Cours d’agriculture (Rozier)/HARICOT

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 417-431).
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HARICOT. Tournefort le place dans la quatrième section de la dixième classe qui comprend les fleurs en papillon, & qui portent trois feuilles sur le même pétiole ; il rappelle phaseolus vulgaris. von-Linné lui conserve la même dénomination & le classe dans la diadelphie décadrie.


CHAPITRE PREMIER.

Description du Genre.


Tout calice d’une seule pièce a deux lèvres, la supérieure échancrée & l’inférieure divisée en trois dentelures ; dans quelques espèces il est à deux lèvres & manque à plusieurs… La fleur en papillon ; l’étendard en forme de cœur, échancré & ses côtés renversés ; les ailes ovales, de la longueur de l’étendard & soutenues par de longs onglets ; la carène étroite & roulée en spirale du côté du soleil ; les étamines réunies & enveloppant le pistil, excepté une seule qui en est séparée par sa base ; le légume est long, droit, coriace dans sa maturité, renferme des semences plus ou moins rondes, longues ou aplaties. Von-Linné le réunit sous la dénomination générique de dolichos, quoique les espèces qui composent ce genre aient beaucoup de ressemblance avec celles que les jardiniers appellent haricot. Ce qui différencie le genre des dolichos du premier, c’est que la carène de ses fleurs n’est pas roulée en spirale comme la leur, & ses légumes & graines sont plus aplaties & plus comprimées.


CHAPITRE II.

Description Des Espèces.


Von-Linné compte treize espèces de haricots, dont huit grimpantes & cinq droites. Il établit la même division pour les dolichos, dont vingt-un sont grimpans & quatre ne le sont pas. Voilà donc trente huit espèces botaniques bien séparées par des caractères essentiels & permanens. Il n’en est pas de même des espèces jardinières. (Voyez ce mot), afin de ne pas confondre les unes avec les autres, objet essentiel pour la culture). On en compte au moins plus de soixante espèces quoique provenues d’un très-petit nombre d’espèces botaniques. Comme leurs caractères distinctifs ne sont pas constans, qu’ils se changent avec le climat, d’une année à l’autre, & qu’il se forme tous les jours de nouvelles espèces hybrides, (voyez ce mot), par le mélange des étamines, sur-tout dans les espèces jardinières, il est très-difficile de les bien décrire : il y a plus, la description la mieux faite ne conviendra qu’a l’individu de l’année dont la contexture, la couleur de la fleur varieront dans les années suivantes, Toutes les espèces de haricots & de dolichos sont originaires des grandes Indes ou de l’Amérique ; il n’est donc pas surprenant qu’ils éprouvent des changemens en raison de la différence du climat ou du sol ou de la culture, & que ces plantes redoutent si fort les gelées.

Tâchons de sortir de ce cahos, & prenons pour guide l’Auteur du Nouveau Laquintinie, parce qu’il a très-bien décrit les haricots cultivés à Paris, & on en connoît beaucoup moins d’espèces dans nos Provinces. Miller, dans son excellent Dictionnaire anglais, en décrit un bien plus grand nombre d’espèces botaniques & jardinières, & beaucoup de variétés de ces dernières dont nos cultivateurs se passent très-bien. L’utile doit emporter sur le simple curieux.


Section Première.

Des Espèces grimpantes ou à rames.


Le mot grimpant ne rend pas exactement l’idée qu’on doit se former, on devroit plutôt dire tortillant. En effet, le premier ne convient qu’aux plantes armées de vrilles ou mains ; tels sont les pois, la vigne, &c ; au lieu que les haricots sont dépourvus de ces vrilles, & ne s’élèvent que parce qu’ils entourent les tuteurs en spirale à la manière de liserons ; & s’ils n’ont point de tuteurs les sommités des tiges qui cherchent à s’élever s’appliquent les unes sur les autres comme les brins qui forment la corde. Si l’on ne rame pas ces espèces de haricots, la récolte sera au-dessous de la médiocre & elle sera proportionnée à la hauteur des tuteurs ou rames convenables à chaque espèce ; si toutes circonstances sont égales. Rame & tuteur sont synonymes ; mais par tuteur on entend plus communément un morceau de bois droit dont la grosseur & la longueur sont proportionnées à celles de l’arbre que l’on veut défendre de l’impétuosité des coups de vent. La rame au contraire, est une branche d’arbre sèche & garnie de ses rameaux. L’économie exigeroit d’employer des rames de chêne parce qu’elles durent long-temps ; mais on ne trouve pas par-tout du branchage de chêne, & en général il est fort cher. Choisissez parmi les arbres du pays ; préférez les branches coupées en hiver à celles coupées à la feuille pour la nourriture des troupeaux. Le bois étant plus sec, a plus de durée. Cependant, si vous avez des rames coupées en automne, elles serviront comme les autres, lorsque les moutons les auront dépouillées de leurs feuilles.

On doit les aiguiser par le bas, afin de les piquer en terre plus facilement. Cette opération s’exécute aisément ou après un arrosement, ou après une pluie.

Si on a semé des haricots sur deux rangées, chaque rangée aura sa rame inclinée l’une contre l’autre ; si on sème sur trois rangées, la rame du rang du milieu sera piquée droite, & celles des deux côtés inclinées sur celle du milieu.

En ménageant ces rames lorsqu’on les sort de terre, elles peuvent servir plusieurs années de suite ; on les étend sur le sol pour les laisser sécher, & on les range ensuite sous des hangars & autres endroits à l’ombre, & à l’abri de la pluie & de l’humidité.

I. Haricot d’Espagne. C’est le Phaseolus vulgaris β coccineus de von-Linné & le smilax hortensis, sive Phaseolus major. Bauh. Pin. De tous les haricots il est celui qui monte le plus haut, & il peut couvrir des tonnelles. La couleur des fleurs ressemble à celle de la grenade, quoique un peu moins vive ; elles sont disposées en manière de grappes, deux à deux ; les feuilles florales sont plus courtes que le calice ; les légumes longs, d’un vert foncé, & les semences violettes, jaspées de noir. Il est impossible d’établir un caractère décidé sur la couleur violette, & sur la forme de la semence. Elles varient du plus ou moins foncé, & par la couleur & la largeur des taches qui parcourent toutes les nuances du violet foncé au blanc.

La principale variété du haricot d’Espagne est à fleurs & à semences blanches ; ces dernières sont quelquefois taillées en biseau, dans tout leur pourtour, & quelquefois arrondies.

Je ne vois pas trop pourquoi dans nos provinces du nord ce haricot est cultivé, comme plante de simple agrément. D’après ma propre expérience, il est certain que le légume cueilli nouveau, est très-bon, & s’accommode de tous les assaisonnemens qu’on fait aux haricots ordinaires ; les semences parvenues à une certaine grosseur, sont très bonnes mangées en vert, & lorsqu’elles sont sèches, elles fournissent une bonne purée. Si on ne veut pas les employer pour l’homme, on peut les faire cuire, les donner à la volaille, aux cochons, & ils engraissent promptement. J’ai vu un fermier qui avoit tapissé avec cette plante tous les murs de sa basse-cour & de sa maison, & qui chaque année faisoit une récolte assez abondante. Il faut alors clouer & attacher au haut du mur une ficelle pour chaque pied, autour de laquelle la plante s’entortille & s’élève. Les rames ordinaires ne seroient pas assez hautes. Cette petite pratique est utile, & décore singulièrement la cour & les murs d’une métairie. Je préférerois cependant une espalier en chasselas (voyez le mot Raisin). Le haricot violet a le défaut de colorer l’eau ou le bouillon dans lequel on le fait cuire. Nos ménagers ne regardent pas de si près que les habitans des villes, ils le mangent avec appétit, sans égard à la couleur.

Ce haricot est annuel, craint beaucoup plus les petites gelées que les autres ; il est originaire des grandes Indes ; on l’a sans doute qualifié d’Espagne, parce que nous l’avons tiré de ce Royaume. Si pour l’agrément on veut qu’il fleurisse beaucoup & pendant long-temps, il faut couper les légumes dès que la fleur, est passée.

II. Haricot Ordinaire, ou Phaseolus vulgaris, Lin. diffère du précédent par sa fleur purpurine, ses gousses moins longues, moins grosses & plus tendres, & qui se rayent de rouge à mesure qu’ils grandissent ; la semence est communément gris-de-lin jaspé de noir, ce qui varie beaucoup. Cette espèce est-elle une variété botanique du haricot d’Espagne, ou celui-ci est-il le type de haricot ordinaire ? C’est aux botanistes à décider la question.

III. Haricot du Bengale ou en forme de lune à son croissant. Phaseolus lunatus. Lin. Ses fleurs sont petites, verdâtres ; les ailes concaves, blanches, prennent ensuite une teinte de vert ; la carêne est en spirale ; la forme des légumes imite celle d’un sabre recourbé.

Les semences sont ovales, aplaties, cannelées ; le côté extérieur des feuilles est du double plus grand que l’autre

Ceux qui aiment la multiplicité des espèces, peuvent cultiver ce haricot ; il est passablement bon : quant au produit, il vaut mieux cultiver les espèces suivantes qui sont en général les seules utiles à l’agriculteur.

IV. Haricot Blanc Commun. L’auteur du Nouveau Laquintinye le caractérise par cette phrase : Phaseolus scandens vulgatior, flore albo, fructu obsoletè albo. On le nomme Mongette dans plusieurs de nos provinces. Sa fleur est blanche, sa gousse de médiocre grandeur ; sa fève courte, aplatie, d’un blanc sale.

V. Haricot blanc-hatif. Phaseolus scandens flore & fructu albis, præcox. Je le crois une variété du n°. 4, dont il diffère seulement par sa précocité & par ses semences plus blanches, plus alongées, proportion gardée avec sa grosseur. L’œil ou l’ombilic est profondément implanté. La fève parvenue à sa maturité cuit difficilement. On doit manger le haricot en vert.

VI. Petit haricot rond. Phaseolus scandens minimus flore albo, fructu rotundo ex albo rusescente. Si son écorce étoit plus blanche, on prendroit ce haricot pour une dragée. Il est ovoïde ; l’ombilic est de niveau avec l’écorce ; les gousses, quoique petites, sont exactement remplies de fèves qui se touchent. Quoiqu’il soit le plus petit de tous les haricots grimpans, il mérite la préférence sur tous les autres ; lorsqu’on le cultive en plein champ, il produit beaucoup, & on le mange ordinairement sec ; sa fleur est blanche. Dans quelques-unes de nos provinces il est connu sous le nom de Mongette, ainsi que le n°. 4.

VII. Haricot de Soissons. Phaseolus scandens, fructu depresso splendide albo serotino. Sa fleur est blanche, sa gousse fort longue, garnie de huit à neuf fèves aplaties, d’un très-grand blanc, le point ombilical alongé & un peu enfoncé. De toutes les fèves blanches c’est la plus grosse ; elle est excellente en grain vert & en sec. Ce haricot est tardif ; on ne cueille point ses gousses tant qu’on espère que les fèves parviendront à maturité sans être tachées, endommagées par les pluies & les premiers froids de l’automne. À mesure que les gousses mûrissent on les cueille ; & les dernières on les mange en vert.

VIII. Haricot blanc sans parchemin. Phaseolus scandens flore & fructu albis filiquâ tenerâ. Le caractère qui distingue ce haricot de tous les autres, est que sa gousse demeure tendre jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à toute sa grandeur, & commence à se sécher ; au lieu que dans les autres la membrane intérieure est dure & coriace. La fleur de ce haricot est blanche, sa gousse fort longue ; les fèves blanches, courtes & plates. Il est hâtif & de bon rapport.

IX. Haricot rognon de Caux ou de Coq. Phaseolus scandens flore albo, fructu reniformi albo. Il tire sa dénomination de sa forme, semblable à celle d’un rein ou d’un rognon de coq. Le point ombilical est alongé & enfoncé ; la gousse très longue, peu garnie de fèves très blanches, du double plus grosses que celles du n°. 5. Sa fleur est blanche ; il est très-bon en vert, en fèves tendres & en fèves sèches. Ce haricot est regardé avec raison comme un des meilleurs.

X. Haricot rouge d’Orléans. Phaseolus scandens minor, flore purpureo, parvo fructu dìlutè purpureo. Fleur purpurine, grain nombreux & serré dans la gousse ordinairement comprimée par les extrémités, aplati sur son diamètre, d’un rouge tirant sur le pourpre clair ; l’ombilic très petit, blanc, peu enfoncé. Toutes les parties de la plante sont petites.

XI. Je crois que l’on peut rapprocher de cette espèce le Haricot sans fil, que l’on cultive dans les environs de Lyon. Il existe peut-être ailleurs, mais je ne l’ai vu que là. La nervure de la gousse de tous les haricots en général, est garnie d’un fil qu’on est obligé de supprimer lorsqu’on veut les manger en vert. Celui-ci, au contraire, en est complètement dépourvu. Il est fort tendre, très délicat en vert ; sec il est encore très-bon, mais il colore les apprêts. La fève de ce haricot est presque ronde, l’arête un peu saillante ; la couleur pourpre foncée ; l’ombilic très-petit, long, blanc & saillant. On sème cette espèce dans le mois de juillet & d’août, & il fournit des légumes frais pendant toute l’automne & jusqu’aux gelées.

XII. Haricot asperges. La forme de la gousse & sa longueur qui excède souvent celle d’un pied & demi, lui ont fait donner ce nom. Si je ne me trompe, c’est le dolichos sesqui-pedalis. Lin.

L’étendard de la fleur est pâle en-dessus, roussâtre en-dessous ; le légume ou gousse est presque cylindrique, & contient peu de semences ; la singularité de sa forme & la délicatesse de la gousse méritent que l’on cultive ce haricot.

XIII. Les auteurs sur le jardinages parlent d’un haricot fort commun en Hollande, nommé Schwert, qui signifie sabre, à cause de sa forme. Je ne le connois pas, & la description qu’ils en donnent, ne suffit pas pour le distinguer des autres. Il porte des gousses de quatorze pouces de longueur, sur quinze à dix-huit lignes de largeur ; par ce second caractère il diffère du n°. 11. Il en diffère encore par sa fève grosse & courte. On le confit au sel pour le conserver pour l’hiver après l’avoir cueilli vert. C’est une branche assez forte du commerce des Hollandois.

Outre les espèces jardinières que l’on vient de décrire, on compte encore un grand nombre de variétés ; par exemple, les haricots à écorce noire, à écorce jaune foncé ou clair. Mais comment assigner des caractères distinctifs à des plantes qui changent de couleurs & de formes, suivant les climats, le sol & la culture.


Section II,

Des Haricots nains.


I. Haricot gris. Phaseolus humilis flore purpureo, fructu nigro ex albo variegato. C’est le plus hâtif, & c’est la raison pour laquelle on le mange en vert, quoique très-bon en sec. Sa fleur est purpurine ; ses gousses tendres & longues ; la fève jaspée de blanc sur un fond noir, de grosseur moyenne, alongée, ronde sur son diamètre.

II. Haricot blanc hatif. Il est encore nommé Mongette dans quelques endroits : il y a donc, comme on le voit, confusion de nom, & ces dénominations triviales jettent une étrange incertitude. Celui-ci mérite ce nom par préférence. Phaseolus humilis, flore albo, fructu nitidè albo. Espèce fort basse, à fleurs blanches à gousses longues, bien garnies de fèves, d’un blanc pur & brillant, alongées, médiocrement grosses, arrondies sur leur diamètre. On doit la semer de très-bonne heure ; elle est excellente pour être mangée en vert.

III. Haricot suisse blanc. Phaseolus humilis flore albo, fructu ex albo rubescente. Moins hâtif que le précédent ; uniquement propre à être consommé en vert, & d’un grand produit ; fleur blanche ; fève d’un blanc roux, de même forme & grosseur que le précédent.

IV. Haricot suisse gris. Phaseolus humilis flore purpureo, fructu atrorubente, è nigro maculato. Fleur pourpre ; fève de couleur d’un rouge obscur, marquetée de noir, plus alongée & moins renflée que celle du précédent, dont il a toutes les qualités.

V. Haricot suisse rouge. Phaseolus humilis, flore rubro, fructu pulchrè rubente varie maculato. C’est encore une variété des deux précédens, dont il diffère par les fleurs rouges, & la marbrure des fèves. Les trois haricots suisses se sèment depuis la première saison jusqu’à la dernière, pour être consommes en vert.


CHAPITRE II.

De La Culture.


Toute espèce de haricot aime une terre fraîche, légère, substantielle, bien fumée, & les haricots peuvent être semés deux & trois années de suite dans le même champ. Lorsque l’année seconde les soins du cultivateur, leur récolte rend beaucoup plus que celle du plus beau blé. Cette assertion paroîtra exagérée & cependant elle ne l’est pas ; l’expérience annuelle prouve sa réalité dans plusieurs provinces du royaume, comme dans la Saintonge, l’Angoumois, les environs de Toulouse, &c. Peut-être que de nouveaux essais rendront cette culture précieuse à d’autres provinces, dès qu’elle sera bien connue. Il faut donc envisager sous deux points de vue différens la culture des haricots, la considérer comme culture potagère. & comme objet de grande culture.

On a déjà vu que les haricots sont originaires ou d’Amérique ou des grandes Indes ; comme ce sont des plantes herbacées, elles doivent nécessairement périr au moindre froid glacial qu’elles éprouvent, puisque dans leur pays naturel il n’y gèle pas, ou s’il y gèle, la nature prévoyante a donné pour loi à leurs graines de germer, de pousser leurs tiges, lorsque la chaleur de l’atmosphère est à un certain degré, & les nouvelles plantes ne craignent plus les froids tardifs qui les feroient périr. La même loi est établie pour toute espèce de plante lorsqu’elle végète dans son pays natal, & cette loi ne subsiste plus qu’en partie, lorsqu’on la transporte sous un ciel étranger, & dans un climat différent. Le degré de chaleur de l’atmosphère, qui anime la végétation du haricot, & développe son germe, soit en Chine soit en Amérique, &c. est le même en Europe, avec cette différence cependant que dans ces pays éloignés la plante ne craint plus les effets des gelées tardives comme en Europe, qu’elle commence à y végéter à la fin de leur hiver, & qu’en Europe elle est obligée d’attendre la fin de son hiver, époque très-différente de la première. Dans son pays natal il suit la saison ; en Europe il est obligé de se conformer à celle qu’il trouve. Il résulte de cette contrariété, que si on ne se hâte pas de semer de bonne heure, on court les risques de ne pas voir mûrir le haricot sur pied ; le haricot d’Espagne en fournit un exemple frappant, sur-tout dans nos provinces du nord ; mais les chaleurs surviennent coup sur coup ; si elles pressent trop la végétation du haricot, il fleurit mal, sa gousse se dessèche, & offre dans son intérieur une semence étique, mal conformée, & presque incapable de se reproduire. Ces considérations indiquent à l’observateur quelle doit être l’époque des semis des haricots, & prescrit en général sa culture. On ne peut donc pas fixer définitivement tel ou tel mois pour les semis, puisque cette règle deviendroit abusive, à moins qu’on n’écrive pour un seul & unique canton ; mais il y en a une qui ne trompe jamais le cultivateur intelligent, c’est l’époque à laquelle il est presqu’assuré qu’il ne gèlera plus dans son canton. On m’objectera sans doute les funestes & tardives gelées du printemps ; elles sont l’exception de la loi générale ; heureusement ces cas sont rares, & le plus habile observateur ne peut les prévoir. Il s’agit donc de parler pour les années communes, & non pas de celles qui portent la désolation dans les campagnes. On ne sauroit trop tôt semer les haricots dès qu’on ne craint plus les gelées, parce que dans nos provinces du nord ils auront le temps de mûrir, & dans celles du midi, de n’être pas surpris par les grandes chaleurs, presqu’aussi funestes que les gelées : de ces généralités passons à la pratique.


Section Première.

De la Culture potagère.


Les amateurs ou les propriétaires aisés, ou enfin les cultivateurs qui trouvent un salaire proportionné à leurs avances, & à leurs travaux dans la vente des primeurs, peuvent devancer la saison des semis en se servant des couches, (voyez ce mot) recouvertes par des châssis ou par des cloches. Par ces moyens dispendieux, ils devancent l’ordre des saisons, & ils mettent leurs haricots en pleine terre lorsque les autres commencent à les semer. Ils jouissent plus promptement & plus long-temps.

Il y a deux manières de semer sur ces couches, ou en les chargeant de six à huit pouces de terre bien meuble, ou en enterrant, sur la surface de cette couche, des pots dans lesquels on sème les haricots. Cette seconde méthode est préférable à la première, parce que la replantation retarde les progrès de la plante, & il en périt beaucoup dans cette opération ; il est aisé de s’en convaincre. Avec les pots, au contraire, lorsqu’on les a arrosés la veille, la terre se trouve serrée contre les racines, & en les renversant doucement, la terre s’en détache, & on place aussitôt dans la petite fosse ouverte par avance, la plante, les racines & la terre ; de cette manière il n’arrive aucun accident, & le haricot ne s’aperçoit pas d’avoir changé de place. Il ne faut pas attendre, à moins que la saison ne soit absolument contraire & rigoureuse, que les plantes végètent pendant trop long-temps dans les pots, que leurs racines en tapissent tout l’intérieur ; alors elles souffrent de cette gêne, de cette contrainte, & à moins qu’on ne les arrose largement & souvent, les racines ne trouvent plus de substance pour nourrir les tiges, les feuilles jaunissent & annoncent la détresse générale & le manque de nourriture. Les fréquens arrosemens pallient le mal, & ne le guérissent pas. Il vaut donc beaucoup mieux devancer l’opération, & si le besoin l’exige, couvrir avec des cloches ou avec des paillassons les plantes nouvellement mises en terre.

Chaque pot ne doit pas contenir plus de trois à quatre semences au plus ; deux même suffisent, puisqu’on est assuré de leur réussite.

Si on a de bons abris formés par des murs ou par des paillassons, c’est le cas de s’en servir pour les transplantations, le haricot s’appercevra moins du changement de lieu. Si on a semé des haricots hâtifs, on ne tardera pas à jouir des soins qu’on leur a donnés : rarement conserve-t-on ces haricots pour être mangés secs ; on fera donc très-bien même de n’en pas conserver quelques pieds pour grainer, à moins qu’ils ne se présentent dans le plus grand état de perfection.

Je crois cependant, que c’est de cette manière qu’on est parvenu petit à petit à établir les espèces jardinières (yoy le mot Espèce), hâtives, & qui se perpétuent aujourd’hui tant qu’on ne les néglige point. En effet, ces espèces ne diffèrent des tardives ni par la fleur ni par le fruit, ou du moins cette différence est si peu caractérisée, qu’elle ne sauroit présenter ce qu’on appelle un caractère botanique.

Si on n’a pas les moyens de se procurer des cloches, des châssis & même des paillassons, si cependant on désire des primeurs ; on peut semer de bonne heure au pied des abris, & pendant chaque nuit ou chaque jour qui font craindre le froid, couvrir ces semis avec de longue paille.

Si dans les provinces les fumiers de litière & propres aux couches, étoient aussi communs qu’ils le sont à Paris, il n’y auroit pas à balancer, les pots & les couches mériteroient la préférence ; mais quand on pense qu’un tombereau moyen rempli de fumier de litière, nullement consommé, coûte trois livres dans les provinces du royaume où les pâturages sont peu abondans, & qu’il faut trois de ces tombereaux pour en faire un de fumier bien consommé, on trouve qu’il n’y a aucune proportion entre la mise première & le produit, puisque la livre de haricots en primeur ne sera pas vendue plus de cinq à six sols. À moins d’être très-riche, c’est une folie d’y songer. Il vaut beaucoup mieux employer le fumier sur les terres. Cependant, si on veut à peu de frais se procurer des primeurs, il faut choisir un bon abri, avoir des pots de terre non vernissés, mais peints en noir & à l’huile. Ils absorberont infiniment plus de chaleur que les pots ordinaires en terre cuite, & beaucoup plus que ceux qui sont vernissés, parce que leur surface unie & luisante réfléchit la chaleur. D’ailleurs, une petite masse est bien plutôt échauffé qu’une grande, des bourrées de paille longue jetées sur ces vases au soleil couchant, empêcheront en grande partie la déperdition de la chaleur pendant la nuit.

Les cultivateurs moins pressés de jouir, auront une jouissance plus parfaite, puisque les légumes en seront meilleurs.

Les cultivateurs de nos provinces les plus méridionales peuvent, absolument parlant, semer à la fin de février ; dans celles moins méridionales, en mars, & dans celles du nord, en avril & mai. Ces époques sont, je le répète, subordonnées aux climats ; mais il est constant qu’il y a deux mois de différence, par exemple, entre Marseille, Montpellier, Lille & Arras, &c, dès qu’il s’agit des semis en pleine terre des plantes délicates originairement étrangères.

Quelques auteurs conseillent de donner trois labours au sol destiné aux haricots ; un avant l’hiver, le second après l’hiver, & le troisième au moment de semer. Ce précepte est excellent, lorsqu’il s’agit de la culture en grand & en plein champ ; mais il est déplacé s’il s’agit d’un jardin potager. La terre y est trop précieuse, sur-tout si on en est le fermier, & elle sera occupée plus utilement par les plantes hivernales. Dès que c’est un potager en règle, il est clair que la terre en est amendée de longue main, qu’elle est meuble. Il suffit donc de ne pas épargner le fumier bien consommé, & de donner un fort labour à la bèche, & de semer aussitôt. (Voyez les mots Bêche & Engrais}.

On sème le plus communément les haricots nains en bordure, & les grimpans en planches ou même en carreaux entiers ; cela dépend de la quantité qu’on le propose de consommer ou de vendre, soit en vert, soit en sec. Les uns sèment en sillons, grains à grains, & les recouvrent d’un à deux pouces de terre, & les sillons sont espacés de six pouces ou d’un pied, lorsqu’on est obligé d’arroser par irrigation, (voyez ce mot) ainsi que cela se pratique dans les provinces méridionales. Après le troisième ou le quatrième fillon, suivant le diamètre de leur largeur, on laisse l’espace d’un fillon vide, qui sert de sentier ou de petit chemin, destiné à faciliter de la cueillette des haricots en vert. Il deviendrait inutile si on devoit seulement les récolter secs, & qu’on ne fût pas dans le cas de les arroser de temps à autre.

D’autres les sèment en échiquier, & ouvrent des petites fosses de 18 à 24, pouces de distance de l’une à l’autre ; ils sèment 4 ou 5 haricots dans chaque fosse, & les recouvrent de terre, ainsi qu’il a été dit. Ces deux méthodes sont très-bonnes, mais je préfère la première, parce que chaque semence également espacée, trouve plus facilement sa nourriture que lorsque cinq ou six pieds se trouvent réunis.

Dès que les haricots commencent à darder leurs tiges, que l’on nomme fil, filet en quelques endroits, c’est le cas de les ramer, de disposer chaque fil sur une branche de la rame, d’empêcher que ces fils ne se croisent, ne se réunissent plusieurs ensemble & ne s’entortillent les uns sur les autres ; sans ces précautions, ils seront peu productifs.

Le haricot exige beaucoup de petits labours ; d’être serfouis souvent, & plus souvent rigoureusement sarclés quand ils sont encore jeunes. Ces petits labours, sur-tout après les pluies, les font croître à vue-d’œil, pour peu que la chaleur du jour les favorise. Il est assez ordinaire de voir les racines supérieures des haricots emportées par leur naturel grimpant, sortir en partie de terre : on prévient cet accident en les chauffant à chaque serfouissage, mais il convient à chaque fois de commencer à travailler la terre, à rendre unie sa superficie, & à en ramener une partie vers le pied. Par cette opération la plante se trouve bien travaillée & bien chaussée. Il vaut beaucoup mieux donner les petits labours dès le commencement, que d’attendre l’époque à laquelle, ou après laquelle on a piqué les rames en terre ; elles sont un obstacle au bon travail.

Il est d’usage délaisser suivant le besoin, un ou plusieurs rangs d’abricots sans les cueillir en verd, ou en grains tendres, & de les laisser sécher sur pied, afin d’en conserver la semence des années suivantes. Il est très-sage d’en conserver le double, puisque si les gelées tardives détruisent les nouvelles plantes, on aura de quoi les suppléer ou regarnir les places vides. Cette petite prévoyance n’occasionne aucune perte, puisque ces haricots surnuméraires sont également utiles à la cuisine.

On doit cependant observer que les gousses qui succèdent aux premières fleurs épanouies des haricots grimpans, sont beaucoup plutôt mûres que celles des fleurs successives & qui se perpétuent tant que le froid de l’atmosphère ne les arrête pas. On laissera les premières mûrir & sécher sur la plante, & on les cueillera à la main dès qu’elles le seront. Si on attend plus tard, la gousse ouvrira ses deux battans, & les fèves tomberont sur la terre ; s’il survient une pluie lorsque la gousse est entr’ouverte, elle tache les haricots & les rouille. Après les premières récoltes & lorsqu’on s’aperçoit que les gousses restantes ne mûriront pas, on les cueille pour manger les fèves en vert ou en haricots tendres. Si on a semé des haricots nains, la récolte se fait tout à la fois ; & lorsque la tige est sèche, on l’arrache de terre avec les gousses, ainsi qu’il fera dit ci-après.


Section II.

De la Culture en grand des Haricots.


C’est le cas de donner ici les trois labours de préparation, de commencer le premier à la fin d’Octobre ou en Novembre, le second en Février, & le troisième au moment de semer. On doit choisir, autant que faire se peut, des jours favorables au labourage, c’est-à-dire que la terre ne soit pas trop mouillée ; ce seroit plutôt la paîtrir que la labourer. Si le fumier destiné aux haricots est bien consommé, on doit le jeter sur terre lorsqu’on va donner le second labour ; s’il est pailleux & peu fait, il sera enfoui au premier labour, afin qu’il soit consommé au temps du semis, & que le mélange de ses principes avec ceux du sol ayent eu le temps de former la combinaison savonneuse dont j’ai si souvent parlé. (Voyez les mots Amendement, Engrais, & le dernier Chapitre du mot Culture). C’est donc à tort qu’on conseille de fumer au troisième labour ; la plante se ressentira très-peu de son secours, & le fumier commencera à agir lorsque la plante aura déjà pris presque tout son accroissement. Je conviens que l’engrais ne sera pas perdu, puisque la combinaison sera faite, & la récolte suivante du blé en profitera, mais ce n’étoit pas le premier but du cultivateur. L’emploi tardif du fumier entraîne après lui un grand inconvénient si l’année est sèche ; car loin d’être utile dans ce cas, il brûle tout. Si la position où je me trouve me permettoit de cultiver les haricots en pleine terre, je ne balancerois pas à jeter l’engrais en octobre ou novembre, & l’enfouir par deux bons labours croisés ; il auroit au moins le temps de se décomposer & de recombiner ses principes avec ceux de la terre ; mais dans le bas-Dauphiné, la basse-Provence, le bas-Languedoc, la chaleur & la sécheresse sont trop actives ; tout seroit calciné, & sur dix années, à peine auroit-on une bonne récolte. Il n’en est pas ainsi dans plusieurs parties du Roussillon, de la Guienne, du Languedoc, & quoique les chaleurs y soient vives & fortes, il y pleut assez souvent & en assez grande quantité. Ces pluies salutaires, bienfaisantes & conservatrices, tiennent à la position du lieu ; (Voyez en la cause dans les Chap. des bassins & des abris du mot Agriculture). Ainsi, la culture en grand des haricots tient au local, & avant de l’entreprendre, on doit bien l’étudier, le connoître & commencer par des expériences en petit ; si on ne réussit pas, l’amendement & les labours ne seront pas perdus, le blé que l’on sèmera au mois de septembre, octobre ou novembre suivant (relativement au climat), en profitera.

Le plus communément on choisit l’année de repos des terres, ou jachères pour la culture des haricots, & le blé réussit très-bien après, surtout si on a fumé en février ou en mars, parce que l’engrais n’a pas eu le temps d’être absorbé par les haricots. Plusieurs particuliers habitans des villes ou des gros bourgs, qui ne veulent pas se livrer à cette culture, cèdent leurs champs à de pauvres habitans, des journaliers, pendant l’année de jachère, à condition qu’ils les travailleront, les fumeront largement, & y sèmeront des haricots ; ils divisent leurs champs par parcelles, & plus ils sont divisés, plus on est assuré qu’ils sont bien cultivés & engraissés, de manière que la récolte des blés de l’année suivante est toujours belle. Je voudrois que cette méthode devînt plus générale dans le royaume, le propriétaire y gagneroit évidemment, & le pauvre & le journalier y trouveroient une ressource précieuse pour eux & pour leur famille. Dans les pays où elle est introduite, les pauvres ont grand soin de rassembler, pendant toute l’année, autant de fumier qu’ils le peuvent ; leurs enfans courent les grands chemins avec un panier, & ramassent les crottins, enlèvent les terres entraînées par les eaux dans les endroits creux & bourbeux ; enfin ils parviennent à avoir un excellent engrais, & en assez bonne quantité. Le grand point est de leur céder du terrain en raison du monceau qu’ils ont assemblé, & non au-delà. Le propriétaire accorde successivement toutes les parties de son champ, & à la longue il se trouve parfaitement amendé, & sur-tout beaucoup mieux qu’il ne l’auroit été avec la meilleure charrue.

Il y a deux manières générales de semer, ou par raies ou en échiquier. Si on sème des haricots grimpans, par exemple, le haricot de Soissons si renommé, & qui forme une récolte considérable dans les environs de cette ville, il faut laisser d’espace en espace des sillons vides, afin de ramer lorsque la plante le demande, & pour cueillir les gousses lorsqu’elles seront sèches. Si, comme dans l’Angoumois, la Saintonge, on sème des mongettes, des haricots nains, le sillon vide devient moins nécessaire, parce que l’on récolte toute la plante à la fois ; cependant il vaut mieux en laisser un petit, afin de sarcler, piocheter & chausser commodément le pied de la plante. Si, dans les provinces les plus méridionales du royaume, & par conséquent les plus sèches, on a la facilité d’arroser par irrigation (voyez ce mot), si la terre a été bien défoncée & bien amendée, on est sûr d’avoir une magnifique récolte. Il s’agit de détourner les eaux d’un ruisseau, d’une fontaine, ou d’en conduire sur le champ par le moyen du Noria, ou puits à roue (voyez ce mot) ; on bravera alors la grande sécheresse naturelle à ces climats. Si l’irrigation n’est pas possible, il faut renoncer à cette culture.

Je préfère les semis par raie & au plantoir à ceux en échiquier. Les premiers se font grain à grain à la distance de huit à dix pouces, & les seconds, en réunissant dans un même creux depuis dix jusqu’à quinze grains ; par cette dernière méthode les plantes s’affament mutuellement.

Si on veut suivre une culture plus expéditive, on peut imiter celle du Maïs, ou blé de Turquie, ou gros millet (vqyez ce mot), connus dans nos provinces sous ces différentes dénominations ; elle est plus simple, mais elle ne produira point autant.

Lorsqu’on sème en sillons, le planteur muni d’une cheville, fait un trou de deux à trois pouces de profondeur sur la moitié de la hauteur du sillon ou de l’ados, & non au fond ou au sommet : dans le premier cas, s’il survient des pluies avant que le haricot soit sorti de terre, il pourrira ; cette semence craint l’humidité ; & dans le second, elle ne trouvera pas assez d’humidité pour végéter ; enfin, si on arrose par irrigation, planter à la moitié de la hauteur, est le seul moyen de réussir.

Le moment de ramer est également celui du second labour, d’aplanir la terre du sillon avec la pioche & de ramener cette terre bien remuée contre le pied de la plante, afin de la chausser ; par ce moyen, elle se trouve occuper le sommet ou milieu de la partie bombée & saillante du sillon. Lorsque les premières fleurs seront nouées, on peut encore donner un troisième labour, & plus on les multiplie, plus on augmente le produit & la récolte. Je n’en ai jamais vu de si abondantes que dans ces parcelles de terrain abandonnées aux pauvres habitans : comme les haricots sont le seul bien dont ils ont la jouissance, tous les momens de loisir du père, de la mère & des enfans, sont employés à sarcler, piocheter, ramer, & arranger les filets.

Dans certains cantons du royaume, on arrête & on pince les filets lorsqu’ils s’élancent & lorsqu’ils sont parvenus à une certaine hauteur : cette méthode est-elle avantageuse ou nuisible ? Je n’ose prononcer définitivement ; elle me paroît avantageuse dans les pays chauds, lorsqu’on a la facilité d’arroser, parce que le pincement fait pousser des filets latéraux sur les tiges, & leurs fleurs & leurs fruits ont le temps de mûrir ; mais si le pays est très-chaud, on aura beau arroser, la grande chaleur précipitera la plante, & les tiges latérales auront épuisé la mère-tige en pure perte. Il en est ainsi pour toute espèce de haricots, parce qu’ils demandent un degré de chaleur à peu près précis, & sur-tout une graduation proportionnée dans la marche de la chaleur. Il est de fait que les haricots subsistent plus longtemps sur pied & en bon état dans les climats tempérés que dans les pays chauds, & beaucoup moins dans les pays très-chauds, à moins qu’on n’y craigne pas les gelées & les rigueurs de l’hiver ; alors c’est le cas de semer en janvier ou février, & la plante conserve une belle végétation jusqu’aux grandes chaleurs. ; dans nos provinces septentrionales, au contraire, je regarde le pincement des filets comme très-inutile, puisque la chaleur de l’atmosphère n’est souvent pas assez forte pour mûrir les haricots d’espèces tardives ; alors c’est le cas de semer les espèces hâtives, grimpantes ou naines, indiquées dans le Chapitre second. Comme il m’est impossible de désigner telle ou telle méthode pour chaque canton en particulier, c’est à l’expérience du cultivateur à décider sur les lieux si le pincement est nuisible ou avantageux, & à l’engager à ne pas prononcer sur l’expérience d’une seule année ; le pincement me paroît plus nécessaire, lorsqu’on n’a pas de rames à donner aux haricots grimpans : leurs filets s’entrelacent & se tordent les uns sur les autres en pure perte ; ce ravalement les réduit, pour ainsi dire, à l’état de haricots nains.

On attend, pour cueillir les gousses des haricots qu’on veut conserver en sec, que la rosée soit entièrement dissipée, & que le soleil soit vif & chaud. S’il s’agit de la récolte des haricots grimpans, on la fait à mesure que les gousses se sèchent, & on les sépare de la tige sans l’endommager. Le cueilleur, à cet effet, tient d’une main la tige, saisit de l’autre la gousse, & avec l’ongle en coudant son pédicule, le caste, le sépare de la tige, & jette la gousse dans un panier ou dans le tablier replié & attaché autour de lui. Quelques personnes font couper le pédicule avec des ciseaux, c’est la méthode la plus sûre, & elle est aussi expéditive que toute autre ; les gousses restantes sur la tige sont mangées en vert ou en fèves vertes ; si elles n’ont pas le temps de mûrir.

Quant aux haricots nains, la récolte s’en fait tout à la fois : on arrache la tige par un temps sec : on botelle ces tiges & on les suspend sous des hangars afin qu’elles y sèchent : c’est la meilleure manière de conserver les haricots ; & s’ils sont gardés dans leurs gousses, on peut les semer jusqu’après la seconde année. Pour les en séparer, on les bat au fléau.


CHAPITRE III,

Des propriétés des Haricots.


La gousse tendre se digère facilement, nourrit peu : la semence fraîche est peu nourrissante, elle l’est beaucoup plus après sa dessiccation ; mais elle pèse aux estomacs foibles, cause des vents & des borborygmes. Les semences réduites en farine, servent aux cataplasmes émolliens & résolutifs.

Avec un peu d’art on vient à bout de conserver en vert des haricots, & c’est une des provisions de carême pour la ménagerie. J’emprunte la recette de leur préparation, du Journal économique du mois de février 1766. « Faites cueillir, sur la fin de l’été, les haricots de la meilleure espèce & les plus tendres que vous pourrez trouver, dans la quantité que vous voudrez en faire provision ; épluchez-les, c’est-à-dire ôtez-en les pointes des deux bouts & les fils des côtés, sans casser les haricots par le milieu, quand on veut les manger tout de suite ; faites après cela blanchir les haricots en les jetant dans l’eau bouillante & les retirant presqu’aussitôt, c’est-à-dire, quand ils auront fait deux bouillons seulement : il n’en faut pas davantage si l’on veut qu’ils conservent leur fraîcheur & leur goût. Pour faire cette opération plus sûrement & plus commodément, on a une grande chaudière sur le feu, dans laquelle l’eau bout, & on se sert d’un panier d’osier, avec lequel on plonge dans cette eau les haricots, & on les en retire quand ils ont tant soit peu bouilli. Il n’est pas nécessaire de mettre toute la provision en une seule fois, on peut le faire par parties & à différentes reprises, mais toujours dans la même proportion de cuisson. »

« À mesure que l’on retire les haricots de l’eau bouillante, on les verse sur des claies que l’on tient pressées pour les y laisser égoutter ; il faut bien les éparpiller sur ses claies afin qu’ils refoulent mieux, & les placer à l’ombre pour sécher. Mettez ensuite ces claies dans un four après qu’on en aura retiré le pain ; mais il faut que le four ne soit guères chaud, & ne pas les y laisser long-temps ; car la chaleur recuirait les haricots, & en les séchant, trop elle en altéreroit la bonté. Pour éviter ce danger, si l’on a un grenier ou quelqu’autre endroit propre, & qu’on se trouve encore dans le temps des grosses chaleurs, il vaudra mieux porter les claies chargées dans le grenier, & les y laisser sécher toujours à l’ombre, jamais au soleil, par ce qu’il leur ôte la couleur & même le goût naturel. Le lieu le plus exposé à un grand courant d’air & à l’ombre, est celui qu’on doit choisir par préférence.

» Quand les haricots sont bien secs, on doit les enfermer dans des sacs de papier & les remplir ; ils ne doivent être percés nulle part, & on les gardera bien après y avoir mis les haricots, en collant leur ouverture de manière que l’air n’y puisse entrer par aucun endroit ; on fermera ensuite le sac dans un lieu sec, jusqu’à ce qu’on veuille en faire usage

» Lorsqu’on voudra en manger, on prendra un ou deux de ces sacs dont on tirera les haricots que l’on mettra tremper dans l’eau fraîche, depuis le matin jusqu’au soir ; cette eau les fera renfler & leur rendra leur première verdure : on pourra alors les faire cuire, les assaisonner, les servir, comme s’ils venoient d être cueillis : le goût n’en sera pas tout-à-fait le même, mais la différence n’en sera pas bien grande ».