Cours d’agriculture (Rozier)/BOISSON

Hôtel Serpente (Tome secondp. 349-351).


BOISSON, Médecine vétérinaire. On entend, en général, par le terme de boisson, toute liqueur dont les animaux s’abreuvent eux-mêmes, sans aucun secours étranger. L’eau est leur boisson ordinaire ; elle est absolument nécessaire pour jeter de la détrempe dans le sang, le rendre plus fluide ; pour dissoudre les alimens, les réduire, avec le secours de la salive & des sucs gastriques, en un liquide laiteux ; pour diviser & étendre les substances farineuses dont souvent se nourrissent les bestiaux, & qui, n’ayant point fermenté, forment toujours une colle tenace, qui a grand besoin d’un véhicule aqueux. On peut attendre ces bons offices de l’eau légère, pure, simple, douce & limpide, & non de ces eaux stagnantes & croupissantes, de ces eaux marécageuses, troubles, épaisses, chargées d’une multitude de corps étrangers, qui fourmillent de vers, où les insectes ont déposé des millions d’œufs, & où souvent, dans certains pays, on fait rouir du chanvre & du lin. Loin de servir de véhicule & d’aider à la digestion, ces eaux ont besoin elles-mêmes d’être digérées. Passent-elles dans le sang ? elles produisent des embarras dans la circulation, des obstructions ; les vaisseaux capillaires étant bouchés, engorgés, la circulation n’ayant plus lieu dans ces canaux, le sang, qui a un moindre trajet à faire, revient plus promptement au cœur, qui le repousse à mesure qu’il aborde ; les battemens de ce viscère sont plus fréquens, le fluide artériel est mu avec une impétuosité qui augmente en raison composée de la force du cœur & de la fréquence de ses contractions ; il heurte avec plus de force contre la matière qui engorge les vaisseaux capillaires : cette matière étant de plus en plus engagée dans ces canaux, qui décroissent en diamètre, elle s’y corrompt par son séjour & par la chaleur ; de-là les fièvres putrides, malignes ; de-là les inflammations, suivies de suppuration ou de gangrène.

Non-seulement l’eau croupissante est pernicieuse par sa viscosité, mais encore parce qu’elle fourmille de vers de toute espèce qui prennent de l’accroissement dans les intestins des bestiaux, & parce qu’elle est chargée d’une quantité prodigieuse d’œufs d’insectes, que la chaleur des entrailles fait éclore. Parmi ces vers & ces insectes, les uns croissent, picotent, irritent les intestins ; causent des mouvemens spasmodiques, convulsifs ; d’autres meurent, se pourrissent, & cette pourriture des substances animales passant dans le sang des bestiaux, il en résulte un grand désordre : aussi, par les dissections anatomiques, appercevons-nous presque toujours dans les animaux morts de certaines maladies contagieuses & épizootiques, les estomacs enflammés & leurs tuniques internes parsemées de taches livides, gangreneuses qui s’étendent le long du canal intestinal.

L’eau ne doit pas être non-plus ni trop vive, ni trop froide. Son effet sur le sang d’un cheval ou d’un bœuf échauffé ou en sueur, est de le condenser & de l’épaissir, de crisper & de roidir les parties solides, d’arrêter & de suspendre les excrétions les plus salutaires, & souvent de donner lieu à des maux qui conduisent inévitablement à la mort ; tels que les fortes tranchées, l’engorgement des parotides, la pleurésie. (Voyez ces mots) C’est à raison de sa froideur qu’elle a une vertu restreintive, & que nous l’indiquons en bains, dans le principe de la fourbure, dans l’entorse & dans certains engorgemens des jambes. La boisson ordinaire des animaux malades est l’eau blanche. Elle ne doit cette couleur qu’au son qu’on y ajoute. Il ne suffit pas pour la blanchir, comme font la plupart des maréchaux & des gens de la campagne, d’en jeter une ou deux mesures dans l’eau, qui remplit le seau ou le baquet à abreuver. Elle n’en reçoit alors qu’une teinture très-foible & très-légère, & participe moins de la qualité tempérante & rafraîchissante de cet aliment. Pour la bien faire, il suffit de prendre une jointée de son, de tremper les deux mains dans le seau, d’exprimer fortement & à plusieurs reprises l’eau dont le son est imbu, & de rejeter le son qui est parfaitement inutile. L’eau prend alors une couleur véritablement blanche ; on en prend une seconde jointée, & on agit de même : la blancheur augmente, & le mélange est d’autant plus parfait, que cette blancheur ne naît que de l’exacte séparation des portions les plus déliées du son, lesquelles se sont intimément confondues avec celles de l’eau. De cette manière l’eau ne devient pas putride aussi promptement. L’état de putridité est si frappant dans l’eau qui contient beaucoup de son, que la plupart des gens de la campagne sont dans l’usage d’y ajouter un peu de sel, ou quelque substance acide qui la corrige, telle que le vinaigre ; mais de quelque manière que l’eau blanche soit préparée ou corrigée, tant que l’on y laissera subsister long-tems le son, celui de froment sur-tout, elle contiendra un principe putride & mal-faisant, & ne conviendra jamais dans les maladies des bestiaux, principalement dans toutes celles où les humeurs tendent à la putridité. Il en sera de même de toutes les plantes piquantes, telles que les choux, les navets, les raiforts, que l’on a coutume de mettre dans la boisson des bœufs. Elles sont toutes capables d’augmenter l’alkalicité & la putridité des humeurs.

Lorsqu’il s’agit de rétablir les forces de l’animal ; à la suite d’une longue maladie, & dans les occurrences d’anéantissement, l’eau doit être blanchie par le moyen de quelques poignées de farine ; mais il ne faut pas précipiter, ainsi qu’on le fait communément, la farine dans l’eau ; elle se rassembleroit en une multitude de globules d’une épaisseur plus ou moins considérable ; il en résulteroit une masse qu’on auroit ensuite peine à diviser : il faut donc, à mesure que l’on ajoute la farine, la broyer avec les doigts, & la laisser tomber en poudre ; après quoi, agiter l’eau, & la mettre devant l’animal.

L’eau miellée sert aussi de boisson dans certaines maladies. Elle est très-adoucissante. On la fait en mettant une dose plus ou moins forte de miel dans l’eau destinée à abreuver l’animal, & en l’y délayant, autant qu’il est possible. Si la maladie est telle que l’on soit obligé de la lui faire prendre, il faut se servir de la corne.

On donne aussi quelquefois pour boisson les eaux distillées des plantes aromatiques, telles que la sauge, la menthe, &c. Celles qui sont journellement employées par les maréchaux, & parmi lesquelles on compte l’eau d’endive, de chicorée, de buglose & de scabieuse, ne sont nullement cordiales. Nous n’avons point encore trouvé parmi elles aucun effet qui puisse leur mériter ce nom. M. T.