Cours d’agriculture (Rozier)/SAULE (Supplément)
SAULE, (Addition à l’article Saule, de Rozier.) Dans la disette de bois qui afflige la France, il ne faut négliger aucuns moyens d’augmenter cette denrée de première nécessité.
Rozier n’a considéré le saule que sous le rapport des échalas économiques qu’il procure aux pays de vignobles, et sous ce point de vue, sa culture sembleroit bornée à ces localités. La rapidité de sa végétation, et particulièrement de celle du saule blanc, nous a fait concevoir la probabilité de le faire contribuer à la restauration des forêts, en offrant en peu de temps aux propriétaires peu aisés, aux fermiers et aux petits cultivateurs, un chauffage abondant et économique, qu’ils ne seroient plus obligés de prendre dans les pleins bois.
En effet, lorsqu’on étête le saule, ce qui est absolument nécessaire pour le rendre susceptible du plus grand produit, ses branches acquièrent souvent, en quatre et cinq ans, une longueur de vingt-cinq pieds. Nous avons calculé ses produits, à cet âge, et nous avons trouve que deux cents têtes de saule bien conduites, peuvent fournir annuellement le chauffage d’un petit ménage, et quatre cents, celui d’une moyenne ferme.
Si ces saules étoient rassemblés, les deux cents têtes couvriroient un demi-arpent de terrain, en les y espaçant convenablement ; et malgré cette plantation, il rapporteroit encore de l’herbe ; s’ils sont dispersés, à peine font-ils quelque tort aux productions qui les avoisinent.
Nous avons ensuite calculé le produit d’un arpent de saussaie bien plantée et bien conduite, et nous l’avons comparé avec celui d’un arpent de taillis, placé dans un bon fonds. Nous avons trouvé qu’à l’âge de quatorze ans, le produit du premier étoit à celui du second, dans le rapport de 8 à 1. Ainsi les saussaies pourroient être, pour les petits propriétaires, ce que les bois sont pour les propriétaires plus riches, une source d’aisance et de revenu.
On peut planter avec succès les saules sur les bords des rivières, des ruisseaux, des étangs et des marais, sur les terres exposées aux inondations, les prés et les pâtures humides.
La France possède un grand nombre de localités où la culture du saule auroit le plus grand succès, dans plusieurs desquelles cet arbre est à peine connu ; dans d’autres, on en rencontre bien une certaine quantité, mais il est extrêmement rare d’y voir de grandes saussaies.
Il n’en est cependant pas de ces plantations comme de celles des pleins bois, ou d’arbres isolés, dont on ne peut pas espérer de jouir de son vivant.
Dans les plantations de saules, on travaille pour soi : leur première coupe se fait à quatre ans ; la seconde à neuf ans : celle-ci commence à donner un certain produit ; la troisième, à quatorze ans : le produit de cette coupe est quelquefois trois fois plus considérable que celui de la seconde ; la quatrième à dix-neuf ans : à cet âge les saussaies sont à leur maximum de produit ; et ainsi de suite, de cinq ans en cinq ans ; à trente ans, elles s’éclaircissent, si l’on n’a pas le soin de remplacer les saules à mesure qu’ils dépérissent.
Les saussaies, d’ailleurs, n’exigent pour ainsi dire d’autre entretien que le remplacement des saules qui dépérissent. Comment se fait-il donc que le désir naturel de voir augmenter sa jouissance personnelle, en faisant un léger sacrifice momentané, n’engage pas l’égoïste le plus froid à se livrer à cette spéculation ?
Il est vrai qu’en supposant un terrain convenable, toutes les localités n’offrent pas les mêmes avantages dans l’établissement des saussaies. Par-tout où le bois de chauffage est à vil prix, il n’y a point d’avantage à en établir ; lorsque la corde de bois vaut douze à quinze francs sur place, il sera profitable d’en établir, mais seulement pour son usage ; enfin, lorsque le bois de chauffage sera encore plus cher, on en fera une spéculation d’autant plus avantageuse, que le prix du bois sera plus élevé, et que la saussaie sera plus à portée d’un vignoble étendu ou d’une ville populeuse.
Après avoir établi les avantages que l’on peut retirer de la culture du saule, nous allons indiquer les moyens de la perfectionner.
Il faut que la manière dont on plante ordinairement les saules ne soit pas bonne, puisque sur cent plantards, il en reprend à peine vingt-cinq.
Voici les procédés que nous employons dans cette culture, et au moyen desquels nous n’en perdons pas deux sur cent. Il faut prendre les plantards sur des saules bien venans, et qui n’ont point été tondus depuis quatre jusqu’à six ans au plus ; plus âgés, les plantards ne reprendroient pas.
Ils auront neuf pieds de longueur, et quatre, cinq ou six pouces au plus de tour, au petit bout.
Ils seront coupés de chaque bout en bec de flûte, et leur coupe sera nette et sans fente. Les nœuds de la tige seront rasés de près.
Si on met quelque intervalle entre la coupe des plantards et leur plantation, il faut mettre tremper dans l’eau leur bout inférieur, afin de les empêcher de se dessécher ; mais il vaut mieux ne les couper qu’à mesure qu’on les plante.
Lorsque les plantards sont ainsi préparés, on prend un pieu plus gros qu’aucun des plantards à planter, que l’on enfonce dans la terre aux endroits marqués pour chaque plantard, et à la profondeur requise par la nature du terrain.
Si ce terrain est sain, on peut y enfoncer les plantards à quinze pouces de profondeur, et à douze pouces seulement, si le terrain est humide.
On fera avec le pieu un trou un peu plus profond que ne le comporte la nature du terrain, afin de pouvoir établir dans le fond de ce trou un petit lit de terre meuble, avant d’y introduire le plantard.
Le trou étant ainsi préparé, on y introduit le plantard, en évitant, quand on l’enfonce, de retrousser l’écorce dans sa partie inférieure ; car cet accident l’empêcheroit de reprendre. Il y entrera d’ailleurs facilement, puisque le diamètre du trou est plus grand que celui du plantard.
En enfonçant le plantard, on foulera légèrement le lit de terre du trou avec le plantard même, afin que sa coupe s’applique plus immédiatement sur cette terre.
On remplira ensuite le vide du trou avec de la terre meuble, et on la foulera légèrement, afin qu’il n’y reste aucun vide ni dessous, ni sur les côtés.
Enfin, on le butera de douze à quinze pouces de hauteur, afin d’en éloigner les bestiaux, de le préserver des hâles de la première année de plantation, et de le garantir des coups de vent.
L’effet de ces butes est si certain, que sur quatre-vingts pieds d’arbres, que nous avons plantés et butés au commencement de l’année 1800, qui a été très-sèche, il n’en est mort aucun ; tandis que les autres arbres que nous avons plantés dans le même temps, ont péri, parce que nous n’avions pas pu les faire buter.
Après avoir buté les plantards, on les armera comme les autres arbres.
Il vaut mieux planter les saules en automne qu’au printemps, leur reprise est plus sûre dans la première saison. Malheureusement les autres travaux de cette saison n’en laissent pas toujours le temps. On ne doit plus planter de saules après le mois de mars, à moins que le printemps ne soit pluvieux.
La première année de leur plantation, on visitera les saules de deux mois en deux mois, pour les ébourgeonner jusqu’à un pied de leur tête, et on leur continuera ce soin les deux ou trois années suivantes.
Il faudra également retrancher par la suite toutes les pousses de la tige et du pied des saules, parce que les gourmands nuiroient au développement de leur tête.
Il faut tondre les saules au plus près, et en couper les branches à la hachette, en évitant d’en fendre la souche. L’eau s’introduiroit par les fentes, dans le cœur de la tige, et l’arbre seroit bientôt gâté.
L’hiver qui suivra la tonte des saules, il faudra éclaircir leurs pousses de l’année, afin que celles qui seront conservées profitent davantage. On choisira pour les réserves les branches les plus vigoureuses, et leur nombre sera déterminé par la force des saules. Cet éclaircissement occasionnera quelque dépense, mais on en sera ensuite bien indemnisé par les dimensions plus grandes qu’acquerront les branches conservées, et souvent même par la seule valeur des osiers que cet éclaircissement produira.
Nous avons fixé à sept à huit pieds la hauteur qu’on doit laisser aux plantards au dessus de terre. Il est cependant possible de leur procurer une tige de quinze à dix-huit pieds, par les moyens que nous avons indiqués pour former la tige des arbres plantés isolément ; mais pour cultiver ainsi des saules, il faut les planter sur un excellent terrain.
Dans cette culture, ils produiront une tonte plus considérable que dans celle que nous donnons ici, et les saules vivront plus long-temps ; mais leur jouissance se fait attendre davantage ; on ne peut tondre ces saules que tous les six ans ; et les perches qu’on en retire ne sont pas aussi grosses que celles des saules arrêtés à sept à huit pieds, et que l’on tond tous les cinq ans.
Dans l’un et l’autre cas, il faut les espacer à dix pieds, lorsqu’on les plante isolément, et à dix pieds sur un sens, et à treize pieds sur l’autre, dans les pleines saussaies. Si on les plantoit plus près les uns des autres, leurs têtes se garniroient de moins de branches, et les saules ne vivroient pas aussi long-temps. (De Perthuis.)