Cours d’agriculture (Rozier)/ASPHYXIE

Hôtel Serpente (Tome secondp. 46-50).


ASPHYXIE, & les accidens mortels occasionnés par des vapeurs suffoquantes, telles que celles qui s’exhalent du charbon allumé, des liqueurs en fermentation, des fosses, des puits fermés depuis long-tems, des latrines, du tonnerre, du froid, des lampes & des chandelles allumées dans de petits endroits ; de l’asphyxie des noyés, & des gens qui travaillent aux mines.

On donne en général le nom d’asphyxie, qui veut dire sans pouls, à toute affection dans laquelle le malade perd tout à coup l’usage des sens, tant internes qu’externes, du pouls & de la respiration : or, différentes causes peuvent donner naissance à cette maladie, si ressemblante à la mort.

1o. Les vapeurs suffoquantes du charbon allumé.

2o. Les vapeurs qui s’exhalent des substances en fermentation.

3o. Les vapeurs qui sortent des fosses & des puits bouchés depuis long-tems.

4o. Des vapeurs des latrines.

5o. Les effets du tonnerre.

6o. Les effets du froid.

7o. Les exhalaisons des lampes & des chandelles dans les petits endroits.

8o. Des noyés.

9o. Des gens qui travaillent aux mines.

Tous ces objets sont de la plus grande importance, & nous allons les examiner par ordre. Il est nécessaire de dire un mot de l’air avant que d’entrer dans les détails de tous les accidens qui suivent la corruption de cet élément. Quoique les habitans de la campagne soient moins exposés que les habitans des villes, aux maladies qui naissent dans un air chargé de vapeurs dangereuses, cependant l’ignorance & le peu de soins qu’on prend de leur existence, les exposent aux effets mortels de certaines exhalaisons.

L’air que nous respirons peut être altéré de plusieurs manières, par des évaporations de différente nature, capables de nuire considérablement à la santé de ceux qui le respirent : ces effets sont quelquefois très-rapides, & quelquefois ils sont très-lents. L’air qui a passé à travers le charbon, l’air qui n’est pas renouvelé dans les endroits fortement échauffés par les poêles, par le feu ardent des cheminées ; l’air des chambres fort éclairées par la multiplicité des chandelles & des bougies, est fort mal-sain ; de-là naît le danger de dormir dans les endroits où on brûle du charbon. Les vapeurs qui s’élèvent du vin, du cidre, de la bière, & de toutes liqueurs qui fermentent, sont aussi mortelles que l’air qui a passé par le charbon allumé. On a donné, de nos jours, le nom de gas ou d’air fixe, &c, à ces différentes vapeurs, qui ne sont pas de l’air, mais des vapeurs acides, plus ou moins pernicieuses, & qui, introduites dans la poitrine, y causent les plus grands ravages. Il est tellement dangereux d’entrer dans un cellier, ou dans un lieu quelconque qui renferme des liqueurs en fermentation, qu’on a vu des malheureux y expirer en très-peu de tems. Les souterrains fermés depuis long-tems, les puits qui, depuis longues années, n’ont pas été nettoyés, exhalent des vapeurs nommées méphitiques, aussi meurtrières que celles dont nous venons de parler, & il ne faut y descendre que lorsqu’on a purifié ces lieux des vapeurs qu’ils contiennent.

Quand on veut savoir si ces lieux renferment des vapeurs dangereuses, on y descend, par le moyen d’une corde, quelques substances enflammées ; si ces substances continuent à brûler, on peut descendre en toute sureté dans ces lieux ; mais si au contraire les substances enflammées, telles que de la chandelle, du bois, &c. s’éteignent, ces endroits contiennent des vapeurs meurtrières, & il faut bien se donner de garde d’y descendre, sans quoi l’on s’expose à perdre la vie.

Les personnes suffoquées par les vapeurs des mines, & celles qui sont frappées de la foudre, sont dans le même cas que celles qui ont respiré l’air méphitique des caves, des latrines, des puits, des souterrains, & du charbon allumé.

Charbon allumé. Lorsqu’une personne a respiré les vapeurs du charbon allumé, elle tombe privée de tous ses sens, tant internes qu’externes ; alors il faut promptement la transporter à l’air libre, dans une cour, s’il est possible, lui appuyer la tête contre le mur, & lui jeter au visage de l’eau froide. Il faut continuer cet exercice pendant des heures entières sans interruption : plusieurs personnes doivent être occupées à tenir de l’eau froide toute prête, afin que celles qui la jettent au visage du malade n’en manquent pas : on continue jusqu’à ce que le malade éprouve quelques hoquets ; alors on jette dans un verre d’eau huit à dix gouttes d’alcali volatil, & on tâche de le faire avaler au malade en lui tenant la bouche entr’ouverte par le moyen de petits morceaux de bois qu’on place entre les dents ; on recommence les projections d’eau froide, & on ne les suspend par intervalles, que pour réitérer la boisson d’alcali volatil par gouttes dans l’eau.

Après les hoquets, le malade éprouve des vomissemens & des tremblemens ; alors on le porte dans un lit légérement chaud ; on lui frotte tout le corps avec des linges secs & un peu rudes ; on laisse toujours circuler dans la chambre un courant d’air ; on continue à lui donner de tems en tems quelques gouttes d’alcali volatil dans de l’eau, & on lui fait prendre des lavemens avec le savon & les feuilles de séné.

On ne doit jamais employer la saignée dans cet état ; on tueroit infailliblement le malade ; il existe très-peu de circonstances dans lesquelles elle soit nécessaire : mais quand elle est indiquée, il ne faut jamais l’employer que le malade ne soit revenu à lui : alors s’il est d’un tempérament sanguin, si son pouls est dur & plein, s’il se plaint de maux de tête violens, on lui fait mettre les pieds dans l’eau tiède ; on le saigne du bras ou du pied, si les accidens sont forts, ou de la gorge, s’ils vont toujours en croissant. Comme cet état devient alors apoplectique, nous renvoyons à lApoplexie.

Émanations des substances qui fermentent, des puits, des mines, des souterrains, des latrines, des caves, de la foudre, du froid, des noyés. Lorsque l’on s’expose aux vapeurs contenues dans l’air des puits, des souterrains, des latrines & des caves, on éprouve les mêmes accidens que si on avoit respiré les vapeurs du charbon, & les secours doivent être les mêmes.

Les noyés & les gens frappés par la foudre, meurent de même que les asphyxiés. Dans l’article des Noyés, nous ajouterons quelques additions à ce que nous avons déjà dit sur cet article. Nous croyons très-intéressant de ne point omettre les moyens propres à purifier l’air infecté des puits, souterrains, caves, mines, latrines, &c.

Il est prouvé que l’eau réduite en vapeurs, est le moyen le plus efficace pour purifier l’air corrompu par les émanations dangereuses du charbon allumé. Or, il est d’une nécessité indispensable de verser de l’eau en grande quantité dans tous les lieux infectés de ces vapeurs, en établissant en outre une communication avec l’air extérieur. Dans les cabanes qu’habitent les gens de la campagne, le froid n’est d’ordinaire combattu que par des poêles, ou par du charbon allumé ; chez les artisans, qui, par état, font beaucoup d’usage de charbon, les vapeurs méphitiques infectent toujours l’air que ces infortunés respirent, & on parviendra à le corriger, en exposant sur les poêles ou près des foyers, de grandes jattes remplies d’eau, qu’on renouvellera souvent.

Dans les fosses d’aisance. Il faut jeter dans ces lieux une grande quantité de chaux vive ; & auparavant d’y descendre, il faut essayer si l’air est purifié, en y plongeant des chandelles allumées, ou de la paille & du bois embrasés ; si ces substances ne s’éteignent pas, l’air est pur, on peut y travailler ; si au contraire elles s’éteignent, l’air est encore corrompu & meurtrier, & il faut bien se garder d’y descendre.

Le froid. Les gens vivement attaqués par le froid, sont dans l’état des asphyxiés privés de sentimens, tant internes qu’externes : il est rare, dans nos climats, de voir des effets aussi terribles du froid ; mais quelques exemples suffisent pour que nous ne négligions pas de traiter de cet objet d’autant plus important, qu’il regarde cette partie de la nation la moins estimée, quoique la plus estimable, les habitans de la campagne.

Quand une personne vivement attaquée par le froid, a demeuré plusieurs heures couchée dans la neige, ou sur la glace, exposée à toutes les rigueurs du froid le plus vif, il faut lui faire des frictions par tout le corps avec de la neige, si on peut s’en procurer, ou avec des linges trempés dans l’eau froide ; il faut bien se garder de l’exposer à la chaleur ; il est d’observation que les fruits ou légumes gelés se corrompent quand on les plonge dans l’eau chaude avant de les avoir laissés quelque tems dans l’eau froide. La même chose arrive aux parties du corps frappées du froid ; elles tombent en gangrène si on les expose à la chaleur, & la gangrène se déclare avec autant de célérité que le degré de chaleur est plus fort : les engelures ne doivent leur naissance qu’à la pernicieuse méthode d’exposer à une chaleur très-vive, les pieds ou les mains engourdies par le froid.

Après avoir frotté tout le corps avec de la neige, ou avec des linges trempés dans de l’eau froide, rien n’est plus salutaire qu’un bain froid dans lequel on plonge le malade l’espace d’une demi-heure. En sortant du bain on recommence les frictions ; dès que le malade donne quelques lignes de connoissance, on lui fait avaler quelques gouttes d’alcali volatil, dans un peu de vin tiède ; on le place dans un lit bassiné & peu chaud ; on continue les frictions avec des flanelles sèches ; on place le malade à cette époque, quelque tems dans un bain tiède ; on lui donne quelques cuillerées de bouillon ; on le nourrit long-tems de cette manière avec précaution : en suivant cette conduite dictée par l’expérience, & confirmée par le raisonnement, on parvient à rappeler à la vie ces victimes déplorables de l’inclémence des saisons. Toute la conduite consiste à rétablir la chaleur par degré ; si on la faisoit ressentir promptement & fortement, le malade ne tarderoit point à expirer victime de ce traitement condamné par l’expérience, seul juge capable de prononcer dans des circonstances aussi délicates.

Des noyés. (Voyez ce mot)