Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 533-542).


MIEL.

Plan du Travail.


Sect. I. De l’origine du miel, & sur quelles plantes les abeilles vont le recueillir.
Sect. II. Comment l’abeille fait la récolte du miel.
Sect. III. Comment le miel est-il contenu dans les alvéoles ou cellules ?
Sect. IV. De la manière d’extraire le miel des gâteaux.
Sect. V. Des différentes qualités du miel.
Sect. VI. Des différens usages auxquels le miel est employé.


Section Première.

De l’origine du miel, & sur quelles plantes les abeilles vont le recueillir.


Virgile, dans son quatrième livre des Géorgiques sur les abeilles, chante le miel en très-beaux vers, comme une rosée céleste, & un présent des cieux. Aristote, avant lui, avoit pensé de même, & Pline n’a pas eu un sentiment différent du leur, puisqu’il dit qu’il est une émanation des astres, ou les exhalaisons de l’atmosphère, dont l’air se défait. Si le miel étoit cette rosée qui tombe sur les plantes, les abeilles auroient peu de voyages à faire pour ramasser leurs provisions qu’elles trouveroient par-tout ; il faudroit qu’elles fussent encore plus diligentes, quoiqu’elles le soient infiniment, afin de prévenir le soleil, dont les premiers rayons ont bientôt desséché ces petites gouttes d’une eau très-claire, qui paraissent sur les plantes, avant qu’il ait donné dessus. Les fleurs, dont le calice est souvent incliné, ou perpendiculaire, ne participeroient point à l’abondance, & celles qui sont à couvert n’y auroient absolument aucune part ; celles dont le calice, ou la coupe est bien évasée & large, en recevroient davantage que celles qui n’ont qu’une coupe fort étroite & très-resserrée.

Cependant, il est très-certain, & toutes les personnes qui élèvent des abeilles peuvent l’observer, que ces insectes n’entreprennent jamais leurs voyages qu’après le lever du soleil, & que le fort de leurs sorties est toujours lorsqu’il est depuis quelque temps sur l’horizon, & qu’il commence à faire très-chaud. : alors il n’y a plus de rosée ; si elles vont sur les plantes avant que le soleil l’ait attirée, c’est plutôt pour s’en abreuver que pour recueillir le miel qui seroit encore trop mêlé avec elle. Quoique le temps soit couvert, & qu’il n’y ait point de rosée, les abeilles sortent comme à leur ordinaire, & rapportent du miel dans la ruche. Qu’on en prenne de celles qui rentrent sur la fin d’une journée où le soleil n’a point paru, ou lorsqu’il n’y a point eu de rosée, qu’on les presse entre deux doigs, on verra le miel sortir de leur bouche par cette pression, en forme de petite goutte, & si on doutoit que ce fût du vrai miel, en le portant à la bouche, la douceur qu’on y trouveroit en seroit la preuve.

Les abeilles entrent dans le calice des fleurs qui, par leur inclinaison, soit oblique, verticale ou perpendiculaire, ne peuvent recevoir la rosée, & dans celles qui sont à couvert, si elles en ont la liberté : peut-être imaginera-t-on qu’elles se trompent, & qu’elles n’y trouveront point le miel qui les attire : qu’on porte la langue au fond du calice de ces fleurs, & qu’on en brise les pétales avec les dents, on s’assurera, en les suçant, que les abeilles ont eu raison de s’y adresser, & qu’elles peuvent en extraire du miel comme de celles qui sont exposées à la rosée. Ne voit-on pas souvent une foule d’abeilles se porter avec une ardeur étonnante sur un petit jasmin, & laisser un grand rosier qui sera à côté, dont les fleurs seront bien épanouies & très-larges ? Un œillet simple devroit bien moins contenir de ce suc mielleux, dont les abeilles sont si avides, que ces beaux & larges œillets bien épanouis ; cependant elles les préfèrent à ceux-ci, & avec raison. Qu’on sorte en effet les feuilles d’un petit œillet de leur capsule, & qu’on en suce le fond & les pétales qui y étoient attachées, on y trouvera plus de douceur qu’à ceux qui font très gros.

La rosée n’est donc pas le miel, elle contribue cependant à sa production. Ainsi que les pluies douces, elle fournit aux végétaux une humidité qui est reçue par les infiniment petits canaux, dont l’orifice est à la surface des feuilles comme à la tige des plantes ; ce suc arrive à la partie supérieure des feuilles où les pores sont plus ouverts : c’est aussi par-là que se fait la plus grande transpiration du suc intérieur, parce que les vaisseaux excrétoires par où s’échappent les humeurs de la plante, y aboutissent : c’est encore par là que les absorbans, qui servent de nutrition à la plante, comme la pluie, les vapeurs, sont reçus. Cette humidité, conjointement avec celle que la plante tire de la terre, par les tubes qui sont à l’extrémité de toutes leurs racines, s’incorpore à leur substance par la fermentation combinée de ces matières, & produit ainsi la sève qui nourrit la plante. La destination de cette sève, n’est pas seulement de nourrir la plante, elle doit contribuer à la reproduction du végétal ; elle suinte donc, & s’élève dans les canaux de la plante, & va aboutir dans cette glande qui se trouve au fond de la capsule des fleurs ; le surplus de cette liqueur sort par l’extrémité supérieure de cette glande, & retombe au fond de la capsule. M. Linné l’appelle le necturia ; c’est en effet un réservoir rempli d’une liqueur mielleuse, dont l’excédent sort par son extrémité, & retombe au fond de la capsule. C’est-là que les abeilles, qui connoissent parfaitement la position de ces réservoirs, vont puiser le miel, ou la liqueur propre à le devenir.

M. Ligier s’est donc trompé quand il a pensé que ce miellat qu’on trouve sur les feuilles, principalement à la fin de l’été, étoit une rosée gluante & mielleuse tombée de l’atmosphère. (Voyez ci-après le mot Miellat). Le miel est ce suc doux & sucré, qui, après avoir circulé avec la sève dans les végétaux, s’en sépare par une transsudation sensible, & arrive dans le vase à nectar, placé au fond du calice des fleurs, d’où il se répand par surabondance au fond même du calice des fleurs, d’où il est porté par une autre transsudation sur les feuilles de ces fleurs. Il est porté avec plus d’abondance sur certaines plantes que sur d’autres : les fleurs en contiennent toujours beaucoup plus que les feuilles des plantes & des arbres, sur lesquels souvent il n’est pas sensible. Les feuilles des frênes, des érables, en sont très-fournies dans la Calabre & le Briançonnois. Dans certaines plantes, telles que les cannes à sucre, & celles de maïs, c’est dans la moelle que ce suc mielleux se porte avec le plus d’abondance & dans les arbres à fruit, c’est le fruit lui-même qui le reçoit, & son degré de saveur, qui est plus ou moins doux, est toujours proportionné à une circulation de ce suc, plus ou moins abondante, en raison des obstacles.

Tous les végétaux contiennent donc les principes du miel, & ne différent que du plus au moins : par-tout les abeilles peuvent par conséquent se nourrir & faire une récolte proportionnée à l’abondance que leurs offrent les cantons qu’elles habitent. Mais les vastes prairies bien émaillées de fleurs, les campagnes remplies de bled noir ou sarrasin, de navette, &c. les immenses forêts, garnies de toutes sortes d’arbres, leur offrent, avec profusion, de quoi se rassasier, & des provisions pour remplir leurs magasins. Les montagnes couvertes de romarin, de lavande, de thym, de serpolet & de tant d’autres plantes aromatiques, leur fournissent toujours un miel excellent & souvent en abondance. Le temps de leur récolte dure autant que la saison des fleurs, & lorsqu’elle est finie, les fruits qui succèdent sont encore d’une grande ressource pour elles.


Section II.

Comment l’abeille fait la récolte du miel.


Rien n’est aussi admirable, & si difficile à saisir, que le mécanisme employé par l’abeille, pour enlever le miel que lui offrent les végétaux. Les expériences que M. de Réaumur a faites pour connoître de quelle manière elle recueille le miel épanché dans le calice des fleurs, nous ont découvert des vérités inconnues jusqu’à lui. On avoit toujours pensé que c’étoit par succion qu’elles enlevoient le miel, & on avoit regardé leur trompe comme un corps de pompe, au moyen duquel la liqueur mielleuse étoit aspirée, & portée par le canal de la pompe dans l’estomac de l’abeille, & que c’étoit encore par ce même canal qu’elles le dégorgeaient dans les alvéoles. Swammerdam, un des plus grands naturalistes que nous ayons eu, & auquel nous sommes redevables d’un nombre infini de découvertes sur la conformation anatomique des abeilles, ne pensoit pas autrement. Si, dans son cours de dissections anatomiques des abeilles, il eût découvert leur bouche & leur langue, si aisées à remarquer, quand on suit leur position, il eût sans doute senti alors l’impossibilité du partage du miel dans l’estomac de l’abeille, par un canal qui ne pouvoit être, s’il eut existé, que d’une petitesse infinie.

La trompe est l’instrument dont l’abeille se sert pour recueillir la liqueur mielleuse épanchée dans le calice des fleurs ou sur leurs feuilles : l’usage qu’elle en fait avec une adresse & une activité merveilleuses, lorsqu’elle est à portée de cette liqueur, ne permet pas d’en douter. Placée sur une fleur, elle alonge le bout de sa trompe contre les pétales, & tout près de leur origine, & lui fait faire successivement une infinité de mouvemens différens ; elle l’alonge, le raccourcit, le contourne, le courbe, pour l’appliquer sur toutes les parties concaves & convexes des pétales de la fleur, & tous ses mouvemens sont extrêmement précipités & très-variés. Comment agit cette trompe, pour attirer la liqueur mielleuse, & de quelle manière passe-t-elle dans l’estomac de l’abeille ? Il n’est point possible d’observer tout cela, lorsqu’on ne suit l’abeille que sur une fleur : enfoncée bientôt dans l’intérieur de son calice, elle se dérobe à nos observations. Ce n’est que dans un tube de verre, dont on a enduit légèrement les parois intérieurs d’un peu de miel, qu’on peur juger à quoi tendent tous les mouvemens de la trompe de l’abeille qu’on y a introduite : c’est le parti que prit M. de Réaumur, pour s’assurer quel étoit le résultat des mouvemens & des différentes inflexions de la trompe, qu’il soupçonnoit déjà, sans oser encore l’affirmer. L’abeille introduite dans un tube de verre, nous laisse voix clairement le mécanisme de sa trompe, lorsqu’elle enlève le miel ; & alors on s’aperçoit qu’elle ne l’attire point par succion, puisqu’elle ne pose point l’extrémité de sa trompe sur la goutte de miel qui est dans le tube, comme elle devroit le faire, si elle avoit un trou par lequel elle dût être aspirée pour être conduite dans l’estomac. En s’allongeant, le bout de la trompe se trouve toujours au-delà de l’extrémité des étuis, qui ne cessent de la couvrir dans le reste de son étendue ; la partie qui est à découvert se courbe afin que la surface supérieure s’applique sur la liqueur ; & cette partie fait alors exactement la même chose que la langue d’un chien qui lappe une boisson. Par des inflexions réitérées avec une vitesse & une promptitude étonnante, elle frotte & lèche la liqueur à diverses reprises, de sorte que le bout de la trompe, où l’on a prétendu qu’étoit l’ouverture qui recevoit la liqueur, se trouve toujours au-delà de la liqueur même où puise l’abeille. Cette partie antérieure de la trompe, qu’on pourroit appeller la langue extérieure & velue, pour la distinguer de l’autre qui est dans la bouche, par ses différens mouvemens, se charge de la liqueur & la conduit à la bouche, en se raccourcissant, de telle sorte qu’elle est quelquefois absolument recouverte par les étuis. Cette liqueur arrive à une espèce de conduit qui se trouve entre le dessus de la trompe & les étuis qui la couvrent ; d’où elle passe dans La bouche : aussi voit-on, à l’endroit où est le canal qui répond à la bouche, la trompe se gonfler, se contracter, & faciliter par ces gonflemens & ces contractions, le passage de la liqueur à la bouche.

L’abeille n’aspire donc point la liqueur mielleuse qu’elle a à sa disposition ; mais elle la lèche & la lappe. Qu’on presse entre ses doigts, & vers son origine, la trompe d’une abeille, cette pression obligera la liqueur de produire un déchirement dans les membranes par lesquelles elle s’échappera ; mais jamais on ne la verra sortir par le trou qu’on avoit supposé être à son extrémité. Il est probable, & on peut même l’assurer, que les abeilles n’ont pas une manière de recueillir le miel sur les fleurs, différente de celle dont elles enlèvent celui qui est dans un tube de verre. Elles ne trouvent pas sur les fleurs une liqueur toujours préparée, souvent elle est renfermée dans les réservoirs qui la contiennent ; c’est alors, sans doute, qu’elles font usage de leurs dents pour briser les nectaires qui la renferment, comme elles déchirent le papier qui couvre un vase où est contenu du miel qu’on laisse à leur disposition. Du conduit qui est à la racine de la trompe, le miel passe dans la bouche de l’abeille, où est une langue courte & charnue, qui, par diverses inflexions, pousse vers l’œsophage, le miel qui lui a été apporté, afin qu’il aille par ce canal dans l’estomac. C’est dans ce premier estomac que cette liqueur limpide que l’abeille recueille sur les fleurs, souffre un degré de coction, qui, sans altérer sa qualité, l’épaissit & la condense, & la change en miel. Dès que l’abeille a suffisamment rempli cet estomac, elle dirige son vol vers son habitation où sont les magasins dans lesquels elle va le déposer ; dès qu’elle est entrée, elle se repose sur le bord d’une cellule qui sert de magasin, elle y entre la tête la première, & va au fond dégorger la provision qu’elle a ramassée. Le sentiment de Swammerdam le portoit nécessairement à croire que l’abeille versoit son miel dans les alvéoles, par l’infiniment petit trou qu’il supposoit être au bout de la trompe. Cette opération eût été bien plus longue que celle de le ramasser, puisqu’il sort plus condensé de l’estomac, qu’il ne l’étoit lorsqu’il y est entré, comme il l’a reconnu lui-même. M. Maraldi & M. de Réaumur ont très-bien observé que le miel sortoit de l’estomac de l’abeille, par cette ouverture au dessus de la trompe, & tout près des dents, c’est-à dire par la bouche.

Les abeilles ne vont point déposer leur miel indifféremment dans toutes sortes de cellules ; elles commencent par les plus élevées descendent à mesure qu’elles les remplissent. Elles ne vont pas toujours jusqu’aux alvéoles pour se décharger ; lorsqu’elles rencontrent leurs compagnes, que leurs occupations obligent de rester dans le domicile, elles leur font part du miel qu’elles apportent : celle qui arrive, & qui en est bien remplie, étend sa trompe, & celle qui a besoin de manger approche la sienne qu’elle a dépliée, & lappe la liqueur qui lui est offerte de bonne grâce. C’est par un mouvement de contraction, semblable à celui des animaux ruminans, que l’abeille dégorge son miel ; les parois de l’estomac qui en est bien rempli, sont distendus en forme de vessie ; & quand elle veut le faire sortir, une portion des parois de l’estomac s’approche du centre, par un mouvement de contraction, & le retire, & une autre portion se rapproche aussitôt, & ainsi successivement, à-peu-près comme une vessie remplie d’eau qu’on presseroit entre les mains, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre. La liqueur pressée par-tout, cherche une issue pour s’échapper, l’abeille, en ouvrant la bouche, lui laisse un passage libre, & elle sort.


Section III.

Comment le miel est-il contenu dans les alvéoles ou cellules ?


Il paroît difficile que le miel encore assez liquide au sortir de l’estomac de l’abeille, puisse être contenu & fixé dans les alvéoles, dont la position est horizontale. Lorsqu’il n’y en a encore que quelques gouttes, on conçoit bien qu’il peut y demeurer sans verser ; mais à mesure que l’alvéole s’emplit, cela pourroit arriver. Les abeilles intéressées à prévenir l’épanchement d’une liqueur qui leur donne tant de peine à ramasser, ont soin que la dernière couche soit plus épaisse : & comment y réussissent-elles ? C’est ce qui n’est point aisé à connoître. Peut-être que le miel qui a séjourné un peu plus dans leur estomac que l’autre, est mêlé avec de la cire qui lui donne assez de consistance pour servir de couvercle à l’alvéole. Quoi qu’il en soit, ce couvercle, qu’on peut comparer à la crème qui s’élève au-dessus du lait, n’a point un plan perpendiculaire à l’axe de l’alvéole, les abeilles lui font prendre une certaine courbure, jugeant cette forme de couvercle plus capable de retenir leur miel dans les magasins. Quand une abeille, qui veut se débarrasser, arrive dans un alvéole, la tête étant entrée, les pattes de ses premières jambes soulèvent cette croûte, ou ce couvercle, & alors elle dépose son miel, qui s’unit à l’autre par cette ouverture qu’elle lui a ménagée. Avant de sortir, elle a soin de rapprocher le couvercle avec ses premières pattes, & de lui donner la courbure nécessaire, afin que le miel soit retenu, & qu’il ne s’épanche pas.

Lorsque les alvéoles, qui servent de magasins pour y déposer le miel, sont remplis, l’abeille, pour enfermer l’entrée, forme tout autour un cordon de cire, qu’elle continue jusqu’à ce qu’il ne reste plus d’ouverture ; & dès qu’il est fermé, on n’y touche plus ; c’est un dépôt de provisions auquel on aura recours dans le temps que la campagne n’offrira plus aucune sorte de nourriture : il y en a d’autres qui sont toujours ouverts, & qui sont destinés pour la consommation journalière. Les abeilles, très-économes & assurées de la discrétion de toutes les citoyennes qui composent la république, ne ferment pas leurs magasins pour prévenir la dissipation que quelques-unes d’entr’elles pourroient faire du miel qui y est déposé : c’est uniquement pour empêcher une évaporation que ne manqueroit pas d’occasionner la grande chaleur de la ruche : le plus liquide du miel étant évaporé, ce qui resteroit auroit trop de consistance, & deviendroit grainé : c’est précisément ce qu’elles veulent éviter ; parce qu’alors il leur est plus difficile de s’en nourrir, & elles seroient obligées de le broyer avec les dents pour le rendre un peu liquide ; & nos ouvrières, qui ne craignent point la peine quand il faut se bâtir des logemens, veulent en prendre fort peu pour se nourrir.


Section IV.

De la manière d’extraire le miel des gâteaux.


Dès qu’on a sorti les gâteaux de la ruche, il faut choisir les plus beaux, les plus blancs, & les séparer de ceux qui sont noirs ou bruns, & de ceux qui contiennent la cire brute ou du couvain : les plus beaux sont ordinairement sur les côtés de la ruche. On passe légèrement la lame affilée d’un couteau, sur la surface des rayons pleins de beau miel, pour détacher les couvercles des alvéoles qui l’empêcheroient de couler. On rompt ensuite en plusieurs pièces tous ces gâteaux qu’on a séparés, & on les met dans des paniers très-propres, ou sur des claies d’osier, ou sur une toile de canevas tendue sur un chassis ; ou enfin sur une toile de crin assez claire : on place au-dessous des vases de terre-vernissés, pour recevoir le miel qui va couler : si l’air étoit froid, il faudroit approcher les gâteaux, ainsi placés, d’un feu modéré, afin que le miel coulât plus aisément. Lorsque ce premier miel, qui est toujours le plus beau & le meilleur, & qu’on nomme pour cela miel vierge, est sorti, on brise les gâteaux avec les mains, sans les pétrir, en y ajoutant ceux qui sont d’une moindre qualité, & on les remet, comme on vient de dire, dans des panniers, ou sur des claies, il en découlera un autre miel qui sera encore fort bon, quoique d’une qualité inférieure au premier. Lorsqu’il n’en coule plus du tout, on pétrit les gâteaux avec les mains, sans y mêler ceux qui contiennent du couvain qui feroit aigrir le miel. En ayant formé une espèce de pâte, on la met sous une presse, ou simplement dans un gros linge & fort, que deux personnes, dont chacune tient un bout, tordent fortement ; il sortira encore de cette pâte quelque peu de miel très-grossier, à la vérité, & qui peut cependant être encore de quelque utilité. Il faut avoir attention de ne point se servir de la presse, ni pour le premier, ni pour le second miel : ce seroit le moyen d’y mêler de la cire, qui le rendroit moins beau & altéreroit sa qualité. Le miel qu’on a fait découler des gâteaux, n’a besoin d’aucune sorte de préparation ; il suffit de le mettre dans des vases bien propres, dont l’intérieur soit vernissé, & de les boucher pour le conserver.


Section V.


Des différentes qualités du miel.


Quoique tout le miel provienne généralement des mêmes principes, qu’il soit fait & préparé par les mêmes ouvrières dont la méthode est uniforme, il y en a cependant dont les qualités & les propriétés diffèrent essentiellement, & pour la couleur & pour le goût. Il en est du miel comme de toutes les productions de la terre ; la diversité des climats, les différentes natures du sol, la manière de cultiver, donnent aux productions des végétaux des qualités qui varient presque à l’infini. La nature & la qualité du miel subissent toutes ces variations. Celui qu’on recueille sur les montagnes où abondent toutes sortes de plantes aromatiques, a un goût balsamique, que n’a point celui des plaines les plus fertiles. Dans les riches campagnes on a l’abondance, & sur les montagnes & les coteaux, on en est dédommagé par une meilleure qualité. Celui du mont Hymette, dont les Grecs faisoient leurs délices, étoit le produit des abeilles qui avoient sur cette montagne toutes sortes de plantes aromatiques à discrétion. Le miel de Narbonne, si vanté parmi nous, & dont la qualité est très-supérieure à celui des autres pays, tire son goût balsamique du romarin, de la mélisse, & de quantité d’autres plantes odoriférantes qu’il y a sur les Corbières d’où vient le miel, mal-à propos dit de Narbonne.

Le miel de la première qualité est toujours celui que fabriquent les abeilles qui habitent les montagnes ; celui qu’on peut appeller de la seconde qualité, est recueilli par elles dans les prairies & dans les campagnes couvertes de sarrasin ; & lorsqu’elles sont logées dans les bois, elles en font d’une qualité encore inférieure. Le plus blanc est le meilleur, & désigne un miel de montagne ; il répand alors une odeur douce, agréable & aromatique ; il est épais, grenu, clair & fort pesant. Le miel jaune est d’une qualité inférieure, quoique très-bon : il n’a pas toujours eu cette couleur au sortir de la ruche ; assez ordinairement il est un peu pâle, & c’est à mesure qu’il vieillit qu’il devient jaune, de même que le blanc, qui perd aussi un peu de sa première blancheur. Il faut donc toujours préférer le miel des montagnes & des endroits secs & arides à celui des pays gras. Celui qu’on sort de la ruche au printemps, est le meilleur & le plus estimé ; celui que l’on prend en été, n’est pas aussi bon ; mais il est encore meilleur que celui qu’on ne prend qu’en automne ; celui des jeunes essaims est préférable à celui des vieilles abeilles.

Le miel est donc assez ordinairement de deux couleurs, c’est-à-dire blanc & jaune ; il n’y a que le plus & le moins dans les teintes. M. de Réaumur en a trouvé une seule fois, il est vrai, dans une de ses ruches, qui étoit verd : dans les alvéoles d’où il avoit été sorti il paroissoit un suc d’herbes ; & quand il fut déposé dans un vase, cette couleur devint plus claire. Ce qui est très surprenant, c’est que dans la même ruche où fut trouvé ce miel verd, les autres gâteaux n’en contenoient que du jaune. Cette couleur verte, qui n’est point ordinaire, provenoit peut-être d’une mauvaise disposition de quelques abeilles.

En général, le miel ne diffère que du plus au moins pour la bonté & pour le goût : il peut y en avoir cependant, qui, quoique d’un goût agréable, soit d’une très-mauvaise qualité, & devienne un aliment très pernicieux, dont il seroit dangereux de faire usage. De même que les plantes aromatiques contribuent à sa bonne & bienfaisante qualité, celles qui sont mauvaises, qui contiennent des sucs mal-faisans, des principes venimeux, peuvent aussi lui donner des qualités dont il seroit dangereux de faire l’épreuve. On sçait que le miel des abeilles qui sont logées près des buis où elles vont souvent, a un goût âcre & dur : des plantes dont les sucs sont nuisibles, peuvent communiquer leurs mauvaises qualités au miel que les abeilles en retirent : l’aventure des dix mille Grecs, rapportée par Xenophon, en est une preuve. Arrivés près de Trébisonde, où ils trouvèrent plusieurs ruches d’abeilles, les soldats n’en épargnèrent pas le miel ; il leur survint un dévoiement par haut & par bas, suivi de rêveries & de convulsions ; ensorte que les moins malades ressembloient à des personnes ivres, les autres à des furieux ou des moribonds ; on voyoit la terre jonchée de corps comme après une bataille : personne, cependant, n’en mourut, & le mal cessa le lendemain, environ à la même heure qu’il avoit commencé, de sorte que les soldats se levèrent le troisième & quatrième jour ; mais en l’état où l’on est après avoir pris une forte médecine. M. de Tournefort, qui cite ce passage de Xenophon dans la dix-septième lettre de son voyage du Levant, pense que ce miel avoit tiré sa mauvaise qualité de quelques-unes des espèces de chamœrhodadenaros qu’il a trouvé auprès de Trébisonde. Heureusement, dans nos climats nous n’avons point de miel qui ait des qualités mal-faisantes.


Section VI.

Des différens usages auxquels le miel est employé.


Depuis qu’on a découvert le sucre, le miel n’est plus d’un usage aussi fréquent : les anciens, qui ne connoissoient pas le sucre, se servoient beaucoup du miel pour l’apprêt de leurs mets ; ils le mêloient aussi, si nous en croyons Virgile, avec le vin âpre & dur, pour corriger ses mauvaises qualités. Quelques-un le regardoient presque comme un remède universel, & le croyoient propre à préserver de la corruption, & à prolonger la vie. Pythagore & Démocrite ne prenoient point d’autre aliment que du pain avec du miel, dans la persuasion que cette nourriture prolongeroit leurs jours. Pollion, parvenu à une extrême & belle vieillesse, répondit à Auguste, qui lui demandoit par quel secret il étoit parvenu à un âge si avancé, sans infirmités, qu’il n’en avoit pas d’autre que le miel dont il se nourrissoit. Cette substance étoit en si grande vénération dans ces temps là, qu’on la regardoit comme une nourriture sacrée : aussi, les anciens l’appeloient un don des dieux, une rosée céleste, une émanation des astres. Nous avons aujourd’hui moins de considération pour son origine, & l’usage du sucre, qui lui a succédé, a relégué le miel dans les pharmacies & chez les apothicaires. Les pauvres gens s’en servent encore dans les campagnes, & en font des repas délicieux, parce que le luxe, qui ne peut point pénétrer chez eux, le laisse en possession de leur être d’un usage utile & agréable, & ils en font des confitures qui sont très-bonnes. On en fait encore, dans les pays du nord sur-tout, une boisson très-agréable & très-salutaire, connue sous le nom d’hydromel. (Voyez ce mot)

Les médecins prétendent que le miel échauffe & dessèche, de quelque manière qu’on en use, soit en aliment, soit en assaisonnement. Les tempéramens pituiteux, ceux qui par quelques maladies, ou autrement, abondent en humeurs grossières & visqueuses, ne peuvent qu’en faire un usage salutaire pour leur santé : aussi les médecins ne l’ordonnent-ils que pour des ptisannes, des gargarismes & des lavemens. La chirurgie en fait avec succès, des lotions pour laver de déterger les ulcères. Le miel est le plus sûr & le plus efficace de tous les remèdes contre la piquure des abeilles. M. D. L.