Cours d’agriculture (Rozier)/GARENNE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 248-249).


GARENNE. Espace de terrain peuplé de lapins, & où l’on prend soin de les conserver. Il seroit bien à désirer, pour les malheureux cultivateurs, que ce mot fût inconnu dans notre langue. Tout le monde a applaudi à la bienfaisance du prince de Conti, qui a fait environner de murs sa garenne de l’Isle-Adam. Cent lapins trouvent à peine de quoi vivre sur un arpent, (voyez ce mot) & ce maudit animal cause la ruine des taillis, des jeunes vignes, des oseraies, &c. par la fureur qu’il a de ronger. Veut-on un exemple bien palpable du dommage causé par les lapins ? le voici : M. le cardinal de la Rochefoucauld, archevêque de Rouen, & seigneur de la terre de Gaillon, avoit une garenne non murée, qu’il affermoit 1200 liv. Touché de la calamité de ses vassaux, il ordonna de détruire & d’exterminer les lapins dans le courant de l’hiver. Il en est résulté que cette même année la dixme seule a augmenté de 1000 liv. ; ainsi, en la prenant pour le onzième du produit net, les habitans ont eu un bénéfice de 10000 liv., qui doit nécessairement augmenter dans les années suivantes. Au sacrifice de M. le cardinal, on reconnoît l’esprit bienfaisant qui anime toute la famille des la Rochefoucauld.

Quand aurons-nous le bonheur de voir en France établir par-tout la coutume de Meaux, qui s’exprime ainsi : Aucun ne peut tenir garennes jurées, supposé qu’il ait haute justice en sa terre, s’il n’a pas permission du roi, titre particulier & exprès, ou telle & si longue jouissance, qu’il ne soit mémoire du commencement ni du contraire. Cette sage coutume auroit dû ajouter que toute garenne seroit murée.

Plusieurs auteurs se sont occupés des soins nécessaires à leur établissement, à la manière de les peupler, de les conserver ; quant à moi, vraiment ami des cultivateurs, je vais leur apprendre à les détruire, quand ils en auront le droit ou la permission. Il est aisé de peupler une garenne ; il n’en est pas ainsi quand il faut la supprimer : la marche du mal est rapide, & celle du bien très lente. La chasse au fusil sert plus à l’amusement qu’à la réalité ; il en est ainsi des lacets, & ; celle du furet est plus sûre, mais ne coupe pas le mal par la racine ; il est plus expéditif de boucher les terriers.

On appelle terriers les ouvertures que les lapins font avec leurs pattes de devant, en creusant dans la terre, où, à force de gratter, ils pratiquent des galeries qui correspondent le plus souvent les unes avec les autres, & ont des sorties au jour, dont le nombre est proportionné à leur étendue. Ils sont pour les lapins ce que sont les soupiraux pour les ouvriers des mines. Ils entretiennent un courant d’air dans les galeries, sans quoi les animaux, comme les hommes, ne pourroient pas respirer.

Le lapin sort pendant la nuit, & rentre dans le terrier pendant le jour ; c’est en général sa coutume. On choisira, dans l’hiver, un jour assez froid, & même un peu pluvieux, afin de s’assurer que les lapins sont terrés ; mais pour plus grande sûreté, on fera, avec des chiens, & en s’y prenant de loin, une battue dans les environs de leur retraite. Cet animal timide & peureux, supposé qu’il soit dehors, se hâtera d’y rentrer, & ne cherchera pas à en sortir tant qu’il entendra du bruit. Après avoir reconnu tous les trous, & même après les avoir agrandis, on les chargera de mauvais bois, & on mettra le feu à tous en même temps, en continuant de faire beaucoup de bruit. Si on peut se procurer un bon nombre de soufflets, l’opération en vaudra mieux, parce que l’air poussé avec violence, forcera la fumée de s’insinuer plus avant dans les terriers. L’effet de la fumée est de vicier l’air intérieur, de le rendre méphitique ou mortel, & par conséquent de suffoquer les lapins. Dès que le bois est aux trois quarts consumé, des hommes armés de pioches & de pelles, poussent la braise & le reste du bois dans le terrier, en abattent les côtés, & le bouchent avec des pierres & de la terre, de manière que la fumée ne sorte d’aucun côté. J’ai vu des lapins s’élancer en dehors malgré la flamme, afin d’éviter le danger qui les menaçoit. On pare à cet inconvénient en garnissant l’ouverture du terrier avec des fourches de fer.

Quelques jours après on retourne sur les lieux, & on examine de tous côtés & avec le plus grand soin si de nouveaux terriers ou les anciens sont ouverts ; alors on recommence la même opération avec les mêmes soins : au défaut du bois, on peut se servir de paille, mais elle brûle mal dès qu’elle est un peu pressée dans les trous. D’ailleurs, les morceaux de bois mêlés avec les pierres & la terre dont on s’est servi pour boucher les terriers, ne permettent pas aux lapins de les ouvrir facilement.

Si on se contente simplement, suivant la coutume ordinaire, de boucher tous les terriers, on réussit rarement, parce que l’animal en a bientôt ouverts de nouveaux : il faut le feu & la fumée, qui rendent mortel l’air des galeries.


Garenne à poisson. Espace de peu d’étendue & plein d’eau, dans lequel on jette le petit poisson qui doit repeupler un étang… On appelle encore de ce nom l’endroit d’une rivière garni de filets, & où le poisson vient se rendre de lui-même.