Hôtel Serpente (Tome premierp. 438-440).
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ALUN, Pharmacie. Sel neutre, composé d’acide vitriolique & d’une terre approchante de l’argile. Ce sel est inodore ; sa saveur est acerbe & très-austère ; il prend la forme d’un octaëdre régulier dans sa cristallisation. Si on l’expose à l’air libre ou dans quelque lieu humide, il se couvre alors d’une légère efflorescence, & elle diminue son espèce de transparence. L’eau froide dissout l’alun, mais en petite quantité ; & il se dissout bien plus copieusement dans l’eau bouillante ; si on le soumet à l’action du feu, il se liquéfie & finit par se changer en une masse spongieuse, blanche, sèche & très-friable. C’est ce que l’on nomme, dans les boutiques, alun calciné. Si, dans cet état, on le dissout dans l’eau, & si l’on fait ensuite évaporer cet alun, il reprendra première forme.

L’on vend dans les boutiques trois sortes d’alun : savoir, l’alun de roche ou de glace, à cause de sa ressemblance à la glace ; l’alun de Rome & l’alun de plume. Le premier nous est apporté d’Angleterre & du pays de Liége. On voit entre Argenteau & Hui, une très-belle alunière ; & il y en a plusieurs dans les environs, ou plutôt c’est la même couche, exploitée dans différens endroits. L’alun est contenu dans une terre schisteuse. À Reys, par exemple, on le tire à la profondeur de vingt à trente toises. Cette terre, d’un bleu noirâtre, est dans un état de pâte, & elle se durcit au soleil ; alors les masses de terre se divisent sans peine par feuillets, & entre ces feuillets, on apperçoit des cristallisations de ce sel ; elles sont applaties & blanches : on les prendroit, au premier coup d’œil, pour des lames de mica, diversement configurées. La terre qui fournit l’alun en Angleterre, est également une pierre bleuâtre.

On en retire beaucoup de la Solfatare près de Naples, & à moins de frais qu’à Civita-Vecchia. D’un vaste bassin de mille cinq cents pieds de long sur mille de large, sortent des exhalaisons enflammées ; la terre des environs est couverte d’alun en efflorescence ; chaque jour on le ramasse, & on en jette dans des fossés remplis d’eau, jusqu’à ce que cette eau soit suffisamment chargée de sel ; alors on la filtre & on la verse dans des bassins de plomb enfoncés dans la terre. La chaleur souterraine fait évaporer une partie de l’eau ; & lorsqu’elle est au point nécessaire, on la filtre de nouveau, & on la verse dans des vaisseaux de bois pour la faire cristalliser. Les cristaux sont blancs & transparens comme ceux d’Angleterre & du pays de Liège. Ceux qui seront curieux de connoître la manière d’exploiter les mines d’alun, usitée dans les différentes parties du globe, peuvent consulter le Dictionnaire Encyclopédique, au mot Alun ; ces détails sont étrangers à notre objet.

L’alun de Rome est rougeâtre : on l’appelle improprement alun de roche, parce qu’on le tire d’une pierre fort dure près de Civita-Vecchia. L’alun de plume prend ce nom, parce que ses filets déliés ressemblent à la barbe d’une plume.

Il est inutile de parler ici des quatre espèces artificielles d’alun qu’on prépare assez inutilement dans les boutiques.

Propriétés. On emploie plus communément, en médecine, l’alun de Rome que les autres : celui-ci est particulièrement détersif, dessiccatif & styptique ; sa dose, pour l’homme, est depuis une demi-drachme jusqu’à une drachme ; & pour l’animal, depuis quatre grains jusqu’à trente.

Les auteurs ne sont point d’accord entr’eux sur l’usage qu’on doit faire de l’alun, & sur les cas où il convient de l’employer intérieurement. Cette incertitude prouve au moins qu’on ne doit pas le prescrire sans avoir auparavant bien examiné l’état du malade.

« L’alun, disent les uns, arrête toutes les hémorragies en général, soit internes, soit externes ; ainsi, il peut être prescrit avec succès dans les écoulemens du sang, causés par l’ouverture de quelques vaisseaux dans les premières voies, dans les crachemens & vomissemens de sang, dans le flux des urines ensanglantées, dans toutes les pertes de sang qui arrivent aux femmes en quelque tems qu’elles leurs surviennent, pendant leur grossesse & après l’accouchement, Quelques-uns prétendent, continue le même médecin, qu’il est dangereux d’arrêter le sang par l’usage des astringens ; préjugé d’autant plus mal fondé à l’égard de l’alun, qu’il est détruit par l’expérience ; ce remède n’entraîne jamais de suites fâcheuses, pourvu néanmoins que les vaisseaux aient été suffisamment désemplis, ou par les pertes de sang, ou par les saignées. Lorsque la perte de sang sera arrêtée, ce qui arrive ordinairement après la huitième ou dixième prise, on diminuera insensiblement pendant un mois l’usage de l’alun. »

M. Vitet, dans sa Pharmacopée de Lyon, répond négativement aux éloges qu’on a donnés à l’alun pour plusieurs maladies. C’est lui qui parle : « Il est rare que l’alun soit utile dans l’hémoptysie occasionnée par un effort, l’hémoptysie par pléthore, & l’hémorragie utérine par pléthore ou par blessure. Toutes les autres espèces de maladies évacuatoires en éprouvent de mauvais effets ; il cause des nausées, des constrictions douloureuses dans la région épigastrique & des coliques ; il suspend l’expectoration ; il irrite les bronches pulmonaires ; il diminue les hémorragies internes, & souvent produit, dans ce cas, des accidens plus fâcheux que ceux de l’hémorragie ; il ne provoque pas sensiblement le cours des urines ; un trop long usage de ce remède jette le malade dans le marasme ; en conséquence, tenez-vous en garde contre tous les vins alunés. »

Malgré cette contradiction de sentiment, dans un cas comme désespéré, dans un vomissement de sang des plus copieux, j’ai donné l’alun dissous dans l’eau tiède, & dans la journée même le vomissement fut arrêté, & le malade n’a point été incommodé de son usage. Il y a des cas urgens où il convient d’employer les remèdes les plus actifs ; le praticien prudent sait & a le tems de réparer les suites d’un mal qui est devenu nécessaire.

On emploie extérieurement l’alun calciné pour arrêter le sang qui s’échappe d’une veine ou d’une petite artère. L’agaric, le lycoperdon, & même le vitriol de Mars, (voyez ces mots) sont préférables. L’alun calciné mis sur les chairs fongueuses d’un ulcère bénin, souvent les dessèche, les détruit, & favorise par ce moyen la cure de l’ulcère.

Pour les entorses récentes, l’alun est un remède assuré ; aussitôt qu’on s’est donné une entorse, si on n’a pas de l’alun de roche ou de glace sous la main, il faut aussitôt plonger la jambe dans l’eau la plus froide, & même la renouveler de tems en tems jusqu’à ce qu’on se soit procuré d’alun ; alors, cassez plusieurs œufs frais, au moins trois ou quatre ; séparez le jaune d’avec le blanc, & mettez le blanc sur une assiette ou plat d’étain : frottez ces blancs contre l’assiette avec un morceau d’alun gros comme une noix, en tournant circulairement ; l’étain fait l’office de rape, & détache des particules très-fines & très-déliées de l’alun ; ces particules s’unifient avec le blanc d’œuf, & forment une pâte blanchâtre que l’on applique dans cet état sur la partie où s’est formée l’entorse, le tout enveloppé avec une serviette ; renouvelez l’appareil deux fois par jour ; il est rare qu’après vingt-quatre ou trente-six heures de repos, l’entorse ne soit entiérement dissipée.

J’ai vu des personnes sujettes à des douleurs rhumatismales, porter sur soi & près de la partie affectée, de l’alun, & les douleurs cesser quelques heures après. La cessation des douleurs étoit-elle due à l’action de l’alun ?

Les fermiers des environs des fabriques d’alun en Angleterre, achètent les cendres lessivées de ces fabriques pour les employer aux mêmes usages que les cendres ordinaires, & M. Home ajoute que le rebut des cendres des savonniers & des blanchisseries est un très-bon engrais.