Cours d’agriculture (Rozier)/MATRICE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 447-450).


MATRICE. Médecine Rurale. Viscère particulier à la femme, situé dans le petit bassin, entre la vessie & le rectum, & destiné à remplir une des fonctions les plus intéressantes. La matrice est exposée à une infinité de maladies, tant par sa situation & ses attaches, que par son organisation.

Hyppocrate nous apprend qu’elle est la cause d’une infinité de désordres. En effet, il y a bien peu de maladies chez les femmes, où la matrice n’ait quelque part. Les causes de toutes ses affections dépendent toujours, ou de la lésion immédiate, & d’un vice apparent dans ce viscère „ ou de l’impression des causes morbifique qui attaquent d’autres viscères qui lui correspondent : les premières sont toujours plus fâcheuses que celles qui sont subordonnées à une cause sympathique ; pour l’ordinaire la terminaison en est plus prompte, & la crise plus complète & salutaire.

Parmi celles qui dépendent de sa lésion, les unes sont générales & sont connues sous les noms particuliers de fureur, suffocations utérines, vapeurs, passion hystérique, &c. Les autres sont locales, le vice qui les constitue est apparent, & forme le symptôme principal. Dans cette classe, nous comprendrons un dérangement dans l’évacuation périodique des mois, la chûte, la hernie, l’hydropisie, l’inflammation, l’ulcère, le skirrhe, & le cancer de la matrice.

Nous ne parlerons point de chacune de ces maladies, nous nous contenterons de faire une mention fort succinte de la chûte ou descente de matrice, de son inflammation, & de l’ulcère de ce même viscère.


Chûte ou descente de matrice.


La chûte de matrice est complète ou incomplète.

Elle est incomplète lorsque la matrice est descendue dans le vagin. On peut aisément s’en convaincre par le toucher. On n’a pas plutôt introduit le doigt dans le vagin, qu’on distingue très-bien son orifice interne. La femme se refuse, pour l’ordinaire aux désirs de son mari le devoir & les plaisirs du mariage lui sont à charge, insipides, douloureux, difficiles, & même impossibles à remplir. La compression que ce viscère exerce sur la vessie & le rectum, produit des difficultés d’uriner, & d’aller à la selle, des coliques, & autres maux très-douloureux. Les femmes éprouvent encore des douleurs & des tiraillemens aux lombes, parties où vont s’implanter les ligamens larges.

La chute de matrice complète est aisée à connoître : la vue seule suffit pour cela ; mais il arrive quelquefois que la matrice, en tombant ainsi, se renverse ; c’est-à dire que l’orifice reste en-dedans du vagin, tandis que le fond se présente au dehors. Dans cet état on pourroit la confondre avec quelque tumeur polypeuse ; mais l’on évitera toute erreur, si l’on fait attention que les tumeurs augmentent insensiblement, au lieu que cette chûte se fait subitement, toujours à la suite d’un accouchement laborieux, ou par la faute d’un accoucheur peu habile & peu expérimenté.

La chûte incomplette de matrice est une maladie plus incommode que dangereuse. On a cependant vu des femmes devenir grosses, & accoucher dans cet état. Dans la chûte complète, il est à craindre un étranglement qui amène l’inflammation, & la gangrène ; & dans ces cas la mort est ordinairement prochaine.

On remédie à la chûte de matrice par la réduction. Mais auparavant, il faut bien examiner si ce viscère est sain, sans inflammation & gangrène. S’il en est atteint, il faut, avant de le faire rentrer & le remettre en place, y faire quelques légères scarifications avec la pointe de la lancette, & le fomenter avec une décoction de quinquina, de scordium, d’eau-de-vie camphrée, & d’autres remèdes antiseptiques. Il faut encore, avant d’en venir à la réduction, faire uriner la femme, lui procurer la liberté du ventre, par des lavemens ; oindre ses parties d’huile d’amande douce & de beurre. On fait coucher la femme sur le dos, la tête fort basse, & les fesses élevées. On prend la matrice, enveloppée d’un linge fort souple, & l’on tâche, par de légères secousses, de côté & d’autre, de la repousser en-dedans : ce moyen est plus sur & plus facile qu’aucun autre dans l’exécution ; il n’est pas de femme à la campagne, ni de paysan, qui ne puissent faire cette opération, avec un peu d’attention, de réflexion & de dextérité ; il est préférable au fer rougi au feu, qu’on conseille d’approcher de la matrice, pour la faire rentrer.

La matrice réduite, on la contient, & on en prévient la rechute par un pessaire percé, qui permette la sortie de l’urine, l’évacuation périodique des règles, & l’injection de quelque eau astringente, telle que la décoction de plantin, d’écorce de grenades.

On fortifie les reins, par l’application de quelque emplâtre fortifiant, tel que celui de pro fracturis.


Inflammation de matrice.


Les symptômes qui la caractérisent, sont des douleurs dans la partie inférieure du ventre, qui deviennent plus fortes & plus aiguës au toucher. La région du pubis, ses parties voisines sont fort tendues, & dans un état de roideur. Les malades ressentent dans la matrice une chaleur & une ardeur considérable ; elles sont tourmentées par une soif vive & brûlante ; elles éprouvent des foiblesses ; les urines sont rares, rouges, enflammées, se filtrent très-difficilement dans les reins, & sont évacuées avec douleur. Le poulx est vif, serré, tendu, piquant, le visage enflammé, les yeux étincelans. Les frissons, le hoquet, le vomissement, la convulsion & le délire surviennent, & la cessation de tous ces symptômes est toujours l’annonce d’une gangrène & d’une mort prochaine.

Cette maladie est des plus douloureuses & des plus cruelles. Sa terminaison est très-prompte, &c presque toujours mortelle : rarement elle va au-delà du septième jour. Elle se termine aussi très-rarement par la résolution, mais le plus souvent par suppuration & la gangrène.

On n’observe guères cette maladie qu’après un accouchement laborieux. La suppression des lochies peut la produire, ainsi que les vives passions, des contusions, & la rétention du placenta dans la matrice.

On combat cette maladie par des saignées abondantes & souvent répétées : on doit les pratiquer dès les premiers jours ; on feroit le plus grand mal, si on les différoit, & si on vouloit les ménager : il ne faut cependant pas perdre de vue l’état des forces, l’âge & le tempéramment particulier de la malade.

Les boissons délayantes & adoucissantes, légèrement nitrées, telles que l’eau de poulet, celle de veau & de riz, doivent venir à l’appui des saignées. Les lavemens coupés avec moitié lait, sont très-efficaces dans cet état, ainsi que l’application des linges imbibés d’une décoction de plantes émollientes, ou des vessies pleines de lait chaud, coupé avec l’eau commune.


Ulcère de la matrice.


C’est à l’écoulement du pus par le vagin qu’on connoît sûrement l’ulcère de la matrice. On peut aussi s’assurer de sa présence & de la partie qu’il occupe, par le tact, & même par la vue, au moyen du speculum, ou miroir de matrice.

Cette maladie vient toujours à la suite d’une inflammation superficielle de la matrice, terminée en suppuration, qui a dégénéré à son tour en ulcère. Elle peut être excitée par une métastase d’humeurs âcres, qui peuvent se fixer sur ce viscère par un vice vénérien, scorbutique ; par une errosion faite peu-à-peu dans la face intérieure de la matrice, sans qu’aucun abcès ait précédé ; par une plaie faite dans la cavité de la matrice, laquelle a suppuré, & est devenue un véritable ulcère.

Les femmes malades rapportent à différens endroits la douleur qu’elles ressentent, suivant le siège de l’ulcère qui l’a produit : souvent la vessie & le rectum participent de l’ulcère. Les femmes cohabitent avec beaucoup de peine avec leurs maris. Dans le principe du mal, il n’y a point de fièvre, ou il y en a bien peu ; mais peu-à-peu la fièvre lente s’y joint par le mélange des parties du pus, à quoi la douleur que la malade ressent, ne contribue pas peu. Cette fièvre, qui est lente de sa nature, redouble tous les soirs ; enfin, les malades, consumés par cette fièvre, tombent dans le marasme, & finissent par la bouffissure des extrémités inférieures, qui augmente de plus en plus, ou par la diarrhée colliquative.

Le traitement de cette maladie est relatif aux causes qui la produisent : mais en général, on ordonne aux malades les décoctions vulnéraires balsamiques, les eaux minérales sulphureuses de Barèges, prises intérieurement & injectées avec une seringue en arrosoir dans la matrice. Personne n’ignore les heureux effets qu’elles ont produit. Il vaudroit bien mieux commencer le traitement par ces eaux, que de suivre le préjugé, malheureusement adopté, de donner aux malades le lait, qui ne réussit presque jamais, & qui, comme l’observe fort bien Hoffman, dispose plutôt à l’ulcère, qu’il ne le guérit. Il y a d’autres adoucissans, pris dans la classe des végétaux, qui sont préférables au lait. Ce sont les crèmes de riz, de sagou, la décoction aqueuse de racine de salep, le petit lait, coupé avec la fumeterre, les bouillons, où l’on fait entrer la racine de bardane, les tiges de fumeterre & autres plantes dépuratives. On emploiera le mercure sous la forme la plus usitée, si l’ulcère tient à une cause vérolique ; mais en général il faut s’abstenir des injections astringentes, qui feroient dégénérer l’ulcère en cancer. M. Ami.