Cours d’agriculture (Rozier)/HERBE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 450-451).


HERBE. On donne communément ce nom à toutes les plantes qui perdent leurs tiges pendant l’hiver. On peut encore les caractériser par le peu de consistance de ces mêmes tiges qui ne sont jamais ligneuses. Il y a cependant des exceptions à cette règle. Les herbes sont annuelles ou vivaces : on appelle herbe annuelle, celle qui périt chaque année après avoir donné sa graine. On nomme vivace la plante dont les racines poussent des feuilles, des tiges pendant plusieurs années de suite. Si c’est pendant deux ans, la plante est appelée bisannuelle ; trisannuelle, si c’est pendant trois ans ; & simplement vivace, si sa durée excède ce terme.

Le but de la nature est de conserver les espèces en les reproduisant par la semence ; & les plantes annuelles en ont ordinairement plus que les autres, attendu qu’elles n’ont qu’une année pour se reproduire ; mais si une de ces plantes susceptible de résister aux rigueurs des hivers, ne fleurit pas, alors & très-souvent elle vit pendant deux ans. On peut par art obtenir le même effet. Il suffit de s’opposer à la fleuraison pendant la première année, par la soustraction continuelle des boutons à fleurs. Quelquefois en agissant ainsi, on perfectionne les fleurs & les graines de certaines espèces ; mais, en général, on les détériore & on» abâtardit l’espèce, soit naturelle, soit jardinière (voyez ce mot), parce que l’ordre & les loix de la nature sont intervertis. Cette distinction des herbes par leur durée est la plus naturelle, & le temps seul apprend à les connoître. On peut encore les diviser, quoique généralement, par les lieux où elles croissent ; on aura alors les herbes aquatiques, les marines & les terrestres. Si on considère le temps de leur fleuraison ou de la maturité du fruit, elles seront classées en printanières, en estivales & en automnales & hivernales. Quant à leur culture, on les considérera comme herbes potagères, céréales, vineuses & naturelles aux prairies. On voit que toutes les distinctions sont beaucoup trop générales, & que plusieurs plantes passent indistinctement d’une classe dans une autre.

La distinction des herbes par la forme de leurs racines seroit plus utile aux cultivateurs, puisque cette forme prescrit la manière de les cultiver & le sol qui leur convient. Il y a peu d’exception à cette loi générale. Plante à racine bulbeuse, (les oignons) ; tubéreuse, (les pommes de terre) ; fibreuse, (les blés) ; traçante, (le chiendent) ; à pivot, (la luzerne).

Toute herbe à racine bulbeuse aime une terre légère substantielle, & craint la trop grande humidité, parce que sa racine est composée, soit d’écailles, (l’oignon de lis) ; soit de tuniques, (l’oignon ordinaire), ou bien l’oignon est plein ; mais dans ces trois ordres, il est rempli de mucilage qui absorbe si bien l’humidité de la terre, que plusieurs espèces d’oignons végètent. Ils fleurissent simplement exposés à l’air atmosphérique, (l’oignon de scille ou squille). Les oignons demandent donc à être peu enfoncés en terre, & même on les voit, lorsqu’ils grossissent, venir à l’extérieur quêter les influences de l’atmosphère.

Les herbes à racines tubéreuse craignent également la trop grande humidité ou la trop longue humidité, à cause du tissu spongieux & mucilagineux qui remplit ces tubercules ; ordinairement le parenchyme ne fait que la moitié de leur volume. Outre ces tubercules, ces plantes sont garnies de racines fibreuses & en assez grand nombre ; elles demandent donc un sol qui ait du fond, qui soit bien amendé, bien travaillé, & arrosé au besoin, ou par les pluies ou par art.

Les herbes à racines purement fibreuses n’exigent pas la même profondeur pour le sol, puisqu’elles ne peuvent s’implanter fort avant dans la terre ; mais plus la racine est fibreuse, plus elle demande un terrain bien ameubli & bien amendé, sans quoi elle végétera mal, & épuisera ce terrain au point de ne lui laisser presque plus de nerf ni de lien. La racine du tournesol, soit vivace, soit annuel, en fournit la preuve. On travaille en pure perte lorsqu’on laboure ou lorsqu’on bêche beaucoup au-delà du point jusqu’auquel la racine peut aller, quoique ce travail ne soit pas en lui-même inutile, puisqu’il a ramené à la surface la terre de dessous, ou bien l’a mélangé avec celle de dessus déjà appauvrie par les plantes qu’elle a nourries. Les labours si profonds ne sont donc pas de nécessité première dans les bons fonds destinés aux plantes à racines fibreuses.

Il n’en est pas ainsi des herbes à racines pivotantes, (la luzerne, les carottes, les scorsonères, &c) : elles n’ont point ou très-peu de racines fibreuses ; toute la nourriture vient du pivot, & dès que ce pivot ne peut plus s’enfoncer, la plante commence à languir. Le pivot de la luzerne, dans un sol qui lui convient, pénètre jusqu’à quatre & même cinq pieds de profondeur ; mais pour pivoter avec facilité, il faut que la terre soit douce, substantielle ; c’est-à-dire, un composé de terre végétale & de sable.

Il seroit facile d’étendre beaucoup plus loin ces généralités ; elles sont suffisantes à l’homme qui réfléchit.