut-on voir clairement que l’Astrologie est innocente de crime qu’on luy impose. Icy monstrons en passant pour ne laisser aucune doute en arriere, ce qu’aucun Grec ny Latin n’ont descouvert, & que la raison juge tres-veritable.

    7. Bechai dit donc qu’Comment. in c.1. Genes.il est faux que les premiers Chaldeens fussent si meschans hommes, comme on les fait, & qu’ils adorassent les Astres : car, dit-il, si les premiers Nazareens (il parle des Chrestiens ) ont esté si gens de bien, à ce qu’on dit, dans les premiers siecles de leur croyance, pourquoy ne peut-on pas dire le mesme des premiers hommes, creez plus simples mille fois que iamais n’õt esté leurs descẽdants ? & qui pourra croire qu’ils se soient abandõnez aux meschancetez dont on les charge ? Ce raisonnement n’est pas esloigné de celuy d’Alexander de Hales ; quoy que Bodin asseure Method. hist. cap.9.le contraire, se mocquant des Autheurs qui disent que les siecles passez estoient des siecles d’or & d’argent ; mais s’il eust pris garde à tout, il eust veu que les vices qu’il rapporte des anciens, sont si petits à comparaison de ceux que le malheur du temps a produit, du depuis qu’on les estime des galanteries, & on les met au rang des pechez veniels. Retournons à Bechai ; ce qu’il remarque de ces premiers peuples & que je dis que personne n’avoit remarqué, est que les feux qu’ils faisoient à l’honneur du Soleil & de la Lune, estoient légitimes & allumez à bonne fin; car poursuit-il, ils tesmoignent la mesme chose à Dieu, que Dieu leur tesmoignoit par le Soleil & par la Lune, qui n’est qu’une grande lumiere : ils allumoient donc des feux pour le remercier du sien, & en regardant ces Astres, ils prioient les Anges que Dieu y avoit mis pour les tourner, afin qu’ils leur fussent favorables. Mais comme les meilleures choses se corrompent à la fin, Cham ou ses descendans n’ayant esgard qu’à ce feu, l’adorerent ; & ne passant pas plus avant que le Soleil & de la Lune, leur rendirent des devoirs que les premiers Chaldeens ne rendoient qu’à l’autheur de ces Astres.

    8. On peut prouver ce que ce sçavant Hebreu advance par deux ou trois conclusions : la premiere, que les sages du passé cognurent Dieu invisible, par les choses visibles. Or de toutes les choses visibles, il n’en y a point de si puissante pour prouver un Dieu, que les effects du Soleil, de la Lune, & du reste des estoilles, ils cogneurent donc Dieu par les Astres : que si l’Apostre dit que l’ayant cogneu, ils ne le glorifierent pas apres; il parle de ces Philosophes qui le cognoissoient seulement par ceste voye naturelle: mais les premiers Chaldeens outre ceste voye, ils le cognoissent encore par revelation : il est donc croyable que celle-cy joincte avec l’autre les portoit à une juste recognoissanec telle que le feu qu’ils allumoient en son honneur. L’autre conclusion est, que ces Chaldeens n’avoient point encore pratiqué les demons : & bien qu’apres le deluge une partie de ces peuples que l’insolence de Cham avoit corrompu ; s’y addonnerent, la plus grand part toutesfois se tindrent tousjours dans les loix de ses peres, ne voulans recognoistre autre demons que les esprits qu’ils croyoient resider aux estoilles. On diroit que je resve avec ce Rabbin, si je n’avois icy d’autres preuves que de son escole. Jambliche recognoist ces veritez, & s’accommode à ceste croyance Chaldæos vero, dit Ficin, parlant de ce Philosophe, dæmonibus non occupatos Ægyptiis anteponit. Voyez aussi ce que Porphyre en rapporte de l’Oracle Apollon, qui fut contraint de dire,

    Chaldæis qui vera esset sapientia tantum Porph.l.1. de philosoph.Resp.
    Hebræísque ipsis concessum agnoscere, pura.
    Æternum qui mente colunt regémque deúmque.

    Les feux donc qu’ils dressoient en presence du Soleil & de la Lune, n’estoient pas consacrez aux démons : & pour les esprits qu’ils prioient en ces Astres, la pratique en est si légitime, que dans nos Litanies nous invoquons les Anges; & si ces paroles ne portoient du scandale dans l’esprit des ignorant, je pourrois dire, ô Ange du Soleil, & vous Ange de la Lune, priez pour moy! Et icy je pourrois faire des remarques curieuses, observeés des Orientaux du passé, touchant l’adoration des esprits & des ombres: mais il me souvient que j’ay des ennemis, ce qui fait que je passe à une autre matiere peu cogneuë encore, mais moins soupçonnee.

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