Curiositez inoüyes/Édition 1629/7

Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅶ.
Que les objections qu’on faict contre les Figures Talismaniques n’ostent rien de leur puissance.


SOMMAIRE.
  1. D’où est sortie la coustume de dire des paroles, & d’appliquer certains charactères pour la guerison des maladies?
  2. Ceremonie abominable des Ægyptiens pour faire cesser la gresle, suject du commandement, de ne pas greffer sur un arbre de differente espece.
  3. Images Talismaniques rapportées par Antoine Mizald, condamnees.
  4. Responce aux argumens de Guillelmus Parisiensis, de Gerson. Puissance du Soleil dans les entrailles de la terre.
  5. Troisiesme objection, & sa responce. Histoires des Sorciers & des Images de cire peu croyables.
  6. Quatriesme objection refutee. Unguent qui guarit la playe en frottant l’espee, quel?
  7. Cinquiesme objection nulle. Histoire admirable de deux Jumeaux.
  8. Faux que l’operation des Talismans vienne
      des secrettes vertus de la pierre.
  9. Caietan & Pomponace maintenus contre Delrio, touchant la puissance des Figures.
  10. Faux que la vertu des Astres ne descende außi bien sur le scorpion vivant que sur son image.
  11. Puissantes raisons de Galeotus pour les Talismans.
  12. Responce à l’objection faicte contre Franciscus Ruëus.
  13. Histoire de la mouche & de la sang-süe Talismanique de Virgile, veritable contre M. Naudé. Livre de Gervais non fabuleux comme on pense.
  14. Curieuses & admirables inventions des hommes plus incroyables que les Talismans.
  15. Objections contre les Figures par cy devant incogneües, & leur responce.


Les effects merveilleux qu’on a remarqué de tout temps aux Figures Talismaniques ont tellement travaillé les esprits de ceux qui rengent avec la Magie tout ce qu’ils ne peuvent comprendre, que sans faire distinction de la puissance naturelle & licite, d’avec celle que nostre foy nous fait fuir, ont publié hardiment que tout ce qu’il partoit des figures estoit diabolique. Mais comme ils ont veu, que les sçavans homes ne se contentoient point, & qu’il leur failloit mettre en avant des raisons pour leur persuader l’impuissance de ces mesmes figures, ils ont advancé les suivantes, mais avec peu de fondement, comme nous verrons.

1. La premiere est, que la seule raison nous apprend, que ces operations ne peuvent estre totalement naturelles, mais superstitieuses & dangereuses, parce que pour les reduire à leur plain & entier effect, on y mesle de secrettes paroles gui ne peuvent rien, principalement sur les choses qui n’ont du tout point de sentiment, & que par consequent leur fabrique doit estre defenduë & rejettee, ainsi que l’Eglise l’a ordonné.

Pour respondre parfaitement, & par ordre, tant à ceste objection, qu’à celles qui suivront, je dis, qu’il faut premierement sçavoir qu’en matiere de ces figures, nous avons desja condamné toutes paroles, & toutes autres superstitions, de façon que pour ne redire une mesme chose, il faut se ressouvenir de ce que nous avons dit: Pour l’Eglise, elle n’a jamais rejetté la vraye & legitime puissance des figures telle que nous le descrivons, ainsi qu’on peut voir dans les œuvres de ces deux grands personnages, Sainct Thomas, & le Cardinal Caïetan. Que si les Peres ont autresois condammé ceste doctrine, ce n’a esté qu’apres qu’ils ont veu qu’elle estoit tellement meslee de superstition que je ne dise abomination, qu’ils ont pensé n’en pouvoir destourner les hommes qu’en condamnant le tout ; comme Moyse fit, en defendant d’enter absolument un arbre de differente espece, pour destourner le peché qu’on commettoit en ceste action, comme nous verrons. Et pour monstrer qu’on ne s’est pas tousjours servy des seules figures sans qu’on n’y ait meslé des paroles & ceremonies, non pas seulement sottes, mais ridicules, c’est qu’en Egypte pour faire cesser la gresle, que la vertu d’un simple Talisman eut peu faire, il failloit que quatre femmes toutes nuës fussent couchees en terre sur le dos, & qu’ayants les pieds eslevez elles prononçassent certaines paroles, & la gresle cessoit. Quatuor mulieres (disoient- ils, au rapport de Rabbi Moses) iaceant in terra super dorsum suum nudæ, & erigant pedes suos, & dicant talia verba, & operentur istud : grando descendens super locum illum recedet ab eodem loco. Cette sotte ceremonie estoit prinse de la posture d’une figure Talismanique qui servoit pour destourner la gresle, sur laquelle on voyoit, dit Chomer, une Venus couchee. D’avantage, les ignorans ayant trouvé des caracteres que les Anciens avoient inventé pour ne descouvrir les secrets aux indignes, comme sont ceux dont les livres des Chimistes sont plains, n’en sçachant l’origine, & pensant qu’il y eust quelque vertu cachee, les graverent aux Talismans, tel qu’estoit paraventure le serapis des Egyptiens, qui portoit à la poictrine le T au si renommé : Ceste inscription de chiffres & caracteres apporta encore ceste croyance, que puis qu’on escrivoit aux Talismans des lettres, qu’on les pouvoit bien lire ; & de là ceste superstition prit naissance de dire des paroles en dressant des figures, puis laisser les figures & se servir des seules paroles, comme on dit de Traillan, qui descrit ces mots pour guarir la cholique φεῦγε φεῦγε ίο‍υ χολὴ & Homere asseure que le sang coulant de la playe d’Ulysse, fut retenu par certaines paroles ; comme pareillement celuy d’Oroondates chez Heliodore qui asseure, aussi avec Strabon, que les Indiens & Ethiophiens ne guarissent point autrement leurs maladies : Froissart asseure qu’il a veu de son temps pratiquer ces ceremonies; & du nostre encore on ne les pratique que trop souvent, principalement les femmes superstitieuses : mais en fin, les autres estimerent d’avantage les caracteres que les simples paroles, se ressouvenans de la puissance des figures : ainsi Pline rapporte que M.Servilius se servoit de ces deux lettres P, & A, pour empescher que ces yeux ne fussent chassieux : & Eudoxe Imperatrice, estant en travail d’enfant, voulut au rapport de Cedrenus, qu’on luy appliquast sur le ventre certaines lettres pour faire sortir le fruict mort ; mais ce fut en vain, car il luy cousta la vie. Apres tout, ces choses n’ayant esté inventees que pour cacher le secret, comme nous avons asseuré apres Roger Bacon, Quæ Philosophi, dit-il, adivuenerant in opeibus artis & naturæ ut secreta occultarent ab indignis, furent changees en superstition, les meslant parmi les images, & s’en servant par dessus les puissances de la nature, le tout avec des ceremonies si damnables, que la seule pensee en est fascheuse.

2. Or que la pratique de tailler ces figures n’ait esté quelquefois défendue que pour nous esloigner des abominations qu’on y commettoit (l’Invention neantmoins en estant naturelle, comme nous avons veu, des gens de bien s’y estant exercez innocemment & sans s’aider d’autre puissance que de celle de la nature) on en peut voir un pareil exemple au commandement de n’enter pas un arbre avec un autre de differente espece : car il ne fut donné, laissant à part les raisons qu’en apportent les Grecs & Latins, souvent esloignees de la terre, que pour destourner les Hebreux des saletez & abominations qu’on commettoit en cette façon d’enter. Les paroles Latines couvriront en quelque façon le recit de ces vilainies. Dixerunt ergo (dit le susdit Rabi Moses, tres-sçavant en ces traditions) quod in hora in seritur una species in aliam, oportet ut ramus inserendus sit in manu alicuius mulieris pulchræ, & quod vir aliquis carnaliter cognoscat eam præter morem naturalem. Et dixerunt quod in tempore illius actus debet mulier inserere ramum in arbore : D’icy un autre asseureroit que Dieu a voulu que pour marque de ce crime, les arbres trouvassent du sentiment: car si une putain plante un olivier (dit apres les Naturalistes un des plus sçavans Prelats de nostre France) jamais il ne pourra porter du fruict. Oliva, dit-il, à meretrice plantata, vel infructuosa perpetuo manet, vel omnino arescit. Or d’enter quel arbre que ce soit, c’est une chose naturelle & indifferente de soy, toutesfois il fut defendu pour eviter un peché que la nature abhorre. Propter hoc igitur, conclud le mesme Hebreu, prohibitæ fuerunt commixtiones, scilicet incisio arboris in aliam speciem, ut elongemur à causis idolatriæ & fornicationum : une pareille cause a porté de mesme ceux qni ont condamné les figures, quoy qu’elles soient naturelles, & leur fabrique licite, comme nous avons dit: Que si quelques sçavans hommes les ont aussi rejettees, ce n’a esté que pour ne donner prinse à la rigueur de l’Inquisition, comme les Italiens & les Espagnols ; ou bien pour n’avoir voulu se donner la peine de les examiner, ainsi que Guillaume Evesque de Paris, Gerson & plusieurs autres, dont nous respondrons pareillement aux objections, par lesquelles ils pensent tout renverser.

3. La deuxiesme est fondee sur la sottise & impertinence de ce qu’on dit de ces Talismans, à la fabrique desquels les ignorans usent encore de certaines paroles, qui aboutissent, dit- on, à Idolomanie.

Mais nous avons desja respondu au chapitre precedent, que nous n’espousons point les sottises des superstitieux, ains condamnons librement leurs observations, & toutes paroles qui tendent à superstition. Au mesme chapitre nous avons aussi rejetté partie de ces resveries descrites par Villanovensis ; & pour ne laisser aucun scrupule nous condamnons encore celles qui sont rapportees par Antoine Mizald ; comme quand il advance apres Ptolomee, que pour chasser les serpents, il faut dresser une table de cuivre, & en y gravant deux serpents en l’ascendant de la seconde face d’Aries, dire : Ligo serpentes per hanc imaginem, ut nemini noceant, nec quemquam impediant, nec diutius, ubi sepulta fuerit permaneant. Comme aussi quand il dit apres le mesme Ptolomee, que pour chasser les rats, il faut graver sur l’estain ou du cuivre, en l’ascendant de la troisiesme face du Capricorne, disant : Ligo omnes mures per hanc imaginem, ut nullus in loco, ubi fuerit manere possit. Comme pareillement pour assembler & pescher les poissons, dire en gravant l’image d’un poisson, sur du plomb, ou de l’estain, en l’ascendant de la premiere face d’Aquarius, ou de Pisces : Ligo & adiuro omnes pisces qui sunt in flumine (nommant le nom du fleuve) ad tractum balistæ, ut ad hanc imaginem veniant, quotiescumque in cius aquaposita fuerit. Comme en suitte pour chasser les loups ou d’un bois, ou d’une bergerie graver en l’assendant de la seconde face de Sagitarius l’image d’un loup les pieds liez sur du cuivre, ou de l’estain, avec la figure de deux mastins, qui semblent abbayer sur luy, & en travaillant dire: Extermino per hanc imaginem omnes muros qui sunt in hac villa, aut nemore (en nommant le bois ou la maison des champs par son nom} ut non remane at aliquis eorum in illo. Comme en fin pour rendre un chasseur fortuné à la chasse, graver sur de l’estain, argent ou cuivre, l’image d’un chasseur, ayant un arc tendu en la main avec la sagette au dessus, & dire en le gravant sous les signes qu’il marque : Per hanc imaginem ligo omnes feras siluestres ceruos, apros, lepores, ut nulla meam venationem subterfugiat, quin optatam portionem & prædam mihi semper relinquat. Je n’ay rapporté plusieurs de ces Talismans, que pour les faire fuïr, & en destourner les curieux , qui pourroient les rencontrer dans des livres pleins de superstitions car outre que leur fabrique en est ridicule, elle est autant esloignee des veritables observations que l’enfer est du Paradis ; c’est pourquoy je ne m’estonne pas lors qu’un de mes amis me dit que de plus d’un cent qu’il en avoit dressé selon ces regles trompeuses, il n’en avoit jamais veu l’effect d’un seul, mais l’ayant prié d’en dresser un suivant les observations que je luy prescrivis, il en vit incontinent l’experience. Et M. Sanclarus qu’on peut consulter estant encore vivant, sçavant Professeur du Roy és Mathematiques, m’a juré avoir esté guari par un de ces veritables Talismans d’vne douleur insupportable des rheins; tant il importe de sçavoir distinguer le vray d’avec le faux. Nous rejettons donc cette sotte fabrique descrite par le susdit Mizald, tant és endroicts desja cottez, qu’és autres, comme en l’Aphorisme 44. & 93. de la deuxiesme Centurie, Aphorisme 98. de la troisiesme : & de la neufiesme en l’Aphorisme 48. esquels on use de paroles vaines & superstitieuses, & de principes tres-faux; ce qui est cause qu’on ne peut jamais voir la fin qu’on s’est proposee. Or j’ay dit cy-devant que nous condamnions toutes figures & paroles qui estoient meslees de superstition en ces seules figures Talismaniques: car pour les ceremonies & paroles qui sont pieusement employees, par exemple, pour faire cesser la gresle, on les peut exercer sans soupçon, au rapport des meilleurs Theologiens. La manière est telle descrite par Uvierus : qu’ayant fait le signe de la croix contre les esclairs, la gresle, la foudre & la tempeste, il faut prendre trois pierres de gresle des premieres cheutes, & les jetter au feu, au nom de l’adorable Trinité, & ayant dit deux ou trois fois l’oraison Dominicale, il faut reciter l’Evangile de sainct Jean, laquelle achevee, il faut faire le signe de la croix contre la nuë & le tonnerre de tous les costez ; & marquer encore le mesme signe salutaire sur la terre, devers les quatre coins du monde: & apres que l’exorcime aura dit trois fois Verbum caro factum est, & adjouste autant de fois : Per Evangelica dicta fugiat tempestas ista, si la tempeste est excitee, par malice, dit Uvierus, elle sessera : Mais laissons à decider à une autre fois ceste matiere, à laquelle on a souvent laissé glisser aussi bien des superstitions qu’à celle que nous traitons.

La troisiesme est fondee sur l’impuissance de la matiere gravee : car en quelle façon une image morte & immobile pourroit donner du mouvement, & faire le reste des operations qu’on luy attribuë ? c’est le raisonnement de Guillelmus. Quomodo imago mortua & omni modo inaprehensa, omnique modo immobilis, moveret viventes ? aut qualiter præstat scientiam, quam nec habuit, nec actu, nec potentia eam habet certissimum est ? Greson dit le mesme, & advance presque tous les mesmes argumens, au traicté qu’il a fait contre un Medecin de Montpellier, qui gravoit sur de l’or l’image du lion pour la guarison de la pierre.

4. Je respons, que l’image d’elle-mesme est morte, & sans aucun mouvement, mais que par la vertu des Astres sous lesquels on l’a dressee, elle a acquis des qualitez qu’elle n’avoit pas auparavant : ou bien que la matiere estant desja doüee de quelques qualitez propres à un tel effect, elle est disposee par une semblable figure, et ses qualitez excitees : Itaque ars, dit Marsile Ficin, suscitat inchoatam ibi virtutem, ac dum ad figuram redigit, similem suæ cuidam cœlesti figuræ, tunc suæ illic ideæ prorsus exponit, quam sic expositam cœlum ea persicit virtute quæ cæperat, exhibens quasi sulphuri flammam. Ainsi plusieurs choses, si elles ne sont excitees, n’agissent point ; comme pour faire que certaines herbes rendent odeur, il faut les escraser entre les doigts. L’ambre qui a ceste proprieté du ciel de tirer les festus, n’en peut faire l’effect s’il n’est frotté. Le Bezaar, ou Bezohar, que Marsile veut qu’il signifie, à morte liberans : Ethimologie aussi peu cogneuë que vraye, ayant desja la force de chasser le venin, est rendu souverain contre celuy du scorpion, si premierement on y imprime sa figure soubs l’influence de la celeste. La pierre à feu n’a garde d’en produire si elle n’est battuë, & bref il faut que presque toutes choses soient excitees pour agir, jusques mesme aux artificielles, dont plusieurs ne se monstreront pas, si l’art mesme ne les descouvre, comme les lettres faites avec du jus de citron, de figue, d’oignons, de sel armoniac, & plusieurs autres, qu’il faut presenter au feu, ou les mettre dans l’eau pour les lire ; tout de mesme il faut que la vertu des metaux & des pierres soient excitees par les rayons celestes, pour les rendre capables de l’effect que nous desirons. Or que ces rayons soient si puissans, qu’ils penetrent les pierres & la terre : Nous l’avons prouvé cy-devant, & je le confirme, par ce tesmoignage de sainct Bonaventure. Dicunt Philosophi quod corpus cœleste mediante suo lumine influit usque ad profundum terra, ubi mineralia corpora generari habent, & quantum ad hoc verum dicunt. Quand les tesmoignages sont fondez sur l’experience on ne peut le nier : Et nous sçavons que le Soleil penetre bien avant dans la terre, & y donne la vie à des plantes & à des animaux, qui nous servent d’estonnement lors qu’ils en sont tirez : ainsi que monstrent Georgius Agricola, & le docte Licetus qui professe encore à Padoüe. Pour des poissons sousterrains, les Astres n’en vivifient aussi que trop souvent à nostre desadvantage, comme on peut voir dans le troisiesme livre des doctes Questions de Seneque, qui dit aussi ailleurs, que Philippe ayant envoyé des hommes dans une ancienne mine d’or, pour voir si l’avarice avoit encore laissé quelque chose à descouvrir, ils virent des fleuves qui couloient en ces abysmes, & milles autres prodiges qui nous font bien cognoistre que les cieux agissent par tout. Descendisse illos, dit ce docte homme, cum multo lumine, & multos durasse dies, deinde longa via fatigatos, vidisse flumina ingentia, & conceptus aquarum inertium vastos, pares nostris, nec compressos quidem terra supereminente, sed liberæ laxitatis, non sine horrore vissos. Et les Historiens des richesses de l’Amerique nous asseurent que la mine de Ptosi où l’or est engendré, est si creuse & si profonde, qu’il n’y a rien qui ressemble mieux à l’horreur de l’Enfer. Si donc les Astres agissent dans la terre sur les animaux, les plantes, & les métaux, pourquoy non sur les pierres ? j’estime donc tres-veritable la conclusion qu’en a advancé le sçavant Hierosme de Hangest, ancien docteur de Sorbonne, lequel cherchant les raisons des Gamahé dit, apres une longue dispute, que la figure ou peinture en provient des deux causes, des Astres & de la proprieté de la terre. Voicy ses paroles: Quid igitur dicendum sit respondeo ex duplici radice posse contingere. Uno modo ex radice siderea secundum astrologorum authoritatem multis experimentis comprobatam. Alio modo ex radice inferiore, &c. Et c’est ceste puissance des Astres qui agist indifferemment à toutes choses, qui a porté plusieurs de ceux qui ont soustenu les figures à croire que toute forte de pierres, metaux, ou autre matiere indifferente gravee ou taillee, selon les observations cy-devant déduites, peut faire l’effect que nous avons dit: car comme le feu eschauffe tout ce qu’on luy presente, les Astres, disent-ils, en font tout de mesme. Mais j’estime la premiere opinion plus veritable & certaine ; ce n’est pas que celle-cy soit fausse, mais l’effect en est plus tardif: car le feu eschauffera veritablement tout ce qu’on luy presentera : mais si la matière n’est disposee, la chaleur n’agira pas si promptement, comme nous voyons au bois verd, & à un caillou de riviere qui met plus longtemps à estre eschauffé qu’une brique, ainsi de tout le teste : Il faut donc, afin que les Astres agissent facilement & avec moins de temps, que la matiere ait desja quelque qualité avec l’effect que nous nous proposons, & quelque sympathie avec les signes celestes, desquels nous nous voulons servir : Voyez ceste sympathie, & ce rapport admirable des pierres, mineraux, herbes, plantes, fleurs, saveurs, odeurs, couleurs : animaux , poissons, oyseaux, & toutes choses avec les estoiles, dans l’harmonie du monde de George Venitien, & le docte Commentaire sur l’escolle de Salerne de M. Moreau, Medecin, dont la lecture en toute sorte de livres est veritablement admirable.

5. La quatrième objection que font ces Autheurs auparavant nommez est que si cet art de dresser des images estoit certain, leur puissance, si grande comme on dit, les Egyptiens, Arabes & Persans, qui l’ont premierement trouvé, se fussent rendus Seigneurs de tout le monde, en vainquant leurs ennemis ; ce qu’ils n’ont point faict, ains eux mesme ont esté souvent vaincus.

On respond qu’il n’y a point d’image ny de figure Talismanique, qui soit capable de cét effect. Elles peuvent bien exciter en quelque façon le courage des combattants, & leur rendre moins horibles les furies de la guerre ; mais ces seules qualitez ne sont pas tousjours suffisantes pour gaigner des victoires. Que si on m’objecte ce qu’on rapporte de Nactanabo, lequel en formant des petits navires de cire, & les faisant submerger, ceux des ennemis se submergeoient. Je respond que l’histojre en est grandement douteuse, comme celles qu’on rapporte des Sorciers de nostre temps, qui en piquant en quelque partie une image de cire, la mesme partie du corps de celuy que ceste image ressemble est offencee ; & puis quand cela seroit, on pourroit conclurre que l’effect ne part point de la puissance des Astres, mais des mauvais Anges, ausquels Dieu peut donner tel pouvoir. Guillelmus au livre cy-devant cotté, nie tout à fait ces operations, comme sans mentir elles sont fabuleuses, & je ne pense point qu’il y ait pas une seule histoire de véritable. Que si on dit, qu’il n’y a rien qu’il repugne de les croire, puisqu’elles peuvent estre; je responds que plusieurs choses peuvent estre qui ne sont pas, comme plusieurs soleils, & plusieurs mondes.

6. La cinquiesme objection est, qu’il faut que les choses naturelles s’entre-touchent en quelque façon pour agir. Or la figure qui guarit la pierre, la colique, ou autre maladie, ne touche point la partie malade, sa vertu ne peut donc estre naturelle.

La responce à ceste objection est si facile, qu’il ne faut, sans s’arrester à discourir des diverses sortes d’attouchemens avec Scot, que de donner l’exemple de la brique eschauffee : car ainsi qu’elle a receu sa chaleur par le feu, bien qu’elle n’ait pas touché le brasier ny la flamme, de mesme l’image a receu l’influence des Astres sans avoir touche le ciel. En un mot, tout l’attouchement qu’il se trouve en ceste affaire, est un attouchement de vertu comme nous voyons au Soleil, lequel quoy que grandement distant de la terre, il l’eschauffe pourtant par sa vertu: Et comme la brique eschauffee, ou du soleil, ou du feu, agit par apres communiquant sa vertu à une autre matiere, si el le y est appliquee ; de mesme, la figure ou l’image qui a receu les influences du ciel, la peut communiquer à une autre corps, si elle y est pareillement appliquee, par un attouchement de corps, ou seulement de vertu. Je passe l’operation merveilleuse de l’onguent qui garit le blessé, fust-il à cent lieuës loin, pourvueu qu’il soit appliqué sur l’espée qui a fait la playe, & qu’on la pense comme on feroit le malade, ainsi qu’ils one soustenu, Rhodolphe Gochlen, & Baptiste Helmont. Si je me fusse servy de cest exemple, on ne m’eut pas laissé sans me battre de ceste importune redite, que l’operation de cest onguent magnetique est superstitieuse & diabolique. C’est le refrain des ignorants, qui ne voyent rien de merveilleux qu’ils ne le rapportent aux demons, quoy que M. Loysel Medecin du Roy deffunct ait asseuré que ceste mesme operation estoit naturelle, & qu’il s’en estoit servy heureusement & en homme de bien : que si Guillelmus nye que l’operation d’une image Talismanique enfouye dans la terre, soit naturelle, parce qu’elle est retenuë par la terre qui la couvre, il faut donc conclurre que l’operation de l’aiguille aymantee est diabolique, parce que, bien qu’elle soit à cent toises dans terre, elle ne laisse pas de se tourner tousjours vers le pole. Ceste comparaison est d’autant plus pressante, que la plus part des sçavans croyent, que ceste vertu de l’aymant luy a esté communiquee par la mesme partie du ciel que l’aiguille regarde : tant il est vray qu’il n’y a rien de plus puissant que les influences des Astres, lors qu’une fois elles sont empreintes aux choses d’icy bas.

7. La sixiesme objection desirait le pouvoir que nous avons donné à la ressemblance : car il n’a rien, dit Guillelmus, où il y ait plus de rapport que l’amour de la mere avec celle du fils, & toutesfois si la mere se noye, le fils ne se noyera pas, & conclud en suite: Quanto minus igitur in tam diversis ut sunt imago, & imaginatum, nulla ligatura enter ea erit, quæ cogatur, ut quod partitur imago patiatur & imaginatum.

Je sçay bien que cét argument est employé par cét Autheur, contre Nacta nabo : mais puis qu’il s’en sert aussi contre les images Talismaniques, je responds que nous avons desja dit, que ces images n’avoient aucune puissance sur nostre volonté. Or se noyer, ou ne se noyer pas, c’est une action qui depend tout à fait de la volonté: que si le fils ressemble à sa mere, tant des lineaments du visage, que des actions de l’ame, il n’y a point de doute que ceste ressemblance ne puisse beaucoup, tant sur les passions de l’ame, que sur celles du corps, qui proviennent intérieurement ; ainsi que souvent on a remarqué : & de nos jours on a veu à Riez, ville Episcopale en Provence, deux jeunes freres, lesquels pour se ressembler parfaictement, ils n’estoient jamais malades que tous deux ensemble, & de mesme maladie ; comme si un commençoit d’avoir douleur de teste, l’autre aussi tost s’en ressentoit ; si un dormoit ou s’attristoit, l’autre ne pouvoit veiller & estre joyeux, & ainsi du reste ; comme asseure M. Poitevin, grand homme de bien, & natif de la mesme ville.

8. La septiesme objection que le mesme Guillelmus & Gerson advancent est, que si on a veu quelquesfois de ces pierres Talismaniques guarir la morsure des scorpions & serpens, cét effect ne provenoit point des Astres, mais des secrettes proprietez de la pierre, sur laquelle la figure du scorpion ou du serpent estoit gravee.

La responce ne demande que deux mots, nous disons donc que nous avons desja prouvé que les Astres pouvoient donner ceste vertu à la pierre. D’avantage, qu’elle ne luy est pas native & naturelle, parce qu’avant qu’elle fut figuree & dressee sous certaines constellations, elle ne l’avoit pas; & sans mentir, à quoy serviroit tant de peine qu’on prend à la gratter sous divers aspects, si elle l’avoit auparavant? que serviroit encore aux habitans de la contree de Hampts en Turquie, d’imprimer sur de l’argille pour guarir la morsure du scorpion, la figure de la beste, qui est sur la pierre d’une tour, comme nous avons dit, si l’argille desja estoit propre à tel effet? Disons donc qu’elle ne l’avoit pas : & qu’il luy est communique par ceste pierre, & à ceste pierre par les Astres.

Je ne veux pas icy combattre les raisons de Guillelmus couchees dans le tiltre de la page 56. qui est, Quod omnia ista quæ fiunt per imagines malignissimè fiant. Parce qu’en ce chapitre il ne parle que de ces images ou statues parlantes, telle que on dit faussement avoir esté l’Androide d’Albert le Grand: Or les images dont nous parlons sont bien différentes aussi bien que leur puissance: de façon qu’il ne me reste plus pour les defendre de calomnie & de fausseté ; que de respondre à la huitième objection, tant de Gerson que de Guillelmus.

9. Elle est donc celle-cy, plus puissante, s’il semble, que toutes les autres. Si tant est, disent-ils, que les Astres agissent, pourquoy leur vertu ne descent-elle plustost sur le scorpion vivant, que sur son image; Quomodo, dit le dernier, non potius huiusmodi virtus descendit super ipsum scorpionem vivum ? Si on vient à considérer ce que nom avons dit cy-devant, on n’aura point de peine à respondre à ceste objection : car nous disons que le scorpion vivant n’est pas exempt de ceste vertu celeste, puis qu’appliqué sur la morsure la guarit aussi bien que son image Talismanique ; ainsi du crocodile, du rat, du crapaut, du chien, & de la vipere. Que si en tout le reste des animaux nous ne voyons pas le mesme effet, c’est plustost faute de le cercher, qu’un manquement de la nature, veu que les plus sçavans aux merveilles de Dieu asseurent, que là ou se trouve le mal, se trouve le remede : & qui eust jamais pensé que le gravier qui se voit en l’urine, deust servir contre les douleurs de la pierre? & mille autres semblables secrets que nous descouvrons tous les jours. Mais pourquoy, dira-on, les Astres ne donnent aussi bien au scorpion vivant la vertu de chasser les vivants comme à son image ? Je responds, que si cela estoit, la nature se feroit la guerre à elle mesme, & periroit en peu de temps, puisque les animaux se destruiroient les uns les autres. Tres-sagement donc ceste vertu n’a esté donnee qu’aux Astres & aux hommes.

10. La huitiesme objection est la responce de Delrio aux raisons de Caïetan & de Pomponace : car lors que cestuy-cy dit, que bien que la figure ne soit pas le commencement & la cause de l’operation, elle peut neantmoins beaucoup, puis que nous voyons par experience que la figure d’un homme laid & difforme, nous rend aucunement tristes, & celle qui est belle fait un effect tout contraire ; En un mot que les belles choses nous esmeuvent tellement que nous les aymons, ce que ne font pas les laides, doncques, conclud Pomponace, les figures peuvent quelque chose. Delrio ne respond rien à cecy, mais seulement à la consequence, niant que les figures Magiques soient belles ou laides. Mais les enfans mesme peuvent juger que l’antecedant n’est nullement veritable : car les figures qu’il appelle Magiques, & nous Talismaniques, sont veritablement belles ou laides, selon ce qu’elles representent, comme le plus souvent le ciel & les estoilles, dont la beauté ravit nos sens. Davantage, ces figures representent ordinairement quelque constellation, comme la Vierge, les Jumeaux & les autres. Or si une Vierge & des Jumeaux en vie sont beaux ou laids, pourquoy non leur peinture ou figure ? Passons aux argument de Caïetan que Delrio refute avec aussi peu de raison que ceux de Pomponace. Ce sçavant Cardinal pose donc en faveur des figures Talismaniques, ceste puissante & veritable conclusion : sigma licet non sit ipsum principium operationis, est tanem conprincipium. Il prouve l’antecedent : quia in artificum instrumentis efficit figura ut illa sic, vel sicoperentur, tum quia ferrum latum super aquas fertur, quod si in formam aliam contrahas, demergetur. Cet raisons sont si certaines & fortes, qu’il est impossible de les destruire: car puis que nous voyons qu’un morceau de fer large & fort deslié ne s’enfonce pas dans l’eau, & le mesme morceau reduit en boule s’enfonce; n’est il pas veritable que cet effect vient de la seule figure, qui est l’esprit qui ose asseurer le contraire, sinon en biaisant comme Delrio, dont voicy la responee? Respondeo figuram esse comprincipium in motu locali, & operationibus quæ per hunc motum fiunt, ut sunt variæ divisiones continui per dolabram, per malleum, per asciam, per serram : non verò in operationibus quæ fiunt per alterationem. Je m’estonne que ce curieux Jesuite qui estoit d’ailleurs, & tres-sçavant, & tres-bon Philosophe, comme il n’en manque pas en ceste Congregation, n’ait pas toutesfois pris garde qu’il pechoit icy contre les maximes de la Philosophie advancees par luy-mesme : car lors qu’il concede que la figure est comprincipe an mouvement local, & aux operations qui se font par ce mouvement, mais non pas en celles qui se font par l’alteration, il conclud contre ce qu’il a posé, puis que, suivant le consentement de tous les Philosophes, la chaleur se fait par le mouvement, or est-il que la chaleur, c’est une alteration : doncques la figure par luy-mesme, est comprincipe aux operations qui se font par l’alteration. D’avantage: quand il concede à Caïetan, que si le fer large nage sur l’eau, il dit que ce n’est pas à raison de la figure, mais de la quantité : ce sont les mots : Sed esto fiat, erit non ratione figuræ, sed ratione quantitatis, ouy mais par luy-mesme & en bonne Philosophie, quantitas non est activa; voyez quelle doit estre la consequence : En fin, lors que Caïetan conclud que c’est donc la figure qui fait que le fer large nage sur l’eau ; Delrio respond, que ceste figure n’est que par accident : car, dit-il, qu’on face ce fer qui est large & deslié en une autre figure, circulaire, carrée, ou pentagone, tousjours elle sera le mesme, c’est à dire, qu’elle nagera sur l’eau, doncques elle n’agira que par accident ; mais il se trompe : car l’intention de Caïetan n’est pas d’opposer une figure plate, ou selon les termes de Mathematique, In plano, à une mesme figure plate & carree, ou circulaire: mais bien une figure plate à celle qui est solide : car la plate soit carree, circulaire, octogone, ou quelle qu’elle soit, faira quelque chose que la mesme figure estant solide ne fera pas ; ce qui est tres-vray, puis que le fer estant espais & carré ira au fond de l’eau, ce que ne fera pas ce mesme fer s’il est deslié & carré: Maxime donc tres-certaine que la figure agit, & peut quelque chose.

11. Les autres objections qu’on faict contre la puissance de ces images sont rapportees & refutees par Galeotus ; celles-cy sont les plus pressantes: En ces images gravees sur de l’or, qu’on fait contre la pierre, & la douleur des rheins, l’or de sa nature ne guarit pas les rheins, moins doncques l’image, laquelle estant sans vie, ne peut pas alterer l’or, & le faire passer en une autre nature. En l’image encore il ne se trouve ny action ny passion: davantage, l’or de soy-mesme, figuré ou non, est tousjours d’une mesme espece, & par consequent le rayon de l’Astre agit tousjours d’une mesme façon, que s’il agissoit plustost sur l’or figuré que sur le simple, il sembleroit que ceste action procedast plustost de l’election du ciel, que d’ailleurs. Et bref la vertu qu’on donne à ceste figure ne peut estre ny naturelle, ny artificielle : non pas naturelle, parce qu’elle ne provient pas du dedans : artificielle encore moins, parce que l’artisan ne luy a pas communiquee, il faut donc qu’elle provienne d’ailleurs.

La docte solution de Galeotus est celle-cy: Non enim in hac re mutatio speciei requiritur, nec proprietas auri immutatur, nec ulla cœlorum electio intervenit, nec ab artifice vis illa sanandi datur, nec imago ut imago quicquam efficit, &c. sed principium actionis ac passionis affert, ut beatus Thomas Magnusque Albertus testantur: non ut figura & imago mathematicè animadversa, sed ut efficit aliam in re figurata præparationem quæ cœlestem actionem sine difficultate variis modis accipiat. Et puis explicant comme des figures diverses, qui sont soubs le ciel, les unes sont plus naturellement propres que les autres, pour en recevoir l’influence; il apporte l’exemple des miroüers, dont les concaves ronds reçoivent si bien les rayons du Soleil qu’ils bruslent, & les autres non ; ainsi la diversité des monts & valees est cause d’une plus grande chaleur ou froidure; on peut adjouster les pieces de glace, que le Soleil ne peut aisément fondre & résoudre si elles font unies, mais fort facilement quand elles font raboteuses, ce qu’il auroit fait dire à plusieurs, que les figures peintes n’estoient pas si propres au sujet que nous traittons, que les gravees ou taillees; ce qui est veritable: pour l’or, bien que la figure ne rend pas d’une autre espece, elle le rend pourtant plus propre à une telle action, comme l’eau chaude & la froide, bien qu’elle soit d’une mesme espece; l’une toutefois cuit la viande, & l’autre non ; ce qui fait que le mesme Galentus conclud en ces termes, Requiritur ergo in unius & eiusdem speciei rebus certum culturæ temperamentum, ut varietur effectus.

12. On avoit encore objecte à Franciscus Rueus qui avoit soustenu ceste sculture apres Galeotus que si elle avoit tant de force, qu’elle fut douce de tant de merveilles, que l’œuvre de l’homme auroit plus de pouvoir que l’œuvre de Dieu, puis que la figure gravee du lyon, guariroit la douleur des rheins, & le lyon vivant ne le sçauroit faire. Il respond & tres-pertinemment, que ce qu’il fait l’homme est aussi bien de Dieu que ce qu’il fait Dieu mesme, puisque nous ne sommes qu’instrumens, & que toutes nos actions, suivant l’Apostre, sont en luy, & dependent de luy. D’avantage, que par fois on voit ce que l’homme a composé estre souvent de plus d’effet, que ce que Dieu a simplement creé, comme le theriaque plus excellent contre le venin, qu’aucun simple qui ait jamais esté cogneu par les Naturalistes.

13. Je penserois avoir respondu à toutes les objections qu’on avoit fait contre les figures, mais je viens d’en trouver encore une plus hardie que toutes celles que nous avons veu. Elle est de M. Naudé en l’Apologie cy-devant citee, en laquelle defendant l’honneur de Virgile descrié pour un Necromantien, à cause qu’il s’estoit adonné quelquefois à dresser de ces images Talismaniques; dit que toutes les histoires qu’on rapporte de ce Poëte sont fausses & ridicules. Il nie donc par consequent ces images qu’il avoit fait, comme la mouche d’airain qu’il avoit mis sur l’une des portes de la ville de Naples, laquelle empescha durant l’espace de huit ans qu’aucune mouche n’y entra. Il nie encore cest autre Talisman d’une sangsue gravee sur de l’or, qu’il jetta dans un puits pour chasser une prodigieuse quantité de sangsues qui affligeaient la mesme ville. Et bref il ne s’amuse point à disputer si les effets de ces images estoient naturels, mais il nye tout à fait qu’elles ayent jamais esté, comme s’il n’eust peu plaider pour l’innocence de Virgile, sans rejetter à ceste extremité, & donner un dementy à tous les Autheurs qui ont rapporté l’histoire. Ce qu’il dit en suite confirme ce qu’il a advancé ; car à cause de tant de lieux, d’où on asseure que ces bestioles estoient bannies, on peut, dit-il, douter à bon droit par leur grand nombre, si elles l’ont jamais esté d’aucuns: comme s’il falloit douter de la verité des batailles qu’Annibal livra aux Romains, à cause du grand nombre qu’on en rapporte. Il adjouste que Scaliger avoit raison de se mocquer d’un de ces chasse-mouches, lequel ayant fait une platine Talismanique pour cét effet, il ne l’eust pas plustost mise sur l’une de ses fenestres, qu’une mouche la vint estreiner de ces ordures. Mais qu’il ne juge que ces raisons n’ostent du tout rien à la puissance que nous avons recogneu aux figures: car (pour y respondre) si un Medecin ne peut guarir le malade, & un Arithmeticien venir à bout d’une regle proposee, veut-on conclurre que la Medecine & l’Arithmetique sont fausses & ridicules ? Un habile homme fera ce qu’un ignorant ne sçaura faire, & si parfois ne le fait pas, il s’en faut prendre à quelque defaut qui vient de son costé, ou de la matiere, & non de la science qui est infaillible; à laquelle toutefois il faut observer tant de choses, que je ne m’estonne point si plusieurs ne peuvent voir l’effect qu’ils se proposent. Un autre sujet qui rend ceste science souvent inutile, est le peu de certitude que nous avons des choses du ciel, comme grandement esloignees de nos sentimens, & c’est ce que dit Roger Bacon : Quia difficile est in his certitudem cœlestium percipere, ideo in his multus est error apud multos, & pauci sunt qui sciant aliquid utiliter & veraciter ordinare. Et c’est la seule cause que plusieurs grands personnages ne s’y sont point arrestez non plus qu’aux Horocospes, & à la pierre tant rechantee, estant occupez à des choses de plus d’importance, & qui ne demandoient pas tant de temps ny de travail : ce n’est pas qu’ils nayent recognu les veritez des unes & des autres, & principalement des Talismans, comme Josephe Scaliger dans les lettres qu’il a escrites aux sieurs de la Vau, Vazet, & de Bagarris ; ce qu’il me fait dire que si Jule son pere se mocque de ce que ce Mathematicien ne peut faire avec sa figure qu’il avoit dressee pour chasser les mouches, qu’une ne se vint reposer dessus, c’est plustost pour se rire de son ignorance que de l’art qu’il pratiquoit, puis qu’il en recognoist les merveilles en plusieurs endroits. Pour ce qui est de l’Autheur nommé Gervais, qui attribuë à Virgile les images Talismaniques, comme la mouche d’airain, la sangsue d’or, & quelques autres, les charges relevees qu’il avoit aupres de l’Empereur Othon (car il estoit son chancelier, & le livre qui luy presenta, dont le tilte estoit Ocia Imperialia, le doivent rendre à mon advis croyable, puis qu’il importe à un homme de sa sorte de n’advancer rien que de grave, de veritable, & de serieux : & certainement s’il se fut oublié jusques-là que de presenter à un Empereur des choses absurdes, impossibles & fabuleuses, comme les appelle M. Naudé, c’eust bien esté pour le faire descrier comme un fou, principalemet dans la cour des Princes, où il se recontre tousjours des esprits qui ne flattent point, & d’autres qui pour estre envieux de la fortune des grands examinent leurs moindres actions, & ne pardonne pas aux plus petites fautes, comment donc luy ont pardonné celles qui eussent esté criminelles, telles que celles qu’on luy voudroit imputer, indignes, je ne diray pas d’un Chancelier, mais du plus mal-autru Poëte qui vive. Que si on dit qu’on presente souvent pareils livres aux Roys pleins de mensonges & d’impertinences, je responds, que ce n’est pas par un chancelier, ny par des personnes qui sont considerables dans l’estat; & apres tout, que tels livres composez par qui que ce soit ne demeurent pas sans responce : Mais pour celuy de ce Chancelier qui est celuy qui l’ait refuté ? mais qui est celuy qui ne l’ait transcrit dans les plus veritables histoires ? Disons d’avantage, qu’il advance des choses qu’on estime ridicules & incroyables, qui ne le sont pas, en ayant veu dans les siecles passez des semblable, & en voit-on encore de nos jours. Ainsi ceste tour, ou admirable clocher, que Nekan dit que Virgile avoit fait avec un si merveilleux artifice, que la tour qui estoit de pierre, s’emotivoit au bransle de la cloche, n’est point sans pareil : car à Monstiers ville de Provence, le clocher dont les pierres sont enclavees, a presque un mesme bransle que la cloche, mais avec tant de prodige, que ceux qui sont autresfois montez dessus sans le sçavoir, quand ils ont veu branfler les cloches, ils n’ont pas esté exempts de frayeur, comme il m’est arrivé.

14. Je pourrois justifier pareillement la plus part des autres histoires qu’on dit de ce Poëte, que le mesme Naudé estime fausses & impossibles, si je ne voyois d’autre part qu’il s’en faut bien que leur invention ne soit si admirable que celle de certains instruments, images & figures qu’on voit de nostre temps; comme ces horloges admirables, desquelles j’en ay veu une à Ligorne qu’un Allemand avoit exposé en vente, dont les effects, au recit qu’on m’en faisoit m’eussent tousjours semblez incroyables si mes sentimens n’en eussent fait l’experience : car outre mille raretez non jamais veuës, on y voyoit encore des bergers dont les uns sonnoient de la musette avec une harmonie & un mouvement des doigts admirable, qu’on eust dit qu’ils estoient animez; d’autres dansoient avec des bergers en cadance & d’autres cabriolant avec tant de souplesse que nostre esprit en estoit ravy. Je ne dis rien de cest instrument merveilleux qu’on void dans le cabinet de M. le Conseiller de Peyrese, monstrant les heures, & le juste mouvement du flux & reflux de la mer, par le mouvement d’une eau bluastre enfermée dans un tuyau de verre fait en cercle, dans lequel on voit par fois ceste eau entierement suspenduë. Je passe encore la colombe de bois d’Architas, & la mouche & l’aigle qu’on a veu de nostre siecle voler par artifice dans Norimberg, dont l’ouvrier avoit faict aussi des hidrauliques merveilleuses, & un arc-en-ciel perpetuel, au raport d’Antonius Possevinus. Le miroüer ardant que Proclus fit à l’imitation de celuy d’Archimede qui brusla l’armee des Romains assiegeans Siracuse : La statue de Memnon, qui rendoit un son estrange au lever du Soleil; & celles de Severinus Boëtius tant admirees de Theodoric Roy d’Italie par lesquelles Cassiodore dit qu’il faisoit chifler les serpens d’airain, chanter les oyseaux de Bronzes, & en un mot donner comme une ame à tous les metaux. L’art de voler que Lucian asseure avoir veu en pratique, & duquel on veit l’experience sur un Theatre du temps de Neron, au rapport de Suetone: Les effects admirables que Roger Bacon promettoit, comme de produire artificiellement des nuës, y faire gronder le tonnerre, y exciter l’esclair, & par apres les faire resoudre en pluye: Les cieux d’airain plus admirables que ceux d’Archimede, que Janellus Turrianus Cremonois fit il n’y a pas long-temps en Espagne; avec un petit moulin, qui rendoit d’un costé le son, & de l’autre la farine espuree: L’arbre appelle vegetal, qu’on fait croistre dans une fiole en moins d’une nuict: La rose, & le reste des fleurs, aussi bien que les plantes, qu’on sçait exciter de leur cendre: La lampe ardante veue dans le temple de Venus, que la violence des vents ne pouvoit esteindre : & cét autre chandelle d’une pierre allumee plus dure que le ser, dont Lucas Tudensis & Tostat font mention: comme un bon nombre de semblables, que le docte Licetus a depuis peu curieusement descrit dans son livre, dont le tiltre est, De Lucernis Antiquorum. Je passe en fin l’invention de diverses hydrauliques de nostre temps, dont la merveille est pareillement si grande, qu’il n’y a rien au monde quelles n’imittent; comme ces statuës d’hommes & de femmes qui parlent, quoy que sans articulation, qui se meuvent, & qui sonnent des divers instruments : des oyseaux qui volent & chantent ; des lions qui hurlent, des chiens qui abayent ; d’autres qui s’entrebattent avec des chats en pareille postures que les vivans; & mille autres merveilles de l’invention des homes qui estonnent nos sens. Et puis jugez s’il y avoit raison de dire comme a faict l’Autheur de ceste hardie & curieuse Apologie, que ce sçavant Chancelier d’Otho n’estoit pas à son bon sens, lors qu’il composoit le susdit livre, ou les effects des figures qu’il rapporte de Virgile sont beaucoup moindres que ceux-cy : & par consequent on pouvoit defendre par ceste voye cét excellent Poëte de la Magie dont on l’accuse, sans nier contre l’experience des siecles passez & du nostre la puissance des Talismans, desquels, sans que je m’arreste davantage, on peut voir la verité & la puissance recogneüe dans les œuvres des Autheurs cy-devant citez, la qualité desquels les rend & sans soupçon, & irreprochables.

14. Apres toutes ces objections, on en peut encore faire d’autres, esquelles les Critiques n’ont pas pris garde, je les veux avancer, puis resoudre afin qu’il ne reste aucune doute sur ce subject, si faussement descrié. On peut donc dire ; puis qu’en la fabrique d’une image Talismanique il faut ne graver qu’une figure celeste, les autres qui concourent ne trouvant pas leur similitude ne pourront pas agir. Secondement, qu’il est ridicule de graver la figure du belier, du lion, & des autres, puis que les constellations qui en portent le nom ne font pas les effets qu’on voit en la nature, mais bien le Soleil passant en ses parties du ciel. En troisiesme lieu, que les effects des autres Astres se communiqueront aussi bien à l’image que ceux desquels seulement on se peut servir, puis que les uns & les autres influent tousjours ; doncques ceux qui sont contraires empescheront ceux qui ne le sont pas. En fin, que ces figures ne peuvent estre que superstitieuses & nullement naturelles, puis que la figure d’un scorpion gravee ou eslevee en bosse à la pierre, n’a pas seulement la force de guarir la morsure de ceste beste, mais encore une autre figure que la mesme empreindra sur de l’argille, comme celle que nous avons veu cy-devant.

A la premiere nous disons qu’on peut graver si on veut diverses images pour la diversité des lignes qu’on veut observer, tel qu’estait la pierre Talismanique de nostre Bagarris, que plusieurs curieux ont veu dans Paris ; tel qu’est encore un de ces Talismans d’argent que Monsieur de Marescot Maistre des Requestes m’a fait l’honneur de me communiquer, quoy que je l’estime dressé par quelque superstitieux : car outre la table des chiffres latins qu’on y voit, & quelques notes de Chimie, il est encore marque de trois characteres Angeliques semblables à ceux qui sont figurez dans les Clavicules de Salomon, ce qui m’a fait soupçonner tout le reste. La figure d’une femme qu’il a d’un costé c’est asseurément le signe de Virgo, & ces trois lettres Hebraïques qu’on voit de l’autre אהא sont les abreviatures de ces mots tous entiers לא השם אהד Elhascem Echad, c’est à dire, de mot à mot, Dieu ce nom est un. Monsieur de Peyresc, duquel j’y parlé cy-devant, tres-curieux & sçavant dans l’Antiquité, a parmy le grand nombre des raretez de son cabinet comme j’ay desja remarqué, plusieurs de ces figures Talismaniques qu’il ne m’a peu faire tenir, à cause du commerce de Lion rompu pour le malheur de la maladie: une autre occasion fera que je les pourray expliquer. Retournons à nostre subject. L’influance de plusieurs Astres se pourront encore communiquer à une seule figure, comme la vertu de plusieurs plantes provenante des mesmes Astres peut estre réduite à une medecine; & c’est la comparaison de Marsile, qui dit suivant les Anciens: Illa vero, ex quamplurimis conflari pro arbitrio possunt. Ut si centum solis iovisque dotes per centum plantas & animalia similia que sparsæ fuerint, componere simul hæc centum tibi comperta possis, & in unam comficere formam, in qua solem ferme iovemque totum iam videaris habere. De façon qu’il n’importe pas de beaucoup que la figure de tous soit gravee, sinon de celuy seulement qu’on veut qu’il agisse avec plus de vertu : Et bien que les autres ne rencontrent la figure semblable à leur operation, ils ne laisseront pas d’agir, puis qu’ils influent desja à toutes choses indifferemment, & de communiquer leur vertu sur l’or ou sur la pierre, mais les uns plus, les autres moins, à cause des divers aspects sous lesquels on travaille.

A la deuxiesme, on respond en un mot, qu’il est indifferent que les douze constellations du zodiaque influent, ou le Soleil en elles, pourveu qu’en une telle partie du ciel nous voyons l’effect que l’experience a faict cognoistre ; tousjours graverons-nous une figure qui corresponde à cet effect, soit du Soleil ou des autres estoilles. Il est pourtant manifeste que ce n’est pas du Soleil principalement, puis que le reste des quarante huit constellations, qui ne sont pas au Zodiaque ne laissent pas d’agir, bien que le Soleil ne passe pas en elles.

A la troisième, on respond aussi facilement qu’à la precedente, parce que bien que les constellations qui sont contraire à l’effect que nous desirons agissent, c’est avec peu de vertu : car on observe lors qu’elles ne sont pas sur nostre Hémisphere: ou bien si elles y sont on les prend au plus foible aspect, & lors qu’un Astre fortuné les accompagne.

La derniere est plus difficile que les autres, puisque la vertu qu’on voit à l’empreinte du Talisman, semble surpasser les effects de la nature: toutefois nous monstrons qu’il n’y a rien d’extraordinaire par l’exemple de l’aymant, lequel ayant communiqué sa vertu à un morceau de fer, ce morceau la communique par apres à un autre en l’attirant & retenant. Ainsi la figure Talismanique peut communiquer sa vertu à une autre figure seulement qu’elle aura imprimee, & qui fera par apres le mesme effet, mais avec difference que nous pouvons donner raison de Celle-cy, & non pas de l’autre: car le Talisman est comme une brique grandement eschauffee, qui en peut eschauffer une autre, quoy que non pas avec tant de force que le feu a fait ; comme nous disons aussi de la moulure du Talisman en l’argile, qui n’est jamais si puissante que le Talisman eschauffé ou penetré par les Astres. Disons donc que nous pouvons naturellement & sans l’aide des demons approuver par les secrets de la Nature, non seulement la puissance de ces images, mais mille autres operations plus admirables; comme faire entendre des nouvelles dans moins d’une heure à celuy qui sera distant à plus de cent lieuës, ainsi que l’Abbé Triteme & Barthelemy Cordelier ont soustenu, & apres eux Robert Flud: Fere des operations par le moyen des miroüers que nostre sentiment juge impossibles & incroyables, comme ceux de Roger Bacon en nombre de neuf, par lesquels il promettoit au Pape, s’il fournissoit l’argent qu’il falloit pour les dresser, de faire plus d’effect contre les Turcs qu’une armee de cent mille hommes. Et bref, si Aristote ne nous eust apris que l’image qui suivoit en l’air inseparablement un certain homme qui ne pouvoit s’en depestrer, estoit naturelle, n’eust on pas dit que c’estoit un esprit de ceux qu’on appelle familiers, ou quelque demon qui avoit pris la forme de cet homme ? & toutesfois c’estoit le seul effect de sa veuë foible, laquelle ne pouvant penetrer le milieu de l’air, ses rayons faisoient une reverberation comme dans un miroüer, dans lequel il se voyoit tant qu’il avoit les yeux ouverts, ce qui me fait dire avec ceux qui defendent les Anciens de Magie, que les œuvres qu’ils faisoient qu’on estimoit diaboliques ne partaient que d’un principe naturel : & sans mentir je n’estime rien de plus ridicule que de recourir aux demons ; car outre que Campanella, Riolan, Symphorianus Campegius, & mille autres asseurent, que quoy qu’ils ayent fait, ils n’ont jamais rien sceu voir de supernaturel, au moins de ces œuvres, qu’on disoit proceder des demons, nous pouvons sans leur aide faire tout ce qu’ils font, puis qu’ils n’ont point d’avantage sur nous, operant seulement en appliquant les choses actives aux passives, ainsi que nous faisons. Concluons donc avec le docte Bacon. Non igitur opportet nos uti magicis illusionibus, cum potestas Philosophiæ doceat operari quod sufficit.

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