Cours d’agriculture (Rozier)/LAITERIE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 205-207).


LAITERIE. Lieu destiné à renfermer le lait des vaches, des chèvres, des brebis, &c., où l’on fait la crème, le beurre, les fromages, &c.

Dans les pays où l’on fait beaucoup de beurre & de fromage, le choix de l’emplacement d’une bonne laiterie est aussi important que celui d’une bonne cave (Voyez ce mot) dans les grands pays de vignobles pour y conserver le vin ; sans l’une & l’autre, on ne peut espérer aucune perfection dans ces deux genres. C’est à la qualité du local de la laiterie que sont dûes les qualités si différentes des crèmes renommées de Blois, des petits fromages d’Angelot en Normandie, de Roquefort sur les confins du Rouergue & du Languedoc, de Sassenage, &c. (Voyez ce qui a été dit en parlant de ces fromages, & à l’article Beurre). Il est démontré que la meilleure laiterie est celle où les variations de l’atmosphère sont peu sensibles ; ce n’est pas tout, la laiterie doit être éloignée de tout fumier, de tout endroit infecte, & tenue dans la plus rigoureuse propreté.

On aura rarement une bonne laiterie si on la place au niveau du sol, si la porte par laquelle on y entre donne à l’extérieur ; si l’eau nécessaire au lavage, ou l’eau des laits n’a pas un endroit pour s’écouler au loin, ou dans un puits perdu, ou puisard, & sur-tout si ce puisard exhale une mauvaise odeur.

Tout ouvrage en bois, & même les vaisseaux de bois, doivent être bannis du service de la laiterie ; on a beau les laver avec soin, ils contractent à la longue une odeur aigre qui se communique au lait. Il est important que des sabots, ou telles autres chaussures à semelles en bois, soient auprès de la porte d’entrée en nombre proportionné à celui des personnes employées au service de la laiterie ; elles doivent quitter ces chaussures en sortant, & prendre celles qu’elles avoient auparavant.

Une bonne laiterie doit être souterraine, voûtée, carrelée avec un niveau de pente destiné à l’écoulement des eaux. Quelques soupiraux, dirigés vers le nord, serviront à établir un courant d’air frais, qui dissipera l’humidité. Ces soupiraux seront fermés pendant les grandes gelées, pendant les grandes chaleurs, tant que le soleil est sur l’horizon, & sur-tout lorsque l’on craint quelqu’orage. Il est inutile de dire que le pavé doit être balayé autant de fois par jour que le besoin l’exigera, qu’on ne doit laisser aucune ordure se former dans les soupiraux, contre les murs, contre la voûte, &c., en un mot qu’il faut la plus scrupuleuse propreté. Tout autour de la laiterie seront construites des banquettes en maçonnerie, & recouvertes par des dales ou pierres plattes polies, ou de grands carreaux, le tout jointé exactement, & chaque joint revêtu de ciment, afin que le coup de balai en enlève sans peine jusqu’à la plus légère malpropreté. Que de lecteurs traiteront de minuties ces précautions, cette continuité de vigilance & de soins ! Je leur répondrai : la coutume une fois bien établie dans l’intérieur de votre métairie, se continuera sans peine si vous veillez à son exécution. Si le propriétaire compare ensuite la crème, le beurre, le fromage qu’il fabriquera dans une bonne laiterie, avec la qualité des produits qu’il retiroit auparavant, il sera forcé de convenir que la perfection tient à de très-petits détails, & qui ne sont ni plus coûteux, ni plus gênans que ceux qu’ils remplacent. La meilleure laiterie, je le répète, est celle qui est fraîche sans être humide, celle où la température de l’air varie le moins, enfin celle qui est moins sujette aux impressions successives de pesanteur ou de légèreté de l’atmosphère. J’ai dit plus haut qu’on devoit proscrire l’usage des vaisseaux de bois destinés à contenir le lait : cette proscription est juste, mais trop générale, parce que dans beaucoup de nos provinces, il n’est pas facile de se procurer des vaisseaux de faïence ou de terre vernissée ; lorsqu’on le peut, on doit les préférer à tous égards ; ils ne s’imprègnent pas, comme le bois, de l’odeur aigre, & il est plus facile de les laver & de les tenir propres : fraîcheur & propreté recherchées, sont les deux grands conservateurs du lait, de la crème, du beurre & du fromage. Le nombre des terrines ou vaisseaux de terre vernissée, doit être proportionné aux besoins du service journalier, & il convient d’avoir plusieurs terrines de réserve, afin de suppléer celles que l’on casse, ou dont le vernis se détache. Lorsque l’argile cuite, qui fait le corps de ces vaisseaux, se trouve à nud, car le vernis n’en est que la couverte très-mince, elle s’imprègne d’un goût & d’une odeur aigre, & dans cet état elle vaut moins que les vaisseaux de bois.

Quelques auteurs ont conseillé l’usage des vaisseaux d’étaim ou de plomb, comme moins dispendieux que les premiers. À parité, ils seront plus chers que des vaisseaux de terre vernissés ; mais comme ils dureront beaucoup plus, à la longue la parité de dépense deviendra égale. Je regarde cependant l’usage des vaisseaux de plomb & d’étaim comme dangereux, & bien plus encore celui des vaisseaux en cuivre. On sait que le lait contient un acide, masqué, à la vérité, quand il est nouvellement tiré ; que cet acide se manifeste aisément, & qu’il est très-sensible dans le petit-lait. Cet acide agit sur le plomb & sur le petit lait, change en chaux les parties qu’il corrode enfin, l’expérience a prouvé combien cette chaux étoit dangereuse, comment elle occasionnoit la terrible maladie appellée colique des peintres. On dira que cette chaux est un infiniment petit ; mais tous ces infiniment petits accumulés de jour en jour dans le corps, forment une masse qui produit des effets funestes & certains, quoique lents. Une chétive économie l’emporte ici sur la santé & sur la vie des citoyens. Quant au cuivre, il est inutile d’insister sur cet article ; personne n’ignore avec quelle facilité il se convertit en verd-de-gris, & combien il est dangereux. Les vaisseaux d’une laiterie doivent être larges & peu profonds ; on retire une plus grande quantité de crème de ceux-ci, que lorsqu’ils ont plus de profondeur : c’est un point de fait facile à vérifier.

Après avoir passé par le tamis, ou par un linge serré, le lait qu’on vient de traire, on le porte à la laiterie, pour le vuider dans les terrines placées sur les hauteurs d’appui dont on a parlé, ou par-terre sur le sol carrelé. Le peu de profondeur du vaisseau lui fera perdre plus facilement la chaleur qui lui aura été communiquée par le lait, & la crème montera plus vite. L’ascension de la crème dépend de la saison & du climat : huit à dix heures lui suffisent ordinairement. Si on la lève trop tôt, on en perd beaucoup qui reste mêlée avec le lait ; trop tard, elle commence à travailler, & le beurre en est moins bon, & plus fort au goût. Plus la crème est nouvelle, meilleur est le beurre. (Voyez ce qui a été dit au mot Beurre, sur la manière de le faire.)