Cours d’agriculture (Rozier)/PERCE-OREILLE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 561-563).


PERCE-OREILLE. M. Geoffroy ; dans son Histoire abrégée des Insectes, le définit ainsi : forsicula antennarum articulis quatuordecim, & il le classe dans la famille des coléoptères dont les étuis sont durs, & ne couvrent qu’une partie du ventre & de leurs tarses, & qui ont trois articles à toutes les pattes.

La grandeur de cet insecte varie. Sa tête est de couleur brune ainsi que ses antennes qui égalent la moitié de la longueur du corps & qui sont composées de quatorze anneaux ; le corcelet est plat, noir, avec des rebords élevés de couleur pâle. Les étuis sont d’un gris un peu fauve, ainsi que le bout des ailes qui déborde les étuis. On voit sur le bout des ailes une tache blanche arrondie, quelquefois un peu marquée. Le ventre est brun & son dernier anneau est large avec quatre éminences, une sur chaque côté & deux dans le milieu. Ce dernier anneau soutient deux pinces brunes, formées en arc, dont les pointes se touchent, & qui sont de couleur jaunâtre, mais plus brunes à leur extrémité. Ces pinces sont aplaties à leur base & ont à cet endroit, dans, leur côté inférieur, plusieurs dents, dont deux sont plus inférieures & plus saillantes que les autres ; dans quelques individus ces dents, ne se trouvent pas.

Cet insecte est le fléau le plus terrible des amateurs d’œillets. Pour peu qu’il soit multiplié, il détruit, dans l’espace de quelques nuits, la collection la plus nombreuse qui embellit un amphithéâtre : Le perce-oreille fuit la lumière, & si le jour le surprend, il se cache à la hâte sous quelques feuilles, sous le rebord des pots, enfin où il peut. Dès que l’obscurité de la nuit le dérobe aux yeux du fleuriste, il gagne à la hâte le centre de la fleur épanouie, pénètre au fond de son calice, s’abreuve de l’eau mielleuse & parfumée qu’il renferme, & lorsqu’il n’en trouve plus, alors il coupe & tranche l’onglet des pétales qui les tenoit attachées au fond du calice. Au lever du soleil, cette belle fleur, ce magnifique œillet qui a exigé tant de soins, qui a donné tant de peine à cultiver, ne présente plus que le triste coup-d’œil d’un fanage flétri & prêt à se dessécher. Ce que le fleuriste éprouve, le jardinier l’éprouve aussi. Toutes les plantes dont le calice de la fleur renferme une liqueur miellée, sont l’objet des ravages du perce-oreille, & le suc miellé étant destiné par la nature à la nourriture de l’embryon & à la perfection de la graine, sa soustraction fait périr la plante. Si la pellicule qui recouvre le fruit est attaquée ou par les limaçons, par les guêpes, &c. le perce-oreille, accourt avec la fourmi, & de concert ils augmentent les dégâts.

Les fleuristes jettent du tabac d’Espagne bien sec & bien fin dans le fond du calice de chaque œillet & l’insecte n’en approche plus, soit qu’il soit éloigné par son odeur forte & pénétrante, soit parce que le mélange de cette substance âcre, mêlée avec l’eau miellée, la vicie, & qu’il n’y trouve plus la nourriture qu’il désire. De la cendre tamisée finement produit, le même effet & coûte moins. Ces opérations, sont minutieuses ; il vaut beaucoup mieux que les pieds qui supportent les amphithéâtres soyent environnés par un petit bassin de plomb de deux à trois pouces de hauteur sur autant de largeur dans tout son pourtour, & qu’on a soin de tenir rempli d’eau. L’amphithéâtre demande à être isolé de toutes parts ; s’il touche au mur, le premier expédient dévient inutile.

La manière de vivre du perce-oreille fournit un moyen pour le détruire. Il aime la retraite & se cache pendant le jour, c’est dans cette retraite qu’il faut l’attaquer & le détruire. À cet effet, on place au sommet de la baguette qui supporte la tige de l’œillet, une carte pliée en cornet, en entonnoir, & l’insecte s’y retire. Si l’entonnoir est trop évasé, ce ne sera qu’à la dernière extrémité qu’il s’y rendra, parce qu’il aura trop de jour. Des onglets des moutons, des cochons, les cornes de béliers, de bœufs, &c. produisent le même effet, & la cavité contournée des cornes attire leur préférence. Dès que le soleil est levé, l’amateur visite son amphithéâtre, il suit chaque pot en particulier, en détache les cornets, les secoue avec force, & l’animal tombant par terre est foulé aux pieds. Dans les provinces où les roseaux des jardins sont communs, (consultez ce mot) ils servent & comme baguettes pour les œillets & comme attrape perce-oreille. Ces roseaux sont cylindriques, articulés, & chaque articulation est séparée par une forte membrane ou cloison intérieure. Au bas de la dernière articulation du sommet de la baguette, on pratique une ouverture de deux à trois lignes de largeur sur autant de hauteur. Le sommet de la baguette, coupé au-dessous de l’articulation, reste ouvert pour servir à introduire dans ce cylindre de deux à trois pouces de longueur, un petit morceau de bois de calibre & de grandeur proportionnée qui sert à écraser les perce-oreilles. Après l’opération, on rebouche l’ouverture supérieure, soit avec un bouchon de papier, soit avec des feuilles roulées. On est bien sûr que s’il reste encore des perce-oreilles, on les trouvera le lendemain dans la même retraite.

Il existe à l’égard de cet insecte une erreur générale dans tout le royaume, & qui a fixé la dénomination sous laquelle il est connu, on s’est imaginé qu’il avoit un penchant particulier à se loger dans l’oreille de l’homme, des animaux, & que de là il pénétroit dans le cerveau pour le ronger. L’inspection seule de la forme du cerveau & de la boîte osseuse qui le renferme, auroit prouvé l’impossibilité de pénétrer jusque là, & qu’il n’y a aucun passage de l’oreille au cerveau. Une description anatomique n’est pas du ressort de cet ouvrage. Ceux qui s’obstinent à croire sans examiner, n’ont qu’à suivre l’anatomie de cette partie & ils reconnoîtront enfin leur erreur. Ce qui peut y avoir donné lieu, c’est qu’effectivement on trouve dans les diverses cavités de la tête décharnée des animaux jetés à la voirie, des perce-oreilles ; mais ils ne s’y retirent que pour éviter la lumière, comme nous nous retirons dans nos chambres, afin d’éviter le froid ou la trop grande chaleur. D’ailleurs, l’organisation de l’oreille ne laisse aucun passage intérieur, & toute cette partie est d’une si grande sensibilité & d’une délicatesse si extrême, que la présence, je ne dis pas, d’un perce-oreille, mais seulement d’une puce y produit les sensations les plus douloureuses : l’homme endormi du plus profond sommeil, seroit réveillé par la simple approche de l’insecte dans l’intérieur de l’oreille.