Cours d’agriculture (Rozier)/ALOÈS SUCCOTRIN

Hôtel Serpente (Tome premierp. 413-416).


ALOÈS SUCCOTRIN. (Voyez Pl. 12, pag. 405) M. Tournefort le place dans la seconde section de la neuvième classe, qui comprend les plantes liliacées, dont la fleur est régulière, d’une seule pièce, mais découpée en six parties, formant la rose, & dont le calice devient le fruit ; il le nomme aloë vulgaris. M. le chevalier Von Linné, le classe dans l’hexandrie monogynie, & l’appelle aloë perfoliata vera.

Fleur B, liliacée, d’une seule pièce, découpée en six parties oblongues, le tube renflé à sa base, le limbe étendu & petit, & point de calice. C, représente les trois divisions internes, & D, les trois divisions externes. La fleur est soutenue par un péduncule petit, cylindrique, & foible. Les étamines E sont au nombre de six, posées au fond du tube ; il n’y a qu’un pistil composé de l’ovaire, d’un style long & cylindrique, & d’un stigmate velu.

Fruit F ; capsule oblongue, à trois sillons, à trois loges, à trois valvules, remplies de semences G, à demi-circulaires, anguleuses, applaties.

Feuilles, partent toutes de la racine ; elles embrassent la tige ; elles sont rassemblées au bas, charnues, convexes en dehors, concaves en dedans, armées de fortes épines ; le sommet de chaque feuille est terminé par une épine ligneuse.

Racine A, en forme de corde, charnue, fibreuse.

Lieu. L’aloès, dit succotrin, vient des Indes : on le cultive dans les jardins en le garantissant des gelées, & il y fleurit rarement, même dans la basse Provence, & dans quelques parties d’Italie : il réussit très-bien en pleine terre & sur les rochers.

Port. La tige est une hampe ; les fleurs pédunculées, entourant la tige en forme de corymbe ; les feuilles radicales sont rassemblées en rond au bas de la tige.

Propriété. Toute la plante est d’une amertume excessive ; le suc des feuilles est stomachique, vermifuge, hémorroïdal, emménagogue, purgatif, extérieurement très-détersif & balsamique.

Usages. L’aloès est un suc gommo-résineux, en partie soluble dans l’eau, & en partie soluble dans l’esprit de vin. Quoique sa partie gommeuse purge plus que sa partie résineuse, il ne faut point, en général, séparer l’une de l’autre. On trouve dans les boutiques quatre sortes d’aloès : le premier, dit succotrin, parce que le plus estimé, vient de l’île Socotora : cet aloès, ou plutôt le suc épaissi de cette plante, doit être très-pur, friable, léger, d’une couleur jaune, couvert d’une poussière roussâtre, approchant un peu de la couleur du beau verre d’antimoine ; mis en poudre, il paroît d’un beau jaune doré ; échauffé dans les mains, il devient flexible ; son goût est fort amer, & son odeur légérement aromatique. Quoique cette drogue ne soit pas chère, on la sophistique assez souvent ; mais en faisant attention aux caractères qui viennent d’être tracés, on ne sauroit être trompé.

L’aloès hépatique est moins beau que le premier, auquel on le substitue : il nous est apporté de l’Amérique. Sa couleur est approchante de celle du foie des animaux, d’où il a pris son nom ; elle est plus foncée, moins brillante que celle de l’aloès succotrin : l’odeur en est aussi plus désagréable & plus amère. Il faut rejeter celui qui est d’une couleur tannée & d’une odeur fétide.

L’aloès caballin est la troisième espèce, & n’est communément employée que pour les maladies des animaux : c’est le plus grossier, le plus terrestre, & le moins bon des trois aloès ; son odeur est nauséabonde : il produit rarement l’effet qu’on desire, & les maréchaux devroient ne pas s’en servir.

La quatrième espèce est l’aloès calebasse, ou des Barbades. Nouveau, il ressemble à l’aloès caballin ; en vieillissant il devient hépatique ; gardé jusqu’à ce qu’il soit cassant, il passe pour aloès succotrin, lucide & transparent.

Le succotrin purge beaucoup, échauffe, procure des coliques, accroît le volume & la douleur des hémorroïdes, irrite les bronches pulmonaires ; à petite dose, il fortifie l’estomac & les intestins relâchés par d’abondantes sérosités, ou par des humeurs tendantes vers l’acide : souvent il fait mourir & chasse les vers cucurbitins, ascarides, & lombricaux, contenus dans les intestins ; quelquefois il rétablit le flux menstruel supprimé par l’action des corps froids. Il est dangereux de l’employer pour l’expulsion de l’arrière-faix & des lochies : il porte évidemment préjudice aux pléthoriques, aux bilieux, aux femmes enceintes, aux hémoptisiques, aux personnes délicates & affectées de la poitrine. Il est contre-indiqué dans toutes les maladies inflammatoires, les maladies convulsives & douloureuses ; extérieurement, il a souvent borné la carie, & quelquefois l’a détruite, ainsi que la gangrène. Pour les usages intérieurs & extérieurs, soit pour les hommes, soit pour les animaux, il est plus prudent de ne se servir que de l’aloès succotrin.

Le suc pulvérisé se donne comme purgatif pour l’homme, depuis 4 grains jusqu’à 25, incorporé dans du sirop, ou délayé dans trois onces d’un véhicule aqueux ; il faut alors le filtrer.

Pour faire la teinture d’aloès, prenez deux onces d’aloès succotrin pulvérisé, & dix onces d’esprit de vin : faites digérer le tout pendant huit jours, & à une douce chaleur, dans un vaisseau exactement fermé ; décantez & filtrez à travers le papier gris : comme purgatif, on donne cette teinture depuis quinze grains jusqu’à une drachme, & comme altérant, depuis un grain jusqu’à dix.

La dose du suc épaissi, est de deux drachmes, pour les animaux, jusqu’à une demi-once, & même jusqu’à deux onces. Deux jours avant de purger l’animal, il est convenable de lui donner soir & matin un lavement fait avec la décoction des plantes émollientes, comme la mauve, la pariétaire, &c. & de le tenir au blanc & aux boissons émollientes ; le remède le purgera mieux, & produira, sans l’échauffer, autant qu’il le feroit sans cette précaution. Dans les chevaux, l’effet des purgatifs ne se manifeste ordinairement que vingt-quatre heures après : c’est pourquoi on doit éviter autant qu’il est possible, l’usage des substances drastiques & incendiaires qui leur occasionnent souvent des coliques dangereuses, & par conséquent qui doivent être précédées par de grands lavages émolliens. Tous les cas dans lesquels l’aloès est contre-indiqué pour l’homme, il l’est également pour l’animal : lorsqu’il est sujet à des coliques, à des convulsions ; lorsqu’il est échauffé par des exercices violens, il faut bien se garder de lui prescrire son usage.

Dans quelques endroits de la Basse-Provence, on plante l’aloès pour servir de haie, & cette haie est impénétrable aux hommes & aux animaux, parce que chaque feuille présente à son extrémité, & sur ses côtés, des pointes ligneuses très-aiguës & pénétrantes. L’aloès se multiplie de drageons, & l’on peut encore le multiplier en coupant une de ses feuilles, laissant sécher pendant huit à dix jours la partie coupée, & lorsque la cicatrice est formée, on met la feuille en terre où elle prend racine.

Cette plante, comme toutes les plantes grasses en général, craint l’humidité. Les terres sablonneuses, mêlées de plâtras, lui conviennent mieux que les terres franches : elle exige l’orangerie, pendant l’hiver dans les provinces septentrionales.

L’aloès fleurit rarement en Europe, & lorsqu’il veut fleurir, sa végétation est prodigieuse. Voici le journal des poussées de cette plante dans le jardin d’un seigneur de Venise. La plante commença à pousser sa tige le 20 Mai ; le 19 Juin elle étoit montée de quatre pieds un pouce, mesure de Padoue ; le 24 du même mois elle avoit poussé encore dix pouces ; le 29, de huit autres pouces ; le 6 Juillet elle avoit gagné treize pouces ; le 17, un pied huit pouces de plus ; & le 7 Août, un pied & demi : enfin, depuis ce jour jusqu’au 30, elle n’augmenta que lentement, mais elle continua à jeter des branches & des fleurs. Le tronc, par en bas, avoit un pied d’épaisseur ; il y avoit vingt-trois branches, & chacune, à son extrémité, portoit un bouquet de fleurs ; les premières branches avoient cent douze fleurs, les autres cent dix, enfin d’autres cent fleurs chacune.

Nous ne parlerons pas de toutes les espèces d’aloès connues & décrites par les botanistes, ce seroit s’écarter de notre plan.