Gangloff (p. 173-176).

Une Lettre à Jeanne d’Arc.

On connaît cette admirable « Lettre au bon Dieu » qui est un des chefs-d’œuvre de la littérature contemporaine, et nos lecteurs savent aussi par cœur cette page exquise de Paul Féval, la « Lettre à la Vierge a dont nous leur avons déjà parlé. La lettre qui suit est partie du même bureau de poste, et nous estimons qu’elle est également arrivée à son adresse.

  Chère Sainte,

« Vous me permettrez de vous appeler de ce nom, n’est-il pas vrai, bien que l’Église ne nous autorise encore qu’à le très discrètement. Mais, là-haut, dans cette belle et claire lumière où vous êtes, vous voyez l’avenir mieux que nous, et je suis assurée que vous savez le jour de votre future, que dis-je, de votre prochaine canonisation.

J’ai bientôt seize ans ; je m’appelle Jeanne, comme vous, et, comme vous, j’aime beaucoup le bon Dieu et la France. Mais je me vante peut-être, et je devrais dire plus simplement que j’essaie de les aimer. Aidez-moi.

Il m’arrive quelquefois d’écouter dans l’air si je n’y entends pas quelque voix, mais, hélas ! il faut bien que je le confesse, je n’en ai entendu aucune. C’est, sans doute, que je n’en suis pas digne.

Et cependant, il y a en moi je ne sais quoi qui parle, je ne sais quoi qui chante : « Jeanne, fais ton devoir ; Jeanne, aime la France ; Jeanne, sois vaillante et forte. »

Je crois bien que cette voix-là, c’est ma conscience ; ou bien, chère Sainte, que c’est vous.

J’ai compris.

Pauvre petite fillette que je suis, je ne demande pas de miracle en moi, ni pour moi. Je ne suis ni une voyante, ni une héroïne comme vous.

Seulement, je voudrais bien avoir un cœur qui fût digne du vôtre. Je voudrais être an peu, non pas l’âme de la patrie, mais celle de ma famille. Voyez l’orgueil.

Je voudrais faire passer mon cœur dans ceux de mes frères qui sont encore trop petits pour me comprendre.

Je voudrais prier, souffrir, agir ; soigner les blessés, ensevelir les morts, consoler les tristes.

Et surtout ne jamais, jamais, jamais désespérer de la Patrie.

Chère sainte, ma sainte, priez pour moi ! »

Jeanne.

P.-S. — Pour que cette lettre vous parvienne, j’ai mis sur l’adresse : « À Jeanne la grande Française. » Et plus bas : « Au ciel. Faire suivre. »