Cours d’agriculture (Rozier)/MORSURE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 583-586).


MORSURE. Médecine Rurale. Solution de continuité faite à la peau par les dents de quelque animal irrité. Pour l’ordinaire, les morsures faites par des animaux qui ne sont ni venimeux ni enragés, ne sont suivies d’aucun accident grave. Les malades ressentent néanmoins dans la partie mordue, de la douleur, de l’irritation, toujours suivies d’une légère inflammation contre laquelle on n’emploie ni saignée, ni aucun autre moyen antiphlogistique : ces sortes de blessures se traitent le plus simplement possible ; on se contente de les laver avec de l’eau de guimauve plusieurs fois dans le jour, & de les couvrir d’un emplâtre suppuratif, tels que l’onguent de la mère, ou une combinaison de cire jaune, avec l’huile d’olive ; souvent des compresses d’eau froide & humectées très souvent, suffisent. Les morsures de ce genre doivent être traitées comme des plaies simples qui se guérissent d’elles-mêmes par la simple privation du contact immédiat de l’air.

Il n’en est pas de même de la morsure des animaux venimeux, tels que le serpent à sonettes, la vipère, & plusieurs autres : ceux qui ont le malheur d’en être mordus, courent les plus grands risques de perdre la vie si l’on n’emploie promptement les remèdes propres à en arrêter les effets & les progrès.

Morsure du serpent à sonnettes.

Le serpent à sonnettes n’a pas plutôt fait sa morsure, qu’aussi-tôt la partie affectée devient froide, douloureuse, tendus & engourdie. Une sueur froide s’empare de tout le corps, & notamment des alentours de la plaie. Si la morsure a été faite aux parties inférieures, les glandes des aînes ne tardent pas à être tuméfiées, ainsi que les glandes des aisselles, si le mal a son siège dans les parties supérieures ; la chaleur qui survient à la plaie est toujours relative à la morsure & à sa grandeur ; les bords en sont meurtris, les malades y ressentent une démangeaison des plus vives, leur visage devient contrefait, il s’amasse des matières gluantes autour des yeux, les larmes sont visqueuses, les articulations perdent le mouvement, & cet accident est toujours suivi de la chute du fondement & des envies continuelles d’aller à la selle. Les malades écument de la bouche ; le vomissement, le hoquet & les convulsions ne tardent point à paroître.

On remédie à tous ces accidents, en prenant intérieurement de la racine d’althea & de panais : cette dernière est un remède excellent, soit qu’on la mange verte ou qu’on la prenne en poudre.

On appliquera sur la plaie une feuille de tabac trempée dans du rum, & tout de suite on donnera au malade une forte cuillerée du remède spécifique contre la morsure de ce serpent, publié en Angleterre, par le docteur Brooks, dont l’invention est d’un nègre, pour la découverte duquel il a été affranchi, & l’assemblée générale de la Caroline lui a fait une pension de cent livres sterling par année, sa vie durant : nous allons en donner la formule, telle que Buchan l’a insérée dans le troisième volume de sa médecine domestique.

Prenez de feuilles & racine de plantain & de marrube, cueillies en été, quantité suffisante ; broyez le tout dans un mortier, exprimez-en le suc ; si le malade a de la répugnance à avaler, parce qu’il a le col gonflé, il faut la lui faire prendre de force. Cette dose suffit pour l’ordinaire ; mais si le malade ne se trouve point soulagé, il faut au bout d’une heure lui en donner une seconde cuillerée, qui ne manque jamais de guérir.

Morsure de la vipère.

Les anciens ont très-bien connu la vipère à cause de son venin ; ils regardoient cet animal comme si terrible, qu’ils croyoient qu’il étoit envoyé sur la terre pour assouvir la colère de l’Être suprême, sur tous ceux qui avoient commis des crimes qui n’étoient point parvenus à la connaissance des juges. Les Égyptiens regardoient les serpens comme sacrés, & comme les ministres de la volonté des dieux qui pouvoient préserver les gens honnêtes de tout mal, & qui pouvoient beaucoup nuire aux méchans en leur faisant subir les plus cruels supplices.

C’est aussi d’après un culte aussi superstitieux, que l’antiquité a représenté la médecine sous l’image de la vipère, soit dans les statues, soit dans les armoiries : mais Macrobius en donne une raison toute opposée, & prétend, que comme les serpens changent de peau tous les ans, ils sont, par cela même, le vrai symbole de la santé, dont le recouvrement est sans contredit regardé comme un nouveau période de la vie : les dépouilles des serpens sont sans doute l’emblème de la vieillesse ; & le recouvrement de la vigueur, celui de la santé.

La vipère en mordant, exprime un suc venimeux, qui devient l’instrument & la cause des désordres les plus affreux.

Aussi-tôt qu’on a été mordu, on sent dans la partie une douleur vive, suivie d’un engourdissement, d’un gonflement, & d’une espèce de bouffissure ; insensiblement la partie se tuméfie, & perd entièrement le mouvement & le sentiment. L’enflure gagne insensiblement des pieds aux jambes & aux cuisses, des mains au bras & à l’avant-bras. Mead a observé des maux de cœur, des foiblesses, des défaillances, des vertiges, des convulsions, & le vomissement de matières bilieuses. Son observation est en cela bien conforme à celle de Vepfer, sur les effets des poisons ; il ajoute, que lorsque la maladie est sur son déclin, & que les symptômes augmentent, la couleur de la peau devient d’un jaune foncé.

Le vrai spécifique du venin de la vipère, est l’alkali volatil, pris à la dose de six gouttes dans un verre d’eau, & versé en assez grande quantité sur chaque blessure pour servir à les bassiner & à les frotter. C’est à l’illustre Bernard de Jussieu qu’on est redevable de cette découverte ; il fut le premier qui guérit un étudiant en médecine, qui fut mordu un jour d’herborisation par une vipère, uniquement avec de l’eau de Luce, qui n’est qu’une préparation d’alkali volatil, uni à l’huile de succin. Ce même malade étant tombé, quelques heures après ce remède, en défaillance, une seconde dose dans du vin la fit disparoître ; on le réitéra dans la journée ; il fit désenfler les mains, en faisant le lendemain des embrocations avec de l’huile d’olive, à laquelle on avoit ajouté un peu d’alkali volatil, & fit disparoître l’engourdissement du bras, & une jaunisse qui avoit paru le troisième jour, en faisant avaler au malade, trois fois par jour, deux gouttes d’alkali volatil dans un verre de boisson.

Autrefois, pour guérir les effets venimeux de la vipère, on faisoit des ligatures très-fortes au-dessus de la partie mordue, & en même temps des scarifications profondes sur la plaie ; on y appliquoit du sel, du poivre & autres matières très-irritantes, enfin on faisoit avaler du vin aromatisé ; on se contentoit même de faire sucer la playe.

Mais aujourd’hui les moyens qu’on employé sont & plus doux & plus efficaces ; on se sert, outre l’alkali volatil, de l’application de l’huile d’olive qui suffit quelquefois pour guérir de l’impression du venin de la vipère sur la peau. On lit dans la gazette de santé (n°21, mois de mai 1777) qu’un homme apercevant une vipère sous une laitue, & voulant l’arrêter par le milieu du corps avec un instrument trop foible pour pouvoir la blesser, prit son couteau pour lui couper la tête ; mais l’animal, irrité, s’élance si violemment, qu’il se retire avec frayeur ; revenu de sa peur, il parvint à la tuer : un moment après, la main qu’il avoit présentée devint très-enflée, il assura n’avoir pas été mordu, il se frotta la main avec l’huile d’olive, & cela suffit pour le guérir.

Cette observation pourroit faire présumer que la vipère lance son venin par la seule contraction de ses muscles, & que le venin ainsi lancé s’insinue à travers l’épiderme, sans qu’il y ait blessure à la peau. Mead a vu jaillir le venin de la vipère comme d’une seringue, en faisant ouvrir la gueule à ce reptile, & en lui pressant extrêmement le col, puisque le muscle qui presse la glande où le venin se filtre, est susceptible de la plus forte contraction, & peut en outre exprimer subitement les vésicules qui le renferment & l’en faire sortir, comme par la compression on fait sortir l’huile essentielle contenue dans les mamelons de l’écorce d’un citron. M. Ami.

Morsure. Médecine vétérinaire. C’est une plaie faire à la peau par la dent d’un animal. Les morsures par elles-mêmes n’ont aucune suite funeste ; mais elles produisent quelquefois des effets terribles, quand les animaux qui les font, sont en fureur, ou enragés, ou venimeux.

Notre dessein n’est pas d’entrer ici dans une longue discussion sur les remèdes qu’on doit employer contre les effets de la morsure des animaux enragés. On trouvera là dessus les détails nécessaires, en consultant le mot Rage. Nous allons traiter seulement de la morsure de la vipère, comme étant l’accident le plus ordinaire, & le plus funeste aux animaux répandus dans la campagne.

Le venin de la vipère est corrosif. Cartheuser, dans sa matière médicale, dit d’après Rhedi, que sa couleur est semblable à l’huile que l’on retire des amandes douces ; il est renfermé dans des vésicules qui se trouvent sous la dent de ce reptile, lorsqu’il les a redressées pour mordre. La vésicule étant alors comprimée, le venin coule dans la dent, & s’insinue par une petite fente longitudinale, qu’on remarque à l’extrémité de la courbure externe de cette dent. Lorsqu’elle mord, elle introduit dans la plaie son venin, qui, s’insinuant dans les vaisseaux, coagule peu-à-peu le sang, interrompt la circulation, & la mort suit de près, si l’animal n’est pas promptement secouru.

On a remarqué que les petits animaux mouroient beaucoup plus promptement de la morsure que les grands.

Le meilleur remède qu’on ait employé jusqu’à présent contre la morsure de ce reptile, est sans contredit l’alkali volatil fluor. Il est prouvé que ce fluide, en se combinant avec l’acide du venin, le neutralise, & forme un mixte qui n’a plus rien de mal-faisant. Mais il est certain que pour obtenir un bon effet de cet alkali, il faut l’employer presque aussitôt après la morsure. Nous en avons un exemple dans deux chiens confiés à mes soins. Un chien courant, qui ne me fut amené que deux heures après l’accident, & sur la morsure duquel j’appliquai l’alkali volatil, périt deux heures après ; tandis qu’un mâtin, mordu dans une vigne, par une vipère, & sur la plaie duquel je mis tout aussi-tôt une compresse d’alkali que j’avois sur moi dans un flacon, échappa à la mort. Je fis prendre encore à ce dernier quelques gouttes d’alkali dans de l’eau commune.

La dose de ce fluide doit être proportionnée à la force & à la grosseur de l’animal. On pourra donc le faire prendre aux bœufs de la plus haute taille, jusqu’à la dose d’un gros ; la moitié de cette dose suffira à un cheval de taille médiocre ; un quart de dose pour le mouton, la chèvre, le chien de la forte espèce. Mais l’essentiel est d’en mettre des compresses sur la morsure, & d’en faire de temps en temps par-dessus des embrocations si l’on voit que le gonflement soit considérable.

Si, par mégarde, un maréchal ou un berger avoient fait prendre intérieurement, sans eau, une trop grande quantité d’alkali volatil, on fera cesser l’érosion qu’il aura produite, en donnant à boire à l’animal du petit-lait, ou de l’eau avec du vinaigre. M. T.