Cours d’agriculture (Rozier)/PASTEL ou GUÈDE ou GUESDE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 446-449).


PASTEL ou GUÈDE ou GUESDE. (Voyez Planche VII, page 400) Tournefort le place dans la première section de la classe des fleurs régulières & en croix, dont le calice devient un fruit court & à une seule cavité ; & il l’appelle isatis sylvetris seu angusti folia. Von-Linné le nomme isatis tinctoria, & le classe dans la tetradynamie siliqueuse.

Fleur B ; composée de quatre pétales D, ovales, obtus, dont la base est un onglet très-délié. Les étamines E au nombre de six, dont deux plus longues & deux plus courtes ; le calice C est composé de quatre feuilles disposées en croix, alternatives avec les pétales.

Fruit F ; petite silique à une loge à deux valvules G qui renferment la graine H, ovale, alongée.

Feuilles ; simples ; celles des racines ovales, très-alongées, marquées d’une forte nervure au milieu ; celles des tiges en forme de fer de flèche, adhérentes par leur base & pointues.

Port ; tiges hautes de deux à trois pieds, mais de quatre à cinq suivant la culture & la nature du sol ; les fleurs naissent au sommet ; les tiges du pastel sauvage sont velues, elles deviennent presque lisses quand la plante est cultivée.

Racine A ; en forme de navet, & très-fibreuse.

Lieu ; les bords de la mer Baltique, l’Océan ; la plante est bienne, & végète même jusque sur les murs dans le Vexin François & dans le Vexin Normand, mais elle y reste basse & petite.

Propriétés. Quoiqu’elle passe pour être vulnéraire & astringente, elle est de peu d’usage en médecine, mais en revanche elle est employée dans les teintures.

Culture. Depuis que l’Amérique fournit au continent une grande abondance d’indigo ou anil, (Consultez ce dernier mot) cette préparation a fait peu à peu diminuer la culture du pastel.

La racine de cette plante indique le sol qui lui convient. Elle est pivotante & très-fibreuse ; elle aime donc les terrains qui ont du fond, & demande beaucoup de nourriture. La pratique dans la culture a confirmé cette observation, & l’expérience a prouvé que le pastel réussissoit fort mal lorsqu’il manquoit une de ces conditions.

Les environs de Toulouse, le district du Lauragais, quelques cantons de Provence, & sur-tout de la Thuringe, sont les lieux où l’on cultivoit cette plante avec plus de soin, & où elle réussissoit le mieux. Le pastel est encore commun en Italie & en Calabre.

Le produit du pastel est certain si on le sème dans une bonne terre, bien défoncée & bien fumée : il vient très-bien sur un champ où l’on a récolté du lin. Telle est l’assertion de plusieurs écrivains allemands : je ne la nie pas, puisque je n’ai, j’en conviens, jamais cultivé le pastel, mais elle me paroît peut conforme aux loix de la végétation. Il répugne à croire que deux récoltes consécutives de plantes à racines pivotantes, puissent se succéder avec un bénéfice assuré, à moins que la linière n’ait été singulièrement fumée, & que le lin n’ait pas consumé la majeure partie de la terre résultant de cet engrais.

On sème communément au mois de février, après que la terre a été précédemment défoncée par des labours fréquens & profonds donnés avant, & s’il se peut, pendant l’hiver, ou bien le terrain est défoncé à la bêche. (Consultez ce mot) Ensuite il est, dans plusieurs endroits, divisé par planches de trois pieds de largeur sur une longueur indéfinie. Le semis fait sur une couche légère de neige, n’en prospère que mieux ; en fondant elle enterre la graine : on doit semer très-clair, parce que la plante occupe un certain espace, & on râtelle sur les semis, afin d’enterrer la graine. Quelques-uns sèment par rayons qu’il éclaircissent dans la suite, ce qui vaut beaucoup mieux, & donne la facilité de sarcler au besoin.

Les cultivateurs font une différence dans la graine : l’une a une couleur violette & l’autre jaune ; la première mérite la préférence, parce qu’elle fournit une plante à feuilles lisses & unies : celle de la seconde est velue ; elle retient la poussière entraînée par le vent, & cette poussière diminue la qualité de la coque préparée avec le pastel.

La plante hors de terre, n’exige d’autre travail que d’être débarrassée des mauvaises herbes. Cependant, quelques légers binages donnés de temps en temps, favorisent beaucoup sa végétation.

Les premières feuilles du pastel se soutiennent droites tant qu’elles sont vertes ; elles commencent à mûrir vers le milieu de juin, suivant le climat, & on connoît qu’elles sont mûres par leur affaissement & par la couleur jaune qu’elles acquièrent ; cette couleur annonce que les tiges sont prêtes à pousser & à monter en graine.

Il est très-important de récolter les feuilles par un temps sec : s’il est pluvieux, on doit différer. La récolte se fait de deux manières ; quelques-uns empoignent les plantes près de terre, & les coupent en les tordant ; les autres les fauchent : ce dernier procédé est le meilleur. Il est vrai que l’on a la peine ensuite de rassembler les feuilles, mais cette perte de temps est compensée par la célérité dans la coupe, & par l’état de la plante qui ne souffre point de tiraillemens : c’est le cas, après cette première récolte, de sarcler & de biner. On a le temps, jusqu’au commencement de novembre, de faire trois & quelquefois quatre coupes, suivant que la saison favorise la végétation du pastel, & suivant la fertilité du sol. Le pastel destiné à donner de la graine pour les semis des années suivantes, n’est récolté que deux fois, & ensuite on le laisse monter en graine. Ne vaudroit-il pas mieux semer à part celui destiné à la multiplication, ou en conserver une partie dans un coin du champ, & ne point en récolter les feuilles ? Il me paroît que les tiges qui auroient suivi & végété d’après la loi naturelle, seroient plus grandes, plus fortes, & par conséquent leurs graines mieux nourries. C’est un point à examiner.

Les récoltes se succèdent à peu près de six en six semaines ; la première est la meilleure, soit pour la qualité soit pour la quantité, elle demande à être mise à part ; les suivantes vont toujours en le détériorant, & les cultivateurs de bonne foi les séparent.

La méthode suivie dans la Thuringe, &c décrite par Wedebins, diffère en un point de celle de France. Après avoir récolté les feuilles, dit-il, on les lave dans quelques rivières, on les expose au soleil après les avoir lavées, & on les étend dans un endroit propre à les faire sécher ; mais si la saison n’est pas favorable, & que ces feuilles soient continuellement mouillées par la pluie, elles courent risque de se gâter ; car, quelquefois elles deviennent noires dans l’espace d’une nuit : on attend que l’humidité soit dissipée pour les faire transporter dans les moulins destinés à les broyer.

En France, au contraire, on porte les feuilles au moulin aussi tôt après leur récolte. Le lavage pratiqué dans la Thuringe, ne sert donc qu’à les rendre propres, & à les dépouiller de toute espèce de saleté.

L’opération du moulin doit être prompte, parce que si les feuilles restent entassées, elles fermentent promptement, pourrissent & répandent bientôt une odeur insoutenable. Dans quelques cantons on les tourne & retourne plusieurs fois, afin que la masse se fane & se flétrisse également, & pour qu’elles ne commencent pas à fermenter.

Lorsque les feuilles sont triturées & réduites en pâte par l’action des meules, on en fait des piles dans la galerie du moulin, ou à l’air libre en dehors : après avoir bien pressé la pâte avec les pieds & les mains, on la bat & on l’unit par dessus avec la pelle ; c’est lepastel en pile.

Dans la Thuringe, après avoir broyé cette plante, l’avoir réduite en pâte, & l’avoir entassée, on couvre le tas pour le garantir de la pluie, & l’on place tout autour des soufflets que l’on met en action, afin de dissiper l’humidité : on forme ensuite avec cette pâte des gâteaux, ronds que l’on porte dans un lieu découvert, exposés au vent & au soleil pour qu’ils se dessèchent de plus en plus, & que l’humidité ne les fasse pas pourrir. L’action des soufflets devient utile dans les pays naturellement peu chauds, dans les saisons froides, humides & pluvieuses ; car il est bien démontré qu’un courant d’air excite plus l’évaporation que la chaleur.

Lorsque les gâteaux entassés s’échauffent par la fermentation qui commence à les travailler, alors l’odeur devient insupportable en raison de la chaleur de la saison & de celle de la masse fermentante. On augmente de plus en plus la chaleur du pastel en l’arrosant d’eau, jusqu’à ce qu’il soit réduit en poudre grossière qui est en usage dans la teinture, & que l’on appelle pastel préparé.

La méthode françoise n’est pas la même, & varie suivant les provinces. Après que le pastel a resté en pile, il s’y forme en dehors une croûte qui devient noirâtre : quand elle s’entrouvre, on l’unit de nouveau avec beaucoup de foin ; autrement le pastel s’éventeroit, & il se formeroit dans les crevasses de petits vers qui le gâteroient. Après quinze jours on ouvre le monceau de pastel, on le broye entre les mains, & on mêle ensemble la croûte & le dedans ; il faut même écraser quelquefois la croûte avec une masse, pour parvenir à la broyer. Il ne s’agit plus que de réduire cette pâte en coques ou pelotes rondes qui doivent peser, suivant l’ordonnance, cinq quarterons, poids de table, ce qui revient à peu près à une livre poids de marc. Après avoir bien serré ces pelotes en les formant, on les donne ensuite à une autre personne qui, en les appuyant dans une écuelle de bois, les alonge par les deux bouts opposés. Du mot Coque est venue la dénomination de pays de Coquaigne, pour dire un pays riche, parce que les cultivateurs s’enrichissoient autrefois par le commerce de cette préparation.

Le pastel donne une belle couleur bleue, & rend les autres couleurs plus pénétrantes ; il leur sert de pied. Les teinturiers l’unissent souvent avec l’indigo ou anil ; consultez ce dernier mot, afin de voir que le pastel & l’indigo sont deux plantes très différentes.

Il y a une si grande ressemblance entre la partie colorante de ces deux plantes, qu’il paroît que l’on devroit traiter le pastel comme l’indigo, & on obtiendroit peut-être une préparation qui égaleroit celle de l’Amérique. J’invite les cultivateurs de pastel à lire attentivement l’article anil, & à suivre les procédés qui y sont décrits. La partie fibreuse de la plante peut fort bien altérer la partie colorante de la fécule. C’est une expérience à tenter, ainsi que celle de réduire cette fécule en forme de pierre, tel qu’on vend le bon indigo dans le commerce. Je prie ceux qui feront ces expériences, d’avoir la bonté de m’en communiquer les résultats.