Cours d’agriculture (Rozier)/RAPÉ

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 521-524).


RAPÉ. Ce mot a plusieurs acceptions relatives au vin. Dans le premier sens, c’est remplir une futaille avec les grappes & les grains de raisins, & on la remplit ensuite avec du vin. Par la seconde acception, on entend, placer des copeaux de bois dans une futaille remplie de vin afin de l’éclaircir promptement. Détaillons ces deux opérations.

Rapé de grappes & de grains. On doit choisir les raisins les mieux conservés, les plus mûrs, & ceux qui sont reconnus pour être les plus doux, c’est à dire, pour contenir la plus grande quantité de parties sucrées, & par conséquent susceptibles de produire plus d’esprit ardent par la fermentation vineuse. (Consultez ce mot) Je ne conçois pas pourquoi on a l’habitude d’y ajouter les grappes, tandis que le grain seul suffit & que les grappes donnent à la liqueur un goût âpre & acerbe, si elles ne sont pas mûres ; (consultez ce qui a été dit à ce sujet au mot déja cité,) à moins qu’on ne suppose mal à propos, comme quelques auteurs, que l’âpreté & l’acerbe sont les conservateurs du vin. En ce cas, du bois de chêne vaudroit bien mieux, puisque de tous les bois indigènes à la France, c’est celui qui possède ces qualités au plus haut degré. Il suffit donc de remplir la futaille avec les grains seuls, & de la remplir ensuite avec du vin nouveau, & le meilleur, & le plus sucré que l’on peut avoir. S’il ne l’est pas & si le total est de qualité médiocre, l’art doit venir au secours de la nature & fournir à la totalité les principes qui lui manquent ; le sucre, ou la carbonnade, ou le miel, produiront cet effet, puisque la seule substance sucrée est susceptible de la fermentation vineuse & de donner de l’esprit ardent. Si on a lu attentivement l’article Fermentation, on doit se ressouvenir que l’esprit ardent & l’air fixe sont les grands conservateurs du vin. Les substances sucrées produisent l’un & l’autre, & de leur combinaison intime dans la liqueur, dépend sa durée. Il est donc clair, d’après cette démonstration rigoureuse, que la futaille remplie de grain & de moût doit rester le moins long-temps possible débouchée, afin de perdre le moins possible de cet air fixe qui se dégage pendant la fermentation tumultueuse ; car ici la futaille tient lieu de cuve. Dans les provinces du midi du royaume, on craindra peu de voir cette futaille éclater, parce que les vins y contiennent peu d’air fixe ; dans celles du centre du royaume, l’inconvénient est plus à redouter, & il l’est beaucoup plus dans celles du nord où l’air fixe trouve moins de lien d’adhésion par le peu de parties sucrées que la liqueur contient ; c’est donc à chaque propriétaire à étudier l’effet de son climat & les principes constituans de ses vins ; enfin d’après cette étude, il se hâtera de boucher tout de suite, ou plus tard sa futaille. Ce rapé vaudra beaucoup mieux si on le traite comme le vin enragé, c’est-à-dire, qui ne fermente pas dans la cuve, mais dont la fermentation s’exécute en totalité dans les vaisseaux fermés. (Consultez le mot Vin) Si malgré cette étude, on craint encore l’explosion des fonds de la futaille, on peut laisser en dedans un vide de quelques pouces, afin que l’air trouve un espace pour se débander & surtout pour prévenir l’effet de la dilatation des grains de raisin, qui se durcissent, le ballonnent, & occupent plus de place après la fermentation qu’auparavant. Ces grains deviennent alors autant de dépôts particuliers d’air fixe, & de principes mucilagineux & sucrés ; parce que n’étant pas écrasés ils n’ont presque pas mêlé leurs parties constituantes avec celles de la liqueur, c’est en cela qu’ils deviennent très-utiles pour le but qu’on se propose.

Tous les marchands de vins & les grands propriétaires de vignobles, ont un certain nombre de futailles remplies de ce rapé ; ils commencent par en tirer au besoin tout le fluide qu’elles contiennent, & ils s’en servent pour soutenir des vins qui commencent foiblir. Sur le résidu, sur les grains, ils remettent du vin foible ou qui tend à se décomposer, & ce vin s’enrichit des principes laissés en dépôt dans les grains. Enfin, ils procèdent ainsi jusqu’à ce que les principes de ces grains soient épuisés.

Les propriétaires qui ont beaucoup de valets à nourrir, trouvent une ressource précieuse & très-économique dans ces rapés, & bien supérieure à celles des petits-vins, ou vin de rafle. (Consultez le mot Vin) Après avoir retiré un tiers de la liqueur contenue dans la futaille, ils y ajoutent de l’eau pure en égale quantité, & ce premier vin leur sert, soit pour en soutenir d’autres, ainsi qu’il a été dit, soit pour être coupé d’eau en proportion convenable avant de le donner comme boisson à leurs gens. À mesure qu’on tire de ce vin, on ajoute de l’eau dans la futaille & on a grand soin de la tenir pleine, sur-tout-lorsque le goût indique qu’il ne reste de la première liqueur que celle contenue dans l’intérieur des grains des raisins. Si on néglige de tenir la barrique pleine, à mesure que l’on en retire de la liqueur, l’expérience prouve qu’elle ne tarde pas à moisir, pourrir & se décomposer. Un rapé bien conduit se conserve jusqu’aux chaleurs ; mais tout dépend de la quantité qu’on en retire chaque jour. On sent bien que la perpétuelle addition d’eau doit soutirer petit à petit tous les principes conservés comme en dépôt dans chaque grain de raisin, sur-tout l’air fixe qui donne une saveur piquante à la liqueur & la fait rapprocher, de ce côté-là seulement, de celle des vins de Champagne. Dans l’eau seule imprégnée d’air fixe, on distingue sans peine cette faveur qui la fait nommer eau vineuse ; telles sont les eaux de Saint-Galmier, de Selz, de Spa, &c. Je suis convaincu que si on ajoutoit aux rapés destinés à la boisson habituelle des gens, un peu de sel de tartre non purifié’, on les conserveroit plus long temps & qu’ils auroient plus de force ; car il est bien prouvé que ce sel du vin contribue beaucoup à la plus abondante formation de 1 esprit ardent. Cette assertion sera mieux développée à l’article Petit-vin.

Rapé de copeaux. On nomme ainsi celui qui est fait avec des copeaux qu’on met dans un tonneau pour éclaircir le vin.

On choisit, autant qu’on le peut, les copeaux de bois de hêtre, & on les choisit longs & secs ; il est essentiel de laisser ces copeaux tremper pendant quelques jours dans l’eau, & de la changer plusieurs fois dans la journée. Le but de cette opération est d’enlever aux copeaux leur goût de bois. Après les avoir retirés de l’eau, on les expose au gros soleil ou à un grand courant d’air, afin qu’ils sèchent promptement & perdent toute leur humidité. C’est dans cet état de siccité qu’on les fait entrer dans le tonneau par le trou du bondon. Lorsque la futaille en est remplie, on y vide une pinte de bonne eau-de-vie, on bouche l’ouverture & on roule la barrique jusqu’à ce que l’on présume que les copeaux en sont imbibés. Après ces opérations préliminaires, cette barrique est descendue à la cave, mise sur le chantier & remplie du vin que l’on veut éclaircir. Après un certain temps le vin devient clair, parce que toute sa lie s’est déposée & collée contre les copeaux. Les mêmes copeaux peuvent servir à éclaircir successivement le vin de plusieurs barriques : cependant à la longue ces copeaux s’empâtent & ne produisent plus aucun effet ; c’est le cas alors de défoncer la futaille, d’en retirer les copeaux, d’y en ajouter de nouveaux avec les mêmes précautions qu’auparavant. Quelques particuliers se contentent de laver les anciens copeaux, de les faire sécher, & s’en servent de nouveau. C’est une bien mince économie.