Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/Méthodologie transcendentale/Ch2

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 357-358).




CHAPITRE II


Canon de la raison pure


Il est humiliant pour la raison humaine de n’aboutir à rien dans son usage pur et même d’avoir besoin d’une discipline qui réprime ses écarts et la préserve des illusions qui en résultent. Mais d’un autre côté il y a quelque chose qui la relève et lui donne de la confiance en elle-même, c’est qu’elle peut et doit exercer elle-même cette discipline, sans se laisser soumettre à aucune autre censure. Ajoutez à cela que les bornes où elle est obligée de renfermer son usage spéculatif limitent également les prétentions captieuses de tout adversaire ; et que par conséquent elle peut mettre à l’abri de toutes les attaques tout ce qui lui reste encore de ses propres prétentions, après en avoir rabattu l’exagération. La plus grande et peut-être la seule utilité de toute philosophie de la raison pure est donc purement négative ; car elle n’est pas un organe qui serve à étendre nos connaissances, mais une discipline qui en détermine les limites, et, au lieu de découvrir la vérité, elle a le modeste mérite de prévenir l’erreur. Cependant il doit y avoir quelque part une source de connaissances positives qui appartiennent au domaine de la raison pure, et qui ne sont peut-être une occasion d’erreur que par l’effet d’un malentendu, mais qui en réalité donnent un but au zèle de la raison. Car autrement à quelle cause attribuer ce désir indomptable de poser quelque part un pied ferme au delà des limites de l’expérience ? Elle soupçonne des objets qui ont pour elle un grand intérêt. Elle entre dans le chemin de la pure spéculation pour s’en rapprocher ; mais ils fuient devant elle. Il est à présumer qu’il y a lieu d’espérer pour elle un plus heureux succès sur la seule route qui lui reste encore, celle de l’usage pratique.

J’entends par canon l’ensemble des principes à priori du légitime usage de certaines facultés de connaître en général. Ainsi la logique générale dans sa partie analytique est un canon pour l’entendement et la raison en général, mais seulement dans sa forme, car elle fait abstraction de tout contenu. Ainsi l’analytique transcendentale était le canon de l’entendement pur ; car il est seul capable de véritables connaissances synthétiques à priori. Mais là où il ne peut y avoir d’usage légitime d’une faculté de connaître, il n’y a point de canon. Or, suivant toutes les preuves qui ont été données jusqu’ici, toute connaissance synthétique de la raison pure dans son usage spéculatif est absolument impossible. Il n’y a donc pas de canon de l’usage spéculatif de la raison (car cet usage est entièrement dialectique), mais toute logique transcendentale n’est à cet égard que discipline. Par conséquent, s’il y a quelque part un usage légitime de la raison pure, auquel cas il doit y avoir aussi un canon de la raison pure, ce canon ne concerne pas l’usage spéculatif, mais l’usage pratique de cette faculté. C’est cet usage que nous allons maintenant rechercher.


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Notes de Kant modifier


Notes du traducteur modifier