Cours d’agriculture (Rozier)/ACHÉES, LAICHES ou VERS DE TERRE


ACHÉES, LAICHES ou VERS DE TERRE, animal à sang blanc que les zoologistes ont placé dans la classe des vers libres ou sans coquilles, et dont ils ont formé un genre particulier connu sous le nom de lombric, lombricus L. Son caractère est d’avoir un corps long, cylindrique, formé d’anneaux, ayant les articulations garnies de cils courts ou d’épines très-petites à peine visibles, une bouche simple, presque terminale et privée de tentacules. Ce genre n’est encore composé que d’un petit nombre d’espèces connues, dont fait partie le lombric commun ou ver de terre ordinaire, objet de cet article. Sa longueur la plus actuelle, dans son état parfait, est de six à huit pouces, sur deux à trois lignes de diamètre. Il est de couleur rougeâtre, et son corps porte huit rangées de petites épines disposées longitudinalement.

Tous les cultivateurs, et particulièrement les pépiniéristes et les jardiniers, savent le tort que font les vers de terre aux semis nouvellement établis soit en pleine terre, soit en pots ou dans des caisses. En creusant leurs galeries souterraines, ils détruisent non seulement les plantages qui se trouvent sur leur passage, mais encore font périr celles qui se trouvent dans le voisinage, en établissant des conduits qui détournent l’eau de sa destination, et rendent nul l’effet des arrosemens qu’on leur donne. Il est donc avantageux de connoître les moyens de détruire ces vers. Il en est plusieurs dont on peut faire usage. Le premier consiste à visiter, la nuit, à la lumière d’une lanterne sourde, les nouveaux semis. Les vers se promenant alors sur la surface de la terre, il sera facile de les prendre et de les mettre dans une terrine, à mesure qu’on les ramassera ; mais il faut que cette chasse soit faite en silence ; le moindre bruit suffit pour les faire rentrer dans leurs galeries souterraines. En répétant cette recherche trois jours de Suite, on parvient à se débarrasser de ces animaux pour plusieurs mois. Il est bon d’observer qu’ils ne sortent point la nuit, lorsque la terre est sèche, ou qu’il fait du vent.

Le deuxième moyen produit à peu près le même effet ; mais il est sujet à quelques inconvéniens. On prend un pieu de quatre à cinq pieds de long et de quatre à cinq pouces de diamètre, affilé par un bout ; on l’enfonce de douze à quinze pouces dans les endroits où les vers occasionnent des dommages, et on l’agite en tous sens, sans interruption, pendant un demi-quart d’heure. Les vers qui se trouvent à la circonférence d’une toise, sortent à la surface, et on les prend avec facilité.

Un troisième moyen est de frapper avec une bûche ou un maillet, pendant huit à dix minutes environ, toujours à la même place et sans remuer les pieds. Celui-ci peut être pratiqué pour les semis en caisses ou en pots. En frappant les parois extérieures des vases, on en fait sortir les lombrics.

Le quatrième moyen ne peut être mis en usage que dans le temps où il y a des noix vertes. Prenez-en un quarteron ou deux ; râpez-en le brou dans un seau ou tout autre vase plein d’eau, dans laquelle vous le laisserez infuser quelques jours. Portez ensuite cette eau sur les lieux où il y a des vers, et répandez-la avec un arrosoir à pomme. L’amertume de cette eau fera sortir les achées dans l’espace d’un quart d’heure.

On prétend aussi que les infusions de feuilles de noyer, d’aristoloche clématite, de tabac et de chanvre, produisent le même effet. Mais un agronome anglais assure que l’expérience a prouvé l’inutilité des décoctions des feuilles du chanvre.

Quelques personnes recommandent de faire bouillir du vert-de-gris dans du vinaigre, pour en asperger les terrains infestés d’achées ; cette liqueur les empoisonne dans leur galerie et en purge le terrain. Mais ce remède d’abord trop dispendieux pour être employé en grand, peut occasionner des accidens plus dangereux que le mal ; il est prudent de ne point s’en servir. On recommande encore de faire tremper les graines, avant de les semer, dans de l’eau où l’on a mis de la chaux tamisée. Cette espère de chaulage donne aux graines un goût qui subsiste longtemps et en écarte les vers. Ce moyen, très-bon pour détruire les germes de la carie des grains, ne doit produire que peu d’effet sur les achées, parce que ces animaux ne recherchent point les semences pour les manger ; ils ne vivent que de terre.

Enfin, un des moyens les plus sûrs de préserver les semis qui se font dans des terrines ou des pots du ravage des vers de terre est de n’employer que des vases de cette espèce, percés à leurs fonds de fentes étroites par lesquelles ils ne puissent s’introduire.

Usages. Les lombrics sont cités, dans quelques matières médicales, comme apéritifs, sudorifiques, diurétiques, lorsqu’on les a fait infuser dans du vin blanc ; comme propres à fortifier les nerfs et les jointures, lorsqu’ils ont été infusés dans huile d’olive ; comme très-efficaces contre les rhumatismes goutteux, et la fièvre tierce, lorsqu’ils sont réduits en poudre ; enfin, comme amenant les panaris à suppuration, lorsqu’ils sont appliqués en vie autour du doigt ; mais tous ces remèdes sont presque abandonnés aujourd’hui. Dans quelques contrées de l’Inde, les hommes mangent les vers de terre crus ou cuits, et assaisonnés de différentes manières. En Europe, on ne les emploie guères qu’à la pêche et à la nourriture de la jeune volaille.

Toutes les espèces sont également bonnes pour la pêche, mais il faut proportionner la grosseur des individus au genre de poisson qu’on désire se procurer. Les plus gros doivent être réservés pour les lignes dormantes que l’on tend pour prendre les carpes, les barbeaux, les anguilles, etc. Il faut toujours avoir soin de les attacher à l’hameçon de manière qu’ils restent en vie le plus long-temps possible ; car les mouvemens qu’ils se donnent pour se dégager influent beaucoup sur le succès de la pêche. Les pêcheurs ont plusieurs secrets pour rendre les vers de terre plus appétissans pour les poissons. Un d’eux est de les mettre quelques jours, avant que de les faire servir d’appâts, dans de la terre où l’on a mélangé du pain de chènevis, c’est-à-dire la matière qui reste après qu’on a exprimé l’huile des graines du chanvre. (Thouin.)

Ces trois dénominations d’Achées, Aiches ou Laiches, sont également appliquées par les pêcheurs aux vers de terre dont ils se servent comme un des meilleurs appâts. Ils emploient différens procédés pour se procurer de ces vers. C’est principalement dans les prés frais et les lieux ombragés que l’on doit les chercher ; on y enfonce un piquet auquel on fait décrire un cercle par le bout que l’on tient à la main ; ce mouvement fait sortir les vers. Le trépignement des pieds, les coups de batte dont on frappe la terre, l’arrosement avec de l’eau salée, avec une forte décoction de feuilles de noyer, ou avec du vinaigre dans lequel on a fait bouillir du vert-de-gris, produisent le même effet. On trouve aussi les vers sous les pots et les caisses des jardins, et en se promenant la nuit après une pluie ou un brouillard, une lanterne à la main, dans les allées d’un jardin ou sur un pré.

Lorsqu’on a fait provision de vers de terre, on peut les conserver vivans assez long-temps, même pendant un mois, en les niellant dans un pot de terre garni de mousse qu’il faut renouveler, ou du moins bien laver, et ensuite presser fortement pour en exprimer l’eau, tous les trois ou quatre jours en été, et toutes les semaines en hiver. Au lieu de mousse, on se sert avec avantage, pour garder les vers, d’un morceau de grosse toile à sac, lavée, puis trempée dans du bouillon de bœuf, enfin légèrement pressée et tordue ; on enveloppe les vers de cette toile ; on la met dans un pot de terre, et, chaque jour, on la trempe de nouveau dans le bouillon de bœuf.

Il est bon de laisser les vers se vider, avant de les employer à la pêche ; ceux qui sont gardés valent mieux que ceux qui viennent d’être pris. Si cependant l’on est pressé de s’en servir, on les laisse dans l’eau pendant une nuit, et on les porte au lieu de la pêche dans un petit sac où l’on a mis du fenouil. Des auteurs anglais recommandent d’ajouter un peu de camphre dans le sac qui sert à porter les vers ; cette substance leur communique, dit-on, une odeur que les poissons aiment beaucoup. (S.)