Cours d’agriculture (Rozier)/MOISISSURE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 554-556).
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MOISISSURE. Plante très-fine, très-déliée, ordinairement à rameaux, qui graine, se multiplie de semence, & qui se manifeste sur les corps qui commencent à se décomposer, & à entrer en putréfaction. La couleur, ou blanche, ou verte ou jaune, rouge ou noire, dépend de la qualité du corps sur lequel cette plante s’attache. La moisissure ne se manifeste jamais sur l’humidité qui lui sert de véhicule. Ainsi, la moisissure dans le pain, dans un fruit, &c. n’est autre chose qu’un composé de plante. Cette partie de la botanique a encore très-peu été étudiée ; elle demande de bons yeux & de bons microscopes pour en suivre les détails, & sur-tout un observateur fidèle, & qui ne se laisse pas prévenir. Les botanistes classent les moisissures avec les fungus, dont cependant elles n’ont pas toujours la ressemblance. La fleur du vin qui surnage le vin dans une bouteille, (Voyez le mot Fleur) qu’on n’a pas laissé assez essuyer, ne paroît, au simple coup d’œil, qu’une espèce de substance composée de membranes placées les unes sur les autres. On pourroit la comparer à la lentille d’eau qui tapisse la partie supérieure des eaux stagnantes, & qui se multiplie rapidement. Bradley, dit M. Valmont de Bomare, a suivi avec soin les phénomènes de la moisissure dans un melon. Il a observé que ces petites plantes végètent très-promptement ; que les semences jettent des racines en moins de trois heures, & six heures après la plante est dans son entier accroissement ; alors les semences sont mûres & prêtes à tomber. Après que le melon eut été couvert de moisissure pendant six jours, sa qualité végétative commença à diminuer, & elle cessa entièrement deux jours après. Alors le melon tomba en putréfaction, & ses parties charnues ne rendirent plus qu’une eau fœtide, qui commença à avoir assez de mouvement à sa surface. Deux jours après il y parut des vers, qui, après six jours, se changèrent en nymphes ; ils restèrent quatre jours dans cet état, & ils en sortirent sous la forme de mouches.

L’examen de ces détails fait un plaisir extrême à l’observateur, & cette végétation, réduite à l’infiniment petit, amuse peu la personne de campagne, chargée de la nourriture d’un grand nombre de valets. Le pain qu’elle leur prépare se moisit, & c’est une perte réelle pour elle. Les causes de la moisissure du pain sont très-variées, & les principales tiennent à sa fabrication. 1°. On met communément trop d’eau dans la farine. 2°. La pâte n’est ni assez paîtrie ni assez long-temps ; on ne lui donne pas le temps de lever : plus elle est mate & compacte, & moins elle est parsemée d’yeux formés par l’introduction de l’air, lorsqu’on paîtrit ; & cet air, pendant la cuisson, ne peut s’échapper sans entraîner une bonne partie de l’eau mêlée avec la pâte. 3°. Le four n’est pas assez chaud, ou il l’est trop ; dans ce dernier cas, la croûte est surprise & durcie avant que l’intérieur soit cuit, & par conséquent la surabondance d’eau dissipée. Dans l’autre cas, la chaleur n’est pas assez forte pour faire évaporer une partie de l’eau. 4°. Sortant du four, on le porte ordinairement dans un endroit trop frais, & il n’a pas la facilité de transpirer ; il est, au contraire, environné d’une atmosphère humide.

Dès qu’on s’aperçoit que l’intérieur du pain commence à moisir, il convient de l’ouvrir par le milieu, & de retrancher la portion chancie : s’il est réellement trop humide, il faut mettre quelques fagots au four, & y passer ensuite le pain ; il servira à faire les soupes. La partie moisie & passée à l’eau, jusqu’à ce que toute la moisissure en soit enlevée, sera de qualité médiocre ; mais mise à sécher de nouveau, elle servira également pour la soupe ou pour la nourriture des oiseaux de basse-cour.

C’est toujours la faute de celui qui fait le pain, qui le cuit & le range, en sortant du four, si la moisissure s’en empare ; elle dépend, après la manipulation, du lieu où on le ferme. En général, des pains volumineux se gâtent plus facilement que si, avec la même pâte, on en avoit fait trois ou quatre. Les paysans ont la détestable coutume de coller les uns contre les autres ces grands pains portés sur des perches. L’air environne, il est vrai, leur circonférence ; mais il ne circule pas entre les deux surfaces. Un petit morceau de bois d’un pouce d’épaisseur, placé au haut & entre chaque pain, permettroit à l’air de circuler, de l’environner de toute part, & de prévenir la moisissure par l’évaporation de l’humidité. Malgré ces précautions, dans les provinces voisines de la mer, lorsque le vent vient de ce côté-là, il traîne avec lui une si grande humidité, que le seul moyen de s’opposer à la moisissure, est de placer les pains sur la gloriette, c’est-à-dire au-dessus du four, qui conserve assez de chaleur pour dissiper l’humidité. Le pain moisi est mal-sain, si par les lavages on n’a fait disparaître la cause qui le vicie.