Cours d’agriculture (Rozier)/PARC, PARCAGE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 433-438).


PARC, PARCAGE. Enceinte quelconque, d’une étendue considérable. Ce premier mot a plusieurs acceptions ; deux seules nous intéressent : celles des parcs d’agrément & des parcs pour le bétail.

I. Parcs d’agrément. Grande étendue de terrain, entourée le plus souvent de murailles, pour la conservation des bois qui y sont, ou pour le plaisir de la chasse, ou pour la liberté de la promenade.

L’idée de la jouissance exclusive a fait imaginer les parcs, & les riches se sont fermés dans des prisons. Des murs en rase campagne ! un fossé, des haies, n’auroient pas borné la vue, & l’œil, agréablement trompé, auroit promené les regards aussi loin qu’ils peuvent s’étendre. Ce que je vois de mieux dans ces vastes clôtures, c’est la somme d’argent qu’elles ont coûté, qui a été gagnée par le journalier. Passe encore, & même c’est un très-grand bien que la retraite des bêtes fauves soit circonscrite par des murailles ; elles serviront de sauve-garde aux récoltes des voisins, & le seigneur, pour le plaisir de quelques heures, n’abîmera pas dans sa chasse, le fruit d’un travail d’une année, & ne réduira pas à la misère un pauvre cultivateur qui a droit de maudire autant les plaisirs de ce seigneur que son voisinage, lorsqu’il en devient la victime. Depuis long-temps, l’amour de ses sujets avoit engagé le grand duc de Toscane à établir la loi qui ordonne d’investir de murs tous les lieux destinés à la bête fauve. Un si bel exemple vient d’être suivi par Joseph II : quand le sera-t-il par-tout ailleurs ?

M. Watelet, dans son ouvrage intitulé essais sur les jardins, définit ainsi les parcs anciens. Un parc est en général un vaste enclos environné de murs, planté & distribué en massifs, & en allées droites dans différentes directions symétriques, qui présentent presque par-tout à peu près le même genre de spectacle.

Le sentiment que ces lieux inspirent est ordinairement une rêverie sérieuse & quelquefois triste ; le plaisir qu’on y cherche est la promenade, qui, sans objet d’intérêt, a peu d’agrémens… Il ne semble pas qu’aucune idée pastorale ait présidé a la naissance des parcs : ils doivent sans doute leur origine à l’orgueil féodal.

Trois caractères qui ont des points d’appui dans les idées reçues, continue le même auteur, peuvent servir de base à la décoration des nouveaux parcs ou à la moderne, le pittoresque, le poétique, le romanesque.

Il est inutile d’entrer dans de plus grands détails. En consultant le mot Jardin, & la description de ceux de Stowe, on se formera une idée des ces trois genres ; d’ailleurs on peut encore consulter l’Ouvrage déjà cité.

Lorsque l’on considère la multiplicité, l’étendue prodigieuse de ces parcs, & que les impôts ne portent pas sur eux, on ne peut s’empêcher de dire qu’ils sont inutiles & une perte réelle pour la société. En effet, une paroisse entière vivroit d’un seul de ces parcs, tandis qu’il ne sert qu’à la sotte vanité & au froid amusement d’un oisif. C’est donc sur ce sol sacrifié en pure perte que l’impôt devroit peser & diminuer d’autant celui payé par le malheureux laboureur. Détournons les yeux d’un spectacle attristant, pour les porter sur un objet plus riant, & qui est la base de la fertilité de nos champs & d’une des principales branches de notre commerce.

II. Parc des troupeaux. Clôture où l’on enferme les moutons. On distingue deux espèces de parc ; celui d’est & celui d’hiver ou domestique.


Parc d’été.

Cette enceinte est formée de différentes manières, suivant les pays. La plus simple & la plus sûre est toujours la meilleure. Dans les provinces, dans les cantons où l’on ne craint pas les loups, par conséquent dans les pays très-découverts, ce qui forme l’enceinte est un filet à larges mailles, soutenu, de distance en distance, par des piquets. Dans les provinces maritimes où le spart, est commun, on prépare, avec cette plante sèche, des cordes même assez fortes pour servir de cables aux petits vaisseaux : celle destinée aux parcs est de la grosseur du petit doigt. Les mailles du filet ont huit à dix pouces de largeur & de longueur, & le filet a en tout de trois à quatre pieds de hauteur ; sa longueur est proportionnée à celle que doit avoir le parc, & le filet est tout d’une pièce ; ce qui est le plus ordinaire & le plus commode. Une même corde de spart passe dans toutes les mailles du bas, & une semblable dans celles du haut ; elles servent à attacher le filet contre les piquets : comme ces cordes ne sont simplement que passées dans chaque maille, & par conséquent libres, le berger en fait un tour sur les piquets, & en fixant les deux bouts du filet au dernier coin du parquet, il se trouve tout entier étendu.

Le berger commence à enfoncer les piquets en terre, à l’aide d’une massue, si la terre est dure, &c avec ces piquets il trace un carré alongé, d’une grandeur proportionnée à celle du filet qu’il connoît : alors il fixe un bout du filet au piquet d’une des extrémités du parc, & fixe successivement ce piquet à tous les filets. Le lendemain, ou deux ou trois jours après, suivant le besoin, le berger arrache tous les piquets, exceptés ceux qui sont au haut du parc ; il les plante de nouveau sur la même direction, & en avançant dans le champ, de manière que chaque soir le troupeau entre toujours par la tête du parc.

Comme les cordes de spart sont très-légères, le berger porte sans peine le filet en entier ; d’ailleurs cela n’est pas nécessaire, puisqu’il traîne, sur le champ, chaque partie du côté où elle doit aboutir. Si le canton est froid, le berger couche dans sa cabane portée sur deux à quatre roues ; dans les provinces du midi, il se contente d’un hamac fait avec des cordes de spart à mailles de deux à trois pouces, & rempli de paille. Ce hamac, soutenu par quatre piquets, a sa base à un pied au-dessus du niveau du champ.

Dans les provinces où les loups sont à redouter, de pareils parcs seroient insuffisans ; il faut nécessairement faire une enceinte avec des claies de quatre à cinq pieds de hauteur. Le bois le plus commun dans le pays & le moins pesant, est celui dont on se sert.

La claie est un assemblage de baguettes flexibles, entrelassées & croisées en sens contraire sur des montans du même bois. Le coudrier est très-employé, le châtaigner vaudroit mieux ; mais il est plus pesant : par conséquent les claies en châtaignier doivent être moins longues que celles en bois blanc, afin que le berger puisse les porter & les transporter sans peine d’un lieu à un autre. On fait aussi des claies avec des voliges ou assemblées, ou clouées les unes sur les autres, ou fixées avec du fil de fer, à chaque point de réunion.

L’extrémité de chaque claie doit être placée en recouvrement sur l’extrémité de la suivante, & ainsi de suite jusqu’au bout. Ces claies sont soutenues par des piquets vulgairement nommés crosses, qui sont destinés à réunir & à soutenir les deux extrémités des claies : on passe la crosse dans le petit vide qu’on a ménagé exprès à l’extrémité de chaque claie, & qui se rencontre dans cette partie ; on le nomme éperneau. La crosse est percée de deux trous dans chacun desquels on met une cheville, l’une derrière les montants de la claie, & l’autre pardevant.

L’autre bout de la crosse répondant à la terre, doit être courbé & percé d’une entaille qui sert à passer une cheville que l’on enfonce dans le sol. Les coins du parc n’ont pas besoin de chevilles ; on en lie ensemble les deux montans au moyen d’une corde. La longueur de ces claies doit, ainsi qu’il a déjà été dit, dépendre de la pesanteur qu’elles auront & qui est relative à la qualité du bois & à la manière plus ou moins serré dont on a placé chaque baguette. Il seroit possible de faire des parcs excellens, & sur-tout très-légers, avec le roseau des jardins, (consultez ce mot) très-commun dans les provinces méridionales du royaume. On ne doit, dans aucun cas, faire parquer des troupeaux sur un champ, qu’il n’ait été travaillé par un bon labour croisé. La terre nouvellement soulevée s’imprègne mieux des urines ; les crottins sont enterrés en grande partie par le piétinement des animaux, & la superficie du sol est tellement rendue égale, qu’à peine s’aperçoit-on des sillons tracés par le labourage de la veille.

L’étendue du parc doit être proportionnée au nombre des bêtes, ou au temps, qu’elles doivent demeurer dans la même place, ou enfin à la saison ; car les troupeaux amplement nourris d’herbes fraîches, urinent & fientent beaucoup plus que ceux qui ne trouvent qu’un pâturage rare & sec. Aussi est-on dans le cas de changer deux & même trois fois le parc dans une nuit, si elle est un peu longue. En général, chaque bête à laine de la grosse espère & bien nourrie, peut fumer une étendue de dix pieds quarrés, & moins, si elle est d’espèce plus petite, ou si elle est mal nourrie. D’après cette donnée, & en supposant dix pieds de longueur aux claies, douze de ces claies suffisent pour un parc de quatre-vingt-dix bêtes, dix-huit pour deux cent, vingt-deux pour trois cents.

La manière de construire le parc du lendemain ne diffère pas beaucoup de celle de la veille, & c’est toujours la même opération que l’on répète.

Si le champ & si le troupeau qui parque appartiennent au berger ou à son père, il ne manquera pas, dans la nuit, de se lever plusieurs fois, & chaque fois de réveiller les bêtes, & de les obliger à changer de place & à se tenir debout au moins pendant quelques minutes, parce que, chaque fois qu’elles se lèvent, elles fientent ou urinent. Dès-lors le sol se trouve engraissé d’une manière plus uniforme. Si le berger est simplement à gages, il ne prendra pas cette peine, & aimera mieux dormir paisiblement sous la sauve-garde de son chien.

Au lieu de faire un second parc pendant la nuit, opération qui entraîne après elle un temps toujours regretté par le berger, il vaut mieux avoir un double parc placé à-côté du premier, ou simplement un parc en deux parties séparées par une simple cloison. Alors quelques momens suffisent pour faire passer le troupeau d’un parc dans un autre. Dans le cas du second parcage nocturne, on doit tenir les bêtes plus serrées dans le premier, afin que sa place soit également fumée.

La cabane du berger est une maisonnette de six pieds de longueur sur quatre de largeur & autant de hauteur, couverte en planches ou d’un toit de paille, encore mieux de bardeau ; elle est fermée à clef par deux portes, une à chaque extrémité, & intérieurement elle est garnie des choses destinées à coucher le berger, & de quelques tablettes capables de supporter ses hardes, & même les provisions de bouche.


Des parcs d’hiver.

Le meilleur, sans contredit, est une enceinte vaste, formée par des murs de huit à neuf pieds de hauteur, construits soit en maçonnerie, soit à pierres sèches, suivant les facultés du propriétaire, ou en pisay, (voyez ce mot) & dont le ciel forme la toiture. On peut, si l’on veut, & à la rigueur, en faveur des incrédules sur ce point, établir un hangar à une de ses extrémités, & le couvrir avec des tuiles, ou en chaume, ou avec des bardeaux. C’est dans un semblable parc que le troupeau doit passer l’hiver exposé à toutes les injures du temps : c’est là que les mères mettront bas leurs agneaux, qu’ils s’accoutumeront de bonne heure à la rigueur des saisons, que leur santé le fortifiera, & que leurs laines acquerront de la blancheur & une finesse égale à celle des laines d’Espagne & d’Angleterre. Quel contraste entre ce parc d’hiver & nos bergeries ! Si quelqu’un doute des avantages sans nombre du parcage en plein air, je l’invite à lire attentivement les articles bergerie & laine ; mais comme souvent on ne s’en rapporte pas à ce qui est écrit, j’invite les plus incrédules à se transporter chez M. Daubenton, à Montbar en Bourgogne, pays assez froid pour que le raisin n’y vienne pas à maturité, & ils se convaincront, par la seule inspection de la beauté & de la supériorité des troupeaux de cet excellent & savant citoyen, que le mouton & que la brebis n’ont pas inutilement reçu de la nature la toison la plus épaisse & la plus serrée ; enfin qu’il est temps de quitter la barbare & meurtrière coutume d’entasser les bêtes dans des bergeries où elles contractent le germe d’une infinité de maladies, & presque toujours celui de la mort du plus grand nombre.


De l’utilité des parcs.

Les cultivateurs ne font pas assez d’attention à la quantité considérable de temps que demandent les transports de fumiers de la métairie aux champs. On profite, disent-ils, de la morte saison, comme si on avoit jamais trop de temps devant soi ; comme s’il manquoit d’occupation dans une métairie. Ce qu’on appelle morte-saison est l’époque à laquelle la terre est trop ramollie par les pluies, ou couverte de neige, ou endurcie par la gelée. Cette morte-saison, suivant les climats, dure fort long-temps, & absorbe un quart & même un tiers de l’année. Si le fumier est transporté, par exemple, en décembre, il restera donc sur le champ glacé, en petits monticules, ou bien, il sera tout de suite étendu sur sa superficie. Partant toujours de la même supposition, il faudra donc attendre tout au moins la fin de février ou de mars pour l’enfouir par un bon labour. Croit-on de bonne foi que ce fumier délavé par les pluies, mangé, si je puis m’exprimer ainsi, par les alternatives sans nombre, de sécheresse & d’humidité, par la rigueur des gelées, &c. produise le même effet que s’il avoit été enterré aussitôt qu’il a été porté sur le sol ? Le pacage, au contraire, peut avoir lieu sur les champs depuis la fin de l’hiver jusqu’en octobre ou novembre, & la fiente & l’urine du mouton recouvertes au moins par un fort coup de charrue, puisqu’aussitôt qu’un champ ou une partie d’un grand champ ont eu le parc, le bon cultivateur ne diffère pas le labour ; & il règle, sur les besoins du sol, le nombre de nuits que le troupeau doit rester au même endroit. J’aimerois mieux faire parquer à deux reprises différentes sur le même local, que pendant deux nuits consécutives. La quantité d’engrais jetée tout à la fois, ne produit pas autant d’effets que la même quantité mise en deux fois. Il faut donner le temps à la première de se décomposer, pour former ensuite avec le sol de nouvelles combinaisons d’où résultent les matériaux de la sève. Consultez les articles amendemens, engrais, fumier, ils sont essentiels pour bien entendre ce que je viens de dire.

Le parc établit l’engrais d’une manière uniforme sur le champ ; ce qui n’arrive jamais par le transport des fumiers de basse-cour. Le crottin, par sa forme ronde, roule dans le sillon que trace la charrue, & il est enterré. Le fumier de basse-cour, presque toujours à pailles longues & mal consommées, reste en grande partie sur la crête du sillon, sur-tout s’il est grumelé ou rassemblé, en mottes. Par le parc, le fumier se trouve tout transporté, au lieu que celui de la basse-cour exige le travail des valets, du bétail ; il fait perdre un temps très considérable, & les champs éloignés de la métairie, ne sont jamais fumés ; au lieu que le parc ne compte pas les distances, ni les mauvais chemins, ni l’élévation du champ, ni la perte du temps. Enfin, le parc, après avoir contribué à l’amélioration de la terre, conserve la santé du troupeau & perfectionne sa laine. Il est constant qu’avec un bon travail & un parcage soutenu, les terres, & même les médiocres, ne souffriroient pas les jachères. Consultez ce mot, qui devroit être inconnu au bon cultivateur.

Si les prairies ne sont pas humides, on peut y faire parquer pendant l’hiver même ; celles des coteaux produisent alors des récoltes aussi abondantes que celles de la plaine, pour peu que la saison les favorise. L’effet du parc sur les lusernes est prodigieux ; il seroit également avantageux sur les blés ; la dent du mouton rasera leur fane & ils en talleront beaucoup plus.