Cours d’agriculture (Rozier)/TONNEAU

Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 419-436).
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TONNEAU. Vaisseau en bois, de forme à-peu-près cylindrique, mais renflé dans son milieu, à deux bases planes, rondes & égales, construit de douves arc-boutées, & contenues dans des cerceaux. Ce vaisseau est destiné à renfermer du vin, des liqueurs, & autres fluides. Sous la nomination générale de tonneau, on comprend ce que, dans quelques provinces, on appelle fûte, futaille, barrique, tiercerole, muid, bourguignotte, tierçon, pipe, barrille, poinçon, pièces, bottes, &c. La contenance de ces vaisseaux varie d’un pays à un autre, & dans quelques-unes, le mot tonneau désigne la contenance de plusieurs vaisseaux vinaires réunis. Par exemple, à Bordeaux, le tonneau est composé de quatre barriques, qui font trois muids de Paris. Le muid de Paris est de deux cent quatre-vingt-huit pintes ; sur ce pied, le tonneau de Bordeaux doit être de huit cent soixante quatre pintes, & celui d’Orléans de cinq cent soixante-seize pintes, parce qu’il ne contient qu’environ deux muids de Paris.

Ces bigarrures, dans la contenance des vaisseaux vinaires, demandent la même réforme que celle des poids & mesures : elles ne sont connues que des commerçans en vin. On a lieu d’espérer, d’après les décrets de l’assemblée nationale, qu’il n’y aura plus dans l’empire françois qu’une seule & même mesure : elle supprimera, par de sages réglemens, les friponneries sans nombre qui s’exercent journellement dans le commerce des vins & des eaux-de-vie. Un tonnelier peut, quand il veut, même en suivant les mesures données pour la fabrication d’une barrique, lui faire contenir près de dix pintes de plus ou de moins : c’est une perte réelle pour l’acheteur d’eau-de-vie ou d’esprit de vin. Comme on les vend au poids, celui de la futaille compris, l’acheteur paie aussi cher le bois surnuméraire, que l’esprit de vin ; alors ii favorise le vendeur ; mais s’il donne à la barrique plus de bouge qu’il ne convient, le bénéfice est au profit de l’acheteur. J’ai suivi de près ces petites spéculations mercantiles : le brigandage est encore plus grand, lorsque l’on achette du vin en bouteille. Un vaisseau vinaire déclaré par la jeauge contenir deux cent vingts pintes, mesure de Paris, donne communément deux cent cinquante bouteilles chez le marchand de vin, qui fait fabriquer à la verrerie les bouteilles, d’après la forme qu’il prescrit ; cependant, les bouteilles parooissent, au premier coup-d’œil, devoir contenir autant de vin que les bouteilles de jeauge. Les bouteilles & les vaisseaux vinaires demandent une réforme : on y parviendra, si leur contenance est déclarée devoir être la même dans tout le royaume.

« Nous devons, dit Pline, aux peuples voisins des Alpes, (les Piémontois) l’invention des tonneaux, & nous admirerions, sans doute, si nous n’en avions jamais vu, quelle industrie, & quel soin a dû exiger la construction d’un vase formé de quelques planches, réunies seulement par des liens de bois, qui contient une certaine quantité de liquide, donnée sous une forme aisée à transporter, & la plus propre à souffrir un assez grand choc, sans permettre à la liqueur qu’il renferme, de se perdre. Le calcul du géomètre échouroit où l’habitude & presqu’une simple routine de l’ouvrier réussissent assez bien ». C’est ainsi que s’exprime M. Fougeroux, de l’académie des sciences, dans l’art du tonnelier.

§. I.

De la forme des tonneaux.

Il est certain que la forme adoptée est la plus commode ; & pour contenir le vin en grande masse, c’est la plus avantageuse après celle de la bouteille ; & si la facilité dans l’usage journalier ne l’emportoit sur l’utilité, je préférerais la forme des vases de terre employés par les anciens ; ils les nommoient amphores : c’étoit des vases de grais, très-pointus par leur base, renflés dans leur milieu, & leur col très-alongé & étroit. Deux anses de même matière prenoient depuis le sommet ou embouchure du col, jusqu’à la partie supérieure du renflement du vase, appelée panse. Tout l’intérieur des caves étoit traversé par des murs, & leurs côtes ressembloient à des marches d’escalier. Chaque marche, creusée suffisamment, portoit une amphore. Chaque mur, dans le milieu de son étendue, étoit vide, & formoit une porte, afin de faciliter le service & le placement des amphores sur les marches des murs postérieurs. Ils avoient des amphores, dont la contenance étoit depuis dix à quinze pintes, jusqu’à cent cinquante. L’avantage de la forme de ces vaisseaux pour la conservation du vin, étoit singulièrement contrebalancé par l’embarras, la dépense, & par l’espace nécessaire à leur arrangement. La forme des vaisseaux en bois, quoiqu’inférieure, est plus commode, & elle demande à être perfectionnée. Prenons pour exemple le tonneau, qui contient quatre barriques, ou quatre cent quarante-huit pots ; sa longueur, d’après les réglemens des tonneliers, doit être de quatre pieds trois pouces, & le diamètre du fond de trois pieds deux pouces… C’est donc un peu moins de six pouces de courbure, depuis le bondon ou trou du tonneau, jusqu’à l’extrémité de la douve, que dans quelques endroits on appelle douelle. Cette courbure n’est pas suffisante, 1o. parce qu’il faut compter pour beaucoup l’épaisseur des cerceaux & leur ligature en osier, qui portent & donnent une hauteur de quinze à dix-huit lignes, & qui réduisent la courbure à l’extérieur, à quatre pouces six lignes environ ; 2o. après un certain nombre d’années, les courbures tendent à s’affaisser & à se rapprocher de l’horisontalité ; 3o. parce que les tonneliers ne sont pas assez exacts à suivre la règle prescrite, attendu qu’il leur faudroit plus de bois, du bois mieux choisi, & en état de supporter la diminution de largeur, en partant du bondon à l’extrémité de la douve. Ils préfèrent le parti qui exige le moins de travail. Je demande donc, dans l’exemple cité, que chaque fond du tonneau, au lieu d’être réduit à trois pieds deux pouces, le soit à deux pieds huit pouces ; enfin, que le vaisseau ait plus la forme d’un fuseau tronqué par les deux bouts. Ce que je dis du tonneau contenant la valeur de quatre barriques, s’applique dans les mêmes proportions aux vaisseaux de plus petite contenance, & par les mêmes raisons que je vais développer. Les Espagnols ont bien senti les avantages de cette forme, & tous leurs vaisseaux vinaires sont construits de la manière que j’indique. Ceux dont on se sert dans les vignobles de Bordeaux & des pays voisins, en approchent : dans tout le reste du royaume, ils sont très-défectueux.

Avantages de la forme du fuseau tronque. 1o. Plus une voûte est ceintrée, plus elle a de force, & plus elle devient susceptible de porter de grands fardeaux. Il en est ainsi des douves réunies ; leur point le plus élevé, & qui présente le sommet d’anse de panier, est la partie la plus élevée du bouge. 2o. Plus un tonneau approche de la forme d’un fuseau tronqué, moins il touche la terre par des points de contact, & plus il fait voûte ; dès-lors on le manie plus facilement, on le roule, & on le retourne plus aisément, moins les cerceaux & les osiers qui les lient, touchent la terre, & par conséquent sont moins susceptibles de pourrir. Le courant d’air qui les environne de toutes parts, les conserve & augmente la durée des osiers. Ils sont donc beaucoup moins sujets aux réparations & aux changemens que les autres.

Ces avantages, quoique essentiels en eux-mêmes, sont peu de chose en comparaison des suivans. 1o. Supposons que du vin soit renfermé dans un vaisseau quarré, n’est-il pas vrai que si la liqueur qu’il contient, ne le remplit pas exactement, & qu’il en manque seulement l’épaisseur d’une ligne, il y aura donc un vide sur toute la surface supérieure du vin ? Mais comme l’expérience prouve que l’évaporation n’a lieu qu’en raison des surfaces, il est donc clair qu’elle aura lieu sur la couche du liquide, en raison de toute la surface, quelle que soit son étendue, & en raison de cette étendue. Au contraire, dans un tonneau ordinaire de quatre barriques, supposé contenir autant que celui dont on vient de parler, le vide d’une ligne de hauteur est presque nul, & ne porte que sur une très-petite superficie, à cause de la courbure ou bouge de la douve ; mais ce vide sera encore bien moins sensible, si on donne aux douves la courbure que j’ai indiquée. Dans le premier cas, toute la superficie est soumise à l’évaporation ; dans le second, elle l’est infiniment moins ; & dans le dernier, le vide est réputé pour nul.

2°. Il résulte un second avantage bien important encore de la forme du fuseau tronqué, relativement à la qualité du vin. La lie est le sédiment du vin, la partie pesante qui s’en sépare ; ce résidu, par sa pesanteur spécifique se précipite dans la partie la plus inférieure. Or, plus cette partie inférieure sera profonde, plus elle concentrera la lie, & moins la lie occupera d’espace dans le tonneau ; par conséquent moins de superficie, moins elle sera susceptible de se recombiner dans le vin au printems & en août, lors du renouvellement de la fermentation que l’on appelle insensible. Ces points de fait seront plus particulièrement discutés à l’article vin.

3° il est plus aisé de soutirer à clair fin le vin d’un tonneau bien bougé, que d’un tonneau plat, précisément parce que la lie y occuppe moins de place. Ainsi, sous quelque point de vue que l’on considère la forme d’un vaisseau vinaire, de quelque grandeur qu’il soit, celle d’un fuseau tronqué est sans contredit la meilleure.

§. II.

Du bois des tonneaux.

Nous n’avons en France qu’une seule espèce de bois réellement bonne à la construction des vaisseaux vinaires ; c’est le chêne, bien choisi, parce que les fibres de son bois sont mieux liées, plus serrées, en un mot plus compactes. L’expérience de tous les pays de vignoble prouve que le Vin perd beaucoup moins dans de tels vaisseaux, soit pour la quantité, soit pour le spiritueux. Cette vérité a tellement été mise au jour par les plaintes des acheteurs d’eau-de-vie, que le gouvernement à défendu toute exportation d’esprit ardent hors du royaume, qui ne seroit pas faite dans des tonneaux de chêne. On se servoit auparavant des vaisseaux faits en bois de châtaignier, & quoique l’eau-de-vie fût au titre, & même au-dessus, en sortant du port de Cette, elle arrivoit à Hambourg, par exemple, à un titre très-inférieur à celui ordinaire du commerce. On a beau faire, l’expérience prouve que même dans les meilleurs tonneaux de bois de chêne, l’évaporation se fait sentir ; mais la perte est peu considérable. Ce qui se manifeste si visiblement pour l’esprit ardent isolé & concentré, se manifeste de même pour le spiritueux du vin ; mais d’une manière qui, quoique plus insensible n’en est as moins réelle. Supposons dix vaisseaux vinaires, dont l’inégalité de contenance soit graduée depuis 100 jusqu’à 1000 pintes. Il est clair que épaisseur du bois sera proportionnée à la graduation du contenu, ou du moins jusqu’à un certain point. Ainsi, les douves de la barrique de 100 pintes, auront, suivant la coutume, 6, 7 ou 8 lignes au plus d’épaisseur, & celles du vaisseau de mille pintes, 324 pouces. Je demande actuellement au propriétaire de ces dix vaisseaux, que je suppose remplis du même vin, en un mot, que toutes les circonstances soient égales, même pour leur placement dans la cave ; je lui demande deux choses, 1°. qu’il tienne une note exacte de la quantité de vin que chaque vaisseau consommera pour être toujours tenu plein pendant toute l’année ; 2° qu’à la fin de l’année, il distille séparément le vin de ces dix vaisseaux, & qu’il en mette à part le produit. Ses registres & l’expérience lui prouveront que le vaisseau de 100 pintes, a consommé, à peu de chose près, & proportion gardée, dix fois autant de vin que le vaisseau de 1000 pintes. Il se convaincra encore par la distillation que la proportion du spiritueux sera plus de dix fois plus faible, & ainsi par progression, jusqu’au tonneau de 1000 pintes ; mais si le vaisseau n’est pas construit en chêne, alors les proportions seront encore plus à perte soit pour la quantité, soit pour le spiritueux. Je sais positivement à quoi m’en tenir sur les faits que j’avance, comme vérité démontrée, mais comme je ne demande pas à être cru sur parole, je prie le grand propriétaire de vignoble de se convaincre par l’expérience. Son intérêt lui dicte cette loi. Qu’il n’ait que des foudres, (consultez cet article essentiel) à l’exception de la petite quantité de barriques nécessaires à ses besoins journaliers.

Toutes les douves, quoique de chêne, ne sont pas d’égale qualité ; celles tirées du chêne en décours ou trop vieux, sont trop poreuses, du chêne trop jeune, sont également trop poreuses & se coffinent aisément ; celles fabriquées à la scie ne sont pas aussi bonnes que celles dont on a débité le bois, qu’on appelle alors bois de fente. Les premières sont plus difficiles à travailler, parce qu’on n’a pas pu suivre l’exacte disposition de leur fibre, & on est obligé de commencer leur ceintre par la scie, afin de pouvoir ensuite les travail lier plus commodément ; cette opération est très-défectueuse, & le vaisseau fabriqué avec un tel bois, n’est jamais aussi solide que celui composé de douves de bois de fente, dont l’épaisseur doit être égale sur toute leur longueur. Dans plusieurs provinces, de mauvais ouvriers amincissent avec l’essarte la partie du milieu de la douve qui doit former le bouge, afin, disent-ils, de cintrer avec plus de facilité leurs barriques. Cette pratique est vicieuse, puisque la partie qui doit être la plus forte dans la construction, devient la plus foible.

La bonne douve est celle qui, frappée sur le tranchant aigu d’une pierre, casse par esquilles. Si elle casse net ; c’est une preuve que l’arbre dont on l’a tirée, étoit hors d’âge, & en décours. On doit préférer les douves qui ont flotté, pourvu qu’elles ne soient ensuite employées qu’après avoir été parfaitement séchées. Ces douves flottées ont perdu dans l’eau une partie de leur astriction ; mais elles contracteroient bientôt une odeur de moisi, si en les sortant de l’eau, on les plaçoit dans un endroit humide, odeur détestable que les efforts de l’art ne sauroient leur enlever. L’avantage réel que l’on retire des bois secs, est qu’ils se gonflent beaucoup, lorsqu’on remplit les vaisseaux vinaires, & on ne craint pas alors que la liqueur s’échappe.

Toute douve qui est rongée, vermoulue, pertuisane, ou dont le bois est vergé, autrement dit, bois veiné, bois rouge, ne peut ni ne doit être employé. L’ignorance & plus encore la mauvaise foi des tonneliers, ont été l’origine de plusieurs contestations entre le vendeur & l’acheteur. C’est pourquoi l’ordonnance a prescrit les cas dans lesquels le tonnelier est forcé de reprendre son ouvrage & de payer le vin gâté ou perdu.

1°. Si l’ouvrier emploie plus de trois douves de bois vergé ou bois rouge ; & encore il est dit que ces douves doivent être placées dans la partie supérieure. Il convient donc d’obliger le tonnelier à faire lui-même le trou du bondon, parce que lui seul les connoît, & l’on courroit risque d’ouvrir le trou dans celles qui leur seroient lattérales ou en opposition… Il est surprenant que l’ordonnance ait autorisé un pareil abus, puisqu’une seule douve vergée suffit pour gâter le vin d’une barrique ou d’un tonneau. Les grands propriétaires de vignoble doivent s’unir afin de demander tous ensemble la suppression de cet article, dans le règlement des tonneliers.

2°. Si dans le tonneau il se trouvé une douve qui ait le goût defût, le tonnelier doit le reprendre & payer au propriétaire le vin gâté, sur le pied de la vente commune.

3°. Si la douve est pertuisane dans la partie recouverte par les cercles, le tonnelier est responsable du vin qui se perd, & de celui qui reste s’il est éventé, ou s’il est demi aigre, parce qu’il n’est pas à supposer que l’acheteur puisse connoître cette défectuosité. Les tonneliers sont très attentifs à boucher ces petits trous avec des épines de prunelier : malgré cette précaution, il vaut mieux rejeter le tonneau si on s’en apperçoit.

Il est bien difficile pour celui qui achette chaque année une certaine quantité de tonneaux, d’examiner chaque douve séparément, mais je lui réponds que souvent ses peines ne seront pas perdues. Ce conseil paroîtra ridicule à ceux qui font tout à la hâte, quoique cette opération eût assuré la qualité de leur vin. S’il contracte une odeur ou une saveur désagréable, ils ne s’en prendront qu’à eux-mêmes : ils peuvent, il est vrai, avoir recours, dans certains cas, contre le tonnelier ; mais il faut se pourvoir en justice, & les frais & l’ennui excèdent la valeur du vin. Cette défiance est un peu forte, j’en conviens ; la mauvaise foi des tonneliers, l’a rendue nécessaire : d’ailleurs, elle ne fait tort qu’à celui qui veut tromper. Je l’ai été, il est donc juste de prévenir ceux qui se trouvent dans le même cas que moi.

§. III.

Observations sur la construction

Si on excepte l’Espagne, les environs de Bayonne & de Bordeaux, les barriques ou tonneaux, quelle que soit leur contenance, sont très-mal construits, & plus ils sont petits, plus leurs défectuosités sont multipliées, parce qu’on ne réserve pour ces vaisseaux, que les bois de rebut ou ceux qui ont déja servi à des vaisseaux plus grands, mais dont l’empeigne, par exemple, a été brisée. Ces vieux bois sont, ou dolés de nouveau, ou parés avec l’essette & encore mieux avec le rabot ; de manière que leur épaisseur, déjà très-modique, est encore diminuée.

Une douve pour être bonne, doit être aussi épaisse à ses extrémités que dans son milieu. Si on l’amincit en approchant des extrémités, on diminue la force de la totalité ; si on l’amincit dans son centre, elle se courbe plus aisément, à la vérité, mais elle perd de sa force réelle dans la partie où elle est absolument nécessaire. C’est à l’ouvrier doleur à savoir diminuer en proportion convenable, & sur la largeur, la douve depuis son centre jusqu’à ses deux extrémités ; de manière que la totalité des douves, réunies par les cerceaux, présente de chaque côté un cône tronqué dans les proportions indiquées ci-dessus. C’est donc par la force du resserrement de toutes les douves & de toutes leurs parties ensemble les unes contre les autres, que dépend la véritable force de la voûte, & non pas lorsqu’elles S’y prêtent par une courbure donnée précédemment en suivant le trait par la scie. Ces dernières douves serrent très-mal.

À ces défauts visibles, les ouvriers en ajoutent un autre bien plus essentiel, non par ignorance, mais pour accélérer leur travail, toujours au détriment de l’acheteur… Les douves employées pour la construction des barriques ordinaires, c’est-à-dire contenant 220 à 230 pintes, mesure de Paris, ont souvent depuis cinq & même six pouces de largeur. J’ai vu pour fond à ces barriques, des douves de fond ou face, de sept & même huit pouces de largeur ; & ce qui m’a surpris, a été la préférence marquée que des particuliers leur donnent. Je leur demande si après un an ou deux de service, les douves de ces barriques ont le même coup-d’œil que lorsqu’ils les ont achetées ? Ici, ce sera une douve coffinée ou bacquetée en dedans ou en dehors ; là il faudra barrer les fonds pour la retenir, & peut-être craindre encore que cette opération ne soit pas suffisante, sur-tout si l’empeigne du vaisseau est foible. Ce que je dis des douves du fond s’applique également à celles (de la circonférence, qui ne se coffinent jamais en dehors, (le cas est très-rare) mais toujours en dedans, & que souvent on est obligé de suppléer par d’autres. Tout vaisseau quelconque, grand ou petit, pour être bien fait, pour être de durée, doit, dans sa circonférence, décrire un cercle parfait, & jamais on ne trouvera cette rondeur exacte, tant que l’ouvrier emploira des douves trop larges, qui nécessairement formeront des angles à chaque point de réunion. Voyez planche XV, fig. 1 IE. Le tonnelier connoît le défaut ; il le masque aux yeux de l’acheteur, en diminuant l’épaisseur du bois de la douve dans l’endroit où, avec ses voisines, elle forme des arrêtes, sans quoi le vaisseau présentant des angles à chaque union de douve, seroit rebuté ; ce qui seroit une perte réelle pour lui. L’ouvrier a bien plutôt établi un vaisseau de quinze à vingt douves, qu’un pareil vaisseau où il en faudra cinquante. Vingt douves sont plutôt dolées & dressées sur le banc, que cinquante ; mais comme il paye le travail du doleur par cent, par millier, moins il y a de pièces & plus de largeur, plus le tonnelier gagne ; d’où il résulte qu’il ne rejette jamais les douves disproportionnées en largeur.

Je prendrai pour exemple un vaisseau vinaire de deux pieds six pouces de diamètre, & par conséquent de sept pieds six pouces de circonférence à chaque tête. Il n’est pas question, dans cet exemple, de la diminution ordinaire des deux extrémités des douves, d’où résulte la courbure ou bouge ; en supposant toutes les douves de six pouces de largeur, il en faudra seize pour former la circonférence, & un peu moins de cinq de même largeur pour chaque fond. Que l’on examine à présent combien les angles seroient saillans, si l’ouvrier n’avoit la précaution de les abattre en diminuant le bois. Cette opération détruit les angles en dehors ; mais ils n’existent pas moins dans l’intérieur. Supposons ce même tonneau E, monté & garni à son extrémité, seulement de deux cerceaux nommés sommiers ou têtards : examinons placer successivement les autres que le tonnelier chasse avec force, & nous verrons que ces cerceaux ne toucheront directement que sur AB, Planche XV. figure 1. Ce sera sur ces deux angles qu’ils presseront vivement : cependant leur pression agira laréralement & se communiquera jusqu’à C ; alors C, humecté par le vin, & de l’autre, pressé par AB, sera contraint de se coffiner comme on le voit en D : ou bien si le bords des douves dont on aura trop diminué le bois, opposent moins de résistance, la vive pression du cerceau & leur foiblesse, les obligera de se coffiner à leur point de réunion F. Que l’on compare actuellement les angles que présenteroient des douves de trois pouces de largeur, ils seront de moitié moins grands, & l’ouvrier ne sera plus contraint de mutiler son bois pour trouver la rondeur du vaisseau : ces exemples sont trop journaliers pour exiger d’autres démonstrations.

Les mêmes inconvéniens arriveront aux douves de fond, avec cette différence néanmoins, que ces douves se coffineront plutôt en dehors qu’en dedans, parce que leurs extrémités n’étant retenues que par la jarre ou table, & que toutes leurs parties intérieures étant pressées par le vin & sur tout par l’air qui cherche á se débander lorsqu’il travaille, il est nécessaire qu’elles chassent en dehors. On y remédie de trois manières, ou en barrant le fond du vaisseau, ou en enlevant la douve coffinée, ou en remettant un autre fond : l’acheteur plus attentif auroit évité cette dépense.

Il seroit plus prudent de faire barrer le fond avant de mettre le vin dans le tonneau, sur-tout si les douves sont trop larges, si le bois est trop mince, & s’il a été assemblé à la manière accoutumée. Mais M. de Fougeroux observe très-bien que le tonnelier a de bonnes raisons pour ne placer la barre que lorsque les bois imbibés ont fait leur effet.

1°. Il est avantageux que le bois soit humide & gonflé pour former sur l’extrémité des douves les trous qui doivent porter les chevilles de la barre. Si le bois étoit sec, il fendroit, & les douves deviendroient défectueuses. 2°. Le tonnelier formeroit ses trous trop bas ; le bois venant à se gonfler & à s’alonger, on ne pourroit plus retoucher le fond, & les trous des chevilles se trouvant alors mal placés, ils nuiroient aux changemens qu’on eût été maître de faire au fond de la pièce dont toutes les parties auroient augmenté le volume. Enfin, c’est un ouvrage que le tonnelier remet à l’hiver, saison où il est peu d’autres travaux qui se trouvent réunis dans le temps qu’on tire le vin. »

§. IV.

Des moyens d’affranchir des tonneaux neufs, & de la correction des tonneaux viciés.

On nomme affranchir, l’opération par laquelle, a l’aide de l’eau bouillante simple, ou tenant en dissolution certaines substances, on enlève en totalité ou en partie le reste de la sève que le bois de l’arbre abattu & débité en douves, contient encore dans un état d’exsiccation.

J’ai dit plus haut qu’il étoit important de tenir long-temps dans l’eau les douves ; c’est le moment de sentir l’importance de cette assertion ; l’eau dissout presque la totalité du mucilage contenu dans la douve, & une grande partie de sa matière colorante & de son principe d’astriction ; la rapidité de l’eau entraîne ces principes à mesure que leur dissolution s’exécute. Si on veut se convaincre de cette vérité de fait, que l’on prenne un tonneau neuf en bois de chêne ou de châtaigner, & dont les douves n’aient pas été immergées ; qu’on les remplisse d’eau pendant autant de jours qu’elle en sortira fortement colorée, & que l’on compte le nombre de ces jours ; que l’on répète la même opération sur un tonneau fait de douves flottées, & l’on se convaincra que les eaux de ce dernier seront peu colorées, proportion gardée, & que dans peu de jours elles en sortiront claires & sans odeur. Il est donc évident que dans les premiers, le vin qu’on y mettra s’appropriera la saveur astrictive & l’odeur désagréable que l’eau courante a séparées du bois. Le vin est de tous les fluides, après ses produits spiritueux, la substance qui s’identifie le plus avec les dissolutions ; mais comme le vin renferme un esprit, & comme cet esprit, quoique mêlé au vin, dissout ensuite les résines, il en résulte que le vin absorbe du bois, non-seulement son astriction, mais encore la saveur gommeuse du mucilage astringent de la sève, & la saveur résineuse de sa partie colorante. D’ailleurs, les douves tenues pendant long-temps dans l’eau, sont ensuite, après leur entière exsiccation, moins susceptibles de s’approprier l’humidité de l’air, parce que les principes qui l’attiroient, sont détruits ; de telles douves travaillent beaucoup moins par la suite.

Quoi qu’il en soit, si les douves de bois de chêne ou de châtaignier, dont le tonneau est construit, n’ont pas flotté, je conseille de le remplir, pendant plusieurs jours de suite avec de l’eau claire, de la vuider & de la renouveller jusqu’à ce qu’elle en sorte claire & sans odeur : si on est assuré que les douves aient suffisamment flotté, on se contentera, 1°. de les laver avec de l’eau claire & fraîche, que l’on vuidera aussitôt ; 2°. d’avoir sur le feu des chaudron pleins d’eau bouillante, dans laquelle, sur deux pintes, on aura fait dissoudre une livre de sel de cuisine ; on prendra environ trois pintes de cette eau bouillante & salée, que l’on vuidera dans chaque tonneau, supposé contenir deux cent trente à deux cent cinquante pintes, & on proportionnera la dose de cette eau, à la contenance supérieure des vaisseaux : on bouche ensuite exactement le tonneau ; on l’agite en tout sens ; on le roule, afin que l’eau touche tous les points de la surface intérieure ; ensuite on le dresse sur un de ses fonds ; une heure après, on le roule de nouveau ; on l’agite & on le retourne sur l’autre fond. La même opération est répétée cinq ou six fois ; ensuite on vuide l’eau pour y substituer du moût bouillant ; comme il sera dit ci-après.

Cette eau bouillante & salée produit deux grands avantages.

1o. Comme le vaisseau est exactement bouché, elle raréfie fortement l’air qu’il contient ; cet air tend à s’échapper par la plus petite gerçure, & fait connoître les endroits où le bois est piqué, où les douves joignent mal, & découvre jusqu’à la plus petite issue ; de manière que si le tonneau est mal fabriqué, on le met de côté pour le rendre au tonnelier.

2o. L’eau salée & bouillante dissout beaucoup mieux la substance mucilagineuse, savonneuse & colorante du bois, au moins, jusqu’à une certaine profondeur ; la partie saline se niche dans ses pores, y fixe le reste de la partie astrictive & de la partie colorante ; enfin, le vin dont on remplira ce vaisseau aura moins d’action sur elles.

Je préférerois l’alun dissous dans l’eau bouillante, au sel de cuisine, si le premier n’étoit pas plus cher. Cependant, si on récolte des vins fins & précieux, ce seroit une économie mal entendue, d’employer le sel marin.

Plusieurs particuliers suppriment le sel & font bouillir avec l’eau des feuilles de pêcher ou de telles autres plantes aromatiques. Ces apprêts masquent pour un temps l’astriction & la mauvaise odeur du bois, mais ils ne les diminuent en aucune manière, parce qu’ils n’occasionnent aucune dissolution. Je pourrois rapporter ici une longue suite d’expériences sur ce point. Aucune n’a eu un caractère plus décidé que celle du sel & le plus frappant a été produit par l’alun. Continuons.

Il est dangereux de laisser refroidir cette eau salée ou alunée dans le tonneau. Cinq ou six heures après qu’elle y a été mise, on égoutte le vaisseau, & on la remplace aussitôt par une ou deux pintes de moût bouilli & bouillant, qu’on a eu grand soin d’écumer pendant qu’il étoit sur le feu. On bouche exactement, on agite, tourne & retourne le tonneau, comme il a été dit ci-dessus. Ce moût peut, sans inconvénient, refroidir dans le vaisseau, & même y rester pendant quelques jours. Au moment de ranger les tonneaux sur le chantier, on égoutte les barriques, on les rebouche, & le moût qu’on en retire, est mis à part & sert à bonifier le petit vin ou vin de marc. Les barriques sont ensuite exactement bouchées, mises en chantier & prêtes à recevoir le vin nouveau.

Quant aux tonneaux qui ont déjà contenu du vin, il suffit, avant la vendange, de les faire défoncer d’un côté, afin d’en retirer les vieilles lies desséchées, que l’intérieur soit ratissé & dépouillé des dépôts tartreux, enfin qu’ils soient reliés suivant leurs besoins. La veille de s’en servir, on y jettera de l’eau bouillante sans sel, pour que le bois se gonfle ; cette eau sera retirée quelques heures après, & remplacée par un peu de moût bonifiant. Enfin, celui-ci vuidé, on remplira avec du vin nouveau. On est assuré, en suivant ces précautions, que le vin ne contractera jamais de mauvais goût ; mais il faut convenir que ces précautions ne le garantiront pas du goût de fût.

Une seule douve infectée suffit pour gâter, en peu de jours, tout le vin d’une barrique. Les vignerons, les marchands de vin ne se trompent jamais sur ce goût, plus facile à sentir qu’à décrire. Il ne ressemble ni à celui du vin poussé ou pourri, du vin moisi ni argilleux ; & s’il est possible de le comparer à quelque chose, c’est à la saveur & l’odeur désagréable, que les fourmis impriment tout ce qu’elles touchent. Si le tonnelier flairoit chaque douve en particulier, l’habitude lui feroit remarquer la douve défectueuse, & il ne l’emploiroit pas, & ne s’exposeroit pas à avoir dans la suite des difficultés avec l’acheteur de sa marchandise ; mais comment exiger de pareils soins de cette classe d’hommes ? On a cherché vainement l’origine de ce goût de fût concentré dans une douve plutôt que dans une autre, & un remède réel ou palliatif à la détérioration qu’elle y cause.

M. Willermoz le jeune, médecin à Lyon, & qui joint aux connoissances de son art, le génie de l’observation, a donné une solution satisfaisante du problème.

Il observe que le goût de fût se communique au vin nouveau, lorsqu’il est mis dans une barrique dont plusieurs douves, ou même une seule, est fûtée ; que ce goût se manifeste fortement dans moins d’un mois, ou bien, lorsqu’après avoir soutiré du vin de dessus sa première lie, on laisse cette lie dans le tonneau, & quand le bondon reste ouvert. Souvent le vin qui est ensuite mis dans ce vaisseau, même après l’avoir rincé & enlevé la lie, y contracte le goût de ffût. L’auteur prouve, 1°. que l’altération du bois provient de sa propre sève dont la partie gélatineuse & la glutineuse se putréfie, sans que la texture des fibres ligneuses soit détériorée : 2°. que le goût proprement dit de fût, n’affecte que les bois & les écorces dont la sève contient éminemment des principes astringens ; dans les autres bois, cette altération est nommée moisissure, chansissure ; les tonneaux faits de bois de mûrier, d’érable, &c. ne communiquent jamais le goût de fût : 3°. que la putréfaction de la portion gélatineuse de la sève, auparavant desséchée dans le bois après sa coupe, est dissoute de nouveau, ou par l’eau, ou par l’humidité, & que l’un & l’autre la conduisent au genre de putridité propre à la sève des bois astringens : 4°. que le goût du fût est beaucoup plus commun dans les douves, lorsqu’elles ont été long-temps tenues dans un air moffétisé, & que cet air agit singulièrement sur la partie gélatineuse de la sève ; elle se l’approprie sur-tout quand elle est dissoute : 5°. que les vins fûtés ont plus de tendance à la pousse qui est le commencement de la pourriture des vins. Il faut lire dans cet excellent mémoire, les preuves physiques qui démontrent la vérité de ces principes. De tels détails nous écarteroient de notre objet ; nous conclurons, d’après ces simples indications, combien il est important, lorsque le bois de chêne ou de châtaignier est débité en douve, qu’elles soient aussitôt élevées en pile, rangs par rangs, en laissant un peu d’intervalle entre elles, afin qu’il régne dans la totalité un grand courant d’air qui desséchera peu-à-peu la sève & préviendra toute putréfaction de sa partie gélatineuse. Il convient encore que les douves de la partie inférieure de la pile, ne reposent pas sur le sol, mais sur un chantier, ce qui augmentera le courant d’air. Le parti le plus sûr est de placer sous des angars les piles ; elles n’y sont plus successivement travaillées, ni par la sécheresse, ni par l’humidité ; rien ne contribue plus à la détérioration des bois que cette alternative.

On peut reconnoître les douves fûtées, 1°. à leur couleur plus sombre, plus terne ; si cette couleur est inégalement répartie dans les couches concentriques du bois, si elle est marbrée, ondulée, si le centre de ces inégalités présente un nœud pourri ou carrié, ce bois fûtera le vin. 2°. Lorsqu’on doute de leur mauvaise qualité, on les transporte dans un lieu humide où elles restent pendant quelques jours, on les scie sur un de leur bouts, & on les flaire au chemin de la scie. La chaleur causée par le frottement, décelle leur mauvaise qualité. Si le tonneau est monté, si le trou du bondon est ouvert, si le tonneau est depuis quelques jours tenu dans milieu humide, méfiez-vous de toute odeur insolite, même fût-elle suave. Cependant, ne vous trompez pas à celle naturelle du bois, ou de fumée, occasionnée par les copeaux que l’on brûle pendant la fabrication, afin de donner un pliant plus facile aux douves. Il peut avoir l’odeur d’échauffé, de moisi, de chansi, & ce n’est pas celle de fût. 3°. Un moyen bien simple décidera si les douves que l’on suspecte sont ratées ; il suffit d’enlever de leur surface quelques lamelles, quelques copeaux, de les renfermer dans une bouteille, de la remplir de vin, de les y laisser infuser pendant vingt-quatre heures, & de la tenir dans un lieu modérément chaud ; si les bois sont viciés, le vin, à coup sûr, sera assez fûté pour être reconnu par tous les dégustateurs.

Il existe des moyens de corriger le fût. L’eau de chaux saturée & récente, produit cet effet sur les bois fûtés. Ce moyen étoit déja connu ; mais M. Willermoz s’est convaincu, par un grand nombre d’expériences, qu’elle n’attaque pas les vins, dans leur saveur, leur qualité, ni dans leur couleur, lors même qu’on la mélangeroit beaucoup plus abondamment que les vins mutés ne l’exigent. Lorsqu’on a soutiré le vin vicié dans un tonneau sain, une once d’eau de chaux suffit par livre de vin. Ce tonneau doit être roulé chaque jour, & pendant dix à douze jours consécutifs. On appelle eau de chaux, celle qui surnage la chaux lorsqu’elle est éteinte. Kirman observe que six quatre-vingtièmes parties d’eau n’en dissolvent qu’une de chaux, que cette eau ne se comporte pas avec les vins comme avec les eaux minérales acidulées dont elle enlève la saveur piquante vineuse. Elle ne dépouille pas les vins de l’air fixe qu’ils contiennent en plus grande quantité quand ils sont nouveaux. Les autres acides des vins libres & plus fixes ont plus d’affinité pour la chaux ; aussi les marchands de vin, pour hâter la vétusté des vins nouveaux, lorsqu’on est pressé de les boire, se servent avec succès d’eau de chaux. Elle détruit même dans les vins vieux la verdeur, l’austère & même la dûreté s’ils l’ont encore. L’eau de chaux, dans aucun état des vins, n’enlève ou müe le spiritueux, ni aucun des principes utiles ou conservateurs des vins.

On peut encore jeter par le trou du bondon des charbons embrasés dans le tonneau neuf, ou dans celui qui aura été fûté par la transition du vin. On peut répéter cette opération pendant plusieurs jours de suite ; chaque fois rouler & bondonner le tonneau. Le but de cette opération est d’absorber par le feu la mofette ou gaz putride, & par conséquent de la détruire.

Le sur-moût[1] est également avantageux à la dose de quatre à huit pintes sur un tonneau de deux cent à deux cent cinquante bouteilles selon l’état vicié du vin… Les vins blancs très-gazeux corrigent les vins fûtés dans l’espace de quinze jours. L’introduction & le mélange d’air fixe produisent le même effet. Si un premier mélange ne produit pas tout l’effet que l’on desire, on répète une seconde ou une troisième fois la même opération. On soutire quelque temps après, comme il sera dit à l’article vin… Le gaz marin déphlogistiqué est de tous les fluides aériformes, le correctif par excellence, sans être en aucun point nuisible à la santé. La démonstration de ce principe seroit trop longue & peu à la portée de nos lecteurs, mais on ne craint pas d’avancer ce fait comme complètement démontré par l’expérience.

L’eau de chaux est préférable pour les vins nouveaux fûtés… L’air fixe & ses analogues pour les vins foibles… Le gaz marin déphlogistiqué pour les vieux qui auroient contracté le goût de fût par leur séjour dans un tonneau neuf.

Souvent les tonneaux contractent un goût de moisi, de chansi, lorsqu’étant vuides, on les tient débouchés dans un lieu humide ou peu aéré. Prenez gros comme le poing de chaux vive & bien calcinée, pour une barrique de deux cent cinquante pintes environ ; cassez-la en morceaux susceptibles d’entrer par le trou du bondon ; jettez-les dans le tonneau, ensuite versez peu-à-peu de l’eau en quantité suffisante pour faire fuser cette chaux, & tenez le vaisseau bouché pendant la fusion. Une heure après, ajoutez huit à dix pintes d’eau ; bouchez, agitez la futaille dans tous les sens. Une heure après, agitez de nouveau, & ainsi de suite, trois ou quatre fois ; écoulez, ajoutez de nouvelle eau ; écoulez autant de fois qu’il sera nécessaire, jusqu’à ce qu’elle sorte limpide.

Malgré les correctifs sûrs que l’on vient d’indiquer, il est beaucoup plus prudent de ne pas se servir de futailles qui ont été viciées, surtout si dans le pays, leur prix est modéré.

Si on veut éviter beaucoup d’accidens causés par l’humidité, on doit, dès qu’un tonneau est vuide, le sortir de la cave, écouler toute sa lie fluide, & le placer bien bondonné sous un angar frais, mais non pas humide. De cette manière, les cerceaux dureront beaucoup plus long-temps, surtout s’ils ont été tirés des bois qu’on appelle blancs parce qu’ils sont plus sujets à pourrir que ceux faits avec le châtaignier.

Avant de terminer ce paragraphe, il reste une observation importante à faire. Lorsque les tonneaux sont placés sur les chantiers dans les caves, on les assure en glissant entr’eux & le chantier, avec des cales de bois taillées en biseau, c’est-à-dire deux de chaque côté. Non-seulement elles les maintiennent fixes, mais encore celles de derrière servent à incliner tant soit peu la barrique sur le devant. Je conviens qu’elles sont très-commodes & très-faciles à bien placer, cependant, je ne conseille pas de les employer. J’ai vu depuis que j’existe, au moins dix fois, l’exemple d’un phénomène très-singulier, & je ne sais de quel nom le spécifier, peut-être que celui de carie sèche lui conviendroit mieux qu’un autre ; une seule fois, j’ai vu les quatre cales la produire dans leur point de contact avec le tonneau. D’autres fois, un ou deux au plus occasionnoit le même vice. Le point de contact du cerceau se carioit, tomboit en poussière, le bois du tonneau correspondant au cerceau se carioit également, & sa poussière devenoit humide à mesure que le mal pénétroit la douve & approchoit du vin ; le vin suintoit quand la douve étoit cariée assez profondément, & s’écouloit ensuite. Ce phénomène ne s’est jamais présenté à mes yeux lorsque les tonneaux, barriques, &c. ont été assujettis avec des pierres. Ne peut-on pas dire que la cause de cette carie purement locale, & dont la largeur n’étoit que de quelques lignes, est produite par une humidité qui occasionne une fermentation locale, d’où résulte une chaleur susceptible d’altérer le bois. Ce qu’il y a de certain, c’est que la carie travaille beaucoup moins dans le tissu du bois de la cale, que dans celui du cerceau & de la douve. On remédie à cet inconvénient qui tient, sans doute, à un grand nombre de combinaisons, en se servant de pierre au lieu de cales en bois.

Des Foudres.

On connoît trois espèces de foudres, les uns sont de vrais tonneaux cerclés en fer, contenant dix à vingt & même à trente barriques de deux cent cinquante pintes chacune : les autres ont la forme d’une cuve, ou ronde ou quarrée, recouverte & plate en dessus, ou terminée en cône. Ces derniers sont rares ; c’est avec des madriers de chêne, de quatre à cinq pouces d’épaisseur, qu’ils sont fabriqués. Enfin, les troisièmes sont de vraies cuves ou citernes en béton. (Consultez ces articles, ainsi que le mot foudre.)

Les foudres en bois, & du premier genre, ne diffèrent donc des tonneaux ordinaires que par leur volume & leur contenance : ce qui a été dit sur le choix des douves, soit pour les tonneaux, soit pour les cuves, s’applique également aux foudres. Les foudres-cuves sont à rejeter, à moins que leur sommet soit terminé en pyramide ou en dôme. Supposons une cuve ronde ou quarrée, de huit pieds de surface sur tous ses côtés, du moment qu’il y manquera du vin sur l’épaisseur d’une ligne, il y aura donc un espace de soixante-quatre pieds, qui sera vuide, & qui permettra à l’air combiné dans le vin, de se débander, de s’échapper de la liqueur, & de venir occuper le vuide. Or, comme cet air combiné est le conservateur du vin, ainsi que le spiritueux, dès qu’ils s’en échapperont, le vin perdra de sa qualité, & détériorera soixante-quatre fois plus que s’il n’y avoit qu’un pied de surface vuide. De tels foudres nuisent beaucoup à la conservation du vin. D’ailleurs, plus il y a de surface vuide, plus l’évaporation de l’air & du spiritueux s’exécute avec facilité.

On construit de trois manières les foudres en maçonnerie, 1°. en pierres de taille, 2°. en briques, & 3°. en béton.

En pierres de taille : Il faut choisir des pierres naturellement très-dures, à grain serré, fin & compact. L’épaisseur de ces pierres est proportionnée à la contenance du vaisseau. Elles sont placées de champ les unes sur les autres, & liées par un fort ciment, dans tous leurs points de réunion. On peut même, & il est prudent de les assujettir en dehors, & les unes aux autres, par des crampons en fer, plombés dans la pierre. Le plancher ou partie inférieure de ces foudres doit être incliné sur le devant, afin que la liqueur qu’ils contiennent s’écoule entièrement par le trou de la cannelle qu’on a ouvert dans la partie la plus basse. La partie supérieure sera terminée en pyramide tronquée par le bout. Elle présentera une ouverture d’un pied & demi de largeur en quarré, & fermée par une porte en chêne, de quatre à six pouces d’épaisseur, retenue dans un châssis, également en chêne. Dans le milieu de cette porte ou trappe, sera l’ouverture d’un bondon de deux pouces de diamètre, par laquelle on vuidera le vin dans le foudre. La trappe servira pour y descendre, lorsqu’il sera question de le nettoyer, après en avoir coulé tout le vin. De tels foudres doivent être isolés, & le propriétaire est obligé d’en faire souvent le tour, afin d’examiner si le fluide ne s’est fait aucun jour à travers le ciment. Si le vin coule, on doit se hâter de lui fermer toute issue.

En briques : Il est facile de construire de tels foudres ; leur forme dépend de la main de l’ouvrier, & comme ceux en pierres, on doit prendre les mêmes précautions & les terminer en dôme ou en pyramide à pans. Il est important de choisir d’excellente chaux, d’en prendre deux parties sur une de sable fin & une de pouzzolane, pour en faire le mortier ; enfin d’employer ce mortier quand il est encore chaud. Intérieurement & extérieurement on passera plusieurs couches de cet enduit ; quant à l’enduit intérieur, il demande à être étendu sur toute la surface & tout dans le même jour. L’ouvrier, en montant les murs, en plaçant les briques dans le bain de mortier, aura soin de laisser des vuides sur toute la face intérieure, afin que l’enduit général les pénètre, y fasse prise & y trouve des points d’appui. Pendant tout le temps que ce mortier est frais, l’ouvrier passe & repasse fortement sa truelle, afin d’empêcher la formation des gerçures, & les réunir s’il s’en est formées ; mais chaque fois, & à mesure qu’il recommence, il humecte un peu les parois avec de l’eau qu’il étend au moyen d’un gros pinceau à poils, les balais jetant trop d’eau à la fois & trop à la même place. Si l’ouvrier apperçoit le plus léger vestige de charbon mêlé avec la chaux, il faut rigoureusement l’enlever, parce qu’il feroit éclater l’enduit lors de sa dessiccation. Sur cette première couche, quand elle est presque sèche, on en passe une seconde très-mince, & que l’on serre avec la truelle autant de fois que le besoin l’exige, & jusqu’à siccité.

Si sur ce mortier ou enduit, & avant de l’employer, en quantité supposée devoir remplir cinquante bennes ou auges, on jette une pinte ou deux d’une huile quelconque ; si on broie le tout ensemble, l’enduit deviendra plus fort, plus tenace, plus consistant. J’en ai l’expérience ; il ne faut pas oublier que l’enduit doit être employé encore chaud ; ainsi l’ouvrier ne fusera la chaux qu’autant qu’il pourra en employer dans la matinée ; un autre ouvrier la fusera pour l’après-midi & reprendra sa place, parce qu’il ne faut aucun intervalle depuis que l’on commence à enduire, jusqu’à ce que toute l’opération soit finie.

Je ne conseille aucunement l’usage de ces foudres en briques, si on n’a pas d’excellente chaux, & si on n’est pas assuré de la bonne qualité & préparation de l’enduit, parce que si l’enduit se détache dans l’intérieur, la brique reste à nu, l’acide du vin la corrode petit à petit, la dissout, enfin le vin s’échappe au dehors.

En béton. Consultez cet article dans lequel est décrit le procédé pour le faire ; consultez également les articles cuves, citernes, foudres ; il est donc inutile de répéter ici les manipulations qu’il exige ; mais il est essentiel de présenter la forme des moules dans lesquels on doit le couler.

Avant de préparer le béton, le moule du foudre sera dressé & mis en place ; il doit porter sur un massif de maçonnerie, au moins de trois pieds de hauteur & même plus ; si l’usage du pays est de se servir de tonneaux, par exemple, de la contenance de six cents bouteilles, cet exhaussement facilitera le soutirage des vins, parce qu’on n’aura qu’à approcher le tonneau dessous la cannelle du foudre, placer l’entonnoir & ouvrir le robinet. Ce massif doit être construit plusieurs mois à l’avance, & le mortier avoir fait sa prise avant de commencer à bâtir en béton. Si la hauteur de la voûte de la cave ne permet pas de donner à ce massif & au foudre toute la hauteur que l’on désire, on peut creuser & ouvrir le quarré à la profondeur nécessaire ; cette excavation économisera la charpente du moule pour la partie extérieure & enterrée.

Les grands propriétaires de vignoble peuvent acoler plusieurs de ces foudres les uns aux autres, parce que le même mur servira de séparation à deux foudres, comme on le voit ici en A ; on peut encore par économie appuyer les foudres contre les murs de la cave ; on évitera sur un côté, & même sur deux s’il est placé dans l’angle, la charpente de la face extérieure du moule.

Le moule consiste en un encaissement, Pl. XV, p. 425, fig. 2, lettre A, formé par des planches B, fortement fixées sur des montans de bois C… La largeur de cet encaissement sera plus ou moins grande suivant l’étendue qu’on désire donner au foudre ; mais le béton doit avoir au moins dix pouces d’épaisseur sur toutes les faces… La partie intérieure, entre chaque côté de l’encaissement, sera garnie de traverses D, qui soutiendront des planches d’épaulement E, afin d’opposer à la masse du béton une force capable de retenir les planches, & par-là lui conserver la forme qui lui convient. Les parois de l’encaissement extérieurs seront également soutenus par de semblables épaulemens F, & des pieds droits G supporteront celui de la voûte.

La partie supérieure de cet encaissement présentera une ouverture H d’un pied & demi en quarré, dans laquelle on aura ménagé, par le moyen du bois de l’encaissement, une partie saillante I, pour porter la porte K, fig. 3, & son châssis L ; cette porte ou trappe aura un trou dans son milieu M, fermé avec un bouchon qu’on enlèvera quand il faudra remplir ou soutirer le vin. La partie supérieure du foudre sera terminée en dôme N, fig. 2, ou en pyramide O.

On ne doit pas oublier de donner une inclinaison proportionnée au plancher du foudre, afin de faciliter par la cannelle l’entier écoulement du vin & de la lie. Pour placer la cannelle, on fixera un morceau de bois rond & bien uni, dans la partie la plus inférieure du plancher & de l’encaissement, qui le traversera de part en part ; on se servira pour l’enlever, lorsque le béton sera parfaitement sec, d’une tarrière ; alors on lui en substituera une autre, qui dans le besoin, sera remplacée par une cannelle en bois, & non pas en métal quelconque, parce que l’acide du vin la corroderoit à sa longue.

Aussitôt que le béton est entièrement coulé dans ce moule, en observant scrupuleusement ce qui est marqué dans cet article, on examine si dans l’intérieur du moule qui reste vuide, l’eau surabondante du béton a filtré ; cette surabondance d’eau est nécessaire, parce que petit-à-petit le béton se l’appropriera, & on aura soin, pendant six mois, d’en ajouter à la hauteur de quelques pouces, afin que la dessiccation ne soit pas très-prompte ; sans cette précaution qui est indispensable, & qui demande l’œil du maître, le béton gerceroit.

L’année étant écoulée, un ouvrier descendra dans le foudre pour examiner si la prise du béton est parfaite. Si l’opération a été bien faite, la prise doit être à son point ; sinon il faut encore attendre, & ne pas oublier d’ajouter de l’eau, afin de nourrir le béton. Quand elle sera au point, on déclavette chaque pièce de l’intérieur, & on les enlève. Je ne conseille de déclaveter les planches & les étais extérieurs, que plusieurs mois après que le foudre aura été rempli d’eau ou de vin.

Je ne conseille pas de remplir de vin ces foudres, avant quinze ou dix-huit mois, parce que l’acide du vin attaqueroit l’alcali de la chaux du béton, qui n’est pas assez cristallisé, ce qui adouciroit trop le vin, altéreroit sa qualité, sans cependant le rendre nuisible à la santé, à moins que la dissolution ne fût trop forte. Il vaut beaucoup mieux jeter dans le foudre pour l’affranchir, le marc de la vendange avec l’eau suffisante pour en faire le petit vin, ainsi qu’il sera dit à cet article.

À moins que la voûte de la cave ne soit très-exhaussée au-dessus du sol, il est difficile de remplir les foudres ; je conseille donc de percer la voûte dans la partie du cellier qui correspond à la trappe du foudre, & d’y ménager un espace de la grandeur de la trappe ; cette ouverture facilitera le service journalier & les moyens de remplir le foudre avec le marc de vendange, & de l’en retirer.

Ce que je dis des foudres en béton, s’exécute plus facilement encore avec des madriers de chêne réunis les uns aux autres par de fortes rainures, & maintenus & serrés par de forts cerceaux en chêne. La dépense nécessaire pour la construction de tels foudres, est considérable ; mais un père de famille, pour peu qu’il soit aisé dans la fortune, a la satisfaction de se dire : j’ai travaillé pour plus de quarante générations consécutives, & pendant plusieurs siécles ma construction n’exigera aucune dépense d’entretien ni de réparation.

Si on craint que la porte de la trappe ne joigne pas suffisamment avec son cadre, & que les petits vuides persistent l’évaporation du spiritueux & de l’air fixe du vin, (consultez ce mot) il convient de mastiquer. Voici la recette d’un mastic très-simple, économique, & dont on trouve par-tout les matériaux : prenez une pierre de chaux que vous laisserez éteindre à l’air, prenez du sang de bœuf avant qu’il ait caillé, c’est-à-dire, encore chaud ; mêlez ces deux substances en les fouettant long-temps ensemble, jusqu’à ce qu’elles aient la consistance d’une cole épaisse ; enfin, enduisez toutes les jointures.


  1. On appelle Sur-moût l’écume qui dégorge des tonneaux durant la fermentation ; on le conserve sous l’eau, dans des barils cerclés en fer, après l’avoir séparé des pellicules, des pépins & autres débris des raisins, qui en altéreroient les bonnes qualités.