Cours d’agriculture (Rozier)/ABSINTHE

Hôtel Serpente (Tome premierp. 202-205).


ABSINTHE, (la grande) ou Romaine, ou Aluyne. Absinthium Ponticum, seu Romanum, seu Dioscoridis. Telle est la phrase latine sous laquelle Charles Bauhin la fait connoître. M. Tournefort l’a placée dans la douzième classe de sa Méthode, qui comprend les fleurs flosculeuses. (Voyez au mot Systême) M. le chevalier Von Linné la classe dans la Syngénésie polygamie superflue. (Voyez au mot Systême) Il l’appelle arthemisia absinthium. (Voyez pl. 5)[1].

Fleur, composée, flosculeuse ; fleurons hermaphrodites dans le disque, femelles à la circonférence. Les fleurs sont rassemblées dans un calice commun, obrond, globuleux dans cette espèce ; les écailles du calice rondes, réunies les unes sur les autres, comme le sont en recouvrement les tuiles sur un toit. A, représente la fleur entière, c’est à-dire, la réunion des différentes fleurs portées par le même calice ; B, c’est la même fleur vue de face ; C vue de profil. Chacun des fleurons D est un tube menu à sa base, renflé vers le milieu, évasé en soucoupe à son extrémité supérieure, & divisé en cinq segmens pointus. Le pistil E est placé au centre, & son sommet ou style est terminé par deux stigmates courbes.

Fruit, Les semences F sont solitaires dans chaque fleuron, placées dans le calice sur un réceptacle velu.

Feuilles, pétiolées, blanchâtres, composées, découpées par paire, & terminées par une impaire. Les découpures des feuilles diminuent à mesure que la tige s’élève ; & au sommet, elles sont entières & oblongues.

Racine, ligneuse, fibreuse & pivotante.

Port de la plante. Les tiges s’élèvent à la hauteur de deux ou trois pieds, suivant la nature du terrain ; elles sont cannelées, fermes, ligneuses, branchues, blanchâtres, pleines d’une moelle blanche. Les feuilles sont alternes ; les fleurs sont axillaires, presque rondes, pendantes & pédunculées.

Lieu. Les terrains incultes, arides. Cette plante est vivace ; on la multiplie de semences & de drageons. Il faut la cueillir lorsqu’elle est en fleur.

Propriétés. La plante est amère, aromatique, odorante, anti septique, vermifuge, fébrifuge, stomachique, antiémétique. Les feuilles sont beaucoup plus actives que celles de la petite absinthe, dont on parlera tout-à-l’heure, Elles excitent moins le cours des urines, & fatiguent davantage les estomacs délicats. Leur usage est souvent suivi de coliques, parce qu’il échauffe beaucoup, diminue l’expectoration, constipe souvent. Il réveille fortement les forces vitales & musculaires, ranime l’appétit détruit ou diminué par des humeurs pituiteuses.

Usage. On se sert communément pour l’homme, de toute la plante, des feuilles, des sommités fleuries & des semences. Elles sont indiquées dans les maladies où la petite absinthe n’agit pas avec assez de succès par défaut d’activité, & elles sont contr’indiquées dans les maladies convulsives, les maladies inflammatoires, & particulièrement chez les enfans. Extérieurement, elles favorisent quelquefois la résolution des tumeurs peu sensibles & des tumeurs inflammatoires lentes à se résoudre par foiblesse.

Préparations. On fait avec l’absinthe un vin, un sirop, une conserve, un extrait, une huile par infusion, une eau distillée, & on en retire une huile essentielle & un sel. ( Voyez les mots Conserve, Extrait, & vous y trouverez la manière de les préparer. )

La dose du vin est depuis deux onces jusqu’à six ; celle de la conserve, depuis une drachme jusqu’à une once. Elle est recommandée dans toutes les maladies où l’infusion des feuilles est indiquée ; c’est une préparation dont on ne devroit jamais se servir, parce qu’elle fatigue ordinairement l’estomac & échauffe beaucoup…… L’extrait se donne depuis six grains jusqu’à une drachme. Il tue souvent les vers contenus dans les premières voies ; il irrite & cause quelquefois des douleurs plus ou moins vives dans la région épigastrique.

L’huile par infusion est employée pour des onctions ; elle ne produit pas des effets sensibles dans les maladies de foiblesse & dans les douleurs rhumatismales. C’est à peu de chose près une préparation inutile.

L’eau distillée n’a pas plus de vertu que l’eau dans laquelle on a fait infuser la plante.

L’huile essentielle, prise intérieurement, échauffe, enflamme & corrode ; en onction, elle augmente quelquefois la sensibilité dans les parties affoiblies par des humeurs séreuses. Cette huile est d’un verd foncé lorsqu’on la tire de la plante fraîche, & d’un jaune brun si on se sert de la plante sèche.

Le sel d’absinthe obtenu par l’incinération de la plante, n’a pas plus de vertu que tous les autres sels des plantes obtenus par cette voie ; c’est-à-dire, c’est un sel alkali fixe. Sa dose est depuis quatre grains jusqu’à demi-drachme dans huit onces d’eau.

On peut donner aux bœufs & aux chevaux le vin d’absinthe, à la dose d’une livre & demie ; le sel d’absinthe à celle de deux drachmes, dans quantité d’eau proportionnée ; & la poudre des semences à la même dose.

Observations curieuses. M. Daniel Major, professeur de botanique de l’université de Kiel, dit avoir vu chez un chimiste de Padoue, un sel lixiviel d’absinthe, qui, par des dissolutions & des filtrations réitérées, avoit acquis la pureté & la transparence du cristal. Ce sel étoit remarquable par sa figure. Peut-être y avoit-il ajouté une petite quantité de nitre. C’étoit un amas d’aiguilles ou petites colonnes quadrangulaires, coniques, traversées par des barres d’un demi-pouce de longueur, surmontées par d’autres plus petites. L’extrémité supérieure de la colonne excédoit un peu cette seconde barre, de telle façon que les cristaux de ce sel ressembloient parfaitement à des croix.

Olaus Borrichius rapporte qu’une dame ayant pris tous les jours, sur la fin de sa grossesse, trente gouttes d’extrait d’absinthe dans un bouillon, pour se fortifier l’estomac, accoucha à terme d’une fille qu’elle voulut nourrir ; mais comme l’enfant tetoit avec répugnance, souffroit des tranchées continuelles, avec un dévoiement opiniâtre, & rendoit toujours des matières vertes, on lui donna une autre nourrice, & tous les symptômes fâcheux disparurent. La mère goûta son lait pour examiner s’il avoit quelque mauvaise qualité ; elle le trouva amer comme du fiel, ainsi que tous ceux qui le goûtèrent.

Pline rapporte que l’absinthe étoit très-amère en Italie ; mais que dans le Pont, où sa moelle étoit douce, le bétail s’engraissoit à force d’en manger, & sa chair ne contractoit aucune amertume. Quoique la petite absinthe soit moins amère que la grande, ce n’est pas en raison de la prétendue douceur de sa moelle que le bétail pouvoit avoir du goût pour l’absinthe : au contraire, il semble rechercher avec avidité l’amertume. Le mouton mange le marron d’Inde, dévore l’olive, même avant sa maturité, & certainement ces deux fruits sont excessivement amers. On lit dans le Voyage de M. Bell d’Anfermony, que les chevaux de l’armée russe, après avoir mangé de l’absinthe, moururent presque subitement, ou dans le jour.

Usages économiques. Plusieurs brasseurs substituent les fleurs de l’absinthe, & même ses feuilles & ses tiges, à la fleur du houblon, dans la fabrication de la biere ; & cette biere porte à la tête ; elle est enivrante. Quelques paysans en ajoutent au vin nouveau lorsqu’ils craignent que le vin ne se conserve pas.


  1. Nous prévenons, une fois pour toutes, que les dessins des plantes médicinales sont levés d’après la superbe collection des plantes gravées par madame de Nangis-Regnault. Son ouvrage est intitulé : La Botanique mise à la portée de tout le monde. Si nous avions connu des dessins plus exacts, plus conformes à la nature, nous les aurions fait copier. Chaque plante, dans l’ouvrage de madame Regnault, est dessinée & coloriée sur le grand papier in folio, & la description de la plante est du même format. Cette précieuse collection se vend chez l’auteur, à Paris, rue Croix-des-Petits-Champs.