Cours d’agriculture (Rozier)/OREILLE D’OURS, ou AURICULE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 314-317).


OREILLE D’OURS, ou AURICULE. Tournefort la place dans la première section des herbes à fleurs d’une seule pièce & en entonnoir, dont le pistil devient le fruit, & il l’appelle auricula ursi flore luteo. Von-Linné la classe dans la pentandrie monogynie, & la nomme primula auricula.

Fleur ; en tube pentagone, découpé en cinq parties, en forme de cœur & obtuses.

Fruit ; capsule cylindrique à une seule loge, s’ouvrant par le sommet découpé en dix parties, remplie de semences rondes.

Feuilles ; partant du collet des racines, entières, dentées, épaisses, oblongues, couvertes d’une poussière blanche, adhérentes au collet.

Racine ; en forme de fuseau, fibreuse.

Port. Du milieu des feuilles s’élève une tige de la hauteur de quatre à huit pouces, cylindrique, droite ; les fleurs naissent au sommet.

Lieu ; originaire des Alpes où elle est vivace. La culture a tellement fait varier cette plante, les fleurs ont acquis une si belle forme, de si vives couleurs, que l’oreille d’ours est devenue un des plus grands ornemens des amphithéâtres des amateurs.

Il est inutile de parler de l’oreille-d’ours, telle qu’elle croît spontanément sur les Alpes, sur les Pyrénées & sur les montagnes élevées. Dans cet état de simplicité & de petitesse elle récrée les yeux des naturalistes, mais elle fixe peu l’attention du curieux. Transportons-nous donc dans les jardins du curieux, & suivons ses opérations.

Il divise les auricules en trois classes. La première est destinée à celles dont les fleurs sont pures, c’est-à-dire, d’une seule couleur ; la seconde est réservée pour les panachées ; & la troisième, pour les bizarres, c’est-à-dire celles dont les couleurs sont répandues d’une manière indéterminée : selon lui la beauté d’une plante d’auricule consiste :

1°. À avoir des feuilles de médiocre grandeur, plutôt courbées & couchées que droites, afin que la tige & ses fleurs ne soient pas cachées par les feuilles.

2°. La tige de la fleur doit être forte, capable de soutenir le bouquet lorsque toutes les cloches qui le forment sont ouvertes.

3°. Les fleurons doivent être ronds, plats, composés de pétales égaux & qui semblent ne former qu’une même pièce.

4°. Les beaux fleurons sont ceux qui ont un pouce de diamètre, dont les pétales sont étoffés, épais, veloutés, satinés & lustrés.

5°. Le tube du fleuron doit être grand, bien proportionné, rond, & ne point participer de la couleur du fleuron.

6°. Il faut que les étamines ne soient ni saillantes sur le tube, ni enfoncées dans l’intérieur. Elles doivent, au contraire, être de niveau avec l’orifice du tube.

7°. Que la fleur conserve sa couleur jusqu’à ce qu’elle passe ; qu’elle ne se plisse point sur ses bords.

8°. Enfin, que l’œil ne soit pas trop ouvert : plus il est petit, plus il est beau.

L’auricule exige une terre bien préparée, dont moitié soit de terre franche, un quart de fumier de vache, enfin l’autre quart de vieux fumier de couches ou de débris de feuilles pourries ; le tout bien mélangé & amoncelé : six ou huit mois après cette terre doit être criblée afin de mieux diviser les parties, & amoncelée de nouveau sous un hangar, afin que la masse ne soit pas lavée par les pluies. Il convient cependant, lorsque la terre est trop sèche, d’ouvrir dans le monceau quelques trous, & d’y jeter de l’eau, afin d’entretenir une humidité sans laquelle il n’y a ni dissolution, ni décomposition, ni recomposition. Cette terre doit être préparée un an ou dix-huit mois à l’avance : un pot de quatre à cinq pouces de diamètre, sur autant de profondeur, suffit pour contenir chaque pied d’auricule.

Tous les trois ans on renouvelle la terre de chaque pot, & on replante les pieds après les avoir débarrassés des filleules superflues ou œilletons, qui servent à multiplier & à conserver les espèces. On a grand soin dans la replantation d’examiner si la mère racine ou partie charnue est saine. Dans le cas contraire on ampute jusqu’au vif tout ce qui est gâté. On ménage les racines fibreuses, on les raccourcit un peu, & on supprime le chevelu qui tapissoit les parois du pot. Après l’opération, on donne une bonne mouillure, afin que la terre s’unisse exactement aux racines. Si on place les pots à l’abri du soleil, la reprise sera prompte & assurée. La fin de l’hiver est l’époque à laquelle le dépotement s’exécute. Il convient, à la même époque de l’année suivante, de détacher toute la couche de terre de la superficie du pot, & autant qu’on le peut celle de ses côtés, pour lui en substituer une nouvelle. Cette opération donne beaucoup de vigueur à la plante, parce qu’elle lui fournit beaucoup de sucs nourriciers. L’auricule demande à être enfoncée en terre jusqu’à la naissance des feuilles, mais pas au-delà.

On appelle œilletonner, séparer du tronc principal les petits troncs qui partent de ses côtés, ou plutôt du collet de la mère racine. Cette division est facile à faire avec un couteau d’ivoire, ou de bois, ou tel autre instrument tranchant ; mais il faut observer que l’œilleton ait quelques racines qui lui appartiennent en propre, sans lesquelles la reprise seroit difficile.

On œilletonne après que les fleurs sont fanées ; c’est du moins une coutume assez généralement adoptée par les fleuristes. Ne pourroit-on pas également œilletonner aussitôt après l’hiver ? Cette méthode m’a réussi complettement. On est par-là assuré d’avoir, au printemps suivant, un pied bien nourri & une belle fleur.

Après le temps de la fleuraison, on laisse les pots sur l’amphithéâtre s’il n’est pas exposé à un soleil trop, ardent, ou bien on les transporte dans un endroit où la plante ne reçoit que le soleil levant.

Comme l’oreille-d’ours est originaire des plus hautes montagnes, elle ne craint pas le froid, mais beaucoup la trop grande humidité. Le meilleur moyen est de renverser le pot sur son plat, & sa terre n’est plus imbibée par les eaux pluviales. Quelques amateurs transportent leurs pots sous des hangars ou dans des lieux fermés ; c’est une peine de plus, & l’origine de la pourriture, s’ils n’ont pas fait ce transport par un temps sec, ou si la serre est humide. Imiter la nature est le parti le plus sage. À la fin de l’hiver on remet les pots dans leur position ordinaire, & on détache de la plante toutes les feuilles desséchées ou pourries.

L’auricule peut être regardée comme une plante grasse, ou qui se nourrit autant par ses feuilles que par ses racines, & par conséquent qui peut supporter sans beaucoup de risque d’assez longues sécheresses. Les plantes grasses se fanent alors, paroissent languir, mais le plus léger arrosement ranime leur végétation. Je ne rapporte ce fait que j’ai sous les yeux pendant les étés brûlans du Languedoc, que pour prouver que la trop grande humidité est l’ennemi capital des auricules, & que la véritable saison de leur transport est pendant l’été. On les enveloppe avec de la mousse sèche, & elles peuvent demeurer un mois en route. À leur arrivée, si elles sont placées dans des pots, tenues à l’ombre, & arrosées, elles reprennent bientôt leur fraîcheur naturelle.

Multiplier les œilletons, c’est multiplier ses richesses, mais ce n’est pas les varier ; les semis seuls sont dans, le cas de procurer de nouvelles jouissances. Quand doit-on semer ? Les avis sont partagés ; la question me paroît cependant décidée si on a égard au climat. Plus on approche du midi & plus on doit se hâter de faire les semis. Vers le nord au contraire, les semis doivent être faits après l’hiver, ou en février ou en mars. Dans les provinces approchant du midi l’oreille d’ours fleurit beaucoup plutôt, & les graines sont plutôt mûres que vers le septentrion ; de sorte que la graine a le temps de germer, & le germe de se convertir en une plante capable de soutenir les rigueurs de l’hiver suivant, toujours plus tardif & moins rigoureux dans le midi. Dans le nord, les plantes encore trop foibles & trop herbacées pour résister au froid, demandent à être renfermées, & la pourriture les gagne & les morfond. Dans, ce cas, il vaut mieux semer après l’hiver.

La maturité de la graine s’annonce par l’ouverture de la capsule : alors on coupe la tige, & on l’enferme, avec ses graines, dans des boîtes ou dans du papier : si on veut semer aussitôt après la maturité de la graine, cette précaution devient inutile. Les amateurs ont grand soin de ne laisser sur un pied qu’une seule tige, & quelques-uns poussent l’attention à ne conserver de tout le bouquet que la plus belle fleur, afin d’avoir une graine mieux nourrie.

On sème dans des pots, dans des caisses, dans des terrines, peu importe la forme, pourvu que la terre soit douce, légère & substantielle, & la graine ne demande presque pas à être recouverte. Un tamis de crin garni d’un peu de terre, & agité sur la terrine, suffit également pour enterrer la semence : si la terre est bien sèche, on arrose très-légèrement & à différentes reprises, afin que l’eau n’entraîne pas la terre & par conséquent les graines.

Dans les semis d’été, la graine demeure quinze à vingt jours à lever, & trente ou quarante jours en hivernée qui dépend de la saison. Arroser légèrement & sarcler au besoin, sont les seuls soins à donner aux semis après que les terrines ont été mises dans un lieu à l’abri des grosses pluies, & dans une exposition bien au nord lorsque l’on sème dans les provinces du midi.

Dès que les plantes ont six feuilles, c’est alors le moment où elles doivent être levées & repiquées soit dans d’autres pots, soit dans des caisses, soit enfin en pleine terre, si l’on n’a pas un nombre de pots suffisant. Trois à quatre pouces de distance d’une plante à l’autre suffisent dans ce dernier cas, & les pieds restent ainsi jusqu’à ce qu’ils fleurissent. C’est de cet instant, que dépend la satisfaction de l’amateur ; il sourit à la vue des nouvelles espèces dont il enrichit son amphithéâtre : ses amis, les curieux, s’empressent de venir lui rendre hommage, & leurs applaudissemens sont la récompense qu’il désire. Si au contraire le succès ne répond pas à son attente, il se console en disant : je serai plus heureux une autre fois.

L’oreille d’ours figure très-bien dans les bordures d’un parterre ou jardin, si on fait varier les couleurs : les vieux pieds sont ordinairement sacrifiés à cet usage.