Cours d’agriculture (Rozier)/GAUDE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 250-254).
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GAUDE ou Herbe à jaunir, ou Vaude. (Voyez Planche XIII, page 234) M. Tournefort la place dans la première section de la onzième classe, qui comprend les herbes à fleurs de plusieurs pièces irrégulière & anomale, dont le pistil devient un fruit à une seule loge ; il l’appelle luteola herba salicis folio : M. von-Linné la nomme reseda luteola, & la classe dans la dodécandrie trigynie.

Fleur, représentée en B, de face avec toutes ses parties ; en C, vue de profil ; en D, vue par derrière. Cette fleur n’a communément que trois pétales jaunes ; un supérieur E, & deux latéraux & semblables, dont un seul est représenté en F. Le supérieur est découpé en plusieurs languettes dont le nombre n’est pas constant, & les pétales latéraux F, sont presque toujours découpés en trois parties. Le calice G est d’une seule pièce partagée en quatre divisions ; on voit ce calice dans tous ses sens dans les figures BCD ; le pistil H en occupe le centre. Chaque fleur est accompagnée, à la base de son pédicule, d’une feuille florale, longue, étroite, pointue, comme on le voit dans la fleur de profil C.

Fruit. Capsule I anguleuse, bossue, pointue, terminée à son sommet par trois pointes, au centre desquelles il se forme une ouverture à la maturité du fruit, pour laisser échapper des semences K, menues & en forme de rein ; ces semences sont attachées aux angles de la capsule, comme on le voit en L, où la capsule est coupée dans sa longueur.

Feuilles, lisses, en forme de lance, très-entières, imitant celles du saule, mais d’un vert plus foncé.

Racine A, blanche intérieurement, roussâtre à l’extérieur, droite, longue, pivotante.

Port, tiges de deux à trois pieds, & de quatre à cinq quand elle est cultivée ; les fleurs disposées le long de la tige en espèces d’épi ; les feuilles alternativement placées.

Lieu. Les bords des chemins de presque toutes nos provinces, les terrains légers & qui ont du fond. La plante est annuelle & fleurit en juin ou juillet, suivant les climats.

Propriétés. La racine est apéritive, le suc de la plante diaphorétique. Cette plante est plus utile en teinture qu’en médecine.

Culture. La gaude ou vaude est aussi essentielle aux teintures jaunes & vertes, que la garance l’est pour les rouges. La culture de cette plante devient donc très-avantageuse dans nos provinces où les manufactures de drap sont multipliées, ou lorsqu’on peut l’exporter sans beaucoup de frais. On la cultive aujourd’hui avec le plus grand succès dans la Normandie, & l’on doit cette précieuse ressource au zèle de M. d’Ambournay, qui a fait pour elle ce qu’il avoit entrepris sur la garance ; (voyez ce mot) on la cultive également dans les environs de Paris, dans le Languedoc, &c. Les lieux où la gaude croît spontanément, ainsi que la forme de sa racine pivotante, indiquent suffisamment le terrain qui lui convient, & la culture qu’elle exige. On voit dès-lors qu’il lui faut une terre légère, sablonneuse & substantielle, si on veut qu’elle pousse avec vigueur ; enfin, plus la terre sera profondément défoncée, plus le pivot de la plante s’enfoncera, & plus elle s’élèvera ; unique objet de cette culture.

I. Des Semailles. Les auteurs ne sont point d’accord entr’eux. Les uns veulent qu’on sème la gaude au mois de mars, pour la récolter en juillet ou en août, suivant le climat ; d’autres, qu’on la sème aussitôt après la récolte, afin d’imiter la marche de la nature ; & les derniers, en même temps que les blés, c’est à-dire, dans le courant de septembre ou d’octobre, ou même de novembre, suivant le climat, &c.

Pourquoi cette différence dans les opinions, tandis qu’il y a une loi écrite dans le grand livre de la nature, sans cesse ouvert aux yeux de ceux qui veulent ou savent y lire ? Cette loi tient à la constitution du climat, & par conséquent elle n’est pas la même pour la Flandre, par exemple, & pour le Languedoc, &c. Je demande au flamand : À quelle époque, toutes circonstances égales, la gaude sort-elle naturellement de terre dans votre canton ? je fais la même demande au bourguignon, au provençal, &c. Leur réponse est l’époque désignée par la nature : conformez-vous donc à sa loi, & une fois connue par vous, préparez vos terres en conséquence, afin qu’elles reçoivent la sentence au temps marqué : vous ne craindrez plus d’être trompé en suivant à la lettre les opinions des auteurs, parce qu’ils ont écrit pour leurs cantons, sans considérer le reste du royaume.

L’assertion que je viens d’établir exige une modification, parce qu’il y a plusieurs plantes qui ont deux époques de germination, même très éloignées. Les graines germent en quelque temps que ce soit, lorsque le degré de la chaleur de l’atmosphère est au point convenable à la germination ou à la fleuraison. Par exemple, en septembre, en octobre, en novembre, suivant les climats, le blé germe, & il germe également en mars & avril ; mais il ne germera pas pendant la chaleur dévorante & la sécheresse des mois de juillet & d’août des pays méridionaux. La belle expérience de M. Duhamel, rapportée au mot Amandier, Tom. I. page 458, prouve, d’une manière victorieuse, que la germination & la végétation tiennent spécialement au degré de la chaleur ambiante. Ce degré est à peu près le même en octobre & en mars ; (toujours les circonstances égales) il n’est donc pas étonnant que les grains de froment (voyez ce mot) & ceux de la gaude germent à deux époques. À cette assertion on peut encore en ajouter une autre ; c’est que toutes les plantes susceptibles d’une double époque de germination, ne craignent pas les effets de la rigoureuse saison d’hiver ; autrement la nature auroit manqué son but.

D’après ces principes est établie l’époque des semailles de la gaude. Dès que le froid ne fait pas périr cette plante pendant l’hiver, il vaut beaucoup mieux la semer avant qu’après ; semée à l’une ou l’autre époque, la récolte se fera à peu près dans le même temps, à une ou deux semaines après, sur-tout dans les pays chauds ; & par conséquent il est impossible que la plante semée en mars ait autant de corps, de consistance, de force, de hauteur, que celle qui aura été semée en automne. Il est aisé de se convaincre de cette vérité par le simple coup d’œil.

Des auteurs ont conseillé de semer la gaude aussitôt qu’on aura labouré les champs, après la récolte des blés, & de la semer mêlée avec le sarrasin, (voyez ce mot) ou blé noir. Cette opération peut être utile dans nos provinces du nord, dans celles de l’intérieur du royaume qui sont tempérées, mais elle ne sauroit avoir lieu dans nos provinces méridionales proprement dites, à moins que la localité de certains cantons ne les rapproche de la constitution de celles dont on vient de parler. Toutes espèces de semailles, en général, dans les mois de juin, de juillet & d’août, sont interdites dans ces dernières, à cause de la sécheresse & de la chaleur ; & si on y semoit la gaude en juin ou en juillet, aussitôt après la coupe des blés, la graine, ou ne germerait pas jusqu’en octobre, ou bien, s’il survenoit de la pluie tout aussitôt après, on courroit les risques de voir la graine germer, pousser, fleurir & mûrir avant les gelées. On doit juger, par cette végétation forcée, combien la plante seroit maigre, rachitique, & de si peu de valeur, qu’elle ne paieroit pas les frais de culture & de récolte. Il est donc très-important de suivre les loix de la nature de chaque climat, & de ne jamais généraliser les pratiques d’agriculture. L’auteur se trompe & trompe les autres.

D’autres conseillent encore de profiter des champs semés de haricots, &c. & de saisir, pour y semer la gaude, l’époque où ces plantes sont en fleur, parce qu’alors on leur donne un petit binage, & ce labour sert à recouvrir la graine. Lorsqu’on arrache les haricots de terre, la plante se trouve toute venue. Cette opération & la précédente sont très bonnes ; mais elles dépendent de la qualité du sol & du climat ; objets qu’on ne doit jamais perdre de vue. L’époque des semailles des blés, dans les provinces du midi, doit être celle de la gaude. Cette plante ne nuit point à la récolte du blé des années suivantes, parce que sa racine pivotante n’épuise pas les sucs de la superficie de la terre ; mais il faut considérer que du moment de la maturité de la plante, & par conséquent du temps auquel on l’arrache de terre, jusqu’aux mois d’octobre ou novembre suivans, on aura la plus grande peine à donner les labours convenables aux terres, pour peu que la sécheresse soit de durée.

II. Manière de semer. La graine de la gaude est d’une finesse, d’une ténuité extrêmes, & on peut à ces égards la comparer à celle du pourpier. Cette petitesse trompe la main & l’attente du cultivateur, parce qu’il est très-difficile de l’espacer d’une manière uniforme, & le moindre coup de vent emporte cette graine, l’accumule dans un endroit & laisse beaucoup de places vides. Le moyen le plus sûr de semer également est d’incorporer la graine avec un sable un peu gras & humide ; elle s’y colle, y reste adhérente, lorsqu’on le jette sur le champ, & est semée également. Si la gaude est semée trop clair, & dans un terrain bien substantiel, elle devient branchue, & ce qu’on appelle grasse : alors elle n’est plus aussi avantageuse aux teinturiers, qui préféreroient avec raison la gaude sauvage à la gaude cultivée, si on pouvoit en fournir la quantité qu’ils consomment ; la meilleure gaude est celle qui n’a qu’un seul brin. Cette graine demande à être peu enterrée : si elle l’est trop, elle ne germera pas ; mais lorsque l’on labourera de nouveau cette terre, elle pullulera de toute part & souvent. Le blé une fois semé, il en sortira encore assez pour l’affamer, si on ne le sarcle pas rigoureusement. Les labours une fois donnés, on passe la herse sur le dos, c’est-à-dire, les dents tournées contre le ciel, afin d’égaliser le terrain ; on sème & on passe ensuite sur ce sol, & à plusieurs reprises, des fagots attachés les uns aux autres. Cette opération suffit.

III. Des soins d’une gaudière. Tout le travail se réduit à purger le sol des mauvaises herbes, à regarnir les places vides, & à dégarnir celles où les plantes sont trop épaisses. Le sarclage doit être fait avant & après l’hiver ; l’époque des semailles le décide. Si on a semé dans le mois d’octobre, il est clair qu’à la fin de l’hiver, les graines qui auront dû germer seront hors de terre ; on reconnoîtra alors les endroits trop fourrés ou trop dégarnis ; on tirera de l’un pour regarnir l’autre. Il faut, pour la seconde opération, choisir un temps humide, afin d’enlever plus facilement la jeune plante avec son pivot, sans le rompre, & disposé à la pluie, pour que la plante reprenne plus facilement. La même opération peut avoir lieu avant l’hiver ; cependant elle n’est pas aussi sûre, à cause que la plante peut être surprise par la gelée avant qu’elle ait le temps de reprendre. Un homme armé d’une cheville regarnit les places vides, & espace chaque plante à la distance de trois à quatre pouces au plus : il observe la même distance pour dégarnir.

IV. De la récolte. Elle dépend, & de l’époque à laquelle on a semé, & de la constitution de l’année & des pays que l’on habite, ainsi je n’indique aucune époque déterminée ; mais la couleur de la plante la fixe. Il faut, s’il est possible, choisir un jour humide, & lorsque la terre est humectée, afin que la graine tombe moins ; l’opération générale est plutôt faite. Lorsque l’écorce de la plante perd sa couleur verte, lorsqu’elle commence à se changer en jaune, enfin, lorsqu’une partie de la graine est mûre, c’est le temps de tirer la plante de terre. Si on est forcé de pratiquer cette opération pendant la sécheresse, il faut alors préférer de la faire de grand matin à la rosée, on conserve plus de graine. Il convient de tirer de terre la plante avec sa racine ; les tiges en paroissent plus longues & se vendent mieux, quoique la partie colorante soit très-foible dans la racine ; cependant si on a à traiter avec un teinturier raisonnable, & dans la supposition qu’on ait des troupeaux, on peut couper les tiges ras terre, parce que ce tronçon repousse, & les nouvelles feuilles qu’il produit deviennent une excellente nourriture pour les troupeaux. Pour peu que les pluies soient fréquentes après la récolte générale de la gaude, le troupeau peut y passer deux ou trois fois à différentes époques. Si on laissoit trop mûrir la plante, elle ne repousseroit pas. Il y a peut-être plus de profit à arracher rigoureusement, parce que l’instrument tranchant laisse toujours hors de terre des tronçons de trois ou quatre pouces, ce qui est une perte réelle.

À mesure qu’on arrache, on fait de petits paquets qu’on lie avec de la paille ; on les réunit ensuite en plus gros, & on les transporte près du logis. Là, les paquets sont détachés, & chaque brin est placé perpendiculairement contre des murs, des haies, &c. où il reste exposé à toute l’activité du soleil, pendant un, deux, ou trois jours, suivant la chaleur du climat. On étend ensuite sur le sol de grands draps sur lesquels on bottèle les brins en paquets de 12 à 15 livres, & les capsules qui renferment la graine la laissent échapper sur les draps ; ces bottes ensuite réunies plusieurs ensemble, sont portées dans des greniers, sous des hangards, où règne un courant d’air. Si les bottes étoient amoncelées encore humides, la fermentation s’y établiroit, & la partie colorante & pulpeuse seroit bientôt altérée.

Suivant les cantons, les climats, &c. aussitôt que la gaude est arrachée de terre, ou laboure le sol, après avoir fait passer les moutons plusieurs jours de suite & on commence à disposer le sol à recevoir dans la suite les grains d’une nouvelle récolte de seigle, de blé, &c.