Cours d’agriculture (Rozier)/COCHON

Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 414-418).


COCHON. Cet animal domestique est autant connu par son excessive mal-propreté, sa voracité, ses goûts bizarres, & sa lasciveté, que par l’usage général que l’on fait de sa chair dans l’économie rustique. La fange, la boue, les excrémens de l’homme, sont les alimens que ce quadrupède dévore par préférence : mais, quoiqu’il se nourrisse de choses infectes & dégoûtantes, il ne fournit pas moins à l’homme une nourriture succulente & délicate.

Le cochon ne jouit, à proprement parler, que de deux sens, la vue & l’ouïe : les autres sont obtus, même hébétés. La rudesse du poil, la dureté de la peau, l’épaisseur de la graisse, le rendent peu sensible aux coups qu’on lui donne. « On a vu, dit M. de Buffon, des souris se loger sur le dos des cochons, & leur manger le lard & la peau, sans qu’ils parussent le sentir ». Cela ne prouve-t-il pas qu’ils ont le toucher fort obtus ? Ils ont aussi le goût fort grossier : on peut en juger par la mauvaise qualité des substances dont ils se nourrissent.

Plan du Travail sur le Cochon.
CHAP. I. Parallèle du Cochon avec le Sanglier ; de la différence de sa graisse avec celle des autres animaux ; de la consistance des soies, & de leur variété ; de ses proportions.
CHAP. II. Du choix du Verrat & de la Truie ; de l’accouplement & de l’accouchement ; des soins de la Truie après l’accouchement. Manière de nourrir les jeunes Cochons, & de les engraisser.
CHAP. III. Du climat le plus convenable au Cochon ; de la durée de sa vie, & de son utilité après sa mort.
CHAP. IV. Des maladies auxquelles il est sujet.


CHAPITRE PREMIER.

Parallèle du Cochon avec le Sanglier & de la différence de sa graisse avec celle des autres animaux ; de la consistance des soies, & de leur variété ; des proportions.


I. Parallèle du cochon avec le sanglier, & de la différence de sa graisse avec les autres animaux. Le cochon est assez distingué par ses poils roides, qu’on appelle soies, par son museau alongé, & terminé par un cartilage plat & rond, où sont les narines. Il a quatre dents incisives dans la mâchoire supérieure, & huit dans l’inférieure ; deux petites dents en dessus, & deux grandes en dessous : celles-ci sont pointues & creuses, & elles servent de défense à l’animal. Dans le sanglier, les défenses sont plus grandes, le boutoir plus fort, la hure plus longue : il a aussi les pieds plus gros, les pinces plus séparées, & le poil toujours noir. Les premières dents du cochon & du sanglier ne tombent jamais comme dans les autres animaux ; elles croissent, au contraire, pendant toute la vie de l’animal. Le sanglier diffère encore du cochon par l’odorat : les chasseurs savent combien cet animal voit, entend & sent de fort loin, puisqu’ils sont obligés, pour le surprendre, de l’attendre en silence pendant la nuit, & de se placer au-dessous du vent, pour dérober à son odorat les émanations qui s’exhalent de leurs corps & de leurs chiens. Cette différence dans les sensations, ne pourroit-elle pas être attribuée à l’excessive mal-propreté dans laquelle vit le cochon domestique ; mal-propreté qui peut, à la longue, lui faire perdre le sens de l’odorat ?

La graisse du cochon est appelée lard : elle est différente de celle de presque tous les autres animaux quadrupèdes, non-seulement par sa consistance & sa qualité, mais aussi par sa position. La graisse des animaux qui n’ont point de suif, comme le chien, le cheval, est mêlée avec la chair assez également. Le suif, dans le bélier, le bouc, le cerf, n’est qu’aux extrémités de la chair, tandis que le lard du cochon n’est ni mêlé avec la chair, ni ramassé à ses extrémités : il la recouvre partout, & forme une couche épaisse, distincte & continue entre la chair & la peau.

II. De la consistance des soies, & de leur variété. Le cochon, ainsi que nous l’avons déjà dit, est couvert de soies : elles sont droites & pliantes ; leur consistance est plus dure que celle du poil ou de la laine ; leur substance paroît cartilagineuse, & même analogue à celle de la corne. Elles se divisent, à l’extrémité, en plusieurs filets : en suivant les filets, on peut diviser chaque soie d’un bout à l’autre. Les soies, les plus grosses & les plus longues, forment une sorte de crinière sur le sommet de la tête, le long du col, sur le garrot & le corps, jusqu’à la croupe.

Les couleurs des soies sont le blanc, le blanc sale, le jaunâtre, le fauve, le brun & le noir. La plupart des cochons domestiques ont une couleur blanche, en naissant ; mais cette couleur change dans la suite, en ce que les soies prennent, à leur extrémité, une couleur jaunâtre, plus foncée que dans l’état naturel, sans doute, parce que l’animal se vautre souvent dans la poussière & dans la fange. Les plus longues soies ont quatre à cinq pouces : le bout du groin, les côtés de la tête, les environs des oreilles, la gorge, le ventre, le tronçon de la queue, ont très-peu de soies, & sont presque nus.

III. Des proportions du cochon. Un cochon, d’une taille ordinaire, doit avoir quatre pieds deux pouces de longueur, prise depuis le boutoir, jusqu’à l’origine de la queue ; un pied un pouce de longueur dans la tête, prise depuis le boutoir, jusque derrière les oreilles ; & deux pieds de circonférence, prise au-dessus des yeux ; six pouces de longueur dans le col, & deux pieds de circonférence ; deux pieds un pouce de hauteur, depuis le sol jusqu’au garrot, & deux pieds deux pouces & demi, depuis le bas du pied, jusqu’au-dessus de l’os des hanches ; deux pieds dix pouces de circonférence, dans le corps, prise derrière les jambes de devant ; trois pieds cinq pouces au milieu du corps, à l’endroit le plus gros ; & deux pieds onze pouces de devant les jambes de derrière.


CHAPITRE II.

Du choix du Verrat & de la Truie ; de l’accouplement & de l’accouchement ; des soins de la Truie après l’accouchement ; manière de nourrir les cochons, & de les engraisser.


I. Du choix du verrat & de la truie. Le cochon mâle est appelé verrat ; la femelle, truie.

Le choix d’un bon verrat n’est point indifférent pour la propagation de son espèce : il doit avoir des qualités corporelles qui annoncent sa vigueur. Il faut donc qu’il ait la tête grosse, le groin court & camus, de grandes oreilles, des yeux ardens, le col épais & gros, une quarrure large & arrondie, des jambes courtes & fortes ; le ventre évidé ; des poils rudes & hérissés sur le dos, le poil noir, & les testicules gros.

La truie doit avoir une belle encolure, le ventre large, les mamelles pendantes & un naturel tranquille.

II. De l’accouplement & de l’accouchement. La truie est en chaleur presque toute l’année : elle peut faire des petits deux fois par an, en la faisant saillir en novembre, quand on veut avoir des petits au mois de mars ; & au commencement de mai, si l’on veut en avoir avant l’hiver. Si on la faisoit saillir en juin ; comme elle ne porte que cinq mois, les cochons qui en proviendroient, naissant au mois d’octobre, n’auroient pas le temps de se fortifier avant l’hiver, &, par conséquent, ne seroient jamais beaux.

Dès que la truie est pleine, il faut la séparer du verrat, & l’enfermer dans une soue ou une étable, sans quoi le verrat pourroit la blesser, & même dévorer ses petits. On doit encore la bien nourrir, lors de l’accouchement, pour empêcher qu’elle ne mange elle-même ses cochonneaux. L’étable où elle sera enfermée, doit être bien pavée, les murs bien solidement construits : on y tiendra, & on renouvellera souvent la litière, & on la nettoiera soigneusement de tout fumier.

III. Des soins de la truie après l’accouchement. On doit nourrir amplement la truie, quand elle a cochonné, avec un mélange de son, d’eau tiède, & d’herbes fraîches ; ne lui laisser que les petits que l’on veut nourrir, & vendre les autres ; garder les mâles de préférence aux femelles, & ne laisser qu’une femelle sur quatre à cinq mâles.

IV. Manière de nourrir les cochons, & de les engraisser. Deux mois après que les cochons sont nés, il est temps de les sevrer. Il faut commencer à les mener aux champs, pour paître l’herbe, si la saison le permet ; leur donner soir & matin de l’eau blanchie avec du son ou du petit lait. Les lavures d’écuelles, mêlées avec le petit lait, leur sont très-bonnes. En hiver, on fait tiédir ces lavures sur le feu ; puis on les jette dans leur auge, avec un peu de son, & quelques fruits & légumes, ou bien quelques morceaux de graisse. On entretient ainsi les porcs jusqu’au mois d’avril, que les herbes commencent à fournir la meilleure partie de leur nourriture ; on les envoie alors aux champs tous les jours, jusqu’à la fin de l’été : quand l’automne vient, il faut les engraisser pour les vendre.

Pour parvenir aisément à engraisser les cochons, il faut commencer par les châtrer. (Voyez Castration) L’orge, le gland, les buvées de choux, de navets, de carottes ; le rebut des herbes potagères, les légumes cuits dans l’eau de son, forment la nourriture ordinaire des cochons à l’engrais. Il est bon aussi de les conduire dans les forêts, où il y a beaucoup de glands & de châtaignes, & de leur donner le soir, à leur retour des bois, de l’eau de son, dans laquelle on aura mêlé un peu de farine d’ivraie. Dans deux ou trois mois, un jeune cochon est engraissé ; il faut plus de temps, lorsque l’animal est vieux, & encore ne devient-il jamais si gras.


CHAPITRE III.

Du climat le plus convenable au cochon ; de la durée de sa vie, & de son utilité après sa mort.

I. Du climat le plus convenable au cochon. Cet animal craint beaucoup le froid : c’est la raison pour laquelle le climat chaud lui est plus convenable ; & voilà pourquoi aussi cette espèce d’animal est abondante en Europe, en Asie, en Afrique. Le climat influe aussi sur le poil de cet individu, puisque nous observons que, dans les climats chauds, les cochons sont tout noirs comme les sangliers, & qu’ils sont communément blancs dans les provinces septentrionales. En Vivarais, par exemple, ces animaux sont tout blancs, tandis que, dans tout le reste de la province de Languedoc, ils sont tout noirs, & à plus forte raison, en Espagne, en Italie, dans les Indes & à la Chine. Un des signes les plus évidens de la dégénération du cochon, sont les oreilles : elles deviennent d’autant plus souples, d’autant plus molles, que l’animal est plus adouci par l’éducation, par le climat & par l’état de domesticité ; &, en effet, nous voyons que nos cochons domestiques ont les oreilles beaucoup moins roides, beaucoup plus longues, & plus inclinées que le sanglier, que l’on doit regarder comme le modèle de l’espèce.

II. De la durée de la vie du cochon, & de son utilité après sa mort. La vie du cochon est de quinze à vingt ans. Il est rare qu’on le laisse parvenir jusqu’à ce terme ; on le tue ordinairement à l’âge de deux ans.

Il suffit d’avoir un peu habité la campagne, pour ne pas ignorer le profit qu’on tire de cet animal. La chair se vend plus que celle du bœuf ; le sang, les boyaux, les viscères, les pieds, la langue, se préparent & se mangent. La graisse des intestins & de l’épiploon, qui est différente du lard, forme le sain-doux & le vieux-oing, dont on se sert dans les emplâtres & les onguens. On fait des cribles de sa peau ; des vergettes, des brosses, des pinceaux, avec ses soies. Sa chair prend mieux le sel qu’aucune autre, & se conserve plus longtemps. Si la chair de cet animal est proscrite chez quelques peuples, en Arabie, par exemple, c’est parce qu’il n’y a point de bois, point de nourriture, & que la salure des eaux & des alimens, rend le peuple très-sujet aux maladies cutanées. La loi, qui le défend dans ces contrées, est donc purement locale, & ne peut être bonne pour d’autres pays, où le cochon trouve une nourriture presqu’universelle, & en quelque façon nécessaire.


CHAPITRE IV.

Des maladies auxquelles le cochon est sujet.


I. Maladies internes. La fièvre, la gourme, la ladrerie, l’esquinancie, la péripneumonie, la jaunisse, la rougeole, la léthargie, la râtelle, le cours de ventre, les tranchées, le pissement de sang & la rage.

II. Maladies externes. Le catarre, l’ulcère aux oreilles, le chancre, le charbon, les tumeurs à la ganache, la saleté de la peau, la gale, le pouilleutement, la fracture & les chicots.

On trouvera dans la Planche 11, ci-jointe, le siège de ces maladies ; & quant au traitement de chacune d’elles, voyez l’ordre du Dictionnaire. M. T.