Cours d’agriculture (Rozier)/ORTIE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 333-339).


ORTIE MORTE DES BOIS. (Voyez Planche IV, page 326.) Tournefort la place dans la seconde section de la quatrième classe des fleurs en lèvres, dont la supérieure est creusée en cuiller, & il l’appelle galeopsis procerior, fœtida, spicata. Von-Linné la nomme stachis silvatica, & la classe dans la didynamie gymnospermie.

Fleur ; en lèvre, dont la supérieure est creusée en cuiller ; l’inférieure est partagée en trois segmens, dont celui du milieu est obtus, long, large, réfléchi des deux côtés ; les deux autres sont petits & courts ; la corolle purpurine & la lèvre inférieure tachetée ; B représente une fleur dépouillée de son calice ; C, les étamines attachées aux parois du tube ; D, le pistil composé de quatre ovaires ; E, le calice de la fleur.

Fruit F ; quatre semences oblongues ; elles sont ovoïdes & pointues en G.

Feuilles ; portées par des pétioles, larges, en forme de cœur, dentées, rudes au toucher.

Racine ; rampante A, avec quelques fils grêles qui forcent des nœuds.

Port, Les tiges, s’élèvent à la hauteur de deux pieds ; elles sont quarrées, velues, creuses, branchues ; les fleurs placées comme les rayons d’une roue autour de l’axe, naissent au sommet des rameaux. On y voit deux feuilles florales très-entières ; les feuilles sont opposés sur les tiges

Lieu ; les forêts, les bois, la plante est annuelle.

Propriétés. Cette plante a une odeur de bitume ; une saveur un peu salée, un peu astringente ; elle est vulnéraire, emménagogue. On emploie les feuilles fraîches pilées & appliqueés sont anti-ulcéreuses ; macérées dans l’huile d’olive, elles sont utiles contre les plaies des tendons.

L’ortie morte à fleur jaune, appelée par Tournefort galeopsis sivè urtica iners, flore luteo, & nommée par Von-Linné, galeopsis, galeopdolon, a les mêmes peu propriétés que la précédente. Elle en diffère par la couleur de sa fleur, par sa lèvre supérieure dentée à son extrémité, par les feuilles radicales, & sur-tout par celles qui naissent au sommet des tiges en forme de lance, sans pétiole.

La grande ortie, ou ortie brûlante. Tournefort la place dans la sixième section de la quinzième classe des herbes à fleurs, à étamines, séparées des fruits sur des pieds différens, & l’appelle urtica urens maxima. Von-Linné la nomme urtica dioca, & la classe dans la monoécie tétrandrie.

Fleurs ; mâles & femelles sur le même pied ; les fleurs mâles sont composées de quatre étamines placées dans un calice divisé en quatre folioles presque rondes, concaves, obtuses, au milieu de ce calice on trouve dans l’intérieur un petit nectar en forme de vase. Les fleursfemelles sont quelquefois placées sur des pieds différens, c’est pourquoi Von-Linné donne à cette ortie l’épithète de dioïque. Ces fleurs sont composées d’un pistil renfermé dans un calice ovale, concave, droit, divisé en deux parties.

Fruit ; semence solitaire, ovale, obtuse, luisante, un peu aplatie, renfermée dans le calice qui s’est contracté.

Feuilles ; portées sur des pétioles, simples, entières, en forme de cœur, couvertes de poils.

Racine ; rameuse, fibreuse, jaunâtre.

Port ; tiges hautes de deux à trois pieds, suivant le sol, quarrées, cannelées, raides, hérissées de poils, creuses, rameuses, feuillées ; les fleurs au sommet en forme de grappes ; les feuilles sont opposées sur les tiges ; toutes les parties de la plante sont couvertes de poils articulés, figurés en alène, piquans, & qui causent des inflammations sur la peau.

Lieux ; les bords des chemins, les champs ; la plante est vivace, fleurit en juin & en juillet.

I. Propriétés économiques. Les tiges de la grande ortie, que l’on vient de décrire, fournissent un fil aussi beau & aussi bon que celui du chanvre, & un fourrage en vert & en sec excellent pour les bestiaux. Entrons dans quelques détails sur ces deux objets.

De l’ortie considéré relativement à son fil. Si le chanvre & le lin manquoient à nos besoins, la grande ortie est la plante qui mériteroit le mieux de leur être substituée. Jusqu’à cette époque, les avantages de sa culture sont trop inférieurs à ceux du lin & du chanvre, pour que le cultivateur instruit s’en occupe. Cependant les fossés, leurs bords, les amas de cailloux dont on débarrasse les champs, les vignes, peuvent, sans conséquence, être sacrifiés à la culture de l’ortie ; mais y employer un bon fond, c’est mal entendre ses intérêts. Il est des cas cependant qui permettent cette culture, c’est lorsque l’on a des terrains arides, comme les craies de Champagne, de Picardie, les sols très-sablonneux & un peu humides, les landes, les balmes à pentes rapides, etc. Il est constant que dans ces terrains on n’aura pas de belles récoltes ; mais on aura au moins, si l’année est pluvieuse, des tiges propres à donner du fil, une nourriture pour le bétail, & un commencement de formation d’humus ou terre végétale, (voyez le mot Amendement) par la décomposition annuelle de ces plantes.

Une fois que la grande ortie s’est emparée des amas de cailloux, elle y réussit fort bien, parce que la fraîcheur se conserve sous les pierres, & les racines rencontrent un grand nombre de cavités où elles trouvent à s’étendre. Les fossés qui bordent les chemins, qui terminent les possessions, séparent les héritages, etc. peuvent être utilement consacrés à la grande ortie, sur-tout si le sol est bon : ou ne doit donc raisonnablement regarder cette culture que comme un simple accessoire & surnuméraire, afin que dans une-métairie bien réglée il n’ait pas un pouce de terrain perdu. Cependant il est des cas où elle sera d’un vrai secours.

Si, malgré ce que je viens de dire, des cultivateurs veulent mettre l’ortie en culture réglée, après avoir bien labouré le sol, on sèmera la graine aussitôt après l’hiver, & on hersera le champ de manière à ne plus laisser la trace des sillons. La plante est vivace ; ainsi elle sera conservée dans le champ autant d’années qu’elle produira des récoltes. Les troupeaux y trouveront une nourriture pendant les saisons mortes, & le champ sera fumé d’autant. Le climat décide de l’époque à laquelle on doit couper les tiges, lorsqu’elles prennent une couleur jaunâtre, lorsque les feuilles se fanent ; maison ne doit pas attendre une dessiccation complète, parce que la filasse auroit, dans la suite, trop de peine à se détacher de la chenevotte. La meilleure manière de couper l’ortie est avec la faulx de Flandres, armée de dents, (voyez le mot Outil d’agriculture) parce que les tiges se trouvent rangées d’elles-mêmes par ondées.

Lorsque la feuille se détache par la dessiccation, on doit botteler les tiges comme celles du chanvre, les porter au routoir. Je n’entrerai ici dans aucun détail sur cette dernière opération ; consultez le mot Rouir : je donnerai dans cet article, une théorie toute nouvelle sur le rouissage, & bien différente de celle qui a été désignée au mot chanvre.

On a reconnu que l’Ortie plantée de racines subsistoit bien plus long-temps que celle venue de graine, & que les tiges en étaient plus hautes & plus grosses. Il est aisé de se convaincre, par l’expérience, de la supériorité d’une méthode sur l’autre. Il ne m’est pas permis de prononcer, parce que dans ce moment je ne suis que simple historien, & je ne me suis pas d’ailleurs occupé de cette culture. Le bureau de la Société royale d’Agriculture d’Angers, a suivi de près tous ses détails & ses produits. L’extrait des travaux de cette société est consigné dans le journal économique du mois de septembre 1766. Les fossés de la ville, d’ailleurs très-étendus, fournissent une ample récolte.

« Les avantages, est-il dit dans ce journal, qui résultent de la récolte de l’ortie, sont bien sensibles, puisqu’elle n’exige ni culture, ni engrais, ni terrain particulier, ni presqu’aucune dépense qui puisse distraire le laboureur des ouvrages de la campagne. Il n’est point de colon, pour peu que son domaine soit étendu, oui ne puisse récolter de la filasse d’ortie suffisamment pour son usage, & il ménagera, par-là, sur la récolte qu’il fera de son chanvre & de son lin, qu’il pourra vendre en entier ; ce qui par succession d’années, formeroit une somme qu’il ne doit pas négliger. »

» Depuis l’établissement du bureau d’agriculture d’Angers, plusieurs de ceux qui le composent ont fait différens essais sur la filasse de l’ortie. Les échantillons de la toile qui en fut fabriquée, envoyés au contrôleur général & à l’intendant de la province, ont été trouvés de la meilleure qualité, & messieurs du bureau du Mans ayant fait mettre cette toile au blanchissage, ont rapporté qu’elle prenoit mieux le blanc & beaucoup plus promptement que la toile de chanvre. »

Toutes les espèces d’orties, soit la romaine urtica pilusera Lin. si commune dans les provinces méridionale de France & dans les pays chauds, soit les variétés de l’ortie dont il est question, ne fournissent pas en si grande quantité ni une si belle filasse, que la grande ortie ; cependant dans les dix-but espèces d’orties que compte Von-Linné, il faut en excepter l’espèce dont il est fait mention dans l’abrégé des mémoires de l’académie de Stockolm, dans lequel on lit : « On trouve aussi dans la même contrée (la Sibérie) une ortie haute de cinq ou six pieds, qui s’élève même jusqu’à dix pieds dans les terres grasses. D’après les expériences faites par M. le baron de Bielke, il résulte que la grande ortie de Sibérie peut avoir toute l’utilité du chanvre. » L’abréviateur de ces mémoires auroit dû indiquer la dénomination que Von-Linné donne à cette plante : on fait que c’est l’urtica cannabina ?

De l’ortie considérée comme nourriture des hommes & des bestiaux. Il paroît que la culture de l’ortie n’est pas négligée en Suède, & M. Baër, dans la traduction qu’il a donnée de quelques articles de cette académie, dit que, « dans plusieurs cantons de ce royaume, on recueille, vers la fin du mois d’août, la graine de l’ortie brûlante, en coupant la tige & en la laissant sécher. Alors la graine tombe d’elle-même ; elle ressemble à la graine de navets, & il n’est pas nécessaire d’en séparer l’enveloppe qui tombe avec elle : on sème ensuite cette graine pendant tout le mois de septembre. »

« On assure que l’on peut aussi ; pendant les mois de septembre & d’octobre, prendre les racines des orties, les séparer & les replanter en coupant les extrémités. En ce cas, il faut, en enlevant les racines, y laisser un travers de doigt de la tige ; on les plante ensuite, en ligne droite, à une profondeur égale à celle où elles étoient, assez près l’une de l’autre, & on les affermit avec un peu de terre, afin qu’elles puissent se tenir debout. »

» Soit qu’on sème les orties, ou qu’on les plante, l’avantage est le même, avec la différence cependant que les plantes qui proviennent de la graine ne sauroient être récoltées au premier été qui suit, tandis que celles qui proviennent des racines plantées, peuvent l’être dès le premier été qui suit la plantation. »

» La graine & les racines des orties excepté celles de la grande espèce brûlante, ne valent rien ; elles périssent à la seconde ou à la troisième année. Les racines des premières sont au contraire vivaces, & elles poussent toujours leurs tiges sans avoir besoin d’être replantées, quand elles l’ont bien été une première fois. »

» Les orties viennent bien dans tous les terrains élevés, même sur les montagnes, parmi les pierres & dans les endroits exposés au soleil. Comme il est très-dispendieux de labourer les terres montagneuses & pierreuses, il suffit, pour la culture des orties, de transporter dans les endroits destinés à leur plantation, un peu de terre noire, & de les en couvrir à peu près de l’épaisseur de deux pouces, sans qu’il soit besoin de défoncer la terre qui est au dessous. On sème ensuite, ou bien l’on plante les orties dans cette terre. »

» Les orties élevées de graine ne doivent être coupées que la seconde année après avoir été semées. Celles qui proviennent des racines plantées, peuvent être coupées trois fois dans le premier été après leur plantation, savoir à la mi-juin, à la mi-juillet & à la mi-août[1], & ainsi de même chaque année par la suite. On peut aussi, dans le même temps, couper & récolter celles qui viennent d’elles mêmes, & que jusqu’ici on n’a presque employées nulle part. »

» Les orties coupées, le bétail les mange facilement & avec plaisir, soit qu’on les mêle avec de la paille en place de foin, soit qu’on les fasse infuser dans l’eau chaude, qu’on les y laisse pendant la nuit, & que le jour suivant, on donne au bétail cette infusion qui prend une couleur brune & un goût fort agréable aux bestiaux, ainsi que les orties qui y ont été infusées. Toute sorte de bétail aime les orties, pourvu qu’elles aient été coupées & récoltées à temps. »

» Les vaches auxquelles on donne beaucoup d’orties à manger, fournissent du lait en abondance ; ce lait rend beaucoup de crème ; le beurre qu’on en fait a un goût agréable, & prend au milieu de l’hiver une couleur aussi jaune qu’en été. Les bestiaux qui se nourrissent de cette herbe, se portent très-bien, engraissent, sont bien en chair, & ne sont incommodés d’aucune maladie ; on ajoute même qu’une expérience constante a prouvé que les maladies contagieuses ne se sont jamais glissées parmi eux. Il est difficile de se déterminer à regarder cette plante comme jouissant d’une pareille vertu spécifique. Si on se borne à la conseiller comme très-saine & comme réunissant tous les avantages des amers & des astringens qui sont dans ce cas très-indiqués ; alors cette assertion paraîtra plus raisonnable & méritera plus de confiance ».

Plusieurs cultivateurs connoissent depuis long-temps l’utilité dont les orties sont aux animaux, comme fourrages ; ils ont grand soin de les faire récolter lorsqu’il s’en trouve une certaine quantité ; mais je ne crois pas qu’aucun d’eux ait soumis cette plante à une culture réglée. Dans les cantons très-chauds de nos provinces méridionales, où l’on ne peut faire qu’une seule coupe du sainfoin à cause de la sécheresse, la culture de l’ortie ne seroit-elle pas avantageuse, puisque malgré cette sécheresse on la voit prospérer sur la lisière des chemins. L’ortie romaine, dont le fruit ressemble à une pilule, a une tête ronde & mamelonnée, qui y est si commune, élèveroit beaucoup plus ses tiges si elle était cultivée, & l’on sait par expérience que le bétail la mange avec avidité. On est donc comme assuré de la réussite d’une plante indigène, qui supporte la chaleur & la sécheresse qui peuvent y régner. Il est facile de faire une expérience de comparaison avec le sainfoin, en employant séparément l’ortie brûlante & l’ortie romaine. Si je restois plus long-temps dans ce pays, j’offrirais quelques résultats ; mais il est à présumer que quelques cultivateurs prendront cette peine.

La graine d’ortie offre un excellente nourriture pour les dindonneaux, & ses sommités fleuries sont hachées avec la pâtée qu’on leur destine.

Les paysans de nos montagnes sont très-friands des jeunes pousses des orties ; elles leur tiennent lieu d’herbes pour la soupe, & ils les font cuire comme des épinards, & les assaisonnent avec du beurre ou de l’huile.

II. Propriétés médicinales. Feuilles inodores, d’une saveur herbacée & médiocrement austère, ainsi que celle des racines : les semences ont une saveur plus âcre. La plante appliquée extérieurement est antiseptique & très-stimulante, intérieurement astringente & détersive. La grande & la petite ortie tiennent un rang distingué parmi les substances réputées médicinales. Voici ce qu’en dit M. Vitet dans son excellent pharmacopée de Lyon. Les feuilles d’orties, particulièrement celles de la grande, diminuent quelquefois l’hémophthysie par toux violente, l’hémophthysie par pléthore, le pissement de sang par pléthore, le flux hémorroïdal & trop abondant, l’hémorragie utérine par pléthore & par affection de la matrice… Il est permis de douter que l’application des feuilles récentes & froissées, ou du suc exprimé des feuilles, arrête la gangrène & le cancer ; que le suc introduit dans le nez en suspende l’hémorrhagie, qu’extérieurement il guérit la teigne, les ulcères de l’anus, & ceux des parties naturelles ; que les semences soient utiles dans les maladies des reins & de la vessie, dans la phthisie pulmonaire & la toux essentielle, lorsque la matière morbifique a de la disposition à se porter vers les voies urinaires ; enfin, que la racine préserve les voies urinaires de calcul & de gravier, & qu’elle guérisse l’ictère du à l’obstruction des vaisseaux biliaires.

Les feuilles récentes, frottées sur des membres affectés de paralysie pituiteuse ou d’engourdissement par des matières séreuses, ou de rhumatisme par humeurs séreuses, y déterminent la chaleur, l’inflammation, & quelquefois la sensibilité & le mouvement ; mais rarement elles dissipent la douleur rhumatismale. De cette manière, elles sont souvent d’une grande utilité dans les maladies soporeuses en réveillant le genre nerveux & en établissant une prompte dérivation. Le trop long usage des feuilles d’ortie a passé pour être nuisible, jusqu’au point de produire la phtisie ; ce qui exige de nouvelles observations.

On donne le suc exprimé des feuilles récentes, depuis deux onces jusqu’à cinq… Feuilles récentes, depuis une once jusqu’à trois en infusion dans cinq onces d’eau. Rarement les prescrit-on sèches, & alors seulement depuis une drachme jusqu’à une once dans quatre onces d’eau… Semences, depuis demi-drachme jusqu’à demi-once, triturées dans cinq onces d’eau tiède… Racine, depuis deux drachmes jusqu’à une once, en infusion dans cinq onces d’eau.


  1. Le lecteur est peut-être étonné de voir trois récoltes faites en si peu de temps, mais il doit observer que pendant l’été le soleil est presque toujours sur l’horizon, & que dans les grands jours du mois de juin on lit sans peine à minuit. La chaleur est soutenue pendant ces mois, & n’est pas, comme dans nos pays, tempérée par la fraîcheur de la nuit. Dans l’espace de deux mois à deux mois & demi, le seigle est semé, mûr & récolté. Ce fait seul donne une idée de la prompte végétation qui a lieu dans les pays septentrionaux ; malheureusement ces beaux mois d’été passent trop vite, & bientôt le froid semble se dédommager de la courte interruption qu’il a éprouvé,