Cours d’agriculture (Rozier)/POISON

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 166-169).
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POISON. Médecine rurale. On appelle ainsi tout ce qui, étant appliqué extérieurement, ou pris intérieurement, peut éteindre les fonctions vitales, ou mettre les parties solides & fluides hors d’état de continuer l’ordre & l’exécution de leurs mouvemens.

Les trois règnes de la nature fournissent des poisons. Ceux que fournit le règne animal ont une grande activité, & sont très-nombreux. Ils ne peuvent être communiqués que par la morsure, ou la piqûre d’un animal venimeux. (Voy. Piqure, Morsure, & Rage.)

Le règne végétal en fournit aussi un assez grand nombre, qui rentre dans la classe des remèdes narcotiques stupéfians, tels que l’opium & ses différentes préparations, la pomme épineuse, l’eau distillée du laurier cerise, la morelle, l’aconitum appelé en françois napel, la ciguë, la bella-done, la jusquiame & différentes espèces de champignons. Tous ces poisons sont en général beaucoup moins énergiques que ceux du règne animal ; on en voit néanmoins en Amérique dont les effets & l’action sont beaucoup plus forts. Tels sont ceux dont les naturels du pays se servent pour empoisonner leurs flèches lorsqu’ils font la guerre aux nations étrangères ; on sait que les blessures en sont presque toujours mortelles.

Le règne minéral donne des poisons très-âcres & très-corrosif, tels que l’arsenic, le sublimé corrosif, l’orpiment, l’eau forte, les vapeurs minérales, le plomb & ses différentes préparations, le cobalt, & le vert-de-gris.

On ne peut désavouer que la plupart des symptômes causes par les poisons ne soient équivoques, & ne puissent appartenir à une infinité d’autres causes très-variées, lorsqu’on les considère séparément dans ceux qu’on soupçonne avoir été empoisonnés. Mais la réunion, ou l’ensemble de ces mêmes signes n’a pas ce défaut ; qu’on les considère collectivement, ils auront la force de l’évidence.

Avant d’administrer les remèdes propres à arrêter l’effet des poisons, il faut interroger les personnes qui en ont avalé ; s’assurer avec elles si l’aliment solide ou liquide, qui a servi de véhicule au poison, avoit son goût ordinaire ; si elles ont senti de l’ardeur, de l’irritation, ou une sécheresse extraordinaire dans le trajet de l’œsophage ; si elles ont éprouvé un sentiment de resserrement & de gêne dans ces mêmes parties ; si elles ont eu de fréquentes envies de vomir, des foiblesses, des maux de cœur ; si bientôt après qu’elles l’ont avalé, elles n’ont pas ressenti dans une partie du bas-ventre une chaleur plus forte que par-tout ailleurs : si elles sont tourmentées de la soif, s’il y a eu suppression d’urines, difficulté de respirer, essoufflement extraordinaire ; s’il y a eu des tranchées, & des épreintes très-fortes.

Tous ces signes ne sont pas suffisans pour caractériser un véritable empoisonnement, on doit encore y joindre tous ceux que M. Albertini a rassemblés, & dont il nous a laissé l’énumération. Nous allons les rapporter tous, & nous commencerons par le météorisme extraordinaire & douloureux du bas-ventre, les syncopes, la promptitude dans le changement de la manière d’être ; les renvois fétides, le vomissement de matières noirâtres & atrabilaires ; la roideur, & le refroidissement extrême des membres ; une sueur froide, visqueuse, ou puante ; l’œdématie du col & de la face, les yeux saillans & hagards, la foiblesse, l’abattement, l’irrégularité, l’inégalité, & l’intermittence du pouls ; l’inflammation de la bouche & du gosier, & la gangrène de ces parties ; les vertiges fréquens, le délire, les convulsions, la prostration des forces, le tremblement du cœur, la paralysie, la stupeur des organes, la noirceur, l’enflure, la rétraction ou l’inversion des lèvres.

Ce ne sont point encore là tous les effets du poison pris intérieurement, il produit encore l’œdématie générale du corps, des éruptions sur la peau, qui deviennent noires, ou livides, ou pourprées ; la lividité des ongles, la perte des sens, les palpitations, des hémorragies, des ardeurs d’urine.

On observe quelquefois des vomissemens extraordinaires, & des cours de ventre excessifs, des douleurs de reins insupportables, la voix devient rauque & plaintive. On observe aussi un resserrement extraordinaire de la poitrine, la puanteur du corps, une abondante salivation.

Après un détail aussi exact des signes, & des effets qu’occasionnent les poisons, il ne doit pas être indifférent de faire connoître ceux qu’ils produisent dans l’intérieur, & de l’existence desquels on ne peut se convaincre que par l’ouverture des cadavres. En premier lieu, on trouve les signes les plus évidens d’une forte inflammation qui a précédé l’état de gangrène qui existe dans le gosier, l’œsophage, l’estomac, le pylore, & le reste du tube intestinal. Il n’est pas rare de trouver des trous & autres déchirures dans l’estomac, & le poison même niché en partie dans quelque recoin ; du sang noir & fétide extravasé dans le bas ventre ; le péricarde rempli d’une matière sanieuse & très-corrosive ; les autres viscères contenus dans la matrice ramollis, & dans un état de dissolution, quelquefois parsemés d’hydatides, de pustules, de tâches de différentes formes ou couleur ; le cœur flasque & très-racorni ; le sang qu’il contient très-noir, & presque solide. Le foie gâté, noirci, & un engorgement dans toute sa substance. Une tuméfaction extraordinaire dans les organes de la génération.

Hebenstreit regarde la séparation du velouté de l’estomac comme le plus infaillible des signes du poison. On n’a pas plûtot avalé de l’arsenic qu’on ressent tout de suite une chaleur brûlante dans l’intérieur de l’estomac & du reste des intestins, avec une soif inextinguible. Les malades sont tourmentés d’un vomissement très-fort, auquel succèdent des anxiétés, des foiblesses, & ils tombent en syncope ; un grand froid s’empare de leurs extrémités ; le hoquet survient ; il arrive quelquefois un vomissement de matières atrabilaires, & des selles très noires & très-fétides qui sont toujours des signes avant-coureurs d’une mort prochaine.

On ne doit pas s’endormir sur le choix & l’emploi des remèdes qu’il faut administrer, 1°. pour diminuer & affaiblir la force du poison ; 2°. pour en procurer la plus prompte évacuation possible ; 3°. pour neutraliser les portions qui peuvent séjourner dans l’estomac & autres viscères.

1°. On fera boire abondamment de l’eau chaude avec de l’huile d’olive, à ceux qui auront avalé du poison ; à la place de l’huile, on pourra donner le lait pris en très-grande quantité, ou du beurre frais fondu & étendu dans une tisanne mucilagineuse, telle qu’une infusion de graine de lin, de racine de guimauve ; par le moyen de ces remèdes, on parvient à émousser l’activité de l’arsenic, on prévient & on s’oppose à l’érosion qu’il pourroit exciter sur les tuniques intérieures de l’estomac & des autres viscères.

On excite même par ces boissons le vomissement. Si néanmoins il n’étoit pas efficace, & qu’il eût lieu d’une manière incomplète, on le provoquera en donnant aux malades une dose assez forte d’ipecacuana, ou bien quelques cuillerées d’oximel, ou de vinaigre scillitique avec l’eau qu’il boit. On lui fera prendre souvent des lavemens émolliens & huileux.

Si le pouls est fort, & les douleurs violentes, sans foiblesses, ni syncopes, on peut faire saigner du bras le malade ; on peut faire usage du loock blanc de la Pharmacopée de Paris, ou de celui dont nous allons donner ici la formule, & que l’expérience à montré très-propre à absorber les particules corrosives du poison. Prenez d’huile d’amandes douces, trois onces ; d’écailles d’huîtres préparées, trois dragmes ; de gomme-adragant dissoute dans de l’eau, demi-once, & battue avec deux jaunes d’œufs ; de sirop de guimauve, une once ; mêlez le tout ensemble pour faire un loock. On en donnera au malade deux ou trois cuillerées à la fois.

Si enfin ces substances n’émoussent point la causticité du poison, on fera fondre dans la boisson un gros par pinte de sel alcali de soude, ou de tartre ; & si l’on ne pouvoit se procurer de ce sel assez promptement, on prendroit sept à huit poignées de cendres que l’on jetteroit dans une pinte d’eau chaude, & après les avoir agitées & laisse précipiter, on feroit boire de cette eau alcalisée, éclaircie avec l’addition d’un peu de sucre. On peut encore, dans ce cas, faire fondre du savon rapé dans de l’eau chaude de rivière, ou de pluie.

Lorsque l’inflammation est parvenue à un certain degré, l’eau de poulet, le petit lait, l’infusion de mauve, les fomentations émollientes deviennent nécessaires. Mais ces secours administrés, on se procurera le plutôt possible de l’hépar, soit calcaire, soit salino-alcalin, soit martial, faits par fusion. M. Navier, dans son excellent Ouvrage des Contre-poisons de l’arsenic, du sublimé corrosif, &c. a fort bien observé que les hépars obtenus par fusion, étant plus chargés de soufre, convenoient mieux lorsque le poison étoit encore dans les premières voies.

On en fera fondre un gros dans chaque pinte d’eau, un peu plus, un peu moins, selon que le malade pourra en boire plus facilement, car il faut qu’il en boive abondamment. Il est essentiel qu’il le boive bien chaud ; s’il étoit froid, la décomposition de l’hépar, & son union avec l’arsenic se feroit plus difficilement. On y ajoutera du lucre ou de la réglisse, avec du sirop de capillaire & de guimauve ; si les malades ne pouvoient surmonter leur répugnance à boire de ces hépars liquides, on les leur donneroit bols ou mêlés avec de la confiture non acide.

Lorsqu’on est parvenu, par l’emploi de tous ces antidotes, a brider l’action du poison, & à en empêcher le mauvais effet, on doit prescrire aux malades la diète lactée pour toute nourriture, & leur interdire l’usage du vin & de la viande, & quand ils auront assez de force pour voyager, on les enverra prendre sur les sources, les eaux minérales chaudes sulphureuses, telles que celles de Barèges, de Bourbon, de Coterets. Leur usage est très-propre à vaincre les obstacles qui peuvent exister dans les organes intérieurs, & à les débarrasser des parties hétérogènes qui pourroient à la longue leur devenir nuisibles.

Nous ne parlerons point ici de l’empoisonnement occasionné par le sublimé corrosif, le vert-de-gris, le plomb & ses différentes préparations, & par les champignons, nous renvoyons le lecteur à chacun de ces mots en particulier. M. AMI.