Cours d’agriculture (Rozier)/PEUPLIER

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 616-624).


PEUPLIER. Von-Linné le classe dans la dioécie octandrie, & le nomme populus ; Tournefort le nomme de même & le place parmi les arbres à chatons, dont les fleurs mâles sont séparées des fleurs femelles, & chacune portée sur des pieds différens.


CHAPITRE PREMIER.

Caractère du genre.

Fleurs à chaton, mâles ou femelles, sur des pieds différens. Les fleurs mâles composées de huit étamines, très-courtes, posées sur un nectar en forme de godet ; chaque fleur placée sous une écaille oblongue, plane, déchiquetée par ses bords. Les fleurs disposées sur un filet commun, en forme de chaton alongé & cylindrique… ; les fleurs femelles rassemblées sur un chaton semblable, composées d’un pistil & d’un nectar de la forme de celui des mâles… ; le fruit est une capsule ovale à deux loges, à deux valvules recourbées dans la maturité, contenant plusieurs semences ovales qui sont couronnées d’une aigrette en forme de cheveux, 61 que le vent emporte facilement : l’aigrette est blanche.


CHAPITRE II.

Des espèces.

Section Première.

Des peupliers à feuilles blanches.

1. Peuplier vlanc (mâle ou femelle) ou Ypreau, ou Franc-Picard, ou Abèle. Populus alba. Lin. Cet arbre croît très-vite, & il s’élève à une très-grande hauteur ; sa grosseur est proportionnée lorsque l’on sait en conduire la taille. Son écorce est lisse, blanchâtre, & ne devient raboteuse qu’à la longue ; l’intérieur du bois est blanc ; les chatons sont portés par des pédoncules, & les pédoncules sont rameux. Les feuilles sont placées alternativement sur les branches, & elles ont quelquefois des glandes à leur base ; elles sont portées par de grands pétioles ; elles sont grandes, presque rondes, dentelées, anguleuses, quelquefois découpées en lobes ; un vert brun & luisant, quand elles sont jeunes, recouvre leur surface supérieure ; l’inférieure est velue & très-blanche. On le trouve dans toute la France depuis Lille en Flandre jusque dans le voisinage de la méditerranée. Lorsqu’il est planté dans un sol qui a du fond, & dans le voisinage des eaux, il peut disputer avec le chêne en grosseur & en hauteur. Il s’accommode de tous les terrains, excepté de ceux qui sont uniquement sablonneux, graveleux ou crayeux. C’est un arbre bien précieux pour les provinces méridionales.

2. Peuplier blanc à feuilles oblongues. Je le regarde comme une variété du précédent, ainsi que celui à feuilles panachées dont il ne diffère que par ses feuilles oblongues & plus petites. J’ai très-souvent observé que la grandeur & même la forme des feuilles, varioient suivant le grain de terre ; que lorsque l’on plantoit un peuplier blanc à feuilles petites dans un bon sol, ses feuilles étoient très-volumineuses dans le commencement, mais que si sous cette première couche, il s’en trouvoit une graveleuse, &c. les feuilles reprenoient leur premier état ; & ainsi tour à tour.

3. Peuplier-tremble. Populus tremula. Lin. Ainsi nommé, parce que le plus léger zéphir agite ses feuilles, & cette tendance à un mouvement perpétuel, tient à ce que leurs pétioles sont aplatis à leur sommet. Cet arbre a un air sauvage, que quelques uns appellent triste ; comme chacun a sa manière de voir, je trouve que son port, que le frémissement occasionné par le mouvement de ses feuilles, que leur couleur, contrastent très-bien lorsque le tremble est mêlé parmi d’autres arbres dans les forêts ; seul & isolé, il produit peu d’effets. Il se plaît dans les lieux froids & humides, & n’aime à étendre ses racines dans les scissures des rochers, sous les blocs des pierres ; si elles sont gênées par la nature du sol, elles tracent à fleur de terre. Sa tige est droite, élevée, sa grosseur n’est pas proportionnée à sa hauteur ; son écorce est d’une couleur cendrée ; sa feuille est presque ronde, dentelée, lisse des deux côtés, d’un vert cendré. Sa fleuraison est beaucoup plus hâtive que celle des autres peupliers.

4. Tremble à petites feuilles. C’est une variété du précédent. L’arbre est moins haut & ses feuilles sont beaucoup plus petites ; il ne craint pas autant que l’autre les terrains secs.


Section II.

Des peupliers noirs.

Ils sont ainsi nommés pour les distinguer des précédens, parce que leurs feuilles ne sont pas blanches ni leur écorce cendrée.

1. Peuplier noir commun. Cet arbre s’élève fort haut lorsque le sol lui plaît & lorsqu’il est bien conduit par la taille ; ses feuilles sont portées par des pétioles, elles sont rhomboïdales à quatre angles, dentées en manière de scie, terminées en pointe aigüe ; leurs surfaces sont lisses & d’un vert brun ; au printemps, elles sont recouvertes d’une liqueur limpide, & les yeux ou boutons sont chargés d’un baume gluant d’une odeur assez agréable ; l’écorce est lisse pendant les premières années, elle se ride & se gerce ensuite ; ses racines s’enfoncent profondément lorsqu’elles le peuvent.

2. Peuplier d’Italie ; on pourroit le caractériser ainsi populus pyramidalis. Quelques-uns l’appellent peuplier de lombardie. Cet arbre s’élève très-haut, sa végétation est trop hâtive pour que le tronc prenne une consistance proportionnée à son élévation ; cependant il prend à la longue de la grosseur, ainsi qu’on peut le voir sur les majestueux peupliers d’Italie, plantés dans quelques endroits du canal de Briarre, peut-être à l’époque de sa contraction. Si on le livre à lui-même, il affecte une forme pyramidale très-agréable à la vue, large à sa base & qui diminue proportionnellement de grosseur jusqu’à son sommet, parce que les branches se serrent contre la tige. Son écorce est lisse pendant un certain nombre d’années ; ses feuilles sont d’un vert foncé très-vif & brillant, elles conservent leur éclat jusqu’à l’arrière-saison. Plus la couche de terre est profonde & mieux il réussit, surtout si elle conserve un peu de fraîcheur. Plus on s’éloigne de ce point & moins bien il prospère ; cependant ce peuplier est peu délicat. Il végète assez bien par-tout, excepté dans les sols crayeux, argileux, tenaces, qui se serrent & se gercent pendant la sécheresse.

3. Peuplier noir à feuilles ondées ou peuplier de Virginie. Populus heterophylla. Lin. Il est originaire de Virginie. La végétation de cet arbre est d’une rapidité surprenante ; son écorce est d’une couleur plus foncée que celle des autres peupliers noirs ; les premières feuilles qu’il pousse sont velues, & non pas les autres ; elles sont très-amples, en forme de cœur ; celles du haut dentelées très-finement ; celles du bas dentelées & glanduleuses ; leurs pétioles sont aplatis sur leurs côtés latéraux ; la forme de ces feuilles varie beaucoup ; les bourgeons sont marqués par des nervures saillantes, ce qui leur donne une forme triangulaire qu’ils perdent insensiblement.

4. Peuplier-osier blanc. Populus flexibilis. On l’a appellé osier à cause que les gens de la campagne se servent de ses rameaux comme de l’osier pour lier les vignes, les arbres, &c ; c’est pourquoi j’ai cru devoir le caractériser par le mot flexiblis : il est spécifié dans l’Hortus Colombinus par cette phrase : Populus foliis ovato-cuneiformibus corticc albicante. Il pousse aussi fort vite ; ses feuilles sont pointues, ondées sur leurs bords & dentelées plus profondément que celles du peuplier noir commun dont il se rapproche beaucoup ; l’écorce de l’arbre & des rameaux est un peu blanche.

5. Peuplier léard ou de Louisiane. Populus foliis oblongis & obtuse dentatis, subtùs albicantibus. Hort. Colomb. Sa végétation est moins rapide que celle de tous les peupliers précédens, & en Europe il ne pousse qu’à la première séve ; son écorce est brune ; ses feuilles sont oblongues, à dentelures obtuses, d’un vert blanc & glacé en dessous ; il s’en exhale une odeur aromatique.

6. Peuplier d’Athènes. Populus foliis rotundioribus, crenatis, utrinque viridibus. Hort. Colomb. Feuilles épaisses, larges, presque rondes, d’un vert noir & à pédicules aplatis ; arbre de médiocre grandeur, à écorce de couleur brune ; ses boutons légèrement enduits d’un suc gluant, aromatique.

7. Piuplier De Caroline. Populus foliis subcordatis-oblongis crenatis. Hort. Cliff. Je le crois une variété du peuplier de Virginie. Ses feuilles sont larges, épaisses, luisantes, la prolongation du pétiole sur la feuille est rougeâtre ; cet arbre s’élève très-haut.

8. Peupller-baumier ou Tacamahaca. Populus balsamisera. Lin. Feuilles très-grandes, ovales, en forme de cœur oblong, crénelées, nues a leur base ; leur première couleur est d’un jaune vif, ensuite d’un vert clair, enfin d’un vert brun ; le dessous de la feuille est d’un blanc sale, mat & un peu jaune ; leurs pétioles sont cylindriques ; lorsque les feuilles sont nouvelles, elles sont gluantes ; les boutons le sont beaucoup plus ; leur odeur est balsamique ainsi que celle des bourgeons ; sa résine a une odeur d’ambre gris. Cet arbre originaire de la Caroline s’élève beaucoup dans son pays natal & beaucoup moins en France.


CHAPITRE II.

De la culture des peupliers, & de leurs propriétés.

On les multiplie ou par plançons, ou par marcottes, ou par la greffe, ou par les plants enracinés.

Le Peuplier blanc est le plus précieux de tous ceux de cette famille. Il exige moins que les autres les terrains frais ou humides. Son bois est doux, liant, susceptible d’un bon poli, & il est presque le seul bois employé dans les provinces du midi pour les boiseries des portes, des fenêtres, des châssis, & des meubles ; il n’est point sujet à se jeter, & il dure pour le moins autant que le sapin exposé à l’air, si on a eu la précaution de l’enduire d’une couleur à l’huile. Plusieurs auteurs disent qu’on peut le multiplier de boutures ; cela peut être & même cela doit être puisqu’ils le disent ; mais je dirai que je l’ai essayé inutilement, même en le faisant arroser au besoin. Peut-être cette facilité de jeter des racines, tient-elle au climat, & celui du nord lui est-il plus avantageux. La multiplication réussit parfaitement par marcottes & par couchées. On a rarement besoin de recourir à cet expédient ; il vaut beaucoup mieux couper un gros arbre par le pied, alors, comme ses racines tracent très au loin, il sort des rejets de toutes parts. Il est même très difficile de purger un champ, d’empêcher la crue subite des rejets, lorsqu’une fois les racines s’en sont emparées. On peut dire qu’on a un bois éternel qui brave les intempéries de toutes les saisons.

Par la plantation on n’est pas également assuré de la réussite ; cependant, si elle est bien conduite, l’arbre reprend facilement. Le grand point est de ménager les racines & de ne planter aucun pied qui ne soit fortement garni de chevelus ; la fosse doit être proportionnée à leur volume & à leur étendue. Si c’est un bois qu’on veut former, si on désire avoir des arbres à gros troncs, il convient de les espacer de deux à trois toises, selon la qualité du sol ; de six à neuf pieds si l’on veut faire un fourré, & à six pieds pour un taillis. Quatre toises de distance suffisent pour les avenues. Dans les provinces du midi cette plantation demande à être faite aussitôt après la chute des feuilles, afin que les pluies d’hiver aient le temps de consolider la terre contre les racines ; si on a de l’eau dans le voisinage, si on peut arroser avec facilite, l’on peut planter jusqu’à la fin de février ; & jusqu’en mars ou au commencement d’avril dans les provinces du nord, parce qu’on est assuré d’avoir des pluies au printemps. Cependant les plantations précoces sont les meilleures.

Lorsque l’on plante ce peuplier, on doit laisser quelques rameaux à son sommet afin d’attirer la séve ; sans cette précaution il ne reprend pas, du moins dans les provinces méridionales.

En supposant un bon sol, c’est toujours la faute du conducteur de l’arbre s’il n’est pas d’une bonne venue, avec une tige droite, dont la grosseur soit proportionnée à son élévation ; enfin si à la longue le tronc de l’arbre n’est pas bien sain.

Dans la première année de plantation, l’arbre doit être livré à lui-même, c’est-à-dire qu’il est nuisible de détacher du tronc les bourgeons qui paroissent çà & là, à moins qu’on n’en voye un ou deux devenir gourmands & intercepter toute la séve. Si on les laissoit subsister, ils absorberoient toute la sève, elle ne se porteroit plus au sommet, & l’année d’après il faudroit ravaler la tige jusqu’au gourmand. La multiplication des petits bourgeons concourt à celle des petites racines ; dès-lors la reprise de l’arbre est assurée. À la chute des feuilles, on supprimera ces petits bourgeons, afin que la sève, l’année d’après, se porte toute entière vers le haut. Dans les provinces du midi, où la chaleur est très-active & les pluies excessivement rares depuis la fin d’avril jusqu’à celle d’octobre ou de novembre, il est indispensable d’arroser la plantation, au moins deux fois & largement : un homme ouvre la terre autour du pied de l’arbre, la dispose en bassin, il y jette ensuite une benne ou comporte d’eau ; (voyez ces mots) c’est-à-dire, la quantité d’eau que peuvent contenir, cinquante bouteilles. Lorsque la terre a été pénétrée par l’eau, & une heure ou deux après, il retire contre le pied de l’arbre celle qui a formé les parois du bassin ; cette terre, sèche s’oppose à la grande évaporation & empêche les gerçures ou la retraite de la couche imbibée d’eau. Si le besoin l’exige on répétera la même opération dans le cours de la seconde année ; après cette époque l’arbre n’en a plus besoin.

On se presse toujours trop d’élancer cet arbre par la suppression des rameaux inférieurs. Si les pieds sont plantés près à près sur une certaine étendue, il n’y aura plus de tels rameaux à élaguer dès que les branches se toucheront par leur sommet, & ces arbres, de l’intérieur, s’élanceront malgré eux, afin de profiter des rayons du soleil. Au contraire ceux de l’extérieur en seront couverts si on a eu le soin à chaque taille de ne pas couper ras du tronc les rameaux que l’on abat ; c’est-à-dire, si on leur laisse un chicot, d’un pouce par exemple, afin que ce chicot le convertisse par la suite en bourrelet ou mamelon d’où sortiront de nouvelles branches jusqu’au temps de la mort de l’arbre. Si au contraire, ces peupliers sont plantés par rangées isolées, ils se chargeront de bourgeons dans toute la circonférence du tronc, depuis la hauteur qu’on aura fixée, puisqu’il suffit de les couper très-ras, d’emporter l’empatement du bourgeon ou de la branche pour qu’ils ne repoussent plus.

On taille tous les trois, quatre, cinq ou six ans, suivant la force de la végétation & suivant la destination des rameaux. Si on a besoin de bois un peu gros pour le chauffage, on retarde la taille d’un ou de deux ans ; si au contraire on veut avoir des fagots pour la nourriture d’hiver des troupeaux, on émonde tous les trois ans, presque jusqu’au sommet de l’arbre, on a soin d’y laisser au moins une branche ou une tête garnie de quelques rameaux, & pas en assez grande quantité pour qu’il ne reste plus de proportion entre leur nombre & la foiblesse de la tige à cet endroit ; un coup de vent un peu fort suffit pour la casser & l’arbre ne s’élève plus. En laissant une branche unique, le tronc perd nécessairement sa direction perpendiculaire ; elle forme un coude sur lui, & pour rapprocher de la perpendicularité cette branche convertie en prolongation de tige, on est obligé, au nouvel émondage, de laisser une autre branche sur le côté opposé, de manière que le tronc forme un véritable zig-zag. Cette difformité est très-désagréable à la vue, & nuit à la valeur intrinsèque du tronc, puisque toute, la partie zig-zaguée ne peut servir qu’à brûler, tandis que si le tronc avoit été droit, on auroit pu tirer des planches de toute sa longueur, ou de bons chevrons pour les bâtimens. Un bon conducteur s’efforce de conserver la perpendicularité de l’arbre, & il émonde de manière que la taille suivante fournisse un grand nombre de fagots.

Si les fagots sont destinés pour le four, pour le chauffage, on émonde dans le courant de l’hiver ou depuis la chute des feuilles, parce que l’on profite alors de la pousse de la seconde séve. Si au contraire on veut les conserver pour nourrir le bétail ou les troupeaux pendant l’hiver, on émonde au mois d’août.

À mesure que les rameaux ou les petites branches tombent sous le tranchant de l’outil de l’émondeur, des femmes les ramassent & les lient en fagots. On les laisse ainsi pendant un jour ou deux, ou plus, suivant l’état de l’atmosphère, afin de donner le temps aux feuilles de se sécher. Le tout est ensuite transporté & rangé dans des remises ou sous des hangars, afin de s’en servir au besoin.

De l’émondage mal entendu naît la carie intérieure du tronc. Si pour faire élancer la tige on coupe au mois d’août quelque mère-branche, si on lui laisse un chicot d’un à deux pouces de longueur, les chicots des jeunes branches attireront la sève à eux, parce que leur écorce encore tendre sera facilement percée par les boutons ; au contraire, l’écorce de celle-là trop dure, ne pourra être percée ; d’ailleurs, l’écorce qui avoisine la plaie, n’aura pas le temps avant l’hiver, de la couvrir, & la partie ligneuse sera pendant près de six mois exposée aux alternatives du hâle de l’humidité ; la pourriture s’y établira, gagnera de proche en proche, & insensiblement l’intérieur du tronc ; mais comme l’écorce qui environne le chicot ne pourrit pas, il en sortira des bourgeons dans le cours de l’année suivante, qui seront autant de conducteurs des eaux pluviales dans la cavité du chicot, du tronc ; de là l’augmentation de la pourriture gangréneuse de l’intérieur. Lorsque le besoin nécessite l’amputation de pareilles mères-branches, il faut attendre la fin de l’hiver, couper très-ras, &, si on le peut,

recouvrir la plaie avec l’onguent de Saint-Fiacre. (consultez ce mot) Sans le secours de l’émondage cet arbre ne s’élèveroit pas à une si grande hauteur, mais il formeroit une tête ronde & branchue depuis l’endroit où l’on auroit laissé pousser les premières branches contre la tige. Je doute même qu’il s’élevât bien haut.

On ne doit, jamais attendre pour abattre cet arbre, qu’il soit en décours, ou autrement dit, qu’il se couronne ; alors sa force est passée ; son bois a perdu de sa qualité, & il n’est propre que pour le feu. Après trente ou quarante ans, cet arbre est dans la plus grande force ; il demande à être coupé par le pied, afin de le débiter suivant le besoin que l’on en aura. La souche ne meurt point, elle donne l’année suivante une quantité prodigieuse de jets dont on est obligé de diminuer successivement le nombre, afin de ne laisser pousser par la suite qu’une seule ou tout au plus deux tiges. L’arbre coupé, il sort tout autour de sa circonférence, & à plus de trente pieds de distance, une infinité de jeunes plants qu’on laisse croître. Cet arbre figure très-bien dans les grands bosquets ; la blancheur de la surface inférieure de ses feuilles, agitées par le moindre vent, contraste joliment avec le vert des feuilles des autres arbres. À Ypres, & dans plusieurs endroits de la Flandre Autrichienne, lorsqu’une fille vient au monde, son père, pour peu qu’il soit aisé, lui assure sa dot le jour de sa naissance, en plantant un millier de peupliers ypréaux blançs, très-petits ; en sorte que sa fille, à l’âge de 10 ans, se trouve propriétaire de 10 à 30000 liv. qui servent à la marier. Une coutume si simple & si avantageuse, mériteroit d’être suivie dans la majeure partie de nos provinces, & sur-tout dans celles où le bois de menuiserie est rare, & où les troupeaux sont abondans. Si je me suis permis d’aussi longs détails sur le peuplier blanc, c’est qu’il n’est pas assez cultivé, & parce qu’il l’est très-mal : enfin on n’en tire pas tout le parti que l’on pourroit.

Le tremble se multiplie par les rejetons enracinés qu’il pousse du pied, & non par plançons ni par boutures ; son bois est de peu de valeur. Dans quelques provinces on en fait, des cerceaux pour les cuves & pour les tonneaux ; les ébénistes & les tourneurs en font quelques usages.

Le peuplier noir, ou peuplier commun, est encore un arbre précieux dans les provinces où les planches de bois de chêne ou de sapin sont rares & chères. Il en fournit d’excellentes & légères, ainsi que le peuplier blanc dont on se sert avec succès pour les brouettes (consultez ce mot) les tombereaux, les volets, les châssis, &c. & son feuillage desséché, comme celui du premier, l’égale en bonté, & sert à la nourriture d’hiver des troupeaux. On multiplie ce peuplier par plançons de sept à huit pieds de hauteur, que l’on enfonce à la profondeur de deux ou trois pieds, dans un trou fait avec une barre de fer ou plantoir, & on resserre la terre contre. Si on le destine à devenir un grand arbre, & à fournir des fagots pour les troupeaux, on le plante en laissant quelques petites branches à son sommet, & on le conduit ensuite comme le peuplier blanc ; mais si on le destine particulièrement à fournir des échalas aux vignes, on lui coupe la tête à une certaine hauteur, afin qu’il pousse à la manière des saules. J’aime mieux le planter suivant la première méthode, &, à la seconde année, après qu’il a bien repris, & que sa végétation est complette, abattre sa tête, lui laisser un plus grand nombre de ses rameaux du haut, & abattre les inférieurs. Si on lui conserve la tête, on doit la conduire comme celle du peuplier blanc, lorsqu’on le destine à faire des taillis ou des fourrées aux bords des rivières, afin de s’opposer aux ravages causés par les débordemens. On le plante, dans le premier cas, à cinq pieds de distance, & on choisit, pour enfoncer en terre, les bourgeons de l’année que l’on ravale à quelques pouces de terre ; après la première année, on les recèpe de nouveau & on regarnit les places vides. Dans le second cas on les plante près les uns des autres & on les coupe à fleur de terre, & les pousses sont recépées l’année suivante.

À moins que le climat ne soit très-rigoureux, & c’est encore une expérience à faire, on met en terre les plançons & les boutures aussitôt après la chute des feuilles. La terre a le temps de se serrer pendant l’hiver, & la reprise est plus assurée que lorsque l’on plante à la fin de l’hiver.

Ce peuplier demande à être taillé tous les trois ou quatre ans, & le bois des échalas de quatre ans est beaucoup meilleur que celui de la troisième année. Si après avoir converti les branches en échalas, on leur enlève leur écorce, ils durent beaucoup plus long-temps. Le tronc sert à faire des poutres, des solives, des chevrons, des planches, &c. il faut bien les employer quand on n’a ni sapin, ni chêne, & pourvu qu’on le garantisse de l’humidité & de la pluie, il subsiste très-long-temps.

Le peuplier d’Italie. Il a été un temps en France où l’on ne voyoit, ne parloit, & où on ne plantoit plus que des peupliers d’Italie. C’étoit une manie, une fureur qui fit établir des pépinières dans presque toutes les provinces ; on se porta même jusqu’à écrire que cet arbre pourroit servir à faire des mats de vaisseaux. Qu’a produit cet enthousiasme ? Rien, ou presque rien, si on en juge par ce qui existe aujourd’hui. Les utiles peupliers du pays furent supprimés, & on en ressent encore de leur perte. La peuplomanie fit déraciner les avenues plantées en ormeaux, en tilleuls, dans lesquelles on bravoit les ardeurs du soleil, & on eut à leur place de beaux arbres qui s’élevoient agréablement en pyramides ; mais bientôt leur base s’élargit, les tiges s’élevèrent, & l’on eut tous le contraire de ce que l’on désiroit ; l’avenue parut très-étroite vers le bas de l’arbre, très-large à son sommet, & le voyageur resta exposé à toute l’activité du soleil. Quelques particuliers, croyant remédier à ce défaut essentiel, firent tailler ces arbres en éventail, & le fatal ciseau leur fit perdre en un instant leur seul mérite, celui de bien pyramider. Un second défaut de ces avenues consiste dans leur monotonie qui assomme. Il faut cependant convenir que quelques bouquets de peupliers d’Italie, distribués avec art dans un parc, dans une vaste étendue de terrain, forment un joli coup-d’œil ; mais s’ils sont trop multipliés, ils n’ont plus aucun mérite.

On multiplie cet arbre par plançons, auxquels on ne coupe point la tête, ou par boutures. Si on coupe le peuplier d’Italie par le pied, il ne repousse plus, défaut que n’ont pas les autres peupliers dont on a parlé. Il vient plus aisément que les autres dans les terrains secs. Son bois ne vaut pas le leur, & si on destine cet arbre à être émondé, il perd le caractère qui le rendoit agréable.

On marcotte les peupliers de Caroline & d’Athènes, parce qu’ils ne reprennent pas de boutures. Les peupliers nouvellement introduits en France, ne sont pas encore assez multipliés, & l’on ne peut pas encore assurer s’ils seront un jour une ressource pour la nourriture d’hiver du bétail & des troupeaux, & s’ils mériteront la préférence sur le peuplier noir commun, & sur le peuplier blanc.


CHAPITRE III.

Propriétés médicinales.

On regarde l’écorce du peuplier blanc comme calmante, diurétique ; le suc de ses feuilles est odontalgique. On donne l’écorce en décoction, & on seringue le suc chaud dans l’oreille. Les germes du peuplier noir en infusion, à la dose de demi-once jusqu’à deux onces, dans une livre d’eau, pour boisson en plusieurs verrées, calment les diarrhées par foiblesse d’estomac, & les diarrhées séreuses ; mais le principal usage de ces germes ou boutons est dans la composition de l’onguent populeum qui relâche les, différentes parties sur lesquelles on l’applique. On s’en sert utilement contre les hémorroïdes.

Le baumier ou tacamahaca, fournit une résine dont l’odeur approche un peu de celle de l’ambre gris. Cette résine est vulnéraire, astringente & nervine ; celle qui découle naturellement de l’arbre est à préférer, & elle est en larmes pâles ; celle qu’on tire en faisant des incisions a l’écorce, est jaune, rouge ou brune, selon la partie ou l’incision a été faite.