Création de Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Troisième partie/32

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 242-243).


CHAPITRE XXXII

DES JEUX DÉFENDUS


Les jeux des dés, des cartes et semblables, èsquels le gain dépend principalement du hasard, ne sont pas seulement des récréations dangereuses, comme les danses, mais elles sont simplement et naturellement mauvaises et blâmables ; c’est pourquoi elles sont défendues par les lois tant civiles qu’ecclésiastiques. Mais quel grand mal y a-t-il, me direz-vous ? — Le gain ne se fait pas en ces jeux selon la raison, mais selon le sort, qui tombe bien souvent à celui qui par habilité et industrie ne méritait rien : la raison est donc offensée en cela. — Mais nous avons ainsi convenu, me direz-vous. — Cela est bon pour montrer que celui qui gagne ne fait pas tort aux autres, mais il ne s’ensuit pas que la convention ne soit déraisonnable, et le jeu aussi ; car le gain qui doit être le prix de l’industrie, est rendu le prix du sort, qui ne mérite nul prix, puisqu’il ne dépend nullement de nous.

Outre cela, ces jeux portent le nom de récréation et sont faits pour cela ; et néanmoins ils ne le sont nullement, mais des violentes occupations. Car, n’est-ce pas occupation de tenir l’esprit bandé et tendu par une attention continuelle, et agité de perpétuelles inquiétudes, appréhensions et empressements ? Y a-t-il attention plus triste, plus sombre et mélancolique que celle des joueurs ? c’est pourquoi il ne faut pas parler sur le jeu, il ne faut pas rire, il ne faut pas tousser, autrement les voilà à dépiter.

Enfin, il n’y a point de joie au jeu qu’en gagnant, et cette joie n’est-elle pas inique, puisqu’elle ne se peut avoir que par la perte et le déplaisir du compagnon ? cette réjouissance est certes infâme. Pour ces trois raisons les jeux sont défendus. Le grand roi saint Louis sachant que le comte d’Anjou son frère et messire Gautier de Nemours jouaient, il se leva, malade qu’il était, et alla tout chancelant en leur chambre, et là, prit les tables, les dés et une partie de l’argent, et les jeta par les fenêtres dans la mer, se courrouçant fort à eux. La sainte et chaste damoiselle Sara, parlant à Dieu de son innocence : « Vous savez, dit-elle, o Seigneur, que jamais je n’ai conversé entre les joueurs ».