Cours d’agriculture (Rozier)/ŒILLET

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 144-159).


ŒILLET. Von-Linné le classe dans la décandrie digynie, & le nomme dianthus. Tournefort le place dans la première section, de la huitième classe des herbes à fleurs en œillet dont le pistil devient le fruit, & il l’appelle caryophyllus.


CHAPITRE PREMIER.

Caractère du Genre.


L’œillet a un double calice ; celui qui touche à la tige est formé ordinairement par quatre petites écailles pointues. Elles emboîtent un second calice cinq à six fois plus long, fait en tube, quelquefois lisse, quelquefois cannelé, terminé à son sommet par quatre ou cinq dentelures aiguës.

Les pétales au nombre de cinq dans les œillets simples, sont portés par des onglets, & correspondent à la partie inférieure du calice. Ces onglets sont rarement colorés ; ils vont en s’élargissant de leur base à leur sommet ; & dès qu’ils sont parvenus à l’extrémité supérieure du grand calice, leur largeur augmente au point que les pétales se touchent malgré leur épanouissement. Alors ils se courbent horizontalement, & laissent voir à l’ouverture du calice dix étamines & les deux pistils qui les surmontent. Les deux pistils correspondent par leur base à une proéminence ou péricarpe placé au fond du calice. C’est une capsule cylindrique, ouverte, à une loge qui s’ouvre à son sommet par les quatre côtés, & qui renferme des semences aplaties, rondes & noires.


CHAPITRE II.

Des Espèces.


On doit les diviser en deux classes ; l’une comprend les espèces naturelles, & reconnues pour telles par les botanistes ; l’autre, les espèces dont l’art de la culture a enrichi nos parterres ; & ce sont des espèces jardinières. (Voyez ce mot)

Von-Linné compte dix-huit à dix-neuf espèces du premier ordre. Dans ce nombre sont comprises quelques espèces naturelles, cultivées par les fleuristes, telles que l’œillet des Chartreux, à plume, &c. dont il sera fait mention ci-après. Quant aux autres espèces qui croissent spontanément dans les champs, sur les montagnes, &c. & qui n’offrent aucune décoration pour les jardins, il n’en sera pas question ici ; leur description est du ressort d’un Dictionnaire de botanique, & non pas de celui-ci. Je ne parlerai donc que des espèces naturelles & jardinières qui servent à la décoration.

L’œillet à couronne, ainsi nommé, parce que l’arrangement de ses pétales semble former une couronne lorsque la fleur est double ; ou giroflée, à cause de son odeur agréable & forte qui approche de celle du girofle, ou à ratafia, parce que c’est avec ses fleurs que les confiseurs composent le ratafia de ce nom ; cet œillet, dis-je, me paroît être le type de toutes les espèces jardinières.

Cette espèce que je prends pour type, est à fleurs simples dans son origine, composées de cinq pétales, dentelées à leur extrémité ; les écailles inférieures qui embrassent le vrai calice, sont courtes & presqu’ovales… ; ses feuilles sont très-entières, linéaires, pointues, d’un vert tendre… ; sa racine rameuse, très-fibreuse… ; ses tiges s’élèvent communément à deux pieds de hauteur, droites, lisses, articulées ; les nœuds d’un vert clair, & servent de points d’appui à deux feuilles opposées… Les feuilles qui partent du collet de la racine avant l’ascension de la tige, sont disposées circulairement, & sont en recouvrement les unes sur les autres… ; les fleurs naissent solitaires, & partent des rameaux qui naissent de l’aisselle de la feuille réunie à la tige… ; elles varient pour leur couleur, du blanc jusqu’au pourpre le plus foncé… On croit cette plante originaire d’Italie. Von-Linné nomme cette espèce dianthus caryophyllus ; lorsqu’elle est à fleur simple, dianthus caryophyllus B, coronarius lorsqu’elle est à fleur double. Tournefort l’appelle caryophyllus hortensis simplex, flore majore.

Cet œillet à fleur double, est encore appelé grenadin par les fleuristes, sans doute, parce que la couleur de sa fleur approche souvent de celle de la grenade dont cependant, elle n’a jamais l’éclat. Je lui conserve la dénomination de Grenadin, afin de ne pas multiplier inutilement une nomenclature déjà très-compliquée.

La bonne culture, l’excellence du sol, la différence de climats, & des hasards heureux, en supposant que la nature produise quelque chose au hasard, ce que je ne crois pas, ont fait varier à l’infini cette espèce que je prends pour type.

Le grenadin à fleur simple, a produit celui à fleur double qui, malgré la multiplicité de ses pétales, ne laisse pas de produire des semences. Sa largeur n’excède ordinairement pas celle d’un écu de trois livres. Tous les œillets, quelle que soit la couleur de leurs fleurs, qui n’excèdent pas la grandeur qu’on vient d’indiquer, & qui conservent la même forme, conservent le nom de grenadins.

Les semences du grenadin à fleurs doubles jusqu’à un certain point, ont produit les œillets à houppe, c’est-à-dire, ceux dont tous les pétales sont presque égaux, & dont la forme dans leur arrangement ressemble à celle d’une houppe. Ces nouvelles espèces jardinières ont singulièrement varié pour la grosseur de la fleur & pour les couleurs. Le calice de ces espèces se fend très-rarement par un de ses côtés, & la fleur s’épanouit très-bien sans le secours de l’homme.

Le second genre de variété bien caractérisé, est composé par les œillets dont la fleur est très-ample. Son caractère est d’avoir, à la circonférence de la fleur, des pétales dont le limbe est très-large, & dans le centre de ces pétales déjà renfermés dans le calice commun, un, deux, trois & même quatre petits calices qui renferment autant de petites fleurs à pétales très-courts & très multipliés qui garnissent le centre. Ce genre de variété fournit ordinairement les fleurs les plus amples, & donne au cultivateur beaucoup de soins & de peines, afin de mettre la fleur en état de figurer sur un amphithéâtre. Nous l’appellerons œillet à plusieurs fleurs, ou œillet prolifère, ou encore le grand œillet.

Il me paroît qu’on peut rapporter à ces trois formes, toutes les espèces cultivées dans les jardins.

Il ne faut pas confondre avec cette espèce prolifère, un grenadin assez rare qui pousse du centre de sa fleur une tige de deux à trois pouces de hauteur, & au haut de laquelle on voit naître, végéter & fleurir une autre espèce en tout semblable à la première. Celui-ci mérite certainement plus que tout autre, le nom de prolifère. Les autres en diffèrent parce que ce sont des fleurs écrasées, & qui ne se détachent pas du fond.

Il y a encore une variété de grenadin bien singulière, dont les écailles inférieures du calice se multiplient beaucoup, de sorte que le sommet de la tige ressemble à un épi quarré, sans barbe, & au haut de laquelle la fleur épanouit. Cet épi a quelquefois depuis un jusqu’à deux pouces de longueur ; c’est là tout son mérite. Malgré cela, il a été pendant quelque temps fort recherché par les fleuristes ; mais dès qu’il est devenu commun, ils l’ont proscrit au point que l’espèce en est peut-être perdue.

La manière d’être des couleurs a établi de nouvelles distinctions dans les espèces jardinières, cependant subordonnées à leur forme. On les a divisées en fleurs à une seule couleur, en fleur de couleur piquetée, & en fleur à panache, de couleur différente de celle de la fleur. Ainsi on dit un grenadin, un grand œillet, &c. quand il est d’une seule couleur ; piqueté, panaché, quand il est de deux couleurs. On appelle bizarres ceux dont le piquetage ou les panaches sont de trois ou quatre couleurs différentes. Enfin, les œillets de couleur jaune, forment un ordre à part. On a commencé à avoir un grenadin jaune-paille, ensuite le piqueté, le panaché. De leur semis on a retiré l’œillet jaune, houppé, piqueté & panaché. Je ne sais s’il existe aujourd’hui un œillet jaune prolifère ; il y a trop long-temps que j’ai abandonné la culture des fleurs, pour être au courant de leur découverte.

Ces espèces jardinières que l’on différencie par les couleurs, varient souvent d’une année à l’autre, sur-tout pour les panachées ; sans doute parce que la saison, ou le défaut dans la culture ne leur a pas permis de se soutenir : cependant, si on multiplie ces espèces par les marcottes, si on leur donne tous les soins qu’elles demandent, elles reprennent leur première couleur. Quelle distance immense entre l’œillet type à cinq feuilles, croissant spontanément dans les champs, & l’œillet de l’amphithéâtre de quatorze à dix-huit pouces de circonférence ! Si les cultivateurs, à l’exemple des fleuristes, avoient, pour les plantes utiles, multiplié leurs attentions, nous aurions aujourd’hui des espèces aussi utiles que curieuses.

La nomenclature adoptée par les fleuristes, est un assemblage de mots vides de sens, puisque leur dénomination ne caractérise pas la fleur qu’elle doit désigner. Les noms d’Empereur, de prince de Brunswic, de Turenne, de royal, de superbe, &c. ne présentent aucune idée relative à la fleur. Ces nomenclatures, ces catalogues fastueux varient d’un pays à un autre, & doivent nécessairement varier chaque année par les semis qui sont la seule & unique manière de s’en procurer de nouvelles. Je n’entrerai donc dans aucun détail à ce sujet, puisque le lecteur qui trouveroit ici une liste de deux cents mots, n’en seroit pas plus avancé.

Seconde Espèce Naturelle, cultivée par les fleuristes. L’œillet des Chartreux, ou bouquet parfait, ou regardez-moi… Dianthus carthusianorum. Lin. Caryophillus silvestris vulgaris latifolius, Tourn. Il croît spontanément dans les endroits escarpés de l’Italie, de l’Allemagne, dans les provinces méridionales de France. Cette espèce diffère de la première par ses feuilles d’un vert plus foncé, plus larges, moins longues ; par sa tige moins haute ; elle excède rarement dans les jardins, la hauteur de douze à dix-huit pouces ; son sommet est composé d’un grand nombre de petites tiges qui se réunissent près les unes des autres ; chacune porte quatre ou cinq fleurs, & l’ensemble épanoui a la forme d’un parasol ; les écailles du calice sont ovales, barbues comme des épis, & elles sont presque aussi longues que le tube de la fleur.

Cette espèce prouve de quelle perfection sont susceptibles toutes les plantes auxquelles l’homme s’attachera avec opiniâtreté ; il faut avoir les yeux d’un botaniste exercé pour reconnoître dans les champs la plante première. On a eu raison d’appeler celle-ci bouquet parfait. Il est impossible à l’art de ranger avec autant d’adresse cette masse de fleurs ; elle figure admirablement dans les parterres, dans les plates-bandes où elle présente de belles touffes. On multiplie cette espèce en détachant, des tiges du pied principal, celles qui ont pris des racines en touchant la terre. Il vaut encore mieux les multiplier par semences, on les a plus belles.

Le bouquet parfait, à fleurs blanches, s’il est isolé, a l’air pauvre, comparé avec la richesse de couleur des autres pieds. Les couleurs principales sont le gris de lin, la couleur de chair, le cramoisi, le violet foncé, & presque toutes ont la nuance du velours, plusieurs sont piquetées. Par les semis, on a obtenu des fleurs doubles ; il faut nécessairement les multiplier par filleules.

Troisième Espèce Naturelle. L’œillet de Chine, ou mignonnette ; dianthus chinensis, originaire de Chine, naturalisée dans nos jardins où elle subsiste pendant deux ans. Les tiges maigres, fluettes, hautes tout au plus de neuf à douze pouces ; les feuilles courtes, d’un vert moins foncé que les précédentes, & plus que les premières ; fleurs solitaires dont les écailles du calice sont épaisses, & de la longueur du tube ; les pétales crénelés sur leurs bords. Cette fleur est charmante par son velouté & la beauté de ses couleurs. Si la plante est seule, elle produit peu d’effet dans les plates-bandes, dans les jardins ; il faut en réunir plusieurs ensemble. Les semis ont produit de jolies variétés à fleurs, doubles ou sémi-doubles.

Quatrième Espèce Naturelle. Œillet de plume, ou œillet à plume, ainsi nommé à cause de la multiplicité de ses pétales très-découpés, & dont les découpures imitent la barbe d’une plume. Les fleurs sont solitaires ; les écailles du calice presque ovales, très-courtes ; les pétales très-divisés, creusés en gouttière à leur base. Sur quelques individus, le bord du limbe de la fleur est légèrement coloré ; & sur d’autres, la partie qui répond au sommet des onglets, est marquée par une tache pourpre ; les feuilles sont très-étroites, pointues, de la couleur de celles de la première espèce. On multiplie l’œillet de plume par filleule & par semis, on en forme de jolies bordures. Si a soin de couper les fleurs à mesure qu’elles commencent à passer, il en repousse de nouvelles pendant long-temps.

La grandeur de la fleur est à peu près celle d’une pièce vingt-quatre sols, mais les semis en ont donné de jolies variétés à fleurs plus grandes, plus amples & plus chargées en couleur. Il est rare que le calice de ces dernières ne se fende avant l’épanouissement.


CHAPITRE III.

Du terrain propre aux semis, du choix des semences, & de la conduite des semis.


La terre que l’on trouve dans les troncs pourris des vieux saules, noyers, &c., est excellente à cause de sa légèreté & de son amas de terre végétale ou humus, (Voyez les mots Amendement & le dernier chapitre du mot Culture). Si on lève la première couche ou gazonnée d’une ancienne prairie, on aura une terre à peu près semblable, composée de débris de végétaux. Toutes espèces de feuilles réduites en terreau par la pourriture, sont excellentes. Il convient cependant d’excepter celles des noyers, des chênes & des myrtes par rapport au principe astringent qu’elles renferment. Le terreau des vieilles couches, le fumier de vache bien consommé, fournissent une bonne terre. On peut, si on est à même de se procurer ces terreaux différens, les mêler ensemble, arroser largement le monceau, & le laisser pendant une année fermenter dans un lieu couvert, mais aéré : on peut encore le cribler une ou deux fois dans l’année, afin que le mélange soit plus exact. Dans les cantons où la tourbe est commune, il est facile d’enrichir le monceau par l’addition & le mélange de cette terre végétale. Le point essentiel est d’avoir la meilleure terre végétale possible, & la plus légère.

Cette dernière assertion souffre des modifications relativement aux climats. Dans ceux du centre & du midi du royaume, cette terre devient trop perméable, l’évaporation est trop forte ; & si on n’a pas l’attention d’arroser une ou plusieurs fois dans la journée, tout est fané, grillé & perdu, parce que l’évaporation est en raison de la chaleur. Il est donc important de mêler à ces terreaux une certaine quantité de terre franche bien tamisée & proportionnée aux besoins. On a conseillé la terre prise des taupinières ; il est constant qu’elle est bien divisée ; mais si la taupe a travaillé dans un sol glaiseux, argileux, cette terre ne s’unira jamais bien avec les terreaux.

Pour semer, on choisit des pots, des caisses ou des terrines que l’on remplit de la terre indiquée suivant le climat, & après avoir passé sur les bords un morceau de planche, afin que la terre soit parallèle aux bords, des pots, on sème très-clair ; & avec un tamis à tissu terré, on fait tomber par-dessus, à la hauteur de trois à quatre lignes, la fine fleur de la terre. Peu de jours après, la totalité s’est tassée, & la circonférence des pots déborde sa hauteur.

Quand doit-on semer ? Cela dépend du climat. Dans les provinces méridionales, & dans celles du centre du royaume, à Lyon, par exemple, & dans le midi sur-tout, on peut semer dès que la graine est mûre ; elle aura germé, végété, & sera en état d’être transplantée avant l’hiver. Mais comme les saisons ne sont pas toujours également favorables, il convient de conserver au moins la moitié de la graine, afin de la semer en mars de l’année suivante. Dans les provinces du nord on ne sèmera qu’en avril & même plus tard, suivant la saison.

Les semis de la fin de février, mars ou avril, sont plus profitables que ceux faits aussitôt après la maturité de la graine. On perd, à la vérité, dans le premier cas, une année de jouissance, mais la plante n’étant pas pressée par la chaleur, végète tranquillement & réussit beaucoup mieux. Les blés marsais sont presqu’aussitôt mûrs que les blés hivernaux, mais le grain en est plus petit & moins nourri, parce que la plante n’a pas resté assez long-temps en terre, & que sa végétation a été trop rapide.

Je répète que je prends Lyon pour point de comparaison, cette ville tenant le milieu entre le midi & le nord. Environ quinze jours après la semaille, on commence à voir les semences germer & sortir de terre. Elles demandent des arrosemens suivant leurs besoins, mais ils doivent être donnés avec un arrosoir à grille percée très-fin, afin que la chute de l’eau ne serre pas trop la superficie du sol. S’il est nécessaire d’arroser avant la germination, un peu de paille menue, étendue sur la superficie du pot, modérera l’effet de la chute de l’eau, & cette paille s’opposera en partie à la grande évaporation. Dans le nord, la graine ne lève en général, qu’un mois après le semis.

Le choix de la semence est indispensable, si on ne veut pas courir le risque de voir un travail de deux années perdu & inutile. Ne semez que les graines que vous aurez cueillies vous-même, ou que vous aurez reçues d’une personne qui soit un autre vous-même. Quelques œillets larges & demi-houppés donnent par fois de la graine : si la couleur de l’œillet est bonne ; si, en termes de fleuristes, il promet, c’est le cas de la choisir de préférence, puisque cette espèce a déjà éprouvé un perfectionnement réel, & qui ne peut qu’augmenter par les soins assidus.

Les fleuristes préfèrent cependant les grenadins bien faits, & à panachés réguliers. Autrefois ils préféroient les piquetés, aujourd’hui ils ne veulent guères plus que les grenadins à trois couleurs bien prononcées & bien séparées. Si je ne me trompe, c’est aux semis de la graine du Médée qu’on est redevable des tricolors ou bizarres. Le médée est un grenadin dont la couleur est d’un beau pourpre un peu foncé, & bien velouté, à panaches réguliers, d’un pourpre plus foncé & tirant sur le noir. Ce qu’il y a de certain, c’est que de ses semis j’ai obtenu les plus beaux bizares.

On trouve chez les marchands de graines, des semences d’œillets. Ils sont trompés par ceux de qui ils les achètent, qui ne pouvant se défaire au marché, ou chez les distillateurs, de leurs fleurs simples, les laissent grainer, & les livrent ensuite dans le commerce. Lorsque j’étois fleurimane, j’ai tiré, pendant plusieurs années de suite, des graines des fleuristes de la Flandre françoise & autrichienne, pays renommé pour les œillets : je ne dis pas qu’ils m’aient trompé ; mais certainement je n’en ai jamais obtenu un œillet passable. Cette fatalité est-elle due au changement de climat ? elle n’a du moins pas tenu au défaut de culture. Il faut en conclure que le fleuriste prudent doit lui-même choisir sa graine, la prendre sur la fleur unique qu’il aura laissée sur pied, la conserver avec loin dans un lieu ni trop sec, ni trop humide, & la semer avec les précautions indiquées ci-dessus.

Lorsque la semence a germé, lorsque la plante commence à avoir un pouce de hauteur, on peut dans les pays chauds, couvrir la superficie de la terre avec un peu de mousse fine, en observant que les feuilles d’en bas ne soient nullement recouvertes par la mousse. Cette petite précaution empêche la trop grande évaporation de l’humidité, & diminue l’action trop forte du soleil sur la terre ; enfin la plante végète plus tranquillement, & prend plus de corps.

Les pots, terrines ou caisses demandent à être exposés à un libre courant d’air. Si on les place près d’un mur, les plantes s’allongent, & se jettent du côté d’où vient le courant d’air. On fera très-bien d’exhausser les uns ou les autres au-dessus du sol, afin d’empêcher que les vers & les taupes-grillons ne pénètrent par les trous destinés à laisser couler l’eau superflue. Si les pluies sont trop abondantes, il est à craindre que la rouille ne s’établisse à la base des feuilles, & ne gagne peu à peu jusqu’au collet des racines. On couvrira donc ces pots au besoin, ou bien on les transportera sous un hangar ; le moins qu’ils y resteront sera le mieux. Si on s’est servi de pot, on peut les coucher après avoir assujetti la couche supérieure de la terre par une pression ; il faut ensuite la piocheter, pour la rendre meuble.

Le climat décide, après que la semence a été confiée à la terre, la place destinée aux pots. Dans les provinces du sud & même du centre du royaume, il convient de les soustraire au soleil de midi, & sur-tout au soleil dévorant de deux à trois heures. Dans celles du nord, ou les plus froides du royaume, à cause de leur élévation au-dessus du niveau de la mer, elles n’ont pas à redouter l’excès de chaleur : cependant il y a des jours accablans ; il est prudent alors de priver ces œillets, sur-tout du soleil de midi à trois heures.


CHAPITRE IV.

De la conduite de l’œillet de semis dès qu’il est en état d’être transplanté, & des soins qu’il demande jusqu’à sa fleuraison.


Si on a semé très-clair, ainsi qu’il a été dit, on sera moins dans le cas de transplanter de bonne heure, & on aura la facilité d’attendre une époque convenable. Dans le centre du royaume, le mois de juin, & dans le nord, celui de juillet, sont les époques ordinaires auxquelles on commence à replanter.

À cet effet, on prépare des planches de trois pieds de largeur, & bordées d’un sentier tout autour. La terre en doit être un peu moins légère que celle des terrines, surtout dans les provinces du midi. Elle doit être un mélange exact de moitié de bonne terre franche & douce, & de moitié de terreau bien consommé. Si le mélange a été fait une année d’avance, il en vaudra beaucoup mieux. Quelques auteurs conseillent de planter à trois pouces de distance, & de transplanter à demeure dans le courant du mois d’août ; je ne vois pas la nécessité de cette seconde transplantation : on a beau faire, les plantes souffrent toujours un peu de leur déplacement. Plantez au moins à six pouces de distance & encore mieux à huit, mais plantez à demeure. Le choix du jour n’est pas indifférent ; si le temps est pluvieux & couvert, la reprise sera plus assurée ; si le ciel est clair & serein, la chaleur forte, il faut couvrir chaque plante par un pot renversé, ou par de larges feuilles que l’on enlèvera dès que le soleil sera couché, & ainsi pendant plusieurs jours de suite, jusqu’à ce que la reprise de la plante soit parfaite. Le point essentiel est que les jeunes plantes aient le temps de se fortifier & de se charger de racines avant l’hiver. Arroser, sarcler, piocher le sol de temps à autre, tels sont les seuls soins qu’elles exigent jusqu’à l’année suivante.

Lorsque le dard ou tige commence à s’élancer, on le soutient par des baguettes, avec des rognures de chapeau ou de drap ; on l’assujettit à la baguette, on supprime les boutons surnuméraires, comme il sera dit ci-après, & on n’en laisse que deux au plus à chaque tige. La fleuraison indique les bonnes ou médiocres ou mauvaises espèces qu’on aura obtenues par le semis. Il est inutile de conserver les deux dernières dont la plante entière doit être arrachée sur le champ : aussitôt que la fleur est passée, on marcotte les bonnes espèces afin de les multiplier, on les lève, on les place dans des pots dès qu’elles sont suffisamment enracinées.

J’appelle bonne espèce, les grenadins bien formés, à trois couleurs ou à deux, dont les panaches tranchent, & sont bien prononcés. Les houppes, lorsque le calice que quelques fleuristes appellent cosse, ne se fend point ; les grands œillets à pétales, amples, d’une belle forme, d’une ou de plusieurs couleurs belles & tranchantes… ceux dont la tige est forte & proportionnée à la pesanteur de la fleur. On ne rejette cependant pas ceux dont la tige est grêle, & la fleur belle. Ils demandent un peu plus de soin pour être assujettis contre la baguette… Les pétales ou feuilles de la fleur, amples, bien placés, point chiffonnés & faciles à ranger… On cultive peu l’œillet dont le centre est aplati ou peu garni de pétales… Les œillets du troisième ordre ou prolifères, crèvent toujours un des côtés du calice : c’est un mal nécessaire auquel on remédie, comme il sera dit ci-après.


CHAPITRE V.

Des soins que demandent les œillets placés dans des pots.


Des pots de dix pouces de diamètre & de hauteur, sont suffisans : dans de plus grands pots, la plante s’amuse, elle a beaucoup de racines, & la fleur est moins belle. La terre qui sert à les remplir, doit être de même qualité que celle des plates-bandes. Une seule marcotte suffit pour un de ces pots. Les soins pour sa plantation & sa reprise, sont les mêmes que ceux dont on a déjà parlé.

Dans le centre du royaume, les œillets commencent à élancer leurs dards ou tiges, en avril, ou au commencement de mai, suivant la saison. C’est ici l’époque où commencent réellement les grands travaux du fleuriste. Si plusieurs tiges s’élèvent du même pied, celle du milieu demande à être conservée, & les autres supprimées. À mesure que la tige s’élève, elle pousse de petites tiges latérales qui naissent des aisselles des feuilles, elles sont encore à supprimer : enfin, on ne laisse que le premier bouton à fleur, celui qui occupe la partie supérieure de la tige. Si l’œillet est grenadin, on peut laisser deux à trois boutons, mais sur autant de tiges séparées : plusieurs boutons sur la même tige, nuisent au perfectionnement du bouton du sommet : cependant quelques fleuristes aiment mieux ne conserver qu’une seule tige, & lui laisser plusieurs boutons… À mesure que le dard s’élève, on l’assujettit contre la baguette avec des brides de rognures de chapeau, de drap, &c, ou avec des cartes coupées dans la forme ci-à côté.

On fait entrer la partie A dans l’ouverture B ; alors cette espèce d’anneau embrasse la tige & la baguette. Ces anneaux doivent être multipliés autant que le besoin l’exige ; & un sur-tout demande à être placé près du bouton pour le soutenir & le rassurer contre les coups de vent.

Lorsque le moment de la fleuraison approche, le calice des boutons s’enfle, bientôt ceux des œillets prolifères vont se déformer, se jeter & crever d’un côté. Il n’y a plus de temps à perdre, c’est le moment d’aider la nature ; alors, avec une lame fine & bien tranchante, on incise légèrement le calice sur les côtés opposés à celui où il tend à crever, sans endommager les pétales. Les pétales devenus moins gênés, prennent une nourriture égale, & ne sont pas déformés. Sans cette précaution, la fleur se jette d’un seul côté, une partie de sa circonférence est dépourvue de grandes feuilles, & leur totalité ne présente plus un rond parfait ; ce qui étoit cependant un point essentiel à la beauté de la feuille. Les grenadins n’ont jamais besoin de ce secours : très-rarement les houppés les demandent, mais ils sont de rigueur pour les prolifères. faut la coiffer. On appelle coiffer un œillet, passer entre son calice et ses pétales, un morceau de carton mince, coupé circulairement, et de la grandeur qu’on suppose à la fleur dans sa perfection.

Il doit être percé dans son milieu, et son vide être du diamètre du volume des onglets de la fleur, ensuite fendu en ligne courbe depuis un point de sa circonférence jusqu’au centre, ainsi qu’il est ici représenté.

D’une main, on saisit tous les pétales, et on les rassemble ; et de l’autre, en faisant bailler les deux bords séparés du carton, on glisse adroitement la partie A entre les pétales et le calice ; enfin, le calice se trouve en dessous, et les onglets des pétales remplissent le vide du milieu du carton.

Après cette opération, il en reste une seconde ; c’est l’arrangement symétrique des pétales, et sans confusion aucune sur toute la surface du carton. À cet effet, on se sert d’une petite pince de bois avec laquelle on range feuille par feuille. Si on a laissé deux boutons sur la même, on peut les réunir afin de présenter un corps de fleurs plus volumineux. Il y a des fleuristes si adroits, que d’un œillet médiocre, ils ont l’art de le faire paroître comme un bel œillet.

Les œillets prolifères ont dans le centre de la fleur, depuis un jusqu’à trois ou quatre petits calices qui renferment de petites fleurs. Si on ne les fend pas, si on ne les ouvre pas et si on ne les supprime pas, cette partie de la fleur avorte ; c’étoit cependant de ce centre que devait partir une jolie houppe de feuilles : il faut de l’adresse et de la patience, lorsqu’on enlève ces calices partiels ; mais on est bien dédommagé de ses peines lorsque l’opération est faite à temps. Plus on diffère cette suppression, et moins les pétales grandissent.

À mesure que les œillets fleurissent on porte les pots sur les gradins de l’amphithéâtre, et le fleuriste cherche à assortir les couleurs, afin qu’elles produisent plus d’effet. Les gradins sont communément placés au nord, ou tout au plus tournés vers le soleil levant, et recouverts par des planches ou par des tentes, afin de conserver les fleurs plus long-tems, et de les garantir du soleil et de la pluie qui les font passer trop vite. Le long séjour sur les gradins nuit à la plante qui est privée en partie du bénéfice de l’air libre. Les arrosemens des pots, trop répétés, occasionnent la moisissure.


CHAPITRE VI.

De la multiplication des œillets.


Outre les semis dont on a parlé, on multiplie les œillets par marcotte et par bouture. Il est inutile de répéter ce qui a déjà été dit sur les marcottes des fleuristes, (voyez ce mot) et Fig 3, Pl. IX, p. 395, Tome VI. Il reste seulement quelques détails à ajouter.

Si les rameaux du pied de l’œillet, que l’on désire marcotter, sont ou trop courts ou trop longs ; si dans le premier cas ils ne peuvent pas être couchés sans se rompre vers le point de leur insertion, & si dans le second ils excèdent trop le diamètre du pot, on garnit tout le tour avec une hausse ou cerceau en bois, ou en fer-blanc que l’on remplit de terre à mesure que l’on marcotte. Cette terre ne doit pas être de qualité inférieure à celle dont on s’est déjà servi, & elle doit ressembler à celle destinée au semis. Il convient de garantir les marcottes de l’ardeur du soleil & de la chaleur, de maintenir exactement la terre fraîche, sans trop d’humidité, & dès qu’on s’aperçoit que les feuilles commencent à pousser, ce qui annonce leur reprise, on les met à l’air libre.

Plusieurs fleuristes des provinces du nord, lèvent, en août, les marcottes, les plantent dans des pots de six pouces de largeur, pendant l’hiver les placent sous des châssis ; enfin, en mars ou en avril, ils les dépotent, & les plantent dans un pot de dix pouces de diamètre. L’expérience leur a, sans doute, démontré l’utilité de cette méthode ; mais cette précaution est-elle essentielle ? Je ne le crois pas. Dans les provinces du centre & du midi du royaume, les œillets plantés en pleine terre, y supportent, sans risque, l’âpreté des hivers : pourquoi donc ne pas laisser les marcottes replantées & enracinées dans leurs pots, & exposées à l’air. Si on craint que la gelée, en dilatant la terre, ne fasse fendre le pot il suffit de le coucher sur le côté, alors l’effort de la terre s’exécute en avant, & le pot n’est point endommagé. Cette méthode empêche encore que les pluies, trop fréquentes dans l’hiver, n’incommodent la plante. On peut encore enterrer les pots les uns à côté des autres, & les bien environner de terre ; enfin, si on le juge nécessaire, on les couvre de paille longue pendant la grande rigueur du froid. J’ai toujours vu que les œillets, renfermés dans les orangeries, pendant l’hiver, souffroient beaucoup, que la couleur de leurs feuilles étoit altérée, & qu’une très-grande partie périssoit par la moisissure.

Dans l’incertitude de la réussite des marcottes, il convient de conserver, au moins, deux pots de chaque espèce, & de transplanter le vieux pied dans une des plates-bandes du jardin, afin d’y avoir recours l’année d’après, si on a eu le malheur de perdre les marcottes.

Plusieurs fleuristes conservent exprès ces vieux pieds, & les placent dans des pots de douze à quinze pouces de diamètre, remplis de bonne terre, & même ils y réunissent deux pieds. Lorsqu’ils commencent à pousser leurs dards, ils ne suppriment que les plus foibles, les plus mal venans. Ils conservent six à huit tiges, & deux œillets sur chaque tige ; des baguettes ou des roseaux disposés en treillages, servent à attacher ces tiges, & cette tapisserie de fleurs produit un bel effet.

Certains auteurs, parlant des marcottes d’œillets, disent qu’il convient de faire l’entaille dans la partie du milieu, qui se trouve entre les deux nœuds, & d’inciser jusqu’au nœud supérieur : cette méthode est peu sûre. Il vaut mieux couper sur le nœud même, parce qu’il fait bourrelet, (voy. ce mot) & il faut que le bourrelet soit formé d’une manière ou d’une autre, pour qu’il pousse des racines.

La seconde méthode de multiplier les œillets, est par bouture. On choisit les jets les plus bas du pied, les plus minces, ou les jets qui partent des tiges, en les arrêtant par le bout ; ensuite on les plante à sombre, dans une terre préparée & arrosée avec soin. La marcotte est préférable, plus prompte, plus sûre, & moins casuelle.

On peut greffer, en écusson, un œillet sur un autre. L’opération est très-délicate, elle ne m’a réussi que deux fois, & la tige élancée de la greffe a toujours été souffrante, elle a donné une fleur incomplette, & les pieds sont morts dans l’année.

Lorsque l’on lève les marcottes, mises en dépôt dans de petits pots, on doit conserver toutes les racines & même les petits chevelus, appelés barbe par les fleuristes, qui tapissent toute la circonférence du pot : on étend ces chevelus dans le nouveau pot qu’on leur destine ; & dans aucun cas il ne faut recouvrir ni rafraîchir le bout des racines, à moins qu’il ne soit endommagé.


CHAPITRE VII.

Des maladies de l’œillet.


La plupart de ces maladies est causée, ou par les insectes, ou par l’humidité, ou par la privation du courant d’air libre.

Au printemps, lorsque l’œillet commence à pousser son dard, on découvre entre les deux feuilles de la tige une espèce d’écume blanche. C’est le nid où l’insecte appelé par les fleuristes sauterelle, puce, a déposé ses œufs ; je ne puis bien caractériser cet insecte, ni le faire connoître par son véritable nom, il m’est impossible de le trouver au moment que j’écris ; cette substance spongieuse fait dessécher les feuilles, & nuit à la tige. Il est donc important de l’enlever dès que l’on l’aperçoit.

Le perce-oreille, insecte hémiptère, forficula, Lin. est malheureusement trop connu des fleuristes, pour que je le décrive. Il attaque l’œillet dans sa fanne, dans ses montans, dans les boutons & dans ses fleurs ; il ronge les feuilles à leur naissance, coupe les pétales par la base de leurs onglets, & laisse le calice vide. S’il s’est emparé d’un amphithéâtre, on a la douleur de perdre, en un ou deux jours, la récompense des travaux continuels d’une année.

On prévient leurs ravages, en plaçant sous les pieds droits de l’amphithéâtre, des terrines pleines d’eau & qu’on renouvelle au besoin ; ou bien, on fait souder tout autour de ces pieds, un bassin en plomb ou en fer blanc, large de cinq à six pouces.

Avant de mettre les pots sur les gradins, il doivent être visités dans toutes leurs parties, afin de s’assurer s’il ne reste aucun insecte caché. Si l’amphithéâtre touche un mur, un arbre, &c., par une de ses parties, ces précautions sont inutiles ; j’ai même vu ces insectes suivre la tente & se laisser tomber, du haut, sur les pots. La tente ou le toit demande donc à être détaché du mur, comme tout le reste.

L’avidité incroyable de ces insectes pour l’œillet, exige l’attention soutenue du fleuriste ; il place au sommet de chaque baguette une carte roulée en entonnoir, la pointe en haut, le perce-oreille maraude pendant la nuit, craint la lumière, et se retire dans l’obscurité dès que le jour paroît. On le trouve caché dans le haut de l’entonnoir, et on le tue. Si, à la place des baguettes solides, on se sert de petits roseaux de jardins, (voyez ce mot) il suffira de pratiquer une ouverture au dessous du dernier nœud, et l’insecte se retirera dans la cavité cylindrique du roseau.

Le puceron vert et noir vit encore aux dépens de l’œillet ; il est ordinairement en troupe nombreuse, et il fait beaucoup de ravages : il est difficile de prévenir ses attaques, puisqu’il vole ; mais dès qu’on le découvre, on répand un peu de tabac bien sec dans l’œillet : quelques fleuristes emploient les décoctions des plantes amères, telles que la tanaisie l’absinthe, la rue, etc. Si on leur donne la chasse de grand matin, lorsqu’ils sont encore engourdis, on peut incliner la tige, l’agiter par secousse, l’insecte tombe sur une feuille de papier destinée à le recevoir, et on l’écrase.

Des chenilles grises et vertes, dont les œufs ont été déposés par des papillons, et qui éclosent sur les feuilles, les rongent et les dévorent. On connoît la présence de la chenille, quoique cachée sous la feuille qui perd peu à peu sa couleur verte : on tue l’insecte.

Les fourmis viennent butiner l’extravasation de la sève, causée par les dents des autres insectes ; elles ne se jettent pas sur une plante saine. Il |arrive par fois que les fourmis s’emparent et se gitent dans la terre du vase ; bientôt elle est émiettée au point que les racines sont à nu : l’unique remède est de dépoter aussitôt la plante, de la changer de place et de la secouer légèrement de temps à autre afin d’obliger les fourmis de s’éloigner, on la remettra ensuite en place, avec de bonne terre, et on arrosera.

L’œillet est sujet à plusieurs maladies réelles, outre les accidentelles dont on vient de parler. Les soins trop multipliés, les attentions données à contre-temps par les fleuristes, n’en seroient-ils pas les causes déterminantes ? en effet, les œillets livrés à eux-mêmes, et aux soins de la nature dans les plates-bandes, n’y sont presque pas sujets : ces maladies sont le blanc, le jaune, la gale, la rouille, et la pourriture.

Le blanc est quelquefois occasionné par des nuits froides, par des brouillards qui interceptent la transpiration de la plante, et causent un reflux d’humeurs ; le blanc est commun au printemps et en automne, et très-rare en été ; quelquefois un arrosage donné de grand matin, ou avec une eau trop fraîche, en est la cause. Le remède consiste à dépoter la plante, changer la terre, supprimer les parties chancies des racines, et la planter dans un autre pot que l’on placera à une exposition qui n’ait le soleil du matin que pendant une heure ou deux. Lorsque la plante sera remise, on transportera le pot avec les autres, c’est-à-dire, à l’air libre.

Le jaune est produit par une terre onctueuse, trop grasse, trop chargée de fumier peu pourri et qui retient trop l’eau. Dépotez l’œillet, supprimez la terre boueuse, substituez-lui une terre plus légère, & traitez-le comme le premier.

Les brouillards & les pluies du printemps & de l’automne, sont le principe de la galle. Elles font naître sur les feuilles des taches, ou noires, ou rougeâtres, ou grises, & souvent des tubérosités. Retranchez toutes les feuilles affectées, la maladie est purement locale.

La rouille ; l’époque des grandes chaleurs est celle de cette maladie ; elle est plus commune dans les jardins environnés de murs, que partout ailleurs, parce que la plante n’y respire qu’un air étouffé, brûlant & qui n’est pas renouvelé ; elle attaque particulièrement les marcottes ; ses ravages sont prompts & terribles ; dès qu’on s’en apperçoit, il faut se hâter de développer toutes les feuilles contournées, & dès qu’elles seront bien ouvertes, de répandre dessus ou du tabac tamisé très-fin, ou des cendres de bois ; cette opération exige d’être répétée plusieurs fois : si on demande comment, le tabac ou les cendres agissent, je n’en sais rien ; mais l’expérience journalière justifie l’efficacité du remède.

La pourriture survient à l’œillet, par différentes causes ; une terre trop humectée & qui se soutient dans cet état ; un arrosage avec de l’eau croupie ou de mare, une continuité d’ombrage, du fumier trop récent & qui n’a pas encore perdu sa chaleur &c. Le remède est le même que pour le blanc.

Il n’est pas surprenant que l’œillet soit sujet à toutes ces maladies. Il est trop éloigné de l’état qu’il avoit sur les hautes montagnes, où il a pris naissance ; il ne respire plus, dans nos jardins, cet air pur & subtil ; il n’éprouve plus ces variations subites de l’atmosphère, enfin il est expatrié.


CHAPITRE VIII.

Manière d’avoir des œillets pendant presque toute l’année.


Afin d’avoir des œillets, on choisit, non pas les espèces les plus délicates, mais celles dont l’expérience a fait connoître la forte végétation ; on les marcotte à la fin de mai, ou au commencement de juin, & elles prennent facilement racine ; dans les provinces vraiment méridionales, on peut commencer l’opération en mai, si des circonstances accidentelles des saisons n’y mettent aucun obstacle. Dès qu’on s’aperçoit que la marcotte est enracinée, on la lève aussitôt, & l’année suivante elle donne, de bonne heure, ses fleurs. Les pieds que l’on marcottera en septembre ou en octobre, dans les provinces du midi, fleuriront plus tard que les autres dans l’été. Pour avoir des fleurs en hiver, on choisit le gros œillet qui fleurit plus difficilement que les grenadins. Mettez-le en planches au commencement du printemps, il ne tardera pas à lancer ses dards, vous les couperez bien près de la première dardisse qu’ils auront jetée. À la fin de juillet ou en août, ils commenceront à jeter de nouveaux dards, & les fleurs paroîtront en septembre ou en octobre : à la fin de ce mois on lève toutes les plantes qui ont leurs dards, au nombre de six à sept pieds bien enracinés, que l’on place avec soin dans des corbeilles ou dans des mannequins : placez-les alors au midi, de manière qu’elles puissent avoir le soleil pendant toute la journée ; s’il survient des gelées, on en garantit les plantes par des paillassons, ou bien on les porte dans l’orangerie.

Il est bon d’observer que, dans nos provinces vraiment méridionales, la végétation y est si prolongée que, sans prendre presqu’aucun soin, on a des œillets pendant presque toute l’automne. Dans les provinces septentrionales, les châssis, (voyez ce mot) les serres, les couches plus ou moins chaudes, maîtrisent les saisons ; il suffit d’avoir un jardinier intelligent pour les conduire.