Cours d’agriculture (Rozier)/VIVIER
VIVIER, Réservoir, Carpière. C’est un lieu propre à conserver le poisson, pour le prendre facilement au besoin, soit qu’on le destine à être transporté au marché, ou consommé dans la maison. Il n’est aucun propriétaire cultivateur qui ne sente l’agrément de faire servir de temps en temps un plat de poisson à sa famille, et sur-tout de pouvoir se le procurer sans peine et sur-le-champ, à certaines époques de l’année, où les autres provisions du ménage peuvent être insuffisantes. Il n’en est pas des campagnes comme des villes, pour se procurer instantanément, pour ainsi dire, les commodités ou les besoins de la vie ; et par besoins, nous entendons ce genre de superflu dont l’éducation ou l’habitude ont réellement fait des objets de première nécessité. Dans les villes, l’argent suffit pour tout : la halle, la poissonnerie, les boutiques de comestibles, sont des basses-cours, des volières, des viviers, toujours peuplés, tant pour la consommation actuelle, que pour l’approvisionnement de l’acheteur. Les mêmes ressources n’existent pas autour de nos maisons rurales. Quelquefois une société de voisins où d’amis nous survient tout-à-coup ; on voudroit lui faire une réception honorable, et l’on se trouve au dépourvu ; vite, un homme à cheval : on l’envoie à la ville ou au bourg le plus voisin, chercher on ne sait quoi. Il demande, en montant à cheval, ce qu’il doit apporter. Tout ce que vous trouverez, lui répond-ton ; mais partez vite ; et le commissionnaire met sa monture au galop, sans savoir, pour ainsi-dire, ni où il va, ni pourquoi il se met en route. Mais quand reviendra-t-il ? À quelle heure dînera-t on, se disent à-la fois l’une à l’autre, la cuisinière et la maîtresse ? La première perd la tête ; l’autre s’inquiète ; et, malgré tous ses efforts pour dissimuler son impatience et son embarras, les convives s’en aperçoivent et s’en affligent. Ce n’est pas tout : ce cheval, qui avoit peut-être travaillé toute la matinée, avoit besoin de repos ; ou bien, son travail de l’après-midi étoit indispensable pour achever quel qu’ouvrage que les variations du tems forceront peut-être de laisser imparfait.
Le père de famille soigneux et prévoyant, doit donc s’appliquer à créer et à entretenir autour de lui tous les petits établissemens d’économie domestique qui le mettent à portée de trouver sur le champ, et, en quelque sorte, sous sa main, les divers objets de consommation qui semblent inséparables de ses relations et de sa fortune ; le vivier doit être considéré comme l’un des plus importans. S’il peut être formé dans une eau courante, à une exposition aérée, le poisson en sera meilleur. Le brochet sur-tout en tirera de grands avantages. Cependant on n’est pas toujours voisin d’une rivière, d’un ruisseau ou d’une fontaine ; alors, on est forcé d’établir sa carpière dans des fossés ou dans des pièces d’eau dormante. Non-seulement les carpes et les tanches y réussissent, mais elles s’y multiplient mieux que par-tout ailleurs. Ces sortes de viviers sont d’autant plus utiles, qu’on en peut aisément tirer le frai, soit pour peupler des étangs, soit pour donner de la nourriture aux brochets et aux truites, qu’on entretient en d’autres endroits. Au reste, que ce dépôt soit formé dans une eau courante, ou qu’il soit d’eau dormante, il est désirable qu’il soit à portée de l’évier de la cuisine, qu’il en reçoive les eaux, les lavures et les immondices. Les canaux d’écoulement qui lui transmettroient aussi les urines des étables et des écuries, pourroient produire deux grands avantages ; ils rendroient plus salubre l’habitation des animaux de la ferme, et communiqueroient à la chair du poisson qui s’en nourriroit une qualité, un goût, une saveur très-remarquables. Quand vous creuserez un réservoir, donnez à ses bords une pente imperceptible. Non-seulement cette précaution empêchera l’éboulement des terres, mais les poissons que vous y mettrez auront plus de facilité pour frayer, pour paître l’herbe qui y croîtra, et pour saisir les insectes qui s’y réuniront en nombre infini. Quelle que soit sa forme et son étendue, gardez-vous de le peupler sitôt qu’il est creusé. Il est nécessaire, avant d’y introduire le poisson, et même d’y faire couler l’eau, que la terre reste exposée à l’air au moins pendant un an. Sans cette précaution de rigueur, vous vous exposeriez indubitablement à perdre votre poisson. On peut profiter de cette première année pour y semer de la graine de foin, qui donnera de la solidité à la terre des talus, et qui formera, dès la seconde année, une bonne nourriture au poisson.
Lorsqu’on prévoit un hiver long et dur, il faut s’occuper de prévenir les accidens dont le poisson seroit frappé pendant le séjour des glaces. Il mourroit de faim si on ne l’approvisionnoit d’avance. Remplissez un ou deux tonneaux, suivant la grandeur du réservoir, de terre glaise pétrie avec de l’orge, et assez battue pour se maintenir dans chaque tonneau, quoique défoncé par les deux bouts. Ces tonneaux descendent au fond-de l’eau ; et quand la glace les a recouvert, la carpe, la tanche, le poisson blanc, ne manquent pas d’en aller gratter la terre, et d’en avaler le grain, à mesure qu’il s’en sépare. Le poisson se conserve ainsi à l’abri de tout danger, quelque longue et quelque dure que soit la saison des gelées et des glaces.
En été, il ne faut pas négliger de jeter fréquemment dans le vivier des salades, des racines hachées, des morceaux de pain et des boulettes de pommes de terre, cuites et pétries avec des farines ou d’orge, ou de froment, ou de maïs, ou de sarrazin. Mieux on nourrit les poissons, plus leur chair est grasse et délicate. Si on veut entretenir des truites dans des viviers d’eau courante, ou du brochet dans l’eau dormante ou courante, il faut bien se garder de réunir ces espèces voraces avec les carpes et les tanches. Celles-ci seroient bientôt dévorées par les premières. Dans ce cas, on est indispensablement obligé de former dans le vivier plusieurs compartimens en claires-voies.
Olivier de Serres non moins ingénieux dans ses conceptions économiques, que profond dans les principes qui servent de base à sa doctrine agricole, nous a laissé la description d’un vivier formant la clôture d’une garenne. Cette réunion d’animaux si divers dans un si court espace et pouvant donner lieu à deux genres de récréations également agréables et utiles, la chasse et la pêche, nous a semblé mériter l’attention des propriétaires assez aisés dans leur fortune pour ne pas craindre de se livrer à l’exécution du plan qu’il propose.
« En coteau un peu relevé, dit-il, regardant le levant ou le midi, et en terre vigoureuse, plus légère que pesante, est le lieu qu’on se choisira pour garenne. La terre ne sera pas toutefois beaucoup sabloneuse ; d’autant qu’en telle les conils (de cuniculus lapin) ne se peuvent creuser les tannières à plaisir, la terre s’éboulant à cause de sa légèreté, sans avoir tenue : mais elle doit être fermée, et, pour ce faire, participer quelque peu de l’argile, non toutefois beaucoup, pour ne rendre le creuser trop difficile. Ce sera grand avancement d’œuvre, si le lieu est déjà planté d’arbrisseaux et buissons à ce propres. Mais si par le défaut de nature ou négligence des prédécesseurs il se trouve vuide, il sera fourny d’arbres de la sorte, et plantez en la manière cy-après enseignée, afin qu’en estant formés des taillis forts et épais, les conils y puissent avoir seure retraite, et des vivres en abondance pour s’y entretenir. Il est à souhaiter que la garenne soit près de la maison, tant pour le plaisir de la pouvoir souvent et aisément visiter, et y prendre la fraîcheur de l’ombrage, que pour la conservation des conils, qu’on dérobe facilement étans en lieu trop écarté. »
» Afin que les conils ne s’enfuyent, il sera nécessaire de fermer la garenne avec de bonnes murailles bien maçonnées à chaux et sable, hautes de neuf à dix pieds, et profondément fondées dans terre, pour oster au conils l’espérance d’en sortir par-dessous les fondemens, comme à cela ils s’efforcent, minant dans terre ; tant ils désirent la liberté, se sentant enfermez, jusqu’à ce que ils ayent accoutumé le lieu. Les hayes ne servent de rien pour retenir les conils à travers desquelles ils passent facilement, quelques fortes et épaisses qu’elles soient, ny aussi les fossés plus larges et profondes qu’on les fasse, hormis qu’ils fussent remplis d’eau : dont la cloison se rend préférable à toute autre, pour les raisons dites cy-après. Au défaut de cette commodité, il se faudra résoudre à la muraille, sans faire autre estât ny des hayes, ni des fossez que pour préserver le bois taillis du dégast des bêtes, sans espérer de pouvoir retenir les conils. Mais si, pour l’incommodité du païs, rare en pierre, vous ne pouuez maçonner de bonnes murailles comme vers Tholoze et en plusieurs autres endroits, où le bâtiment est très-cher, à ce défaut la garenne sera close ou de murailles de terre, selon leur plus commun usage, ou de fossez et hayes tout ensemble : dont à tout le moins le taillis demeurant en sûreté. Et quant aux conils, par coutume, à la longue, s’y arrêteront pour les bons logis que nous leur dresserons ès terriers à la manière cy-après enseignée. »
» Il a déjà été parlé de la capacité de la garenne. Doncques, sans crainte d’excéder, nous la prendrons aussi grande que le lieu le permettra, afin d’avoir des conils sains et délicats au manger, comme tels sont toujours ceux qu’on nourrit en terre spacieuse, lesquels courans à volonté ne se prennent garde de leur servitude : approchans par-là de la perfection des entièrement sauuages. En grand nombre aussi, la raison voulant que plus produise le grand que le petit lieu : duquel en outre vous tirerez abondance de menu bois de chauffage quand chaque année vous ferez couper du taillis par quartiers selon sa portée ; commodité non petite, comparée aux fumiers du colombier, pour, de même qu’eux, ce bois icy tenir lieu de seconde vtilité dans la garenne : suffisant moyen pour satisfaire aux frais de son entretien, les conils restans de liquide reuenu. Néantmoins, pour borner aucunement la garenne, je diray qu’elle sera de raisonnable grandeur pour la fourniture d’une bonne maison, si on y employé sept ou huict arpens de terres, trois ou quatre hectares, (consultez le mot Mesures dans le supplément), et telle garenne estant bien gouvernée et entretenue, rapportera par communes années, les deux cents douzaines de conils, et davantage.
» Reuenaut à cloison. Si le lieu et l’eau favorisent l’entreprise, nous la ferons d’eau viue, pour paruenir où nous désirons ; car, pourvu que le fossé soit fait comme il faut, et comme sera montré, l’eau estant dedans, les conils ne la pourront nullement traverser. D’ailleurs, ce sera dresser la garenne et le pescher tout ensemble, mettant du poisson dans le fossé, où il se nourrira et se multipliera très-bien : dont le ménage en sera d’autant plus à priser, que mieux tout d’une main l’on se sera accommodé de conils et de poissons. Les conils traverseront bien l’eau à la nage, mais ils ne pourront ressortir, si la riue extérieure du fossé, au respect de la garenne, est un peu releuée, et droitement taillée à plomb ; car les conils estant mouillez, ne peuvent presque rien remonter en haut. C’est pourquoy il sera besoin de façonner diversement les deux bords du fossé ; à scauoir celuy qui est joignant la garenne, eu douce pente, sans aucun releuement ; et l’autre de telle sorte qu’il ait le rivage taillé de la hauteur d’vn couple de pieds. Ainsi les conils croyant se sauver en nageant, seront contraints de s’en retourner d’où ils viennent, par la rencontre de la riue taillée sur leur issue ; quand mouillez ne pourront monter le bord du fossé pour en sortir. Tailler droitement les deux bords du fossé, seroit donner la mort asseurée aux conils, d’autant que sautans dans l’eau comme ils font ordinairement en ioüant, quelque basse qu’elle soit, si noyeront pour n’en pouuoir ressortir. Comme au contraire, ils auroyent la porte ouuerte pour s’enfuyr si les deux riues estoient en douce pente : ainsi ne faudroit pour ruiner la garenne dès son origine, que manquer en l’un ou en l’autre endroit. Il sera besoin de tenir réparées les ruines qui arrivent à ce bord de fossé droictement taillé, dont la terre, par sa propre pesanteur, s’éboule d’elle-même de jour à autre ; surtout au temps des gelées, afin que, par les bresches qui s’y font à cette occasion, les conils ne trouvent la porte des champs pour s’enfuyr. Et afin que cela ne soit toujours à recommencer, il sera bon d’y pouruoir vne seule fois en bordant l’extérieur du fossé d’vne muraille de maçonnerie pour tenir ferme en cet endroit : ou ne voulant tant dépenser, en y plantant des oziers prez l’vn de l’autre, afin qu’entreriez ensemble, ils retiennent la terre de s’auailler ».
» Si le fossé n’est large que de dix ou douze pieds, ce sera en vain qu’on le fera : d’aulant que de cette mesure, les conils la trauerseront aisément en un saut, à toutes les fois qu’ils leur prendra l’enuuie de gaigner les champs : et les poissons ne s’y pourront commodément nourrir, s’il n’y a cinq ou six pieds d’eau. Pour doncques servir à l’vn et l’autre vsage, il faut donner au fossé dix-huict pieds de largeur, et six ou sept de profondeur. À laquelle mesure on ne s’arrestera toutes fois, si on ne craint la dépense de l’ouvrage ou l’employ de la terre, puisque le fossé ne pourroit estre trop grand, ny pour garder les conils, ny pour nourrir le poisson, qui sera d’autant plus abondant et d’autant meilleur, que plus ample sera son réceptacle. L’ordonnance de ce pescher aidera aussi beaucoup à la bonté du poisson, lequel fait en long fossé ceignant la garenne, a quelque correspondance avec la riuière naturelle, où le poisson allant de long en se promenant, enuironne la garenne, et retournant toujours par-là, croit estre en pleine liberté, dont se rend sain et savoureux. »
» La garenne ainsi fermée d’eau ne pouuant estre que platte, ne peut par conséquent entièrement satisfaire au naturel des conils, qui est de monter et descendre, comme à ce, le costeau est le plus propre. Pour cela neantmoins nous laisserons de préférer cette assiette à toute autre, tant pour la fermeté de la cloison, que pour la commodité du poisson. Ioint que le plan de la garenne se peut aucunement corriger à l’vtilité des conils, par la terre sortant des fossez eu les creusant, laquelle portée en plusieurs endroits de la garenne, y fait des monticules, releuez, longs, ronds, quarrez, ou d’autre figure, telle qu’on voudra, ressemblans à des petits costaux sur lesquels les conils se promènent à plaisir, et de même s’y logent, pour la facilité de creuser cette terre de nouueau remuée. D’ailleurs, par le fossez sont épuisées les eaux croupissantes au plan de la garenne, souterraines et autres ; ainsi les conils demeureront sans être importunés d’humidité, comme ils désirent. Et finalement ils sont accommodés d’eau pour boire, l’ayant ainsi proche ; si toutesfois ils veulent boire, car plusieurs doutent, et croyent que ce bétail peut viure par le seul manger sans nullement boire ».
Oui les lapins se passent de boire quand ils se nourrissent de plantes vertes ; mais nous avons la preuve que les lapins domestiques succombent bientôt au régime purement sec. Lorsqu’on est forcé, à ne leur offrir que du foin, de l’avoine ou du son, il faut avoir l’attention de détremper ce dernier aliment avant de le leur présenter. Si on est à portée d’entremêler le fourrage sec de racines fraîches, comme navets, carottes, pommes de terre, panais, etc. On peut se dispenser de tout autre soin, consultez dans le supplément, le mot Garenne domestique.