Cours d’agriculture (Rozier)/GRENADILLE ou FLEUR DE LA PASSION.

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 380-382).


GRENADILLE ou FLEUR DE LA PASSION. Toutes les espèces de ce genre de fleur, qui porte une physionomie bien singulière, sont étrangères à l’Europe, & y ont été transportées du nouveau monde. Tournefort les place dans la seconde section de la sixième classe, qui renferme les herbes à fleur en rose dont le pistil ou le calice devient un fruit à une seule loge, & les appelle grenadilla. Von-Linné les classe dans la gynandrie pentandrie, & les nomme passi-flora. Ce dernier en compte vingt-six espèces très-distinctes, les unes à feuilles très-entières, les autres divisées en deux ou trois lobes, & les dernières partagées en plus grand nombre de sous-divisions ; la grenadille dont nous avons à parler est de cette dernière ; il est inutile de décrire les autres, puisqu’elles ne peuvent, en général, subsister en France sans le secours de la serre chaude : d’ailleurs, elles appartiennent plus à la botanique qu’à l’agriculture, qui n’en retire aucun avantage.

La grenadille à fleur bleue. Tournefort la désigne par cette phrase, grenadilla polyphillos fructu ovato ; & von-Linné la nomme passi-flora cœrulea.

Fleur, pourvue d’un double calice, ou du moins d’un calice proprement dit, & de trois feuilles florales qui recouvrent le calice, les pétales & les parties sexuelles avant leur développement. Les feuilles florales sont creusées en cuiller & arrondies à leurs bases, de moitié plus courtes que les divisions du calice, & terminées par une petite pointe. Le calice, vert en-dessous & blanc en-dessus, le divise de cinq pièces fort ouvertes, alongées, terminées par un petit crochet, & chaque division est alternativement placée sur celles du calice, de manière qu’on croiroit la fleur composée de dix pétales. La base du pistil est entourée d’un triple rang de filets ; l’extérieur est d’un bleu-violet foncé à leur base, blanc dans le milieu, & d’un bleu-violet tendre au sommet. Les parties colorées de l’intérieur sont plus foncées en couleur.

Si on détache successivement les divisions du calice & des pétales, on voit à nu le troisième rang des filets, qui forment une couronne autour du pistil. Si, avec la pointe d’un canif, on détache encore ce dernier rang, on voit la base du pistil implanté sur le nectaire en forme de soucoupe, & qui contient une eau sucrée, mielleuse, d’un goût parfumé, & exquise.

Les étamines sont au nombre de cinq, portées sur le pistil. Le filet, à l’endroit où il s’implante dans l’anthère, est terminé en bouton, dont le rebord est au-dessus de son insertion, de manière qu’on peut lui imprimer un mouvement de rotation sur cet axe. Avant l’épanouissement, les anthères sont collés contre le pistil, & au moment de l’épanouissement, le ressort se débande, & leur position perpendiculaire se change en horizontale. Le pistil ressemble à une colonne renflée dans le milieu & terminée par trois stigmates en manière de cloux. Telle est cette fleur, qui ne ressemble point à celles d’Europe.

Fruit, charnu, de couleur orangée, en forme d’œuf, rempli de mucilage assez liquide, d’un goût aigrelet agréable ; les semences renfermées dans une membrane.

Feuilles, d’un vert foncé & luisant par-dessus, divisées en cinq lobes alongés, entiers ; ondées sur leurs bords.

Racines, presque ligneuses, très-fibreuses & traçantes.

Port ; tiges rougeâtres, nombreuses, sarmenteuses. À l’endroit où les feuilles sont implantées sur les nouvelles tiges, on trouve deux stipules qui recouvrent une vrille ou main, & une fleur, avant leur développement.

Lieu. Cet arbuste est originaire du Brésil ; on l’a presqu’entièrement naturalisé dans nos provinces méridionales, où il fleurit, sans discontinuité, depuis le milieu de mai jusqu’aux premières gelées.

On peut également cultiver deux variétés de cette plante, qui sont la grenadille à fleur blanche & à cinq feuilles étroites, & celle à petites fleurs purpurines ; mais elles n’offrent point un aussi joli coup-d’œil que la première, qui mérite, à tous égards, la préférence sur les autres.

Si on plante la grenadille dans un bon terrain & qu’elle ait de l’eau de temps à autre, on sera assuré de garnir, en moins de quatre ans, le plus vaste pavillon en treillage, & on aura une ombre épaisse, objet précieux dans les provinces du midi. Si on la plante dans un terrain maigre, elle poussera avec moins de force, à la vérité, mais elle tapissera également bien un mur, des tonnelles, &c. La grenadille, mariée à un peuplier blanc ou ypreau (voyez ce mot), produit un joli effet par le contraste du vert luisant & foncé de ses feuilles avec le vert blanchâtre de celles de l’ypreau. Pour cet effet, il convient d’aider & de soutenir les jeunes tiges en les entortillant autour du tronc, jusqu’à ce qu’elles aient gagné le sommet de l’arbre.

Dans les provinces du nord du royaume, elle exige les abris les plus chauds, & pendant l’hiver, d’être garantie du froid par des paillassons.