Cours d’agriculture (Rozier)/BERGERONNETTES ou BERGERETTES

Marchant (Tome onzièmep. 230-232).


BERGERONNETTES, ou BERGERETTES, petits oiseaux dont le nom indique les habitudes. Ils suivent, en effet, les troupeaux dans la prairie, ne les quittent point, se promènent avec grâce et légèreté au milieu du bétail, et se posent quelquefois sur le dos des bœufs et des moutons ; ils semblent avoir une affection toute particulière pour les bestiaux, et partager avec le berger une vive sollicitude pour leur conservation ; car ils l’avertissent, par des cris d’alarme, de l’approche des quadrupèdes carnassiers, ou de l’apparition des oiseaux de rapine.

L’on connoît, dans nos pays, deux espèces de bergeronnettes, qu’en plus d’un endroit on nomme vulgairement hoche-queues, parce qu’elles agitent incessamment leur queue par un balancement vertical ; habitude qu’elles partagent avec d’autres oiseaux dont les ornithologistes ont composé leur genre hoche-queue, (motacilla) qui a pour caractères le bec foible, menu, et un peu échancré à son bout ; la langue déchirée à son extrémité, et les pieds grêles. L’une de ces espèces, la bergeronnette jaune, (motacilla boarula L.) moins nombreuse que l’autre, n’a de jaune qu’au croupion et au ventre ; le reste de son plumage est d’un cendré olive. L’autre espèce, la bergeronnette de printemps, (motacilla vernalis Lath.) est plus jaune que celle à qui l’on a appliqué la dénomination de bergeronnette jaune. La couleur jaune est étendue sous tout le corps, et forme un trait au dessous des yeux et une petite bande transversale sur les ailes. Les autres teintes diffèrent peu de celles de la première espèce.

Les livres d’histoire naturelle indiquent, sous le nom de bergeronnette grise, une troisième espèce que la nature n’admet pas : ce n’est, en effet, que la lavandière dans son jeune âge. (Voyez Lavandière.)

Des deux espèces réelles de bergeronnettes, la seconde, c’est-à-dire la bergeronnette de printemps, est la seule qui donne lieu à une petite chasse, la seule par conséquent de laquelle il doive être question dans cet article. Les oiseaux de cette espèce sont des premiers qui reparoissent après leur voyage d’hiver ; ils font leur nid avec beaucoup d’art dans les prairies, ou au bord des eaux, sous une racine de saule ; leur ponte est de six à huit œufs, tachetés de brun, sur un fond blanc sale. En automne, on voit plusieurs familles réunies se mêler aux troupeaux, et y faire la chasse aux insectes.

Quand le bien s’opère, peu importe le motif qui détermine à le faire. Il est bien certain qu’une affection particulière n’est pour rien dans la réunion des bergeronnettes autour du bétail ; mais il est également certain qu’elles lui rendent de grands services, en le débarrassant d’une multitude d’insectes qui le tourmentent à la fin de l’été, et qui, l’empêchant de paître, le font dépérir. Cette considération est d’un assez grand poids, pour nous engager à imiter les anciens habitans de l’Égypte, qui plaçoient sous la sauve-garde des lois religieuses et civiles les animaux dont leur pays retiroit quelque utilité. Les bergeronnettes, auxquelles on doit une diminution sensible dans les myriades d’insectes nuisibles aux produits comme aux agens de l’agriculture, mériteroient sans doute une juste exception, une sorte de privilège qui les mît à l’abri de la destruction, et les rendît, pour ainsi dire, sacrées dans nos campagnes. Leur apparition sur des rivages lointains et brûlans est encore un bienfait pour les colons. Quand, vers la fin de l’automne, ces oiseaux fuyant les glaces de nos hivers, arrivent au Sénégal, la joie est générale parmi les habitans : cette époque désirée est celle de la fin des pluies et des maladies ; notre jolie bergeronnette y est accueillie comme l’heureux messager qui annonce le retour de la belle saison et de la santé.

Malheureusement pour cette espèce d’oiseaux, plus malheureusement encore pour l’agriculture, l’abondance des insectes qui pullulent en automne, offrant aux bergeronnettes de printemps une nourriture plus abondante, et en même temps plus facile, leur chair se charge de graisse, et acquiert la saveur délicate qui fait rechercher celle du becfigue. Alors toute considération est étouffée ; l’indiscrète et insatiable gourmandise commande leur destruction, qui présente d’autant moins de difficultés, que ces oiseaux se rassemblent en troupes à la fin de l’été, et que, paraissant se confier à la reconnoissance méritée par des services signalés, ils ne fuient point l’homme, semblent même se plaire dans son voisinage, et aimer sa société. En me chargeant de rédiger les articles de chasse, dans cet Ouvrage, je savois bien que j’aurois souvent à présenter le tableau de l’ingratitude de l’homme, c’est-à-dire, du tyran le plus cruel et le plus imprévoyant ; toute pénible que soit cette tâche, je dois la remplir, et parler des moyens imaginés pour détruire une espèce utile de jolis petits oiseaux, tandis que notre propre intérêt exigeroit que l’on ne présentât que les moyens de la conserver et de la multiplier.

Chasse de la bergeronnette de printemps. Des nappes semblables à celles qui sont en visage pour la chasse des alouettes, mais dont les mailles ont moins d’ouverture, sont propres à prendre les bergeronnettes de printemps, lorsque, aux mois de septembre et d’octobre, elles sont réunies en bandes plus ou moins nombreuses. On tend ces filets dans une plaine labourée, ou sur une prairie. (Voyez l’article Alouette.) Le miroir est inutile à cette chasse ; mais, afin d’attirer les bergeronnettes dans le piège, il est nécessaire d’avoir des appelants de leur espèce ; (Voyez au mot Appelant) et le chasseur doit se cacher dans une petite loge de feuillages ; car, quoique sa présence n’épouvante pas ces oiseaux, l’appareil dont il s’environne pour tendre son filet ne manqueroit pas de les faire éloigner.

On peut encore prendre les bergeronnettes à l’abreuvoir, (voyez ce mot) avec des gluaux ; et, pour cette chasse, il n’est pas nécessaire d’attendre l’automne ; elle peut se faire en tout temps, sur-tout pendant les chaleurs : mais c’est un mal de plus, sans presque aucun profit, puisque l’on anéantit les couvées, et qu’au printemps, ainsi qu’en été, les bergeronnettes sont maigres, et fort peu savoureuses. (S.)