Cours d’agriculture (Rozier)/HERBE (mauvaise)

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 451-452).


Herbe (mauvaise). Dénomination vague, & qui présente une idée fausse. Je ne connois en agriculture que le chiendent & quelques autres plantes semblables, parce que leurs tiges brisées prennent racine à chaque nœud, ou si elles rampent sur terre, de chaque nœud il sort des racines. Une fois établies dans un champ, dans une vigne, il est presque impossible de les détruire sans des travaux sans cesse renouvelés & long-temps continués. Une herbe est mauvaise lorsqu’elle s’empare du sol dans lequel on a semé telle autre plante, parce qu’elle est parasite, dévore sa substance, nuit à sa végétation, ou la fait périr, en la privant des influences de l’air ; mais c’est toujours la faute du cultivateur, si son jardin, si ses champs en sont infectés ; pourquoi ne les a-t-il pas travaillés avant la maturité de ces herbes, qu’il appelle mauvaises, & sur-tout à l’époque de la fleuraison, temps auquel elles sont le plus remplies de sucs & de principes végétatifs ? Alors ces herbes auroient rendu à la terre plus de principes qu’elles n’en avoient reçu d’elle, & seroient devenues un engrais naturel. (Voyez les mots Amendement, Engrais, & le dernier chapitre du mot Culture).

Cela est si vrai, que dans les pays dont le terrain est maigre, on sème du lupin (voyez ce mot) qu’on enfouit avec la charrue dès qu’il est en pleine fleur. Ces prétendues mauvaises herbes, si redoutées des cultivateurs, sont cependant une des ressources de la nature, pour redonner aux champs la fertilité, puisqu’elles leur rendent ce qu’elles ont reçu d’eux, mais encore les principes qu’elles se sont appropriés de l’atmosphère ; aussi jamais froment n’est plus beau qu’après la destruction d’une prairie, d’une luzernière, d’une esparcette, &c. parce que les débris de ces plantes ont formé une masse de terre végétale, (Voyez le mot Alterner). Heureuses sont les provinces où la sécheresse n’empêche pas d’alterner. Les petits labours, & multipliés à propos, sont les seuls moyens d’empêcher que l’année pendant laquelle un terrain est semé en blé, ne soit pas épuisé par ce qu’on appelle mauvaises herbes. Lorsqu’on craint leur reproduction, c’est le cas de donner un labour aussi-tôt que la récolte est levée. Toutes les graines sont enfouies en terre ; quelques-unes poussent avant l’hiver, & c’est le cas alors d’hiverner par un nouveau labour. Un autre labour après l’hiver détruira celles qui auront végété, & les labours du printemps & de l’été achèveront de les détruire, sur-tout si on les laboure pendant la fleuraison.

On ne doit pas cependant espérer de détruire complètement les mauvaises herbes par les travaux assidus d’une année. Il y en a un très-grand nombre dont les semences ne lèvent qu’à la seconde & même à la troisième année ; d’ailleurs, les grands coups de vents transportent au loin les semences ailées ou garnies d’aigrettes, telles sont celles des chardons, &c. ; mais si on alterne de deux ou de trois années l’une, & si jamais les terres ne reposent, on n’a rien à craindre des plantes parasites, à moins qu’elles ne soient portées aux champs avec les blés que l’on y sème, ou avec les engrais. Les différentes plantes destinées au fourrage ne mûrissent pas également, & si les fourrages sont coupés trop secs, il n’est pas étonnant que les fumiers qu’on retire de dessous les bêtes ne soient chargés de leurs graines, à moins que ces fumiers ne soient très-vieux & n’aient acquis, par la fermentation soutenue, une chaleur capable d’altérer la graine.

Toute herbe à racine pivotante réussit très-bien après la récolte des plantes à racines fibreuses, & ainsi tour-à-tour. Voilà le grand art de l’agriculture, lorsque l’on connoît bien la nature du fonds sur lequel on travaille. Le cultivateur ne s’écarte jamais de ces données sans le payer chèrement.