Cours de philosophie/Leçon VI. Théorie des facultés de l'âme

- Leçon V. Objet et méthode de la psychologie Cours de philosophie - Leçon VII. Du plaisir et de la douleur



Cours de philosophie



Nous connaissons l'objet de la psychologie, nous en connaissons la méthode: il ne nous reste plus qu'à l'appliquer à l'objet.

Cet objet est d'énumérer, de décrire et de classer les états de conscience. Mais à cette étude il faut un certain ordre; pour la rendre méthodique, il faut répartir les états de conscience en un certain nombre de classes que nous reprendrons de plus près. Sans nous laisser arrêter par une apparente diversité, cherchons les caractères communs qui puissent servir de base à une division en groupes. Autant nous admettrons de groupes, autant nous aurons formé de facultés de l'âme. Une faculté n'est autre chose qu'un mode particulier et naturel de l'activité consciente. Autant il y a de formes différentes sous lesquelles apparaît la vie intérieure, autant il y a de facultés. Ce qu'on appelle faculté dans l'âme est donc ce qu'on nomme propriété dans les corps inorganiques, fonctions dans les corps organisés. La seule différence est que la faculté représente une plus grande somme d'activité que la fonction, la fonction une plus grande somme d'activité que la propriété.

Voyons donc combien nous allons trouver dans l'âme de facultés ou de groupes d'états de conscience.

Il y en a trois:

1. Nous agissons: sur l'extérieur par l'intermédiaire de notre corps; sur l'intérieur, par la simple volonté, dirigeant notre intelligence, exerçant notre pensée, etc. Le groupe qui a ce caractère porte ainsi que la faculté correspondante le titre d'activité.

2. Suivant que nos actions sont libres ou non, suivant que notre activité est libre ou rencontre des obstacles, nous ressentons ce qu'on appelle du plaisir ou de la douleur. Ce n'est point là une action: tout au contraire, ce nouveau groupe présente des caractères opposés à ceux de l'activité. En effet, le plaisir et la douleur peuvent bien résulter d'actions, mais ils se produisent en nous sans que nous le voulions. Dans les phénomènes de ce genre nous sommes donc en majeure partie passifs. A ce deuxième groupe, constitué ainsi bien indépendamment du premier, est attribué le nom de sensibilité.

3. Quand nous agissons, nous savons que nous agissons; quand nous souffrons, nous savons que nous souffrons; quand nous pensons, nous savons que nous pensons. Ce n'est pas agir ou sentir: c'est avoir la connaissance de notre action ou de notre sensation. D'une manière générale il y a toute une catégorie d'états de conscience qui sont ce qu'on appelle des idées. Ces idées se rapportent tantôt au monde extérieur, tantôt au monde intérieur. L'ensemble de ces états de conscience et la faculté correspondante forment l'intelligence.

Nous distinguons donc trois facultés principales: l'activité ou faculté d'agir; la sensibilité ou faculté d'éprouver du plaisir et de la douleur; l'intelligence ou faculté de connaître.

Pour déterminer ces trois facultés, nous nous sommes contentés de classer les états de conscience. C'est qu'en effet, en dehors des états de conscience où elles se réalisent, ces facultés ne possèdent qu'une existence virtuelle. Tout en corrélatant cela, il ne faudrait pas croire pourtant qu'elles n'aient d'autre existence que celle de termes génériques, qu'elles ne soient que des étiquettes placées sur des faisceaux d'états de conscience. Sans ces derniers assurément elles n'auraient pas de réalité concrète, mais elles n'en seraient pas moins des pouvoirs réels de l'âme. Supprimez les états de conscience, les pouvoirs ne s'expriment pas mais n'en ont pas moins leur fondement dans la nature même de l'âme. Les états de conscience dérivent des facultés comme les facultés de la nature du moi. Quand bien même nous ne penserions pas, nous aurions le pouvoir de penser une intelligence virtuelle. Ce qui prouve que la faculté n'existe pas uniquement dans les états de conscience, c'est qu'elle les précède et leur survit.

Donc, les facultés sont des pouvoirs réels et non de simples collections d'états de conscience.

On s'est demandé quelquefois si l'on ne pourrait pas simplifier le nombre des facultés, et réduire à une seule les différentes facultés de l'âme. Condillac a tenté de les ramener toutes à la sensibilité: il entend par ce mot la faculté de connaître au moyen des sensations. De la sensation pour lui dépend toute l'âme. Maine de Biran ramène tout à l'effort musculaire; c'est-a-dire à l'activité. Enfin toutes les facultés de l'âme, suivant Spinoza, se réduisent à l'intelligence.

Mais nous avons montré que ces différents groupes différaient trop pour être joints les uns aux autres. L'activité est caractérisée par l'action. La sensibilité par la passivité. l'intelligence, par la représentation.

Il y a un autre écueil à éviter: c'est de faire des facultés des êtres distincts comme Platon, qui non content de les matérialiser ainsi leur donne des demeures distinctes: il met le [Greek], ou intelligence raisonnable, ce qu'il croit être la partie immortelle de l'âme de l'homme, dans la tête; le [Greek], qui représente en partie l'activité les appétits nobles de l'homme, dans la poitrine; enfin l'[Greek], qui représente les besoins, les désirs bas et vulgaires, sont placés dans le bas-ventre.

C'est une erreur d'en faire ainsi des êtres: ce sont les propriétés, les pouvoirs d'un seul et même être, le moi. Elles ne sont que les formes distinctes que revêt notre activité. Le moi est un: il est le point vers lequel convergent toutes les facultés. Celles-ci agissent toujours concurremment. On ne peut trouver de fait psychologique qui dépende d'une seule d'entre elles. Nous n'agissons que d'après les motifs dictés par la raison ou des mobiles fournis par la sensibilité. Cela prouve bien l'unité originelle de ces trois facultés. Nous ne vivons pas avec une faculté, mais avec l'âme tout entière. [Greek]. Comme dit Aristote. [Marginal note to this paragraph illegible.]

1) Pour savoir ce que c'est que le sentiment (la sensibilité), il faut s'en rapporter à l'expérience personnelle de chacun. La chaleur qu'on ressent au soleil, la douceur du miel, le parfum des fleurs, la beauté d'un paysage, voilà des sentiments.. - Les caractères de la pensée et de la volonté sont assez clairs: il nous fournissent donc d'excellents moyens de circonscrire le domaine du sentiment. - A. Bain. Sens et Intelligence. Introduction.

Bain confond ici bien des choses: la chaleur du soleil est une perception, chose intellectuelle ce qui par conséquent retire de ce qu'il nomme d'un terme trop étroit d'ailleurs, la pensée. Il en est de même de la douceur et du parfum. Toutes ces choses peuvent être accompagnées de plaisir ou de douleur, et des mouvements qui en dérivent immédiatement - mais elles ne sont par elles-mêmes ni sentiment ni passion.

Quant à la beauté, c'est une question de savoir si on la doit ranger parmi les [Greek] intellectuels ou sensibles. L'exemple [Greek] donc mal choisi.