Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/DIV. 2 Dialectique/Livre Deuxième/Ch2/S2/C1

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 48-50).


PREMIER CONFLIT DES IDÉES TRANSCENDENTALES


Thèse
Antithèse
Le monde a un commencement dans le temps, et il est aussi limité dans l’espace. Le monde n’a ni commencement, ni limites dans l’espace, mais il est infini dans le temps comme dans l’espace.
PREUVE
PREUVE
En effet, si l’on admet que le monde n’ait pas de commencement dans le temps, à chaque moment donne il y a une éternité écoulée, et par conséquent une série infinie d’états successifs des choses du monde. Or l’infinité d’une série consiste précisément en ce que cette série ne peut jamais être achevée par une synthèse successive. Donc une série infinie écoulée dans le monde est impossible, et par conséquent un commencement du monde est une condition nécessaire de son existence même. Ce qu’il fallait d’abord démontrer.

Quant au second point, si l’on admet le contraire de notre thèse, le monde sera un tout infini donné de choses existantes ensemble. Or nous ne

En effet, admettons qu’il ait un commencement : comme le commencement est une existence précédée d’un temps où la chose n’est pas, il doit y avoir eu un temps antérieur où le monde n’était pas, c’est-à-dire un temps-vide. Or dans un temps vide il n’y a pas de naissance possible de quelque chose, puisque aucune partie de ce temps ne contient plutôt qu’une autre, une condition distinctive de l’existence qui l’emporte sur celle de la non-existence (soit que l’on suppose que cette condition naisse d’elle-même, ou par une autre cause). Donc il peut y avoir dans le monde des séries de choses qui commencent, mais le monde lui-même ne saurait avoir de commencement, et par conséquent il est
pouvons concevoir la grandeur d’un quantum qui n’est pas donné dans certaines limites propres à toute intuition *[1] qu’au moyen de la synthèse des parties, et la totalité d’un quantum de ce genre que par la synthèse complète ou par l’addition répétée de l’unité **[2]. Donc, pour concevoir comme un tout le monde remplissant tous les espaces, il faudrait regarder comme complète la synthèse successive des parties d’un monde infini, c’est-à-dire qu’il faudrait qu’un temps infini fût considéré comme écoulé dans l’énumération de toutes les choses coexistantes, ce qui est impossible. Donc un agrégat infini par rapport au temps écoulé.

Pour ce qui est du second point, si l’on admet d’abord la thèse contraire, à savoir que le monde est fini et limité dans l’espace, il se trouve dans un espace vide, qui n’est pas limité. Il n’y aurait point seulement par conséquent un rapport des choses dans l’espace, mais encore un rapport des choses à l’espace. Or, comme le monde est un tout absolu en dehors duquel il n’y a pas d’objet d’intuition, et par conséquent pas de corrélatif avec lequel il soit en rapport, le rapport du monde à l’espace vide ne serait pas un rapport à un objet. Mais un rapport de ce genre n’est rien, et par conséquent aussi la limitation du monde par l’espace vide. Le monde n’est donc pas limité dans l’espace, c’est-à-dire qu’il est infini en étendue *[3].

infini de choses réelles ne peut être considéré comme un tout donné, ni par conséquent comme donné en même temps. Donc un monde n’est pas infini quant à son étendue dans l’espace, mais il est renfermé dans des limites ; ce qui était le second point à démontrer. en tant qu’ils peuvent ou exister par eux-mêmes ou s’ajouter à des phénomènes donnés. L’intuition empirique n’est donc pas composée des phénomènes et de l’espace (de la perception et de l’intuition vide). L’un n’est pas le corrélatif de la synthèse de l’autre, mais ils sont unis dans une seule et même intuition empirique, comme matière et forme de cette intuition. Veut-on mettre l’un de ces deux éléments en dehors de l’autre (l’espace en dehors de tous les phénomènes), il en résultera toutes sortes de déterminations vides de l’intuition extérieure, qui ne sont pas des perceptions possibles, par exemple le mouvement ou le repos du monde dans l’espace vide infini, détermination du rapport de deux choses entre elles qui ne peut jamais être perçue, et par conséquent est elle-même le prédicat d’un pur être de raison.



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Notes de Kant modifier

  1. * Nous pouvons percevoir un quantum indéterminé comme un tout, quand il est renfermé dans des limites, sans avoir besoin d’en construire, en le mesurant, la totalité, c’est-à-dire la synthèse successive des parties. En effet les limites déterminent déjà cette totalité, puisqu’elles écartent toute autre grandeur.
  2. ** Le concept de la totalité n’est pas autre chose en ce cas que la représentation de la synthèse complète de ses parties ; car, comme ce n’est pas de l’intuition du tout (qui dans ce cas est impossible) que nous pouvons tirer le concept, nous ne pouvons le saisir, du moins en idée, qu’au moyen de la synthèse des parties élevée jusqu’à l’infini.
  3. * L’espace est simplement la forme de l’intuition extérieure (une intuition formelle), et non une chose réelle qui puisse être l’objet d’une intuition extérieure. L’espace, avant toutes les choses qui le déterminent (le remplissent ou le limitent), ou plutôt qui donnent une intuition empirique en harmonie avec sa forme, ou ce qu’on nomme l’espace absolu, n’est pas autre chose que la simple possibilité de phénomènes extérieurs,


Notes du traducteur modifier