Cours d’agriculture (Rozier)/ACIDE

Hôtel Serpente (Tome premierp. 231-239).
◄  ACHIT
ACIDULE  ►


ACIDE, Physique.


§. I. Des Acides en général, & de leurs propriétés communes.
§. II. Des Acides animaux.
§. III. Des Acides végétaux.
§. IV. Des Acides minéraux.
§. V. Des Acides considérés relativement à leurs effets en Médecine.


§. I. Des Acides en général, & de leurs propriétés communes.

De toutes les substances salines que nous connoissons, la plus simple est l’acide ; c’est elle qui paroît être la base de tous les sels. Il est des caractères principaux qui font reconnoître les acides en général. L’impression aigre, piquante, quelquefois même agréable, annonce leur essence ; ils agacent les dents, & rougissent les couleurs bleues des végétaux. Sont-ils concentrés ? ils dissolvent avec plus ou moins d’effervescence les pierres & les terres calcaires ; se combinent avec les alkalis avec lesquels ils forment des sels neutres ; attaquent & dissolvent les matières métalliques.

Il est essentiellement du ressort de la chimie, de traiter à fond ces substances singulières, de les suivre dans leur manière d’agir, dans leurs combinaisons, & les résultats de ces combinaisons : c’est à elle qu’il appartient d’examiner s’il n’existe qu’un seul acide dont tous les autres ne soient que des modifications particulières, & quel peut & doit être cet acide universel. C’est dans un laboratoire, après avoir accumulé expériences sur expériences, qu’il faut établir un corps de doctrine étendue & détaillée sur leur immense variété ; c’est à des hommes, à même de se livrer totalement à cette étude, à reculer les bornes de nos connoissances sur ces agens de la nature si puissans & si répandus : mais nous croyons qu’il n’est pas moins essentiel à un grand cultivateur d’en avoir des idées au moins générales. La chimie ne peut que confirmer & étendre les vérités que l’expérience & la pratique lui apprendront tous les jours. En conséquence, nous allons tracer un tableau raccourci des acides les plus généraux, que l’agronome doit particulièrement connoître.

§. II. Des Acides Animaux.

Principes universels toujours en action, ou plutôt causes de toute action, de toute fermentation, les acides animent & vivifient les trois règnes de la nature. Répandus & pour ainsi dire noyés dans les fluides animaux, ils circulent avec eux : tant qu’ils sont dans une juste proportion, l’équilibre se conserve, la dissolution des alimens, leur digestion, leur précipitation s’opèrent exactement. Ils tempèrent l’effervescence que le sang, la bile & les autres liqueurs pourroient acquérir. Indispensables à l’économie animale, c’est à eux qu’est due la santé, comme en conviennent Hyppocrate & les plus habiles médecins. Toujours en mouvement, si quelque cause particulière vient à les arrêter, à les fixer, à enchaîner leur activité, bientôt différentes maladies prennent naissance.

La chimie est parvenue à extraire un acide de quantité de substances animales. M. Homberg a démontré, par un travail assez complet, que le sang & la chair de l’homme, du bœuf, du veau, de la brebis, du mouton, du brochet, du canard, du cochon, de la vipère, de la limace, &c. contenoient un acide assez développé pour agir très-sensiblement sur les teintures bleues des végétaux : il en conclut même, qu’il en fait une partie essentielle contre le sentiment de M. Lind, qui, dans son Traité du scorbut, a avancé que le sang d’un animal vivant n’a jamais été trouvé acide ou alkali. M. Poli, dans un ouvrage italien intitulé, Triomphe des acides, en admettant les acides dans l’économie animale, soutient qu’ils ne passent jamais dans le sang ; mais qu’après leur dégagement des alimens, ils se précipitent dans les intestins avec les matières excrémenteuses. Ces deux assertions sont absolument détruites par les expériences de M. Homberg, & les analyses du sang & de la chair faites par des savans chimistes.

Les humeurs, telles que le lait, la graisse, le chyle, le beurre, l’urine, la sueur, le sperma-céti, &c. &c. offrent, à l’analyse chimique, un principe acide en plus ou moindre quantité. Le principe mucoso-sucré que Van-Bochante a trouvé dans la bile, doit faire conclure qu’elle contient encore un acide, puisque tout sucre en contient, M. l’abbé Fontana pense que tous ces acides que l’on extrait des différentes substances du règne animal, ne sont qu’un seul & même acide, l’air fixe : plusieurs espèces d’animaux, comme les mouches, les fourmis, quelques chenilles, entr’autres, la grande chenille à queue fourchue, & en général, presque tous les insectes ont offert encore à ce chimiste un principe absolument analogue à cet acide. Mais il est un acide qui paroît être absolument particulier au règne animal, l’acide phosphorique que l’on retire de l’urine, des os & de la corne de cerf.

§. III. Des Acides Végétaux.

Presque tous les acides animaux ne s’obtiennent que difficilement purs : unis intimément à une huile animale, ce n’est que par des expériences recherchées qu’on peut les avoir isolés. Il n’en est pas de même dans le règne végétal ; la nature nous offre les acides sous des caractères apparens & marqués : ils se développent souvent d’eux-mêmes ; & dans quantité de substances, ils sont principes constituans.

En général, on peut ranger sous trois ordres tous les acides végétaux, ou les sels essentiels des végétaux ; tantôt c’est un acide développé & presque pur ; tantôt c’est un acide combiné avec d’autres principes, que la fermentation vineuse dégage ; tantôt c’est un acide uni avec une très-grande quantité de corps muqueux, & formant le sel sucré ou simplement le sucre. Dans la première classe doivent être placés tous les acides que contiennent l’oseille, l’alléluia, le tamarin, le berbéris, les fruits aigres, comme les citrons, les oranges, les limons, &c. Qu’on ne confonde pas ces acides avec les acides minéraux que les plantes contiennent, & dont nous parlerons plus bas : les premiers ont presque toujours un goût & une odeur aromatique, qui leur vient d’un peu d’huile avec laquelle ils sont combinés. Le moyen d’obtenir ces acides sous forme cristalline, consiste à faire évaporer assez fortement, & presqu’en consistance de sirop, les liqueurs qui les contiennent, comme les sucs exprimés & dépurés, les fortes décoctions des végétaux, & à les placer dans un endroit frais. Il suffit de presser entre ses doigts des écorces de citrons, d’oranges, &c. pour en faire suinter leurs sucs acides.

La seconde espèce d’acides végétaux, est connue sous le nom de sels tartareux. Tous les fruits dont la saveur est d’abord acerbe, & devient, en mûrissant, plus ou moins douce, les grains de verjus, de raisins, de groseilles, de mûres, &c. les sucs des pommes, des poires, des cerises, &c. fournissent un sel acide tout-à-fait semblable au tartre que le vin fermenté dépose dans les tonneaux. Il a cependant une saveur un peu plus sucrée & moins vineuse, parce qu’il ne contient rien de la partie spiritueuse & colorante qui se trouve dans le tartre des vins fermentés.

Les plantes qui, lors même qu’elles sont le moins avancées, ont une saveur douce & fade, renferment la troisième espèce d’acide, un sel dont la saveur est également douce, & qu’on nomme sucre. L’érable, le bouleau, le suc du bled de turquie & du froment, les racines de poirée ou bette blanche, de betterave, de chenevis, de panais, de raisins secs, &c. & surtout la canne à sucre, fournissent abondamment cet acide uni à une portion de sel alkali fixe, & à une très-grande quantité d’huile. Sa saveur est d’autant plus douce, qu’il est plus chargé de ce dernier principe, & moins purifié.

Les sucs sucrés, comme la manne, le miel, & sans doute le nectar dont le miel est formé, contiennent un acide qui a beaucoup d’analogie avec celui du sucre.

Tous ces acides paroissent être propres aux végétaux, & d’une nature particulière. Cependant ils ne sont pas les seuls qu’on y retrouve. Les sels neutres que l’analyse en extrait, comme le tartre vitriolé, le nitre, le sel de Glauber, le sel fébrifuge de Silvius, annoncent la présence des acides vitrioliques, nitreux & marin ; mais ils appartiennent au règne minéral, & sont connus sous le nom d’acides minéraux. Il paroît que ces sels nitreux sont formés par les plantes mêmes, dans le grand acte de la végétation ; car les plantes qui contiennent des sels différens, naissent souvent les unes à côté des autres. L’expérience suivante en est une preuve assez concluante. Si l’on fait végéter dans la même eau pure distillée une plante aromatique ou astringente d’un côté, & de l’autre le grand tournesol, la pariétaire, ou une borraginée, elles ne changeront point de nature ; les premières donneront du tartre vitriolé, & les secondes du nitre.

§. IV. Des Acides Minéraux.

De tous les acides minéraux, celui que l’on retrouve le plus souvent dans la nature, celui qui est susceptible de plus de combinaisons, celui que l’on a regardé long-tems comme l’unique, dont tous les autres n’étoient que des modifications, est l’acide vitriolique. Outre les caractères communs à tous les acides, qu’il possède éminemment, sa qualité distinctive est d’être sans couleur & sans odeur lorsqu’il est froid ; au feu, il acquiert une légère odeur d’acide marin, & la moindre impureté altère sa transparence. Quoiqu’il change en rouge la couleur bleue des végétaux, il n’en détruit pas la partie colorante ; car on peut ensuite la séparer de l’acide, & elle se trouve dans le même état où elle étoit avant la dissolution. Concentré, sa saveur est violemment aigre & acide ; mais étendu dans une très-grande quantité d’eau, comme plusieurs gouttes dans une pinte, il lui communique un goût aigrelet très-agréable, & forme une espèce de limonade peu dispendieuse & rafraîchissante.

Dans un degré de rapprochement considérable, il a moins de fluidité que l’eau ; une onctuosité apparente le fait filer comme de l’huile, & il paroît gras au toucher. C’est cette propriété qui lui a fait donner fort improprement le nom d’huile de vitriol ; car sa consistance huileuse n’est due qu’au rapprochement de ses parties ; & son onctuosité au toucher vient de ce qu’il dissout une portion de la substance graisseuse de la peau.

Il attire puissamment l’humidité, & s’échauffe avec l’eau ; il est le principe du soufre ; il attaque & dissout presque toutes les substances métalliques, avec lesquelles il forme autant de sels différens qu’on désigne sous le nom générique de vitriol. Ainsi, l’on a le vitriol de lune ou d’argent ; le vitriol de mercure qui, à force de lotions répétées, perd sa couleur blanche, devient plus jaune, & prend alors le nom de turbith minéral ; le vitriol bleu, ou de chypre, ou tout simplement le vitriol de cuivre ; le vitriol de plomb ; le vitriol d’étain ; le vitriol verd de mars, ou de fer, qui, calciné, devient rouge, & prend le nom de colcotar. Une dissolution de vitriol de mars, mêlée avec l’infusion de noix de galle, est, comme tout le monde sait, la base de toutes les recettes pour la composition de l’encre. L’acide vitriolique forme encore, avec l’antimoine, le vitriol antimonial ; avec le bismuth, le vitriol de bismuth ; avec le zinc, le vitriol de zinc, ou la couperose blanche du commerce ; enfin, avec l’arsenic & le cobalt, des vitriols qui portent ces noms.

Les terres ne sont pas à l’abri de l’action de l’acide vitriolique, & même la nature nous offre ces différentes combinaisons bien plus fréquemment que les vitriols métalliques. L’alun n’est qu’un sel qui a pour base cet acide en très-grande quantité, combiné avec la terre argileuse qui, elle-même, suivant quelques chimistes, n’est qu’un sel vitriolique avec excès de terre quartzeuse ou vitrifiable. Les terres calcaires se dissolvent avec effervescence dans à cet acide, & forment avec lui un sel nommé sélénite. Ce sel qu’on ne peut avoir qu’en petite masse, en le formant artificiellement, la nature nous l’offre tous les jours en masses considérables, soit en sélénite proprement dite, qui est contenue dans presque toutes les eaux ; soit en grands cristaux triangulaires & assez réguliers, qui prennent alors le nom de gypse ; soit sous forme brute & sans cristallisation, c’est ce que l’on appelle la pierre à plâtre. Le sel d’ebsom est encore une combinaison de l’acide vitriolique avec une terre particulière, la magnésie.

L’alkali fixe forme avec lui le tartre vitriolé ; l’alkali minéral, le sel de Glauber ; & l’alkali volatil, un vitriol ammoniacal.

Il agit en général à-peu-près comme le feu sur les matières végétales & animales ; il les dessèche, les crispe, & les réduit presqu’à l’état de charbon. Il coagule le lait, & durcit presque sur le champ la partie séreuse de l’œuf. Il noircit & épaissit les huiles douces, comme les essentielles, & ce mélange, avec le tems, acquiert une consistance & des propriétés analogues au bitume ; avec l’esprit de vin, il produit de l’éther.

Plus volatil, d’une couleur jaune brunâtre, laissant continuellement échapper des vapeurs de même couleur, l’acide nitreux n’a que le second rang parmi les acides, parce qu’il s’unit moins intimément à ses bases qui peuvent lui être enlevées par l’acide vitriolique. Doué, en général, de toutes les propriétés des acides, il a de plus une odeur nauséabonde qui lui est particulière : attaque-t-il les couleurs extraites des végétaux ? il les détruit entiérement, de manière qu’on ne peut plus les faire revivre comme lorsqu’elles ont été changées par les autres acides. Concentré, il a une saveur aigre, violemment acide & corrosive ; affoibli dans une certaine quantité d’eau, il porte le nom d’eau forte ; étendu dans une plus grande quantité, il laisse dans la bouche une saveur froide qui a quelque chose de fade.

Presque toutes les substances des trois règnes sont soumises à l’action dissolvante de l’acide nitreux ; avec les substances métalliques, il forme des nitres métalliques, comme du nitre lunaire avec l’argent, du nitre mercuriel avec le mercure, du nitre cuivreux, du nitre saturnin ou de plomb ; il calcine plutôt qu’il ne dissout l’étain, & le convertit en chaux blanche indissoluble ; il en est de même du fer : il dissout tous les demi-métaux.

Il attaque & s’unit à toutes les terres dissolubles dans les acides, comme la craie ou terre calcaire qu’il dissout avec effervescence, & avec laquelle il forme un sel très-dissoluble & très-sapide, connu sous le nom de nitre calcaire : de la dissolution de la terre argileuse résulte un nitre alumineux ; & de celle de la magnésie, une espèce de sel d’ebsom par l’acide nitreux ou de nitre de magnésie.

Tous les alkalis forment des sels neutres avec l’acide nitreux ; l’alkali fixe donne le nitre ou le salpêtre du commerce, cristallisé en aiguilles ; l’alkali minéral, le nitre cubique cristallisé en rhombes ou en cubes ; & l’alkali volatil, le nitre ammoniacal.

L’acide nitreux enflamme seul toutes les huiles essentielles, même les huiles douces qui sont siccatives ; mais il ne peut enflammer les huiles grasses que par l’intermède de l’acide vitriolique ; il forme un éther nitreux avec l’esprit-de-vin.

Le troisième des acides minéraux est l’acide marin, ainsi nommé, parce qu’on le retire abondamment du sel marin. Jouissant des propriétés communes aux acides en général, il diffère de l’acide vitriolique, en ce qu’il est plus léger & plus volatil ; qu’il a une odeur piquante & un peu safranée, une couleur d’un jaune doré, & qu’il répand des vapeurs blanches, qui ne sont visibles que par le contact de l’air, au contraire de l’acide nitreux qui a une couleur jaune rouge, ainsi que ses vapeurs. Il ne détruit point les couleurs des végétaux en les changeant ; il a une saveur violemment aigre ou acide, mais sans arrière-goût ; le plus foible de tous les acides minéraux, l’acide vitriolique & l’acide nitreux, le dégagent facilement de ses bases.

La dissolution des métaux, par l’acide marin, forme les métaux cornés : il dissout les uns immédiatement, & les autres par intermède ; sa combinaison avec l’argent produit la lune cornée ; avec le mercure, le sublimé corrosif ; avec le cuivre, le sel marin cuivreux ; avec le plomb, le plomb corné : à l’aide de la chaleur, il dissout facilement l’étain, le fer, dont il dégage des vapeurs inflammables, l’antimoine, le bismuth, le zinc, l’arsenic, &c.

Toutes les terres dissolubles cèdent facilement à l’action de cet acide ; avec la terre calcaire, on a le sel marin calcaire ; avec l’argile, un sel marin alumineux ; avec la magnésie, un sel gélatineux déliquescent.

L’alkali végétal forme avec lui le sel fébrifuge de Silvius ; l’alkali minéral, le sel commun ou le sel de cuisine ; & l’alkali volatil, le sel ammoniac du commerce.

L’acide marin très-concentré agit puissamment sur les matières végétales & animales, mais moins vivement que l’acide nitreux, & sans les noircir comme l’acide vitriolique ; il n’a point d’effet sur les matières huileuses ; & avec l’esprit de vin, il forme un éther particulier.

Nous venons de voir presque toutes les substances de la nature soumises à l’action des acides, excepté l’or ; mais il trouve son dissolvant dans l’eau régale, acide mixte composé de l’acide nitreux & de l’acide marin. Tous les métaux & demi-métaux sont attaqués par l’eau régale, excepté l’argent & l’arsenic ; ses combinaisons avec les terres, les alkalis & les substances végétales & animales, ne sont pas connues.

Nous n’entrerons pas dans de plus longs détails sur les acides : ils sont absolument du ressort de la chimie ; & nous renvoyons aux mots Fermentation, Gas, Vinaigre, l’exposé des recherches faites, jusqu’à présent sur l’air fixe & l’acide du vin. M. M.


§. V. Des Acides considérés relativement à leurs effets en Médecine.

Ici le mot acide est pris sous deux acceptions différentes : ou comme la cause de quelques maladies, ou comme le remède des maladies opposées, c’est-à-dire des maladies alkalescentes, putrides, scorbutiques, &c.

Les acides contenus dans les premières voies, chez les adultes, excitent des rapports aigres, des tiraillemens, des picottemens douloureux ; ils vont même quelquefois jusqu’à la cardialgie. Parvenus aux intestins, ils occasionnent des diarrhées, souvent terminées par la dyssenterie. La magnésie, la craie, une légère eau de chaux, les coquilles d’œufs & d’huitres calcinées, en un mot toutes les terres absorbantes, sont les remèdes indiqués dans ces cas. Ces substances alkalines s’unissent dans l’estomac avec les acides qu’il contient en surabondance ; & de leur union il en résulte un sel neutre, & ce sel est purgatif & agit comme tel. Si ces moyens sont insuffisans, il faut recourir à l’émétique.

Les enfans sont très-sujets à l’acidité, parce que leurs alimens sont de nature à devenir acides, à aigrir dans l’estomac. On reconnoît qu’un enfant est tourmenté par l’acidité, lorsqu’il est inquiet, qu’il s’agite, se courbe, gigotte des pieds, crie par accès, dort mal, crie après le teton & le laisse aussitôt. Dans cet état les selles sont verdâtres, ou le deviennent bientôt. Ses linges sont teints de couleur verte lorsqu’ils sont secs. L’enfant exhale une odeur aigre, ainsi que les rots qu’il pousse de tems en tems. Si cet état dure, les excrémens tiennent d’une nature dyssentérique. Lorsqu’un enfant lâche plus d’urine que de coutume, il a des tranchées. On doit regarder ce symptôme comme un effet probable de la constipation. De prompts secours sont nécessaires, autrement les tranchées se termineroient par des convulsions. Un enfant qui a des tranchées, ne veut ordinairement pas teter. Si on le tient droit devant sa nourrice, il prend volontiers le teton & tete jusqu’à se rassasier. On doit ces excellentes observations à M. Buchan, docteur en médecine à Édimbourg. Son ouvrage intitulé, Médecine domestique, a été traduit en françois par M. Duplanil, son ami, & la traduction est fort bien faite.

Le traitement curatif se réduit à supprimer le lait, à le suppléer par du bouillon foible & avec du pain léger, & lui procurer de l’exercice. On a coutume, dans ces cas, de donner les substances absorbantes ; mais il est à craindre qu’elles ne s’arrêtent dans les intestins & n’y occasionnent la constipation, toujours dangereuse pour les enfans, & des obstructions dans le ventre lorsque la dose a été un peu forte. Il vaut mieux employer la magnésie mêlée avec les alimens.

Si l’acidité a produit des coliques, un léger lavement émollient (voyez ce mot) & quelques frictions sur le ventre faites avec la main humectée d’eau-de-vie, seront suffisantes. S’il arrivoit le contraire, on doit alors faire usage d’un peu d’eau-de-vie, mêlée avec deux fois son volume d’eau, & adoucie avec du sucre. La dose est d’une cuillerée à café. L’eau de cannelle sucrée peut être donnée à la place de l’eau-de-vie. Un soin important à avoir, c’est de commencer le traitement par des émolliens, & on sera toujours assez à tems de recourir aux échauffans, aux stimulans.

L’acidité qui tyrannise les enfans, leur est souvent communiquée par la nourrice. Les alimens des gens de campagne sont souvent aigres, & cette aigreur vient de la trop grande quantité de levain mise dans le pain. Celui de seigle est plus sujet à cette aigreur que celui fait avec le froment. Les nourrices qui boivent beaucoup de vin, ou du vin aigre, ou du petit vin, sont sujettes à avoir un lait aigre, ainsi que celles dont la principale nourriture a pour base le lait aigre. Femmes, soyez mères ; nourrissez vos enfans ; ne les confiez pas à des mercenaires, & vos enfans vivront.

Les remèdes acides sont, comme on l’a dit, tirés des minéraux, des animaux & des végétaux. Les plus doux sont de cette dernière classe, après les acides animaux. L’effet des acides est de coaguler les substances animales, de prévenir la dissolution du sang, de tempérer son effervescence & celle de la bile ; ils réveillent l’action du suc gastrique lorsqu’il est trop aqueux, agacent les tuniques des intestins, aident à la digestion. La couleur du visage semble indiquer, en général, l’usage que l’homme doit faire des acides, ou comme alimens, ou comme remède. Ceux dont le visage est rouge, animé, s’en trouveront très-bien ; ils sont nuisibles, au contraire, à ceux dont la pâleur est l’habitude du visage.

L’usage des acides minéraux n’est pas sans inconvéniens, à moins qu’ils ne soient adoucis par une quantité d’eau simple. Tous les acides trop concentrés, sont un poison ; ils corrodent l’estomac, les intestins : dans ce cas, le beurre, la graisse, l’huile douce, sont leur contre-poison.

Il est prudent d’ordonner les acides dans toutes les maladies produites par l’inertie des solides & par l’effervescence des humeurs quelconques ; telles sont les fièvres putrides & inflammations, les érysipèles, les diarrhées bilieuses, les convulsions, le scorbut, les coliques néphrétiques, les coliques venteuses, les dyssenteries épidémiques, les hémorragies, les palpitations de cœur.

On doit bien se garder de les prescrire & de les donner dans le tems de la digestion, ni les ordonner aux sujets hystériques ou hypocondriaques.

Dans la pulmonie, les acides végétaux, tels que les pommes, les oranges, les citrons, produisent de très-bons effets ; & on ne doit pas craindre d’en donner autant que l’estomac du malade peut en supporter.

Dans des fièvres malignes, il est important d’asperger le lit & la chambre des malades, d’y faire évaporer du vinaigre.

On devroit employer, plus qu’on ne le fait, les acides pour les bestiaux. Presque toutes les épizooties (voyez ce mot) les exigent, parce qu’elles sont presque toutes alkalescentes, putrides & même pestilentielles. Pour en prévenir les effets, il seroit à propos, lorsque les chaleurs de l’été & même du printems, suivant les climats, commencent à être vives, d’ajouter du vinaigre dans leurs boissons, jusqu’à ce que l’eau ait contracté une agréable acidité ; d’autres fois, d’ajouter un peu de sel de nitre, & ainsi varier leurs boissons. Les animaux sentent leurs besoins & ce qu’il leur convient : s’ils sont auprès des eaux gaseuses ou acidules, ils abandonnent les autres fontaines, & vont constamment s’abreuver à celles-là.

Il est encore essentiel de ne pas refuser du vinaigre aux hommes employés à travailler la terre pendant les grandes chaleurs ; aux moissonneurs, aux batteurs de bled, à ceux qui nettoyent des mares, des bourbiers, &c. On a grand soin de ses animaux, &, parce que des hommes sont à gage ou à journée, on se croit dispensé de veiller à la conservation de leur santé. Quelques pintes de vinaigre coûteront bien peu aux propriétaires, & ils préserveront leurs ouvriers de plusieurs maladies, & peut-être de la mort. Plus vous paroîtrez veiller & vous intéresser à la santé des individus qui travaillent pour vous, plus ils vous seront attachés, & mieux ils travailleront.