Critique de la raison pratique (trad. Barni)/Introduction






INTRODUCTION.


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DE L’IDÉE D’UNE CRITIQUE DEE LA RAISON PRATIQUE


La raison, dans son emploi théorique, s’occupait uniquement des objets de la faculté de connaître, et la critique de cet emploi de la raison ne portait proprement que sur la faculté de connaître, considérée dans ses éléments purs, car elle faisait d’abord soupçonner ce qu’elle confirmait ensuite, que cette faculté transgresse aisément ses limites, pour se perdre au milieu d’objets insaisissables et de concepts contradictoires. Il en est tout autrement de l’emploi pratique de la raison. Dans cet emploi, la raison s’occupe des principes déterminants de la volonté, laquelle est la faculté, ou bien de produire des objets conformes à nos représentations, ou bien de se déterminer soi-même à la production de ces objets (que le pouvoir physique y suffise ou non), c’est-à-dire de déterminer sa causalité. Car la raison peut du moins suffire à déterminer la volonté, et elle a toujours de la réalité objective, en tant qu’elle se rapporte uniquement à la volonté. La première question ici est donc de savoir si la raison pure suffit par elle seule à déterminer la volonté, ou si elle n’en peut être un principe déterminant que sous des conditions empiriques *[1]. Or ici se présente un concept de causalité déjà admis et défendu par la critique de la raison pure, quoiqu’il ne soit susceptible d’aucune exhibition empirique, à savoir, le concept de la liberté, et, si nous pouvons maintenant trouver un moyen de prouver que cette propriété appartient en effet à la volonté humaine (et en même temps à celle de tous les êtres raisonnables), nous aurons démontré par là non-seulement que la raison pure, ou indépendante de toute condition empirique, peut être pratique, mais qu’elle seule est pratique dans un sens absolu. Par conséquent, nous n’avons pas à faire une critique de la raison pure pratique, mais seulement de la raison pratique en général. Car la raison pure, quand une fois son existence est établie, n’a pas besoin de critique. Elle trouve en elle-même la règle de la critique de tout son usage. La critique de la raison pratique en général a donc l’obligation d’ôter à la raison, en tant qu’elle est soumise à des conditions empiriques, la prétention de vouloir fournir exclusivement à la volonté son principe de détermination. L’usage de la raison pure, quand son existence est démontrée, est immanent ; celui qui est soumis à des conditions empiriques, et qui s’arroge la souveraineté, est au contraire transcendant, et il se révèle par des prétentions et des ordres qui sortent tout à fait de sa sphère, ce qui est justement l’inverse de ce qu’on pourrait dire de la raison pure dans son usage spéculatif.

Cependant, comme c’est toujours la connaissance de la raison pure qui sert de principe à l’usage pratique dont il s’agit ici, la division générale de la critique de la raison pratique devra être conforme à celle de la raison spéculative. Nous aurons donc encore ici une doctrine élémentaire et une méthodologie, et, dans la doctrine élémentaire, qui est la première partie, une analytique, qui donne la règle de la vérité, et une dialectique, qui contient l’exposition et l’explication de l’apparence *[2] à laquelle peuvent donner lieu les jugements de la raison pratique. Mais l’ordre, que nous suivrons dans les subdivisions de l’analytique, sera l’inverse de celui que nous avons suivi dans la critique de la raison spéculative. Ici en effet nous commencerons par les principes, pour passer ensuite aux concepts, et de là enfin, s’il est possible, aux sens, tandis que là nous dûmes commencer par les sens et finir par les principes. C’est qu’il s’agit maintenant de la volonté, et que nous avons à considérer la raison, non plus dans son rapport avec des objets, mais dans son rapport avec la volonté et sa causalité. Il faut donc commencer par établir les principes d’une causalité indépendante de toute condition empirique, pour pouvoir essayer ensuite de déterminer le concept de l’objet de la volonté déterminé par ces principes, et enfin leur application au sujet même et à sa sensibilité. La loi de la causalité libre, *[3] c’est-à-dire un principe pratique pur, est ici le point de départ nécessaire, et détermine les objets auxquels il se rapporte.





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Notes de Kant modifier

  1. * als empirisch-bedingte.
  2. * des Scheins.
  3. * Causalität aus Freiheit.

Notes du traducteur modifier