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IX

Article Ier. — De la divine Providence en général.


§ 96. Sous le nom de Providence divine, on a de toute antiquité compris le soin que Dieu prend de tous les êtres de l’univers, ou, comme l’exprime plus en détail le grand Catéchisme chrétien : « La divine Providence c’est cette action continuelle de la toute-puissance, de la sagesse et de la bonté divines, par laquelle Dieu conserve aux créatures leur existence et leurs forces, les dirige à de bonnes fins, favorise tout ce qui est bien, mais arrête ou corrige et fait tourner au bien ce qui, pour s’en être éloigné, est un mal ».

Ainsi, dans l’idée générale de la divine Providence on distingue trois actes particuliers : la conservation, la coopération ou l’assistance, et le gouvernement ou la direction. La conservation des créatures, c’est cette action divine par laquelle le Tout-Puissant maintient l’existence, soit au monde en son entier, soit à chacun des êtres qui le composent, avec ses forces, ses lois et son activité.

La coopération ou l’assistance, c’est cette action divine par laquelle l’Être tout bon, en laissant aux créatures l’usage de leurs facultés et de leurs lois, leur vient en même temps en aide et leur prête force pendant leur action. Cela est particulièrement sensible par rapport aux créatures douées de raison et de liberté, qui ont constamment besoin de la grâce de Dieu pour pouvoir avancer dans la vie spirituelle. Au reste, par rapport aux créatures morales, il n’y a réellement coopération de Dieu avec elles que lorsqu’elles choisissent en toute liberté et font le bien ; mais, dans tous les cas où elles choisissent et font le mal volontairement, il n’y a là que permission de la part de Dieu, et nullement aide et coopération ; car Dieu ne peut point faire le mal, et il ne veut point punir les créatures morales d’une liberté dont il les doua lui-même.

Enfin, le gouvernement ou la direction, c’est cette action divine par laquelle l’Être infiniment sage dirige les créatures, avec toute leur vie et leur activité, vers les différentes fins qu’il leur assigna, corrigeant et faisant tourner à bien, autant que possible, toutes leurs œuvres, même les plus mauvaises.

On voit par là que toutes ces actions de la divine Providence sont distinctes les unes des autres. La conservation embrasse et l’existence des créatures et leurs facultés, et leur activité ; la coopération se rapporte proprement à leurs facultés ; la direction à leurs facultés et à leur activité. Dieu conserve tous les êtres de l’univers ; Il ne prête coopération et assistance qu’aux bons ; quant aux méchants, Il les laisse déployer leur coupable activité ; Il les gouverne également tous, et aucune de ces trois actions de Dieu n’est renfermée dans une autre. On peut conserver un être sans coopérer avec lui ni le diriger ; coopérer avec lui sans le diriger ni le conserver, enfin le diriger sans le conserver ni coopérer avec lui. Néanmoins, d’un autre côté, il est à remarquer que ces trois actions de la divine Providence ne sont distinctes et séparées que pour nous, à raison des différentes manières dont la Providence se manifeste dans les êtres bornés et infiniment variés de l’univers, et par suite des bornes de notre raison, mais qu’en elles-mêmes, elles sont indivisibles et ne constituent qu’une même action divine infinie ; car, de même que Dieu « embrasse d’un seul regard et le tout et chaque être en particulier », ainsi fait-il tout par une opération simple, indivisible. C’est par une seule et même action qu’il conserve toutes ses créatures, coopère avec elles et les gouverne.

La Providence divine se divise ordinairement en Providence générale et Providence particulière : la première embrasse l’univers, en général, ainsi que les ordres et les espèces de créatures qui y sont ; la seconde s’étend sur chaque être de l’univers en particulier et sur chaque individualité quelque infiniment petite qu’elle paraisse ; et l’Église orthodoxe, en confessant que Dieu, du plus petit au plus grand, a une connaissance exacte de tout et prend soin de chaque créature en particulier, reconnaît évidemment ces deux sortes de providences.

Les idées que nous venons de donner de la divine Providence excluent complètement : l’erreur des Manichéens, des gnostiques et autres hérétiques, qui, subordonnant tout au destin, ou considérant l’univers comme l’ouvrage d’un principe malfaisant, ou croyant que l’univers peut se passer des soins de Dieu, niaient tout à fait la divine Providence avec toutes ses dispensations ; l’erreur des Pélagiens, qui refusaient proprement la coopération de Dieu aux créatures tant irraisonnables que raisonnables, le comptant pour incompatible avec leur perfection et leur liberté, ainsi que l’erreur opposée de certains sectaires qui, croyant à la prédestination absolue (prœdestinationismus), exagèrent l’action providentielle sur les créatures raisonnables au point de détruire presque toute leur liberté, et considèrent Dieu comme le véritable auteur de toutes leurs actions, bonnes ou mauvaises. ; enfin l’erreur de quelques penseurs anciens et modernes, qui n’admettent que la Providence générale et rejettent la Providence particulière, l’envisageant comme indigne de Dieu (pp. 626-628).

§ 97. — Réalité de la divine Providence.

§ 98. — Réalité de chacun des actes de la divine Providence.

Cette réalité est prouvée par les textes des livres de Job, de Salomon, des Psaumes et d’autres. Ces textes prouvent uniquement ce fait que tous les hommes qui reconnaissent Dieu reconnaissent son omnipotence.

§ 99. — Réalité des deux espèces de Providence.

Outre la Providence générale, on décrit la Providence particulière, sur chaque créature en particulier.

§ 100. — Participation de toutes les personnes de la Trinité à l’œuvre de la Providence. C’est prouvé par l’Écriture sainte. On termine ainsi :

Il n’est pas difficile d’expliquer au croyant pour quelle raison les trois personnes de la Sainte-Trinité participent également à l’action providentielle ; c’est parce que la Providence est tout à la fois un effet de la toute science, de l’omniprésence, de la sagesse, de la toute-puissance et de la bonté de Dieu, attributs qui appartiennent également à toutes les personnes de la très Sainte-Trinité (p. 646).

Vient ensuite la prétendue solution de la question qui se fait jour naturellement, avec l’affirmation de l’existence de la Providence divine : d’où vient le mal moral et physique ?

§ 101. — Rapport de la divine Providence avec la liberté des êtres moraux et avec le mal existant dans le monde.

i. La divine Providence ne porte aucune atteinte à la liberté des êtres moraux. Ce qui le prouve, c’est non seulement la Parole de Dieu, mais encore notre sentiment intime et notre raison, qui nous disent de concert que nous sommes tous constamment sous la divine Providence (§§ 81-93) et que nous sommes tous libres dans nos relations morales (§§ 97-99) ; et quoique nous ne puissions expliquer complètement de quelle manière cette Providence, en ses dispensations relatives au monde moral, ne porte point atteinte à la liberté des êtres moraux, nous pouvons cependant, jusqu’à un certain point, rapprocher le sujet de la portée de notre intelligence (pp. 646, 647).

Voici comment Dieu, avec toutes ses prescriptions, n’a pas supprimé la liberté :

1o Dieu est un Être immuable, omniscient, souverainement sage. Immuable : cet Être ayant une fois daigné faire don de la liberté à ses créatures raisonnables ne peut revenir sur sa détermination à cet égard et restreindre cette liberté ou la réduire à néant. Omniscient : Il connaît à l’avance tous les désirs, toutes les intentions, toutes les actions des créatures libres. Enfin, souverainement sage : Il trouve toujours le moyen de disposer de ces actions de manière… (p. 647).

On attend : « que l’action de sa divinité ne change pas ». Pas du tout :

… que la liberté des agents soit respectée (p. 647).

Dans le livre qui traite de Dieu, de la croyance en lui, une tromperie aussi vulgaire !

Dieu est immuable, par conséquent il ne peut revenir sur sa détermination à l’égard de la liberté de l’homme. Mais, premièrement, l’immutabilité ne signifie nullement cela. L’immutabilité signifie qu’il est toujours le même ; et si dans les définitions des attributs de Dieu, on ajoute qu’il ne change pas ses déterminations, cette définition irrégulière est évidemment donnée en vue de l’avenir. Admettons même l’impossible, puisque nous savons par la théologie que Dieu change ses décisions, admettons que l’immutabilité de Dieu signifie l’immutabilité de ses décisions, néanmoins nous n’avons pas de preuves ; il reste un faux méprisable. La théologie reconnaît encore comme attributs de Dieu l’omnipotence, la liberté absolue, la bonté infinie. Dieu permettant la possibilité du mal moral à cause de la liberté de l’homme et punissant pour ce mal, est en contradiction avec sa bonté ; et la nécessité dans laquelle est placé Dieu, de faire que la liberté des agents soit intacte et leur contradiction avec sa liberté et son omnipotence ! Les théologiens ont fait eux-mêmes le nœud qu’on ne peut dénouer : Dieu omnipotent, bon, créateur et providence de l’homme, et l’homme misérable, méchant et libre, comme le reconnaissent les théologiens, sont deux conceptions qui s’excluent l’une l’autre.

Plus loin, nous lisons :

2o La Providence de Dieu à l’endroit des créatures se manifeste en ce qu’il les conserve, leur prête concours ou les laisse agir, et les gouverne. En conservant les êtres moraux, Dieu maintient leur existence et leurs forces, et alors Il ne restreint certainement pas leur liberté ; cela est évident. En leur prêtant concours dans le bien Il ne la restreint pas davantage, car ce sont eux qui restent les agents, c’est-à-dire qui choisissent ou exécutent tel ou tel acte ; et Dieu ne fait que coopérer avec eux ou les assister. En leur laissant faire le mal Il restreint moins encore leur liberté ; seulement Il ne lui accorde point assistance et la laisse agir selon sa volonté propre. Enfin, en gouvernant les êtres moraux la divine Providence les dirige vers le but de leur création ; or, l’usage légitime de leur liberté, c’est précisément de les faire tendre au but final de leur existence (p. 647).

Qu’est-ce que cela signifie ? Il est dit qu’elle les laisse faire. Alors comment se fait-il qu’elle « les dirige vers le but de leur création » tandis que ce but, comme il est dit auparavant, est leur bonheur.

Par conséquent le gouvernement divin ne restreint point non plus la liberté morale ; il ne fait que lui prêter secours dans sa tendance vers le but proposé.

3o Nous savons par expérience que nous-mêmes, fort souvent, par nos paroles, nos mouvements et différents autres moyens, nous pouvons disposer nos proches à telle ou telle action, que nous pouvons les gouverner sans pour cela porter atteinte à leur liberté ; à combien plus forte raison l’Être infiniment sage et puissant n’est-il pas capable de trouver les moyens de gouverner les êtres moraux sans que leur liberté ait le moins du monde à en souffrir ? (pp. 647, 648).

Ce chapitre tout entier a cela de remarquable que, sans but évident, il soulève de nouveau la question de la chute d’Adam, la transportant du domaine de l’histoire dans celui de la réalité. La question : d’où vient le mal moral et physique ? devrait, semble-t-il, être résolue dans la théologie par le dogme du péché originel. On a laissé à Adam la liberté, il a succombé au péché, et y a entraîné toute sa parenté. Il semble qu’avec cela tout soit terminé, qu’il n’y ait plus de place pour la question de la liberté. Et tout d’un coup, il se trouve que même après la chute, l’homme se trouve dans la même situation que celle d’Adam, c’est-à-dire capable de faire le bien ou le mal. Après la rédemption rien n’est changé. De nouveau l’homme, la créature de Dieu bon, qui est toujours sa providence, peut être méchant et malheureux. Il est évident que cette contradiction entre Dieu bon et méchant, et Adam malheureux et libre est nécessaire à la théologie. Et en effet, elle lui est nécessaire. On le voit clairement par le dogme de la grâce.

Suit le § 102 Application morale du dogme. Elle consiste : 1) à rendre gloire à Dieu ; 2) à mettre son espoir en Dieu ; 3) à prier ; 4) à penser à la Providence divine ; 5) à faire du bien, comme Dieu, aux autres.

Ainsi se termine la doctrine de la Providence de Dieu. L’article qui suit n’est que la justification des superstitions grossières qui sont jointes à cette doctrine.

Voici ce que conclut la théologie de la Providence de Dieu :
PROVIDENCE PAR RAPPORT AU MONDE SPIRITUEL

§ 103. — Connexion avec ce qui précède.

§ 104. — Dieu coopère avec les bons Anges. C’est prouvé par la Sainte Écriture. Les anges servent Dieu omniparfait.

§ 105. — Dieu gouverne les bons Anges. — a) Leur ministère auprès de Dieu.

§ 106. — b) Ministère des Anges auprès des hommes. — a a) En général.

L’Église orthodoxe enseigne, par rapport au ministère des Anges auprès des hommes, que les « villes, les royaumes, les provinces, les monastères, les églises et les hommes, clercs et laïques, sont commis à leur garde » (p. 664).

§ 107. — b b) Ministère des Anges auprès des sociétés humaines.

Il y a des anges, gardiens des royaumes, des peuples, des églises.

§ 108. — c c) Anges gardiens des particuliers.

§ 109. — Dieu ne fait que permettre l’activité des mauvais Anges.

§ 110. — Dieu restreint l’activité des malins esprits en la menant à des conséquences salutaires. On raconte, la Sainte Écriture à l’appui, ce que sont les diables, comment il faut s’en défendre par la croix et les prières ; et comment et pourquoi les diables sont utiles.

§ 111. — Application morale du dogme. Sur les anges, les diables et les décisions de Dieu les concernant, il est dit qu’il faut respecter les anges et craindre les diables :

Et même si nous succombons dans la lutte, que nous péchions, ne nous épouvantons pas du mal, ne nous livrons pas au désespoir. « Nous avons, pour avocat envers le Père, Jésus-Christ qui est juste » (I, Jean, ii, 1). Invoquons-Le seulement avec un sincère repentir de notre chute et avec une foi véritable ; Il nous relèvera et nous revêtira encore de toutes les armes pour nous mettre en état de résister à notre éternel ennemi (p. 699).

§§ 112, 113, 114. — Ils enseignent, en citant la Sainte Écriture, que Dieu gouverne le monde visible, et que par conséquent, (§ 115) l’application morale du dogme est de demander à Dieu la pluie, le beau temps, la guérison et de ne pas trop risquer sa santé.

§ 116. — Soin particulier de Dieu pour l’homme.

§ 117. — Dieu prend soin des royaumes et des peuples.

L’essentiel de ce paragraphe, confirmé par l’Écriture sainte, est en ceci :

« … La santé des souverains fait notre paix… Car Dieu institua les puissances pour le bien général. Et ne serait-il pas injuste qu’ils portassent l’épée et combatissent pour nous procurer une existence paisible, et que nous n’élévassions pas même des prières au ciel en faveur de ceux qui s’exposent au danger et combattent pour nous ? Ainsi cette œuvre (la prière pour les rois) n’est point une simple complaisance de notre part, c’est un acte de rigoureuse justice. » Et dans un autre passage il s’exprime ainsi : « Abolis les tribunaux : plus d’ordre dans notre existence ; éloigne le pilote du vaisseau : tu l’engloutis ; enlève à l’armée son général : tu la livres captive à l’ennemi. De même, prives-tu les villes de leurs chefs, on s’y conduira avec plus de férocité encore que la brute, on s’y entre-déchirera, on s’y entre-dévorera » (Gal., v, 15). « Le riche dévorera le pauvre ; le fort, le faible ; l’audacieux, le débonnaire. Aujourd’hui, il ne se passe rien de pareil. Ceux qui vivent dans la piété n’ont sans doute nul besoin de correction de la part des autorités : La loi n’est pas pour le juste, est-il dit. » (i Tim., i. 9). Pour les injustes, s’ils n’étaient retenus par la crainte des chefs, il n’y aurait que malheurs dans les villes. C’est aussi ce qui faisait dire à l’apôtre saint Paul : Il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, c’est Lui qui a établi toutes celles qui sont sur la terre (Rom., xiii, 1). Ce que les poutres sont dans les constructions, les chefs le sont dans les villes. Enlevez celles-là, les murailles désunies crouleront les unes sur les autres ; de même, enlevez à cette terre ses chefs et la crainte qu’ils inspirent, les familles, les cités et les nations se précipiteront les unes sur les autres, parce qu’alors il n’y aura personne pour les retenir et les arrêter et pour les maintenir en paix par la crainte des châtiments. » (pp. 711, 712.)

§ 118. — Dieu prend soin des particuliers.

§ 119. — Dieu prend un soin particulier des justes. Solution d’un doute. Le doute : pourquoi les justes sont-ils malheureux ? est résolu par l’assurance d’une récompense après la mort.

§ 120. — Voies de la divine Providence par rapport à l’homme, et transition à la partie suivante. Les voies de la divine Providence sont doubles : naturelles et surnaturelles.

§ 121. — Application morale du dogme. Sauf, plaire à Dieu, il faut le remercier, s’humilier, mais le principal :

En gouvernant les États, le Tout-Puissant institue Lui-même les souverains chargés de les régir ; Il communique à ses élus, par une onction mystérieuse, la force et le pouvoir ; Il les couronne de gloire et d’honneur pour le bien de leurs peuples. De là, pour chaque enfant de la patrie, l’obligation de révérer son souverain comme l’oint du Seigneur (Ps., civ, 15 ; comp. Ex., xxii, 28) ; l’obligation de l’aimer comme un commun père donné par le Très-Haut à la grande famille que forme la nation, et chargé de soucis pour procurer le bonheur général et particulier ; l’obligation de lui obéir comme à un homme tenant de Dieu son pouvoir régnant, et dirigé par l’Esprit de Dieu dans ses dispositions comme souverain (Prov., viii, 13 ; xxi, 1) ; enfin l’obligation de prier Dieu qu’il lui donne, pour le bonheur de ses sujets, santé et salut, succès dans toutes ses entreprises, victoire sur tous ses ennemis, et qu’il lui accorde de longues années (i Tim., ii, 1).

« C’est par les souverains, comme ses oints, que Dieu envoie également aux peuples toutes les autorités subalternes. De là pour chaque citoyen l’obligation d’obéir, « pour l’amour de Dieu, aux gouverneurs, comme à ceux qui sont envoyés de sa part » (i Pierre, ii, 13) ; car, « celui qui s’oppose aux puissances résiste à l’ordre de Dieu » (Rom., xiii, 2) ; de rendre à chacun ce qui lui est dû, le tribut à qui est dû le tribut, les impôts à qui les impôts, la crainte à qui la crainte, l’honneur à qui l’honneur (Ibid., 7) (pp. 727, 728).

Ces pages terminent le premier volume de la théologie. Cette application morale du dogme termine la théologie simple.