Cours d’agriculture (Rozier)/AISANCE (fosses d’)

Hôtel Serpente (Tome premierp. 347-352).


AISANCE. (fosses d’) Ce que nous allons dire dans cet article tient indirectement à l’agriculture, & cependant c’est un objet trop important pour le passer sous silence, puisqu’il intéresse la santé du cultivateur, & fournit un engrais excellent.


CHAPITRE PREMIER.


Sect. I. De la construction des Fosses d’aisance pour le Maître.
Sect. II. Moyen économique pour ne pas nettoyer souvent les Fosses.
Sect. III. Moyens d’éviter les accidens funestes en les nettoyant.


CHAPITRE II.


Sect. I. Des Fosses d’aisance pour les gens de la Ferme.
Sect. II. Moyens de préparer un excellent engrais avec les matières stercorales.

CHAPITRE PREMIER.


Section Première.

De la construction des Fosses d’Aisance pour le Maître.

C’est une nécessité indispensable de choisir l’endroit le plus reculé du bâtiment, parce que l’odeur qui s’exhale des fosses d’aisance par les vents du sud & du sud-ouest, est aussi incommode que désagréable. Une seconde observation, aussi importante que la première, est de les éloigner, le plus qu’il est possible, des caves, des puits & de tous les autres souterrains, afin de se garantir des détestables effets de l’infiltration. La manière de les construire suppléera pour beaucoup à la distance que je demande.

Après avoir ouvert un creux proportionné au nombre des habitans du bâtiment, élevez contre le terrain un mur en pierre, & à la place du mortier, servez-vous d’argile bien tenace, mais bien paîtrie & bien corroyée ; & veillez attentivement sur les ouvriers, toujours négligens, pour qu’il ne reste aucun vuide entre les pierres & entre ce mur & le terrain. La forme de la fosse doit être ronde, afin d’éviter les angles, parce que l’expérience a prouvé que les angles servent de réservoir à l’air mortel & à la mauvaise odeur : il n’en coûte pas plus de bâtir en rond qu’en quarré. Tout autour de ce premier mur, laissez un pied ou même dix-huit pouces d’espace, & au-delà ; élevez un nouveau mur en bonne maçonnerie & en mortier. À mesure qu’on élèvera ce mur intérieur de vingt pouces au moins d’épaisseur, faites remplir le vide qui se trouve entre les deux murs avec de l’argile ou terre grasse pas trop humide, & à chaque couche de trois pouces, il faut la battre & la corroyer avec des masses, afin qu’elle ne fasse qu’un seul & même corps. C’est de la compacité de cette argile que dépend tout le succès de l’ouvrage. Les murs les plus épais & les mieux faits ne pourroient, à la longue, empêcher l’infiltration, quand même on se serviroit de pouzzolane. La pouzzolane, il est vrai, retient l’eau ; mais l’urine, les matières fécales la décomposent à la longue, ainsi que le mortier. Il n’y a que la terre argileuse qui résiste efficacement. Dès que les murs de la fosse seront à la hauteur convenue, il reste encore quatre objets à observer ; c’est-à-dire, le pavé, la voûte, la poterie & les soupiraux.

Le fond de la fosse doit être également garni d’argile bien battue & bien corroyée, & l’épaisseur de sa couche sera d’un pied au moins. Sur cette couche on étendra un fort lit de mortier, dont le sable aura été passé au gros sas. Lorsqu’il aura un peu perdu de sa trop grande humidité, on rangera les pavés le plus près qu’il sera possible les uns des autres, & les interstices seront remplis avec du mortier clair. Lorsque tous les pavés seront placés, l’ouvrier fera jouer la demoiselle pour les enfoncer, & les enfoncer tous également. Ces moyens empêcheront toutes les infiltrations.

La forme de la voûte pour les fosses n’est point indifférente. Si elle est trop surbaissée, le courant d’air aura moins d’action. Elle doit ressembler aux voûtes des anciens, c’est-à-dire, décrire un arc de cercle aigu à sommet ; & la clef ou ouverture pour descendre dans la fosse, doit être placée directement au milieu.

La poterie qui communique aux différens cabinets de la maison, sera placée le plus perpendiculairement qu’on le pourra, & on évitera avec grand soin les coudes, les plans inclinés, parce qu’ils retiennent toujours quelque peu de matière qui y séjourne, & par conséquent qui infecte.

Aux deux côtés opposés de la fosse, pratiquez deux soupiraux, qui s’élèveront avec la maçonnerie du bâtiment ou contre la maçonnerie, jusqu’au-dessus du toit. Sur l’un, pratiquez un petit moulinet, dont les ailes seront en fer battu ou en tôle peinte à l’huile. L’axe qui tiendra à ces ailes sera supporté aux deux extrémités sur les côtés du soupirail, de manière que la moitié des ailes soit cachée dans le soupirail, & l’autre moitié l’excédera. Au moindre vent les ailes, mises en mouvement, chasseront de l’air frais ; & par le moyen du second soupirail, il s’établira un courant d’air dans la fosse, qui entraînera par le haut toute la mauvaise odeur, & par conséquent elle ne se communiquera pas dans les appartemens. L’air des fosses est un air vicié, mortel & beaucoup plus lourd que l’air de l’atmosphère. On voit par conséquent combien peu sert un seul soupirail.


Section II.

Moyen économique pour ne pas nettoyer souvent les Fosses.

On distingue dans les fosses pleines, la croûte, la vanne, l’heurte & le gratin. La croûte est à la surface de la matière, & la couvre dans toute son étendue. Quelquefois cette croûte totale est soulevée complettement par l’air mortel qui est par-dessous. La vanne est la partie intérieure au-dessous de la croûte ; elle est quelquefois verte, & répand l’odeur la plus infecte. L’heurte est un amas pyramidal de matières qui répond aux poteries sous lesquelles on le trouve. Le gratin est la matière adhérente aux parois & au fond de la fosse. On vient de voir que la croûte étoit souvent soulevée & tenue, pour ainsi dire, en l’air par l’air mophétique qui est par-dessous. Jetez dans la fosse, par exemple, un boisseau de chaux réduite en poudre, &, s’il est possible, agitez la matière, & elle s’affaissera aussitôt, de sorte que l’on pourra attendre plusieurs mois, & même une année, avant de la faire nettoyer. Ce n’est pas la croûte seule qui s’affaisse, mais la totalité de la matière.


Section III.

Moyens d’éviter les accidens funestes en les nettoyant.

Il n’y a point d’année ni de mois que l’ouverture des fosses d’aisance & leur nettoiement ne coûte la vie à des malheureux, sur-tout dans les petites villes & dans les campagnes, parce que les ouvriers condamnés par la misère à ce genre de travail, en ont peu d’habitude, & par conséquent sont exposés à tous les dangers que des hommes plus exercés connoissent & savent éviter au moins en partie. Le lecteur pardonnera le dégoût qui résulte du sujet dont on parle en faveur du motif.

Outre la première propriété de la chaux dont on vient de parler, elle a encore celle de désinfecter l’air renfermé dans la fosse. Ce n’est donc point un moyen à négliger lorsqu’il s’agit de les vider. Le moyen le plus court, le plus efficace & le plus constant, c’est d’établir un fourneau sur la lunette de l’appartement le plus élevé de la maison. J’avois vu suivre ce procédé pour attirer, à l’extérieur des mines, l’air corrompu qui règne dans ces galeries souterraines, & souvent à plus de cent & de deux cents pieds au-dessous du niveau de l’entrée. Je le proposai à M. Cadet le jeune, si connu par son zèle patriotique, & qui s’occupoit alors, avec MM. Laborie & Parmentier, de la manière de désinfecter les fosses de Paris. Le succès répondit à leur attente ; & ils ont tellement perfectionné cette manipulation, qu’il est impossible aujourd’hui de voir périr un seul ouvrier qui suivra leur méthode. Voici comment ces Messieurs s’expliquent dans l’ouvrage qu’ils firent imprimer en 1778, sous le titre d’Observations sur les Fosses d’Aisance, & sur les moyens de prévenir les inconvéniens de leur vuidange… « Sur un des sièges d’aisance est placé un fourneau. Il est composé d’une tour, sans fond ni porte, garni d’une chappe, portant à sa partie antérieure la porte mobile par laquelle s’introduit le charbon sur une grille placée à quelques pouces de la base du fourneau. À cette chappe sont adaptés des tuyaux de tôle qui ont leur issue en dehors de la maison. »

« À peine l’intérieur de ce fourneau est-il échauffé par le charbon qui s’allume, que si l’on vient à présenter un papier allumé à la porte de la chappe, la vapeur qui traverse prend feu & produit une flamme vive & brillante. »

« Le charbon une fois allumé, cette flamme devient un brandon constant qui s’élève de deux à trois pieds au-dessus de la chappe, quand on la débarrasse de ses tuyaux. Elle est fort différente par sa légéreté & par son volume, de celle d’un simple brasier de charbon. Cette flamme n’en diffère pas moins par sa couleur & par l’odeur qu’elle répand. On ne peut mieux la comparer à cet égard qu’à la vapeur enflammée d’une dissolution de fer dans l’acide vitriolique. »

« La première fois que nous fîmes cette expérience, c’étoit dans une maison dont le local n’avoit pas permis de choisir l’emplacement le plus convenable du fourneau. Il étoit au rez-de-chaussée, & les tuyaux n’avoient point d’issue en dehors du cabinet, L’odeur d’acide sulphureux volatil qui se répandit dans la maison, étoit si forte, que nous ne voulûmes croire qu’elle venoit du fourneau, qu’après nous être assurés qu’on ne brûloit point de soufre dans la maison. Nous avons fait respirer des oiseaux, des chats au-dessus des tuyaux qui conduisoient ces vapeurs ; non-seulement ils n’ont plus respiré la mort, & même ils n’ont paru affectés d’aucune sensation incommode. Nous avons été long-tems exposés à cette vapeur, sans en avoir éprouvé d’autre déplaisance que celle de l’acide volatil sulphureux que nous respirions. »

« Ce n’est pas tout ; nous avons observé que le feu supérieur rend le plus grand service aux ouvriers qui travaillent dans la fosse. Pour en juger, nous laissâmes éteindre le feu, & aussitôt l’ouvrier fut obligé de sortir : un second ouvrier ne put s’en retirer qu’à l’aide de ses camarades ; & un troisième y seroit mort, s’il n’avoit été secouru promptement. »

« L’opération du fourneau exige que tous les sièges soient bouchés & scellés exactement, sans quoi le courant d’air seroit dérangé, & une partie de l’odeur portée dans les appartemens. Il est encore avantageux d’établir un second fourneau dans la fosse même, supporté par un trépied sur la matière. Ses tuyaux de tôle doivent aller répondre à la poterie, qui correspond au soupirail supérieur. »

Ce moyen bien simple & peu coûteux, peut encore être mis en usage pour tous les souterrains remplis d’air mortel, & où celui qui y descendroit, payeroit de sa vie son imprudence. Aux mots Asphyxie, Moffettes, on indiquera les remèdes & les moyens nécessaires pour rappeler à la vie les asphyxiques.


CHAPITRE II.


Section première.

Des Fosses d’Aisance pour les gens de la Ferme.

Celles-ci exigent moins de précautions que les autres, parce qu’elles doivent être nettoyées, au plus tard, tous les quinze jours. Le coin d’une cour, dans la partie la plus reculée de la ferme, un mur léger pardevant, une porte & une toiture passable suffisent. Une planche large & épaisse de six pouces, doit recouvrir un petit mur, & encore mieux une séparation en planches fortes. Le fond du cabinet d’aisance, ainsi que la circonférence des murs, sera garni de terre glaise bien corroyée, afin d’empêcher l’infiltration. La fosse aura deux pieds de profondeur, ou trois tout au plus, & sera aussi large que le cabinet. Elle sera recouverte par des planches mobiles & fortes, qui porteront par leurs extrémités sur des chevrons fixés aux murs. Cette fosse sera remplie de mauvaise paille jusqu’à la moitié pendant l’été, & tous les quinze jours ou toutes les trois semaines, le fumier en sera enlevé. Le point qui désigne le moment de l’enlever, est lorsque la paille paroît bien humectée. Il convient même, en la jetant dans la fosse, de l’asperger de quelques seaux d’eau. Dans l’hiver, comme la putréfaction s’exécute avec plus de lenteur, chaque semaine on mettra de la paille nouvelle, & on restera six semaines ou deux mois avant de l’enlever. Les planches mouvantes facilitent son extraction.


Section II.

Moyens de préparer un excellent engrais avec les matières stercorales.

Ce fumier n’est point fait, il n’est pas au point où il doit être ; il faut qu’il éprouve un nouveau genre de fermentation, & par conséquent une nouvelle combinaison. Pour cet effet, après l’avoir extrait de la fosse, faites-le porter dans l’endroit que vous consacrez aux fumiers. Là, sur un lit de demi-pied, couvrez-le d’un lit de bonne terre de trois pouces d’épaisseur, & ainsi successivement à mesure que l’on en retirera de la fosse. Le lit ou la couche supérieure doit nécessairement être en terre bien battue. Cette terre retiendra la chaleur dans la masse, & empêchera sa trop prompte opération. D’ailleurs, l’ardeur du soleil dessécheroit la couche de paille, & détruiroit les principes de l’engrais. Il est important que la place où sera déposé cet excellent engrais, soit plus large que le monceau, & ait un pied de profondeur au-dessous du niveau du terrain, parce que ce fossé retiendra les eaux, entretiendra une humidité nécessaire à la fermentation de la masse. Lorsque l’on s’appercevra que l’eau du creux commencera à s’évaporer entiérement, n’attendez pas le moment de siccité avant d’en donner de nouvelle, sur-tout dans l’été : ce fumier prendroit bientôt le blanc, & il se consommeroit en pure perte. C’est alors le cas de faire des trous sur le haut de la masse avec de longues perches, afin que l’eau qu’on y jettera la pénètre dans toutes ses parties ; & l’opération finie, les trous seront rebouchés avec de la terre. On peut à la seconde année employer ce fumier en toute sureté, & il produira à coup sûr le meilleur effet, sur-tout dans les terres compactes & argileuses.

Dans quelques parties de la Flandre & de l’Artois, on cherche moins de précautions. On délaye dans l’eau les matières stercorales, & on répand cette eau avec de grandes cuillers, & par aspersion, sur les champs qu’on vient de semer.

Il est bien étonnant que dans plus de la moitié du royaume, on laisse perdre cet engrais si supérieur. Tous les habitans de la métairie vont soulager la nature derrière un mur, & le propriétaire imbécille, pour son intérêt, ne sait pas leur procurer des fosses d’aisance.

On objectera peut-être que cet engrais communique aux plantes un mauvais goût, une mauvaise odeur. Cela est vrai, si on l’emploie en forte quantité & frais : mais préparé ainsi qu’il vient d’être dit, j’ai la preuve la plus complette & la plus forte du contraire. Une ménagerie composée de six ou huit personnes peut fournir par an dix fortes charretées de ce fumier, en y comprenant la paille & la terre.