Cours d’agriculture (Rozier)/SANGLIER


SANGLIER, (Sus aper Lin.) Cet animal et le cochon ne forment qu’une seule et même espèce ; le cochon est le sanglier que l’industrie de l’homme est parvenue à rendre domestique, et le sanglier est le cochon tel qu’il est sorti des mains de la nature. Il seroit donc superflu de s’étendre au sujet d’une espèce sur laquelle cet Ouvrage a déjà donné d’amples développemens, et je dois me borner à considérer le sanglier sous le rapport de la chasse, et à présenter les notions propres à diriger dans la guerre que l’on fait à un animal d’un naturel grossier et farouche, qui est souvent à craindre pour les hommes et les chiens, et qui fait de grands ravages dans les campagnes voisines des forêts épaisses où il se retire.

Pendant les six premiers mois de sa vie, le sanglier porte le nom de marcassin ; la couleur de ses soies est alors un mélange de blanc, de brun et de fauve, sur lequel des raies grises et d’un fauve rougeâtre s’étendent en long depuis la tête jusqu’à la queue ; c’est ce que l’on appelle la livrée. Après six mois, la livrée s’efface, le poil devient roux et l’animal se nomme roux ou bête rousse. Quand il passe de sa première à sa seconde année, il devient bête de compagnie, parce qu’il vit en bandes. Entre deux et trois ans, c’est un ragot ; en état de se défendre, il marche seul ; à trois ans faits, les veneurs l’appellent sanglier à son tiers an, ou simplement sanglier, dénomination qu’il conserve jusqu’à quatre ans, époque à laquelle il devient quartan, ou quartannier. Un an après, il est grand sanglier. Enfin, lorsqu’il a atteint sa sixième année, on le désigne par le nom de grand vieux sanglier, ou de solitaire. Depuis cet âge jusqu’à la fin de sa vie, dont la durée est d’ordinaire de vingt-cinq à trente ans, le sanglier aime à être seul. À mesure qu’il vieillit, ses soies grisonnent ; sa hure, et sur-tout sa ganache blanchissent ; il devient miré, ce qui veut dire que ses défenses étant recourbées, elles ne font plus d’aussi grandes blessures ; mais son cuir acquiert tant d’épaisseur, que la balle peut à peine le percer.

Les défenses proprement dites sortent de la mâchoire inférieure ; les deux grosses dents, que le sanglier porte à la mâchoire supérieure, se nomment les grais, parce qu’elles usent par le frottement, et semblent aiguiser les défenses.

Pour distinguer si les traces que l’on rencontre dans une forêt sont d’un sanglier ou d’un cochon domestique, il faut remarquer que le sanglier pose la trace de derrière dans celle de devant ; qu’il appuie plus de la pince que du talon, et qu’il donne des gardes en marchant. (Les gardes du sanglier sont ce qu’on appelle os dans les bêtes fauves, c’est à dire les ergots.) L’allure du cochon présente des circonstances opposées ; d’ailleurs, sa sole est remplie de chair en dessous, et il écarte les pinces en marchant, au lieu que le sanglier les pose serrées quand il va d’assurance. En outre, le sanglier fouille la terre plus profondément que le cochon, et toujours devant lui et en face ; le cochon, au contraire, laboure de côté et d’autre. Les dégâts que ces deux animaux font dans une pièce de grains, servent encore à les reconnoître : le sanglier abat tout le grain autour de lui ; le cochon ne couche que celui sur lequel il passe.

Il ne suffit pas au chasseur de distinguer si les traces appartiennent au sanglier ou au cochon, il doit aussi juger de l’âge et du sexe de l’animal qui a laissé ces mêmes traces. Le sanglier mâle a plus de poids devant que derrière, il met toujours sa trace de derrière en dehors de celle de devant, à cause de ses suites ou testicules, qui le forcent à tenir les cuisses un peu plus écartées. La laie a la trace plus longue, les pinces plus aiguës, le talon moins large, les côtés tranchans, les gardes aussi tranchantes et près l’une de l’autre ; elle est plus haut jointée, et sa jambe est moins large que celle du sanglier. Une bête mâle de compagnie a les pinces grosses, donne de ses gardes en terre et commence à les tourner à son tiers an ; elle devient alors plus bas jointée, ses gardes s’élargissent, s’abaissent, s’écartent davantage ; son talon prend aussi plus de largeur et ses pinces deviennent plus grosses et plus arrondies. Les quartaniers et autres vieux sangliers ont les traces grandes et larges, les pinces de celles de devant grosses et rondes, les tranches des côtés de la pince usées, le talon large, les gardes abaissées, grosses et ouvertes ; et l’intervalle qui est entre les gardes et le talon s’imprime sur la terre. Il y a des sangliers qui ont une pince plus longue que l’autre, on les nomme pigaches. La laie a la hure moins grosse, plus allongée et plus blanche que le sanglier ; elle porte toujours la queue basse en marchant, au lieu que le mâle porte la sienne en tire bouchon.

On peut juger aussi de la taille des sangliers par les Boutis, de même que par la grandeur de la Bauge. (Voyez ces deux mots.) La grosseur des laissées ou fientes sert aussi à donner des indications utiles.

Les forts les plus épais et les plus fourrés sont la sombre et ordinaire demeure des sangliers ; cependant ils s’approchent davantage, en été, de la lisière des bois, pour être plus à portée des champs couverts de moissons, des plantations de pommes de terre et de maïs, des prés et des vignes, où ils font leurs mangeures : les chaleurs de l’été, les forcent aussi à donner aux mares et aux souillards. À l’arrière-saison, ils vont près des futaies, où ils trouvent abondance de glands et de faînes ; mais l’hiver, ils restent enfoncés dans les bois, et ils y vivent de glands, de châtaignes, et d’autres fruits sauvages, de racines de cresson, qu’ils cherchent le long des ruisseaux, de vers et d’animaux morts. L’on a observé que quand les sangliers mangent beaucoup de faînes, ils deviennent méchans. On dit qu’ils vermillent, lorsqu’ils remuent les feuilles pour trouver les fruits sauvages qu’elles couvrent.

C’est ordinairement au mois de décembre que les sangliers entrent en rut, et il dure pendant tout le mois. Les mâles courent sans cesse à la suite des femelles, et se livrent de terribles combats. La laie porte quatre mois et quelques jours, et elle met bas, dans les plus grands forts, de trois, à huit ou neuf marcassins, qu’elle allaite durant trois ou quatre mois.

Chasse du sanglier. La chasse la plus ordinaire, est celle qui se fait avec des chiens courans, et que l’on trouvera à l’article Vénerie.

Lorsqu’en faisant le tour d’une portion de bois, un chasseur s’est assuré qu’un sanglier y est entré, et n’en est pas sorti, il peut espérer de le tuer. Pour y parvenir, il doit provisoirement se munir d’une de ces clochettes que les bergers attachent au col des bestiaux paissans dans les bois ; il la met à sa jambe, puis il s’avance doucement et baissé. Les traces le guident sûrement, surtout si c’est en temps de neige, et le son de la clochette, auquel les bêtes sauvages sont accoutumées, empêche que le bruit de sa marche à travers le bois, ne soit entendu par celle qu’il cherche à atteindre. Il arrive ainsi jusqu’à la bauge du sanglier, et le tire à son aise.

Si, pendant l’hiver, saison de jeûne pour les sangliers, on répand des pois dans les endroits que ces animaux fréquentent, et si l’on s’aperçoit que cet appât les a attirés, on les y surprendra quelques jours après, en se tenant caché à quelque distance.

L’affût est encore un moyen de tuer les sangliers, soit en été, près des mares et flaques d’eau, où ils vont se rafraîchir, soit en toute saison, près des lieux où l’on a reconnu qu’ils faisoient leurs mangeures ; mais cette espèce de chasse n’a de succès qu’à force de précautions ; le sanglier étant très-défiant et très-rusé, il est très-difficile de le surprendre et de le faire tomber dans les pièges qu’on lui tend. (S.)