Cours d’agriculture (Rozier)/SOLANUM

Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 253-255).


SOLANUM, nom générique d’une famille nombreuse de plantes, dont la plupart sont vénéneuses ; mais on lui doit la pomme de terre qui est, après les plantes céréales, le plus beau présent de la nature : parmi ces solanum, il convient de parler de la Douce amére, aujourd’hui fort employée en médecine.

Solanum scandens, seu Dulcamara. Douce-amère.

M. Tournefort la place avec les autres solanum dont il compte trente quatre espèces du premier genre, de la septième section de la seconde classe, qui comprend les herbes, à fleur monopétale, en forme de roue, dont le pistil devient un fruit mou & assez gros. M. le chevalier Von-Linné la classe dans la pentandrie monogynie, page 164. Spec. plan. n°. 5.

On appelle cette plante Douce-amère, parce que si on en mâche les feuilles récemment cueillies, elles produisent dans la bouche une amertume qui est immédiatement suivie d’une sensation douce, telle que celle du miel.

Fleurs En petites grappes, comme celles dusolanum commun, & leur ressemblant pour la forme. Elles naissent à la partie supérieure des branches, à l’opposite des feuilles. Elles sont d’un bleu foncé tirant sur le violet. Il s’élève au milieu un cône d’un jaune clair, formé par la réunion des étamines qui surmontent les cinq filamens ; la base de ce cône est environnée d’une aréole d’un verd brillant. Cette fleur est charmante, vue de près. La corolle de ces fleurs est profonde, dentelée & partagée en cinq parties étroites, qui paroissent former cinq pétales différens. Le pédicule qui leur est commun, est tendre & long. Chaque fleur en a aussi un qui lui est particulier, & dont la longueur est assez considérable ; du fond du calice s’élève un pistil attaché comme un clou au milieu de la fleur.

Fruit. Le pistil se change en un fruit mou ou baie succulente, d’une forme oblongue, verte d’abord ; & ensuite, lorsqu’elle est en maturité, d’un rouge très-vif ; elle est pleine de petits grains, en très-grand nombre, blanchâtres, applatis & d’un goût désagréable. Le calice reste avec les baies, & conserve sa grandeur naturelle.

Feuilles. Oblongues, unies, pointues, plus petites que celles du smilax, & d’un verd très-foncé ; elles naissent en zigzag alternativement le long de la tige. Elles varient suivant les différentes parties de la plante. Celles d’en-bas ont à leur baie deux appendices semblables à de petites feuilles que M. Geoffroy appelle des oreilles ; celles d’en-haut sont simples, n’ont point d’appendices. Les pédicules des uns & des autres sont longs, tendres, & d’un verd pâle qui n’est point désagréable.

Racines, fibreuses, petites pour l’ordinaire, quelquefois d’assez gros troncs, brunâtres.

Port. La racine pousse des sarmens ligneux, minces, fragiles, longs de trois, quatre, cinq & même six pieds, qui, en serpentant, s’accrochent aux haies, aux tiges des plantes, aux arbres, & aux arbrisseaux qui sont à leur portée. Une tige si mince a toujours besoin d’un appui pour s’élever : aussi, rampe-t-elle sur terre, excepté qu’elle ne trouve des arbres ou des treillis, à l’aide desquels elle peut monter assez haut, quoiqu’elle n’ait point de vrilles, parce qu’elle s’attache fortement à tout ce qui est à sa bienséance. On la trouve quelquefois sur la tête des vieux saules, qu’elle orne de ses branches fleuries, qui pendent en festons.

L’écorce de ses jeunes rameaux est lisse & verte ; ceux qui sont plus vieux deviennent raboteux ; ils sont à l’extérieur, d’une couleur cendrée, ou d’un brun pâle ; intérieurement, ils sont toujours d’un beau verd. Il y a au milieu de ce bois fragile, une moelle fongueuse.

Lieu. Le long des haies, des buissons, dans les bois humides, autour des murailles, des vieux arbres, dans les endroits bas & marécageux. Elle fleurit en juillet & août. La plante est vivace ; on la trouve en tout temps ; mais en hiver, il est difficile de la distinguer des ronces & des buissons, parce qu’elle perd toutes ses feuilles dès les premières gelées. Elle habite de préférence les pays méridionaux, où elle croît spontanément. Il est certain que celle qu’on recueille dans nos contrées, & surtout celle qui naît dans les endroits secs, a beaucoup plus de vertu & d’énergie que celle qu’on trouve dans les pays septentrionaux & dans les endroits marécageux.

Propriétés. La douce-amère doit être regardée comme une plante héroïque, pour me servir des expressions du savant Linné, propre à purifier & à dépurer le sang. Appliquée extérieurement, c’est un bon topique anodin, résolutif, & vulnéraire : prise intérieurement, cette plante est atténuante, résolutive, diazoïque, diurétique & dépurative. On peut la ranger encore parmi les plantes cosmétiques.

Usages. On le sert extérieurement de toutes les parties de cette plante. Il n’y a pas même jusqu’aux bayes dont on ne fasse usage. On en tire le suc, ainsi que le disent Mathiole, Jean de Ruel, & l’auteur du dictionnaire botanique &c pharmaceutique, pour effacer &c détruire les taches de la peau, sur-tout celle du visage. Mathiole ajoute que les femmes de Toscane l’employent pour conserver la beauté & la fraîcheur de leur teint, & pour en détruire les taches de rousseur. Les anciens n’ont guères employé cette plante intérieurement ; du moins, avant Linné, en faisoit-on très-peu d’usage. M. Razoux, médecin de Nismes est le premier qui s’en soit servi pour l’usage intérieur, & qui ait opéré, par son secours, des cures heureuses & brillantes. M. Carrere, professeur émérite de l’université de Perpignan, actuellement résidant à Paris, prétend avoir perfectionné la méthode de l’administrer ; & nous pouvons dire, d’après les observations de ces deux auteurs, que la douce-amère doit être regardée comme une plante douée d’excellentes vertus, propre à purifier & à dépurer le sang. Sans être un remède anti-vénérien, elle est un puissant auxiliaire des préparations mercurielles, qui sont le vrai spécifique des maladies syphilitiques. Les vertus de la douce-amère ne sont point équivoques. On l’emploie utilement dans les douleurs rhumatismales récentes, & sur-tout dans celles qui sont produites par une forte distension des fibres. Cette plante n’a pas moins d’efficacité pour la guérison des dartres, & de toutes les maladies cutanées. On s’en sert avec succès dans les maladies qui dépendent d’une humeur laiteuse épanchée, appelées communément lait répandu ; dans la jaunisse, les obstructions, l’asthme, & les chûtes… On s’en sert extérieurement dans les plaies, les ulcères, les cancers, les contusions, &c. Elle est anodyne, détersive, résolutive & vulnéraire. On applique pour lors les feuilles fraîches pilées, en forme de cataplasme. On ne se sert intérieurement que des tiges ; on écarte les racines, les feuilles, les fleurs & les fruits : on les coupe à petits morceaux qu’on écrase sous le marteau, ou qu’on fend en deux ou en quatre, lorsqu’elles sont trop grosses. On doit seulement observer que celles qui sont moelleuses sont préférables en tout point aux autres. On les fait bouillir à petit feu, & lentement, parce qu’autrement, pour peu que l’ébullition soit forte, le liquide, dans lequel on fait bouillir la plante, verse, & la partie la plus volatile se dissipe avec l’écume. On observe que, pour peu qu’on agite la décoction de cette plante, ou qu’on la verse d’un peu haut, elle mousse comme la bierre ou le vin de Champagne. On commence par une ou deux drachmes de ces tiges, qu’on fait bouillir dans deux verres d’eau, jusqu’à la réduction de la moitié ; ou augmente successivement la dose de la plante de deux en deux, ou de trois en trois jours, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à une once. Pour lors on augmente le liquide, & on met quatre verres d’eau au lieu de deux : on fait toujours réduire la liqueur à moitié. On prend communément deux tasses de cette décoction le matin à jeun, dans l’intervalle de demi-heure ou d’une heure. S’il convient d’en prendre davantage, on réitère la même dose l’après-midi, quatre heures après le dîner. Lorsque les malades sont au bouillon, on se sert de cette décoction en guise de tisane, qu’on donne pour boisson ordinaire. On peut couper la décoction de douce-amère avec partie égale de lait de chèvre ou de vache, bien écrémé, on y ajoute un peu de sucre, ou de racine de réglisse, ou quelques zestes de citron pour ôter le goût nauséabond que certaines personnes trouvent à cette plante. Il est certain que si, dans quelques occasions, il est avantageux de couper cette décoction avec du lait, il l’est beaucoup plus encore dans d’autres, de donner la décoction pure. Cette plante est plus active, lorsqu’elle est sans mélange.

La douce-amère se multiplie aisément par drageons enracinés qui se trouvent au bas des gros pieds. On en fait encore des marcottes & des boutures. On les sèvre au printems, pour les planter dans un terroir humide, elles s’y enracinent fort vîte, après quoi on les transporte aux endroits où on les destine. On en peut décorer les jardins & en former des cabinets de verdure. M. Buc’hoz dit avoir vu des boutures de douce amère dans des caraffes d’eau que l’on tenoit dans une chambre : elles y poussent des feuilles & des branches qui conservent long-temps leur verdure.