Cours d’agriculture (Rozier)/BATATE

Hôtel Serpente (Tome secondp. 172-173).


BATATE. Ce qui est dit de la batate dans le Dictionnaire Encyclopédique, & dans plusieurs autres ouvrages sur l’agriculture, où il a été copié, doit nécessairement jeter dans l’erreur. Il réunit sous la même dénomination la batate, le topinambour, la pomme de terre ou patate. La première espèce est originaire des deux Indes ; c’est un convolvulus. Le Brésil a fourni la seconde qui est un helianthus ; la Virginie a donné la pomme de terre, & c’est un solanum. (Voyez les mots Pomme de terre,Topinambour.) Aucun caractère botanique ne rapproche ces trois plantes, à moins qu’on ne prenne pour caractère générique & spécifique la racine tubéreuse. La description de ces plantes fera voir qu’on les a mal-à-propos confondues ensemble.

La tige de la batate est verte, rampante, pousse de nouvelles racines aux points par où elle touche la terre, & ces racines poussent à leur tour des tubercules plus ronds que longs, & d’un jaune plus ou moins rougeâtre ; les racines sont chevelues & laiteuses ; les feuilles sont d’un verd clair en dessus, un peu blanchâtres en dessous ; les fleurs petites, en entonnoir, vertes extérieurement, & blanches intérieurement ; elles sont d’une seule pièce sans découpure, & leur calice est d’une pièce à quelques dentelures. La plante est vivace.

On la multiplie, non par des semis, ce seroit perdre du tems & du travail inutilement ; mais on la coupe par quartier, en observant que chaque quartier ait au moins un œil ou deux ; ou bien on plante de petites batates toutes entières. On peut les espacer, même à plus de dix ou douze pieds, parce que chaque tige, à la distance de deux à quatre pieds, prend racine & forme une plante nouvelle. Si l’on veut qu’elle produise beaucoup de batates, il faut travailler la terre, sur-tout en cet endroit, & fumer.

Cette racine, ou plutôt ce tubercule est farineux comme la pomme de terre, & sa saveur en est infiniment plus délicate. Elle nourrit beaucoup, & la nourriture qu’elle offre est saine, quoiqu’un peu venteuse ; si on la fait cuire sous les cendres, elle perd cette qualité incommode. Je ne désespèrerois pas qu’entre les mains de M. Parmentier, elle ne fût bientôt réduite en pain excellent. On l’emploie dans tous les apprêts comme la pomme de terre.

Les espagnols l’ont naturalisée chez eux en Europe ; elle n’a plus qu’un pas à faire pour être naturalisée en France, au moins dans nos provinces méridionales où elle seroit une bonne ressource, sur-tout dans les tems de disette. Ses tiges ont encore l’avantage précieux pour ces provinces, de servir de fourrage aux chevaux. Si quelqu’amateur veut faire l’essai de cultiver cette plante dans la France méridionale, je lui conseille de faire venir d’Espagne des tubercules & de la graine, de planter les unes & de semer les autres. Il est plus aisé de naturaliser les plantes par la graine que de toute autre manière. Je vais en faire l’essai & j’en rendrai compte, s’il est possible, au mot Pomme de terre, ou à la fin de cet ouvrage. La batate une fois naturalisée dans nos pays chauds, on pourra peu à peu l’acclimater de proche en proche dans nos provinces situées plus au nord. Cette racine & celle du manioque sont la nourriture ordinaire des noirs dans nos îles.