Critique du jugement (trad. Barni)/Tome II/P2/S2/LXVIII

Traduction par Jules Barni.
Librairie philosophique de Ladrange (IIp. 50-52).
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DEUXIÈME SECTION.


dialectique du jugement téléologique


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§, LXVIII.


Ce que c’est qu’une antinomie du Jugement ?


Le Jugement déterminant n’a point par lui-même de principes qui fondent des concepts d’objets. Il n’est point autonome, car il ne fait que subsumer sous des lois ou des concepts donnés comme principes. Voilà précisément pourquoi il n’est pas exposé au danger de trouver une antinomie en lui-même et une contradiction dans ses principes. Nous l’avons vu en effet, le Jugement transcendental, qui contient les conditions de toute subsumption sous des catégories, n’est pas par lui-même législatif *[1] ; il se borne à indiquer les conditions de l’intuition sensible, qui permettent de donner une réalité (une application) à un concept donné, comme loi de l’entendement ; et, en cela, il ne peut jamais tomber en désaccord avec lui-même (au moins quant à ses principes). Mais le Jugement réfléchissant doit subsumer sous une loi qui n’est pas encore donnée, et qui, par conséquent, n’est en réalité qu’un principe de réflexion sur des objets, pour lesquels nous manquons tout à fait, objectivement, d’une loi ou d’un concept propre à servir de principe dans les cas donnés., Or, comme il n’y a pas d’usage possible des facultés de connaître sans principes, le Jugement réfléchissant dans ces cas se servira à lui-même de principe, et ce principe, n’étant pas objectif et ne pouvant rien ajouter à la connaissance de l’objet, ne pourra être qu’un principe subjectif, nous servant à diriger d’une manière concordante nos facultés de connaître, c’est-à-dire à réfléchir sur une espèce d’objets. Ainsi, pour ces sortes de cas, le Jugement réfléchissant a ses maximes, et des maximes nécessaires, qu’il applique à la connaissance des lois empiriques de la nature, afin d’arriver par leur secours à des concepts et même à des concepts de la raison, quand il en a absolument besoin pour apprendre à connaître la nature dans ses lois empiriques. - Or il peut y avoir contradiction, par conséquent antinomie, entre ces maximes nécessaires du Jugement réfléchissant. De là une dialectique, qui, si chacune des deux maximes contradictoires a son principe· dans la nature des facultés de connaître, peut être appelée naturelle, et considérée comme une illusion inévitable, que la critique doit découvrir et expliquer, afin qu’elle ne trompe pas.


§. LXIX.


Exposition de celle antinomie.


En tant que la raison s’applique à la nature, considérée comme l’ensemble des objets des sens extérieurs, elle peut se fonder sur des lois qu’en partie l’entendement prescrit lui-même a priori à la nature, et qu’en partie il peut étendre à l’infini au moyen des déterminations empiriques que présente l’expérience. Dans l’application de la. première espèce de lois, à savoir des lois universelles de la nature matérielle en général, le Jugement n’emploie aucun principe particulier de réflexion, car il est alors déterminant, puisqu’un principe objectif lui est donné par l’entendement. Mais, quant aux lois particulières qui peuvent nous être révélées par l’expérience, on y peut trouver une telle variété et une telle hétérogénéité que le Jugement doit se servir à lui-même de principe, uniquement pour chercher une loi dans les phénomènes de la nature : car il a besoin de cette loi comme d’un fil conducteur, pour peu qu’il lui soit


Notes de Kant modifier

  1. * Nomothetisch.


Notes du traducteur modifier