Cours d’agriculture (Rozier)/BITUME
BITUME. Substance huileuse & minérale, d’une odeur forte & pénétrante, que l’on rencontre ou sous forme fluide, nageant sur la surface des eaux, ou sous forme concrète & solide. Les bitumes liquides sont le pétrole & le pissasphalte. (Voyez Pétrole) Les solides sont l’asphalte ou bitume de Judée, le succin, le jayet & le charbon de terre. Nous renvoyons à ces mots pour les propriétés particulières à chacun de ces bitumes : nous n’examinerons ici que leurs propriétés générales, & leur origine. Les bitumes tant solides que liquides, ont tous une odeur pénétrante, quelquefois agréable, qui s’exalte par la chaleur ; ils sont susceptibles de s’enflammer très-facilement, Les solides se cassent aisément, & presque toujours par éclats ; enfin, ils ressemblent assez aux matières huileuses concrètes, tirées des règnes végétal & animal, sur-tout par l’analyse chimique. Tous ces bitumes étant soumis à la distillation, donnent du flegme, un acide souvent sulfureux, une huile légère, analogue à l’huile de pétrole ; un sel volatil, acide & concret ; & sur la fin de l’opération, une huile noire & épaisse. Le résidu est un charbon plus ou moins terreux & abondant. Ce produit, quoique le même dans tout pour la qualité, varie pour la quantité ; ainsi, par exemple, le succin ou ambre jaune est celui de tous qui donne le plus de sel acide volatil concret, & le charbon de terre produit le plus de cendres.
Les produits & les qualités extérieures des bitumes, les empêchent d’être confondus avec les résines ; ils en diffèrent en général par leur solidité qui est plus considérable, par leur odeur forte & pénétrante, tandis que celle des résines est presque toujours aromatique, par leur indissolubilité dans l’esprit-de-vin, & par le sel acide concret que l’on retire de la plupart.
L’industrie humaine a su tirer parti de ces productions minérales, & du côté de l’utilité, & du côté de l’agrément. Le charbon de terre est employé très-utilement dans les manufactures & les mines ; le pétrole dans les cimens ; le succin dans les vernis, & le jayet pour des bijoux & des ornemens. Ce dernier surtout, sert à faire des boutons, des colliers & des pendans d’oreille de deuil.
Les naturalistes n’ont pas toujours été d’accord sur l’origine des bitumes. Quelques-uns ont pensé qu’ils étoient un produit minéral ; d’autres, qu’ils étoient dûs aux règnes végétal & animal. Le premier systême n’a plus de partisans ; & tous les bons naturalistes conviennent à présent, que c’est à la décomposition des substances animales & végétales sur-tout, qu’il faut remonter pour trouver la formation des bitumes. On ne peut douter que les matières végétales & animales renfermées dans le sein de la terre, ou qui se détruisent continuellement à sa surface, ne forment un dépôt de matière huileuse, qui, par l’action des acides, & la fermentation intérieure, ne puissent prendre le caractère de bitumes. L’homme, dans un assez court espace de tems, vient à bout de former des bitumes artificiels, en combinant des acides minéraux avec des huiles végétales. Il ne manque peut-être à ces bitumes, que le tems, une plus longue digestion, une pénétration plus intime, une combinaison plus parfaite pour être de vrais bitumes. Que ne fera donc pas la nature, qui a pour elle le tems, & qui emploie des moyens dont la simplicité conduit toujours à la perfection ?
On peut donc supposer avec vraisemblance, qu’une très-grande quantité de végétaux & d’animaux ont été enfouis dans la terre à différentes profondeurs, par des accidens & des révolutions considérables. Mille observations d’histoire naturelle confirment cette supposition. Ces matières se décomposent insensiblement & fermentent ensemble ; la partie huileuse s’en sépare, les acides qu’elles-mêmes contenoient, & ceux qui se trouvent dans la terre, réagissent contre ces matières huileuses, se combinent avec elles, & forment une nouvelle substance, que la partie terreuse des premières rend plus ou moins solide. Lorsque ces bitumes conservent leur fluidité, ou qu’ils sont mêlés avec des courans d’eau, alors ils s’échappent de la terre par les ouvertures qu’ils rencontrent, tantôt pur, comme l’huile de pétrole, tantôt nageant à la surface des eaux qui les ont chariés, comme l’asphalte ou bitume de Judée.
Telle est, en peu de mots, l’explication la plus probable que l’on puisse donner de la formation des bitumes dans les entrailles de la terre. (Voyez Charbon de terre) M. M.