Cours d’agriculture (Rozier)/ABUTILON


ABUTILON, Sida L. Genre de plante que Tournefort a placé dans sa première classe, laquelle renferme les herbes et sous-arbrisseaux dont les fleurs sont monopétales campaniformes. Il fait partie de la sixième section et constitue le cinquième genre. Lionnæus l’a placé dans sa seizième classe ou monadelphie, et dans la division des polyandres dont il forme le cinquième genre. Enfin, dans l’ordre naturel, l’abutilon appartient à la belle et grande famille des malvacées. Son caractère distinctif est d’avoir un calice simple, un style multifide et plusieurs capsules monospermes disposées orbiiculairement et formant le fruit.

L’abutilon ordinaire, (Lam. Dict. n°. 2, Sida abutilon L.) la seule plante de ce genre nombreux en espèces qui soit employée dans les arts, se distingue par les caractères suivans :

Fleurs, axillaires, d’un jaune doré, dont le limbe du pétale ne déborde le calice que de quelques lignes. Celui-ci, formé d’une seule pièce, offre dix angles saillans.

Fruit, composé de douze à quinze capsules velues et noirâtres, qui renferment des semences brunes et arrondies.

Feuilles, en cœur, pointues, crénelées sur leurs bords, molles, tomenteuses, pendantes, et d’un vert pâle. Elles sont portées sur des pétioles qui égalent leur longueur.

Port. Les tiges sont droites, cylindriques, creuses, d’une consistance ligneuse, verdâtres, couvertes d’un duvet très-fin et blanchâtre. Elles sont peu rameuses, et s’élèvent depuis un pied de haut jusqu’à sept, suivant la nature des terrains, le degré d’humidité et la chaleur des climats.

Lieu. Cette plante, suivant Linnæus, croît en Helvétie, en Sibérie, et dans les Indes-Orientales ; elle est naturalisée dans plusieurs jardins du midi de la France, où elle se propage sans culture, au moyen de ses graines qui se ressèment d’elles-mêmes. Sa végétation s’effectue complètement dans l’espace de quatre à cinq mois d’une chaleur vive, ce qui la range dans la série des plantes annuelles.

Propriétés. Toutes les parties de cette plante renferment un mucilage doux, onctueux et rafraîchissant, de même que la plupart des végétaux de cette famille, sont employées, mais particulièrement les jeunes pousses, comme émollientes, propres à détendre et amollir les parties durcies par des inflammations locales. On s’en sert, en médecine, dans les rétentions d’urine, et pour faciliter l’écoulement de cette sécrétion.

Usages économiques. Les Chinois tirent de l’abutilon ordinaire une filasse dont ils font des cordes qui coûtent moins cher que celles faites avec les fibres du chanvre qu’ils cultivent aussi pour cet usage, en même temps que plusieurs autres plantes, parmi lesquelles le corchorus cultivé (corchorus olitorius L.) tient un rang distingué.

M. l’abbé Cavanilles, botaniste espagnol distingué, a fait à Paris des expériences sur la force comparée des fibres de l’abutilon avec celles du chanvre ordinaire. Voici ce qu’il dit dans son Mémoire, lu à l’Académie des Sciences de Paris, le premier février 1786, et imprimé dans le Journal de Physique, du mois de mai suivant.

« J’ai fait une grosse ficelle d’abutilon, d’une ligne de diamètre, et une petite corde dont le diamètre étoit double ; les ayant chargées de poids qui se trouvoient à trois ou quatre pieds de distance du point de suspension, la plus mince ne put soutenir, sans casser, que quarante-une livres, et la seconde cent quarante livres ; ayant fait ensuite les mêmes expériences sur des cordes de chanvre d’égal diamètre, la plus mince cassa en soutenant cent quatre livre, et la plus forte quatre cent trente-huit livres ; en sorte que, par cette première expérience, la force entre l’abutilon et le chanvre étoit comme deux à cinq par rapport aux plus minces, et comme un à trois par rapport aux autres.

» J’ai voulu essayer, continue M. Cavanilles, si mon abutilon gagneroit ou perdroit de sa force, en le faisant séjourner dans l’eau ; en conséquence, j’ai mis dans l’eau, pendant vingt-quatre heures, les quatre cordes d’abutilon et de chanvre, et j’ai obtenu les résultats suivans, pour les plus minces : abutilon, quarante-huit livres ; chanvre, quatre-vingt-seize livres ; pour les plus fortes : abutilon, cent quatre-vingt-cinq livres ; chanvre, trois cent soixante-seize livres. Ainsi, la force de l’abutilon s’est augmentée dans l’eau, et celle du chanvre a diminué au point que celle-ci n’étoit que double, du triple qu’elle étoit à sec. »

M. Cavanilles attribue l’infériorité de la force des cordes de son abutilon, à deux causes principales : la première, à ce que les plantes dont il a tiré la filasse qui les composoient, n’étoient pas parvenues au point de maturité convenable ; et la seconde, à ce qu’il a laissé rouir pendant trop long-temps les tiges de ces plantes, ce qui les a privées du gluten qui contribue à leur donner de la souplesse et de la force. Ainsi, on ne doit, comme l’auteur l’annonce lui-même, regarder ses expériences que comme des tentatives qui mettent sur la voie, pour en faire d’autres dont les résultats seront sans doute plus satisfaisans.

Culture. M. Cavanilles pense qu’il y auroit de l’avantage à cultiver l’abutilon, ainsi que plusieurs autres malvacées qui lui ressemblent, dans des terrains fertiles, et à la manière des autres plantes textiles ; mais en même temps il propose de les abandonner à la nature, après les avoir semées sur des lieux incultes, tels que les berges des fossés, les bords des ruisseaux, et les marais abandonnés par excès d’humidité.

Dans le premier cas, la culture en grand de l’abutilon seroit à peu près la même que celle qu’on donne au chanvre, et il est très-probable qu’elle réussiroit. Ces deux plantes ont, à peu de chose près, les mêmes facultés et les mêmes habitudes, soit pour la durée, et le degré d’humidité qui leur convient, soit pour leur culture. L’abutilon est seulement un peu moins délicat sur le choix du terrain, et n’est pas aussi sensible aux impressions de la gelée que le chanvre. Cette propriété intéressante doit apporter quelques changemens dans l’époque de son semis. Ou pourroit l’effectuer de douze à quinze jours plus tôt que celui du chanvre, et le cultiver dans des pays plus septentrionaux. Mais, avant que d’entreprendre la culture en grand de l’abutilon, ainsi que des autres malvacées, il seroit utile de s’assurer par des expériences comparatives, suivies avec exactitude, 1°. de la qualité de leur filasse, de ses usages, et de sa durée ; 2°. de la quantité de leurs produits ; 3°. et, enfin, de la valeur numérique de ces mêmes produits. Les essais du botaniste espagnol n’offrent aucune donnée à cet égard, et il est encore douteux que cette culture soit aussi productive que celle du chanvre. Si elle ne lui étoit inférieure que d’un tiers de produit net, ces plantes mériteroient d’être cultivées, à cause de la faculté qu’elles offriroient aux cultivateurs d’alterner leurs cultures de plantes textiles, dont le nombre est si restreint en Europe ; propriété précieuse qui fait la base et la richesse des différentes branches de l’agriculture.

Le deuxième mode de culture, proposé par M. Cavanilles, est sans doute très-expéditif et peu coûteux ; mais son produit ne seroit-il pas aussi mince que la dépense sur laquelle il seroit établi ? On n’obtient des libres longues, belles et fines, propres à la bonne filature, que de plantes qui, ayant crû très-rapprochées les unes des autres, ne fournissent point de branches latérales. Les malvacées, abandonnées à elles-mêmes, croissant isolément, formeroient des plantes rameuses dès leur base, et par conséquent peu élevées. Elles ne fourniroient qu’une filasse difficile à extraire, très-courte, de mauvaise qualité, et de peu de valeur. D’ailleurs, les bords des fossés et des ruisseaux sont ordinairement très-utiles pour diverses sortes de cultures non moins intéressantes que celle des plantes filamenteuses. La guimauve, seule de cette famille, et peut-être la ketmie des marais, (hibiscus palustris L.) en raison de ce qu’elles sont vivaces, et que les racines de la première ont une valeur dans le commerce, pourroient être employées à cet usage. Quant aux marais abandonnés par excès d’humidité, dans lesquels M. de Cavanilles recommande de semer ces malvacées, il est bien plus utile à l’agriculture de les planter en arbres aquatiques qui, en exhaussant insensiblement le terrain, le soustraient aux eaux stagnantes, fournissent des produits plus considérables aux propriétaires, et préparent aux générations suivantes des climats sains et des sols fertiles. (Thouin.)