Cours d’agriculture (Rozier)/BLAIREAU

Hôtel Serpente (Tome secondp. 271-275).
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BLAIREAU. De tous les animaux sauvages auxquels l’homme déclare la guerre, il n’en est pas qui la mérite aussi peu que le blaireau. D’un naturel tranquille, & même paresseux, aimant la solitude, vivant toujours assez loin des habitations, dans l’épaisseur des taillis, s’y creusaut une demeure profonde, où il passe les trois quarts de la vie ; le blaireau n’en sort que pour aller chercher sa nourriture, qui ne consiste souvent qu’en mulots, lézards, serpens, sauterelles, quelquefois des jeunes lapereaux & presque toujours des racines suffisent à sa subsistance. Le tort qu’il fait à l’homme est presque nul, sur-tout en comparaison du service essentiel qu’il lui rend en détruisant les nids des guêpiers, dont il mange le miel, les rats des champs, les lézards & les serpens, auxquels il fait une chasse continuelle. Mais ingrat & méconnoissant, l’homme ne considère dans les animaux qui l’environnent, que des êtres destinés à le servir comme des esclaves, ou à supporter tous les caprices de la loi du plus fort.

L’extérieur du blaireau est lourd & assez laid ; la longueur du poil de son corps fait paroître ses pattes si petites, que l’on diroit que son ventre touche la terre, & qu’en général il est fort gros. Ce n’est qu’une fausse apparence ; car dépouillé, il ne l’est point du tout. Son museau est alongé comme celui de quelques chiens, & son nez a la même forme que celui des chiens. Ses yeux sont petits & vifs ; ses oreilles courtes & rondes, comme celles des rats, sont presqu’entiérement cachées dans le poil dont la tête est garnie. Sa queue, assez courte & grosse, est garnie de poils longs & forts. Ses jambes sont courtes ; celles de derrière sont presque toujours pliées, de façon que la cuisse & la jambe sont fort inclinées, & que leur direction est peu éloignée de la ligne horizontale. Il y a cinq doigts à chaque pied, & chaque pied est terminé par un ongle très-fort, plus long dans les pieds de derrière que dans ceux du devant.

Le poil du blaireau est de trois couleurs ; noir, blanc & roux. Il a sur la tête deux bandes pyramidales noires, qui commencent un peu au-dessous des yeux, & qui vont jusqu’au haut de la tête, derrière les oreilles. Une bande blanche partant du museau, s’élève entre les deux bandes noires jusque sur le cou ; & passant derrière ces deux mêmes bandes, elles viennent le long du cou & des mâchoires, se terminer vers le bord des deux lèvres ; elles renferment ainsi les deux bandes noires. Tout le dessous du corps, & les quatre jambes, sont noirs ; le dessus, depuis le col jusqu’à la queue, est garni de blanc & de noir, avec quelques légères teintes de fauve ; les côtés du corps, la queue & les alentours de l’anus, sont de couleur mêlée de blanc sale & de roussâtre. Le poil du blaireau est rare, & ferme à peu près comme les soies du cochon ; le plus long a jusqu’à quatre pouces. Le blanc ou blanc sale y domine en plusieurs endroits, & le rend presque gris ; ce qui lui a fait donner dans la campagne, le nom de grisart.

Un caractère particulier de conformation dans cet animal, est une espèce de poche peu profonde qui se trouve entre l’anus & la queue. Les mâles comme les femelles en sont pourvus. L’orifice de cette poche est garni d’un poil roux à l’extérieur, & parsemé de poils fauves assez longs dans l’intérieur. Elle est enduite d’une matière blanche épaisse, & semblable à de la graisse par sa consistance ; il en suinte continuellement une liqueur onctueuse, d’une odeur fétide, que le blaireau se plaît à sucer.

Les ongles forts dont ses doigts sont armés, lui donnent la facilité de se creuser des terriers profonds ; c’est ordinairement dans les taillis épais, dans les bois très-fourrés, qu’il choisit son domicile. Les racines qu’il rencontre en creusant, lui servent de nourriture quand elles sont tendres & encore herbacées ; il les coupe & les rejette loin de son terrier, si elles sont trop dures. Rarement le mâle occupe-t-il le même terrier que la femelle, mais il est toujours dans les environs. La propreté la plus grande règne dans leur domicile, & jamais ils n’y font leurs ordures. Tout le tems que la nécessité & le besoin ne les fait pas veiller aux soins de leur nourriture, ils dorment ; & ce sommeil presqu’habituel, fait qu’ils sont toujours gras, quoiqu’ils ne mangent pas beaucoup.

La femelle met bas en été & vers le commencement de l’automne, & la portée est ordinairement de trois ou quatre. Il n’est aucun animal qui ne s’occupe d’avance de la petite famille qu’il doit mettre au jour ; l’attachement & les sollicitudes de mère, sont inhérentes à tous les êtres vivans. Doux présent de la nature, comme il rend intéressant ceux qui perpétuent les différentes races ! La femelle du blaireau prépare de loin le terrier où elle doit mettre bas ; elle va dans la campagne choisir de l’herbe tendre ; elle la coupe, en fait de petits fagots qu’elle traîne jusqu’au fond de son terrier, où elle en fait un lit commode pour elle & ses petits. C’est-là qu’elle les dépose jusqu’à ce qu’ils soient en état de prendre une nourriture plus forte & plus substantielle ; alors elle sort durant la nuit, & court chasser au loin : elle déterre les nids des guêpes, & emporte le miel ; malheur aux rabouillères des lapins, dont elle saisit les jeunes lapereaux, qu’elle apporte à ses petits. De retour auprès de sa jeune famille, si elle se croit en sureté, elle jette un cri au bord du terrier ; ils accourent à la voix de leur mère, & viennent partager le butin qu’elle a enlevé. Mais le moindre bruit se fait-il entendre ? tout disparoît ; la mère fait rentrer ses petits les premiers, & les suit. Le danger devient-il éminent ? quelque chien a-t-il découvert cette famille, & veut-il l’attaquer ? bientôt cet animal, si timide un moment auparavant, sent naître dans son cœur tout le feu, tout le courage d’une mère qui défend ce qu’elle a de plus cher, ses enfans. Il reste au bord de son terrier, & combat avec un acharnement prodigieux. Ses morsures sont cruelles ; rien ne l’épouvante. Il tient tête à deux ou trois chiens à la fois ; un combat long & opiniâtre lui donne toujours la victoire, quand il n’est pas contraint de succomber sous le nombre. Tout est en lui armes offensives ; ses dents & ses ongles. Le blaireau trop pressé, s’accule contre une pierre, contre un arbre : défendu par derrière, il fait face de tous côtés avec une intrépidité mêlée de fureur.

On chasse le blaireau avec des bassets à jambes torses, qui vont le relancer jusqu’au plus profond de son terrier. Si le terrier n’a qu’une issue, & qu’elle soit occupée par le chien, le blaireau s’enfonce de plus en plus, éboule des terres sur son ennemi, tâche de lui boucher le passage, en rejetant derrière lui tout ce qui se trouve dans son trou ; se retourne de tems en tems contre le chien, & le mord aux pattes & au museau. Si le terrier a plusieurs issues, il cherche à lui donner le change, & s’échappe par le côté où il entend le moins de bruit. Il faut donc être très-attentif quand on terre un blaireau, & veiller au-dessus de toutes les issues, ou plutôt les boucher en partie, & n’en laisser que deux ou trois de libres, que l’on pourra surveiller facilement. On peut le tirer au fusil dès qu’il paroît, ou le faire attaquer par des chiens courans qui l’arrêtent bientôt, parce que cet animal ne court pas ; alors, ou on l’assomme, ou on le serre avec des tenailles, & on le musèle pour l’empêcher de mordre. Dans cet état, on le fait piller par de jeunes chiens de chasse, afin de les accoutumer de bonne heure à l’odeur de cet animal.

Quand le blaireau est acculé au fond de son trou, on ne peut le prendre qu’en ouvrant son terrier au-dessus de lui. Il faut bien prendre garde alors de ne pas blesser le chien qui le tient ainsi en arrêt.

Si l’on rencontre de jeunes blaireaux, on peut les emporter chez soi ; ils s’apprivoisent aisément. Le caractère doux & tranquille de cet animal le rapproche de la société ; il est susceptible même de reconnoissance & d’attachement ; il suit & caresse celui qui le flatte, & qui lui donne à manger. Ce nouveau genre de vie lui paroît préférable à celui des bois, car il ne cherche point à s’échapper. L’inquiétude perpétuelle que l’on remarque dans les autres animaux sauvages que l’on veut apprivoiser, n’altère pas sa tranquillité. Très-facile à nourrir, tout ce qui sort de la cuisine lui est bon, & il accourt à la voix qui l’appelle. Sans soucis, & ne soupçonnant pas même qu’il peut avoir des ennemis, il ne voit que des amis dans sa nouvelle demeure. Il s’accoutume bientôt avec les chiens qui sont cause de sa captivité, vit, mange & joue avec eux, surtout lorsqu’ils sont jeunes. En un mot, il paroît destiné à augmenter le nombre des animaux que l’homme s’est attaché, en changeant leur caractère par une éducation suivie. Mais ce qui éloignera toujours d’élever des blaireaux, c’est l’odeur puante qu’ils exhalent continuellement, & la gale à laquelle ils sont sujets. Cependant on pourroit soupçonner, par analogie, que des blaireaux nés & élevés dans nos basse-cours, perdroient insensiblement cette mauvaise odeur, ou du moins qu’elle s’affaibliroit beaucoup. Nous voyons en effet, que le changement de nourriture en opère un très-grand dans le physique comme dans le moral des animaux. Les caractères vigoureux & distinctifs que la nature leur a donné, se dissipent à nos côtés ; & plusieurs qui, dans les bois, ont une transpiration très-forte, ou exhalent quelqu’odeur désagréable, semblent avoir perdu ce caractère, quand deux ou trois générations les ont fixés parmi nous. La terre & la poussière dont le poil du blaireau est continuellement rempli dans le terrier, lui donnent la gale ; la propreté dans laquelle on le tiendroit, préviendroit cette maladie.

Mais quel avantage direct pourroit-on espérer de l’acquisition de cette espèce ? Nous ne connoissons pas encore tous les services qu’il pourroit nous rendre ; mais notre industrie toujours ingénieuse, en sauroit tirer parti. L’occasion & les circonstances ont fait plus de découvertes que la réflexion.

La chair du blaireau n’est pas mauvaise à manger, & de sa peau on fait des fourrures grossières, des colliers pour les chiens, des couvertures pour les chevaux. Dans les campagnes, on fait un grand usage de l’axonge, qui est sa graisse blanche, inodore, insipide & molle, pour calmer les douleurs des reins, appaiser l’ardeur des fièvres. On l’emploie encore dans les douleurs de rhumatisme, dans les contractions & les foiblesses des articulations & des nerfs. M. M.