Cours d’agriculture (Rozier)/FOURBURE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 31-33).


FOURBURE, Médecine vétérinaire. Le cheval qui en est attaqué, manie ses jambes avec difficulté, craint de poser ses pieds sur le terrain, & évite de s’appuyer sur la pince ; lorsqu’il chemine, ses jambes postérieures s’entrecroisent alternativement à chaque pas, l’arrière-main se jette de côté & d’autre ; le dégoût, la tristesse, plus ou moins profonde, le battement de flancs & la fièvre plus ou moins forte qui l’affectent, sont les signes par lesquels la fourbure se manifeste.

Elle tire communément son origine d’un travail excessif & outré ; d’un refroidissement subit succédant à une violente agitation, soit que l’on ait abreuvé le cheval au moment où il étoit en sueur, soit qu’on l’ait exposé dans cet état à un air vif & humide, soit qu’on l’ait conduit à l’eau ; d’une douleur qui attaquant un des membres, ne permettant à l’animal aucune espèce d’exercice, le contraint de séjourner longtemps dans l’écurie ; d’une nourriture trop abondante, proportionnément au travail qu’on exige de lui ; d’une trop grande quantité d’avoine, des alimens tels que le vert de blé, & même le vert d’orge, quand ils sont épiés ; des saignées copieuses ; des flux violens, spontanés, ou produits par des purgatifs forts & drastiques.

En envisageant les symptômes de la fourbure, & tous les accidens qui y donnent lieu, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle dépend principalement de l’épaisissement de la lymphe, ainsi que de l’irrégularité du mouvement circulaire, ou du vice de toute la masse, s’il y a fièvre, oppression & dégoût. Les vaisseaux destinés à charrier la lymphe, abondent & sont en nombre infini dans toutes les parties membraneuses : or, celles qui enveloppent les articulations, éprouvent dès-lors un engorgement plus ou moins considérable, le jeu des membres s’exécutera avec moins de liberté, & d’autant plus difficilement, que la liqueur mucilagineuse, répandue entre les pièces articulées à l’effet d’en favoriser les mouvemens, participera inévitablement du défaut de celle d’où naîtront les premiers obstacles, & que les nerfs étant infailliblement comprimés, l’animal ne pourra que ressentir lors de son action, & même dans les instans de son repos, des douleurs plus ou moins vives, suivant l’excès & la force de la compression, & selon la quantité des particules acres & salines, dont l’humeur se trouvera imprégnée. Tout ce qui pourra exciter une sorte de dissipation, ralentir ou précipiter la marche des fluides, forcer les molécules lymphatiques à pénétrer dans les tuyaux trop exigus qu’elles engorgent nécessairement, exciter la constriction des petits vaisseaux, la coagulation, l’augmentation de la consistance naturelle des liqueurs, sera donc regardé avec raison comme la cause occasionnelle & évidente de la maladie dont il s’agit.

Si elle est récente, si elle ne provient que de la constriction des canaux, ou d’un léger embarras ; si elle ne se montre que comme un simple engourdissement dans les extrémités antérieures, elle cède facilement aux remèdes ; mais si l’épaississement est parvenu à un certain degré, si les fluides ont contracté une certaine acrimonie, si l’animal est attaqué de la fièvre, si l’humeur intestinale paroît dans les excrémens comme un mucilage épais, ou sous la forme d’une toile graisseuse qui les enveloppe, elle sera plus rebelle & plus difficile à vaincre.

Tout indique d’abord la saignée dans de pareilles circonstances ; en désemplissant les vaisseaux, la masse acquerra plus de liberté, & les engorgemens diminueront ; cette opération sera réitérée si la fourbure est accompagnée de la fièvre ; elle suffira même pour opérer l’entière guérison de l’animal, lorsque les symptômes ne présageront rien de formidable, pourvu que l’on multiplie en même-temps les bains, & promptement les bains de rivière, qui ne seroient pas convenables dans le cas où la maladie seroit ancienne, & où les fibres auroient perdu leur ressort. Les lavemens émolliens seront encore mis en usage, ainsi qu’un régime délayant & humectant ; on retranchera entièrement l’avoine ; on promènera avec soin, & en main, le cheval plusieurs fois le jour ; mais on ne lui demandera qu’un exercice court & modéré ; un mouvement trop long & trop violent fatigueroit incontestablement l’animal, & pourroit occasionner l’inflammation, la rupture des petits vaisseaux & des dépôts sur les parties ; les purgatifs seront encore administrés avec succès ; on les fera succéder aux délayans & aux lavemens, & l’on passera ensuite aux médicamens propres à diviser & à atténuer la lymphe. Ceux qui ont le plus d’efficacité, sont les préparations mercurielles ; on ordonnera donc l’æthiops minéral, à la dose de quarante grains jusqu’à soixante, jetés dans une poignée de son ; on pourra même humecter cet aliment avec une décoction de squine, de salsepareille, de sassafras, & terminer la cure par la poudre de vipère.

Ces remèdes internes ne suffisent point ; il est à craindre que le séjour de l’humeur dans les vaisseaux qui sont fort éloignés du centre de la circulation, & l’engorgement qui augmente toujours, ne produisent dans le pied les plus grands désordres. On s’efforcera de prévenir l’enflure de la couronne, les cercles de l’ongle, les tumeurs de la sole, la chute du sabot, par des topiques répercussifs & résolutifs, tels que l’essence de térébenthine, dont on oindra exactement & sur le champ la couronne, sur laquelle on appliquera de plus un cataplasme de suie de cheminée, délayé & détrempé dans du vinaigre ; on mettra aussi de cette même essence chaude, ou de l’huile de laurier, ou de celle de pétrole, ou de celle de romarin, sur la sole ; on y appliquera encore un cataplasme de fiente de vache bouillie dans du vinaigre. Toutes ces précautions pourront garantir la partie des accidens qui sont à redouter. Le premier de ceux dont j’ai parlé, survenu par la négligence ou par l’ignorance du maréchal est l’engorgement. On dégorgera la couronne par plusieurs incisions pratiquées avec le bistouri, & l’on en reviendra aux mêmes topiques prescrits. Si le mal est tel que l’on entrevoie des difformités sensibles dans la sole, on doit conclure de l’inutilité des médicamens que j’ai indiqués, que les pieds de l’animal seront à jamais douloureux, malgré toutes les ressources de l’art & les attentions qui suivront l’opération de la ferrure. M. BRA.